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nage ou coule

Summary:

Dick lézarde paisiblement au soleil quand il entend une enfant crier à l’aide.

Notes:

Peren, lumière de ma vie qu'elle est, a pris sur elle de me donner un brouillon d'histoire de sirène parce que j'avais du mal à démarrer.
Quelques embrouilles sur les âges, parce que Rose en bébé insolente est adorable, et je l'adore.
De plus, je suis amoureuse du trope de "les bonnes actions ne restent jamais impunies", surtout lié à la protection d'enfants.

(See the end of the work for more notes.)

Chapter 1: chapitre 1

Notes:

(See the end of the chapter for notes.)

Chapter Text

Dick lézarde au soleil sur son rocher favori, une pierre plate et polie dans un coin tranquille de l’océan. Sa queue ondule dans les eaux fraîches de surface tandis que sa respiration s’approfondit et ralentit à mesure qu’une paisible langueur s’empare de lui.

 

Un cri aigu retentit au loin, et il se redresse en sursaut, égratignant accidentellement ses paumes sur le rocher. Il les secoue avec un sifflement, cherchant du regard le foutu bateau pour savoir combien de temps il a avant de devoir se cacher.

 

Il n’y a pas de bateau. L’horizon est clair et dégagé — à part une tache sombre à l’ouest, bien trop petite pour être même un canoë. Dick plisse les yeux, mais il n’arrive pas à distinguer ce que c’est, et les bruits ont l’air de se rapprocher. Il soupire.

 

Juste quand il commençait à se sentir bien.

 

Dick glisse du rocher, et un battement de sa puissante queue suffit pour le propulser assez près pour découvrir ce qu’il se passe. Même sous l’eau, les cris lui écorchent les oreilles, et Dick ralentit pour s’approcher plus prudemment. Quand il est assez proche pour distinguer les mots, un frisson court le long de son échine.

 

— A l’aide ! crie une enfant, et elle n’a pas l’air plus âgée que le petit frère de Dick. Lâchez-moi !

 

Sa voix est jeune et terrifiée, pour tout ce qu’elle est stridente et porte loin, et une rage incandescente jaillit en Dick.

 

Quelqu’un est en train d’enlever une enfant.

 

Dick ralentit, et s’enfonce pour observer depuis les profondeurs de l’océan. Il y a deux tritons à la surface, l’un d’entre eux entraîne l’enfant avec lui. Elle ne se débat pas — trop fatiguée ou trop effrayée ou simplement réaliste sur ses chances de survie dans l’eau — mais elle n’arrête pas de crier à l’aide. Dick admire sa détermination.

 

Ses ravisseurs, en revanche — Dick va se faire un plaisir de les démembrer. Il tourne autour du groupe à distance, les étudiant soigneusement. Les deux tritons sont massifs, mais il n’y en a que deux, et Dick est sûr de pouvoir battre une paire de salauds qui ont du mal à kidnapper un enfant. Il attend que le courant les force à se rapprocher d'un affleurement de rochers, et bondit.

 

Il percute violemment celui qui porte l’enfant. La fille perd prise, mais se dirige immédiatement vers les rochers, comme Dick l’espérait.

 

Cela le laisse avec deux tritons qui essayent de l’encercler en glissant sous la surface.

 

— Ce ne sont pas tes affaires, siffle l’un d’entre eux, les griffes sorties et montrant les dents.

 

— Quel est le problème ? demande joyeusement Dick, montrant ses propres dents en un sourire acéré, est-ce que vous êtes les seuls autorisés à voler des trucs dans ces eaux ?

 

Le premier bondit avec un grondement.

 

Bruce lui a appris à se battre contre des adversaires plus grands, et contre des adversaires multiples, parce que Dick ne voulait jamais finir comme ses parents. Malheureusement, ces deux-là ne sont pas aussi incompétents qu’ils en ont l’air, et ils ont clairement de l’expérience à combattre en duo. Dick esquive le bond et frappe avec sa queue, mais son écart pour éviter de se faire entailler le côté l’envoie tout droit dans les griffes du second triton.

 

Il attrape son bras, et plante ses dents profondément avec un sifflement sauvage.

 

La douleur piquante ne fait que l’énerver davantage, et il se tord pour attaquer le triton qui a cru que c’était une bonne idée de se rapprocher de lui. Un bond, montrant les dents, et il arrache la gorge du triton, le sang formant immédiatement un nuage.

 

Dick retire son bras de la prise du cadavre et serre les dents quand les griffes approfondissent/allongent ses blessures. Il ignore le picotement — l’autre triton, il l’a perdu de vue…

 

Une queue s’écrase contre le côté de Dick, et l’envoie tournoyer dans l’eau, la poitrine embrasée d’agonie. Il s’est fêlé quelque chose pour sûr, mais il ignore la palpitation brûlante et se tord pour éviter l’attaque suivante. Encore un…

 

Dick se déplace délibérément lentement, favorisant le côté avec les côtes fêlés, laissant pendre son bras blessé, et l’autre triton mord à l’hameçon. Il se précipite sur son côté blessé, et Dick attend qu’il soit presque sur lui pour se retourner avec une gracieuse fluidité.

 

Le triton est trop près pour changer de direction, les griffes de Dick labourent son ventre sans protection, et un filet de rouge se répand dans l’eau. Il se retourne à temps pour voir les yeux écarquillés du triton se ternir, sa queue se raidissant tandis qu’il commence à couler.

 

Il découvre les dents en signe de victoire, et fait un tour sur lui-même pour s’assurer pour s’assurer qu’il n’y ait pas d’autre prédateur à portée. L’eau est sanglante mais silencieuse, et Dick finit sa boucle avant de se retourner vers la petite humaine.

 

Son corps lui fait mal, son bras le brûle, et les égratignures sur son côté ne sont pas aussi superficielles que ce qu’il croyait. Des traînées de sang coulent des griffures de son bras, et la douleur empire plus il y pense. Il ne peut même pas respirer profondément avec sa poitrine compressée par ce qui doit être une ou trois côtes fêlées, et Dick se force à avancer.

 

Il reste une enfant à sauver, seule et terrifiée, et Dick ne s’arrêtera pas avant de l’avoir mis en sécurité.

 

Dick s’arrête juste avant d’émerger à la surface, prenant quelques courtes aspirations pour se calmer afin de ne pas l’effrayer. Elle est sans doute terrifiée, la pauvre petite.

 

Il sort la tête de l’eau et essaye d’adresser un sourire rassurant à la fille à moitié hissée sur les rochers. Au dernier moment il se rappelle de ne pas montrer ses dents pointues.

 

— Salut, commence-t-il, et la fille lui jette une pierre dessus.

 

Elle est pratiquement aussi grosse que sa tête. Dick esquive.

 

Hé !

 

La fille pousse un feulement. Elle rappelle si vivement à Dick son petit frère qu’il ne peut pas retenir son reniflement de rire, même s’il surveille du coin de l’œil si elle n’a pas d’autres pierres.

 

— On dirait mon petit frère, dit-il, se rapprochant prudemment à la nage, et elle recule précipitamment. Est-ce que tu as des frères ?

 

— J’en ai deux, crache-t-elle avec colère, et ils vont te tuer.

 

Elle rappelle vraiment Damian à Dick.

 

— Eh bien, dit-il gaiement, j’espère que non, parce que je voudrais te ramener auprès d’eux.

 

Il la voit trembler, même sur les rochers au soleil. Ses cheveux blancs sont collés à son crâne, plaqués en désordre sur les côtés de son visage et sur son dos, et ses vêtements ont l’air imperméables mais ils ne couvrent pas grand-chose.

 

Elle arrive quand même à le fusiller du regard avec férocité.

 

— Ou tu voulais rester ici ?

 

Dick arque un sourcil.

 

— Ces rochers ont l’air très pointus.

 

Il veut vraiment l’amener dans un endroit sûr et chaud, avec de la nourriture et d’autres humains.

 

— Ma famille va me trouver, proclame-t-elle.

 

Dick ravale un grognement, ses blessures brûlant de plus en plus à chaque instant qui passe. Il veut ramener cette enfant chez elle avant que la douleur n’ait raison de sa patience.

 

— J’en suis sûr, tente-t-il de l’amadouer, avec la voix pragmatique qui apaise toujours Damian. Mais ils te trouveront beaucoup plus vite si on te ramène plus proche de chez toi. Tu as déjà froid, tu es mouillée, et il n’y a ni nourriture ni eau ici pendant que tu attends.

 

Il attend, plein d’espoir, avec un petit sourire qui ne découvre pas ses dents.

 

La méfiance passe sur le visage de la petite, Dick croit voir un soupçon de peur, et un faible sanglot étouffé avant que son expression s’affermisse et qu’elle désescalade avec précaution vers l’eau.

 

— Si tu essayes de m’enlever, je te mords, avertit-elle, montrant ses dents rondes d’humaine.

 

Dick hoche la tête avec beaucoup de gravité et ignore le tremblement de sa voix.

 

— Bien sûr, dit-il, je n’en attendais pas moins de quelqu’un d’aussi courageux.

 

Elle prend une grande respiration chancelante avant de mettre les jambes dans l’eau, et Dick nage vers elle avec un soupir soulagé. Il se tourne, et elle serre ses bras autour de son cou.

 

— Donc, dit Dick en s’écartant des rochers, comment t’appelles-tu, et où est-ce que je t’emmène ?

 

La nage est exactement l’agonie qu’il avait imaginée, et garder sa voix égale à chaque mouvement de sa puissante queue est un effort supplémentaire.

 

— Rose, dit-elle fermement. Je m’appelle Rose, et tu m’emmènes chez moi.

 

Dick a un petit rire, malgré la douleur brûlante qui grandit.

 

— Et où est-ce que ça se trouve, Rose ?

 


 

Rose a fait de son mieux pour décrire son littoral, et même s’il a dû retirer tous les embellissements, il croit savoir où c’est. Il ne s’approche pas souvent du rivage, mais Bruce s’est assuré qu’il en ait une connaissance rudimentaire, juste au cas où. Il n’y a pas de ville à l’endroit que décrit Rose, mais beaucoup de petits groupes d’humains vivent dans les bois, donc ça ne devrait pas être trop dur de trouver quelqu’un.

 

Quand Dick pousse ses questions, Rose avoue d’un air morose qu’elle n’était pas censée nager sans surveillance, mais son père et ses frères mettaient cent ans à se préparer, donc elle s’est éclipsée en première.

 

— Et je m’en sortais très bien, s’entête-t-elle, la petite tête brûlée ; je sais nager et je sais être prudente.

 

— Peu importe ton âge, gronde Dick, si ta famille essaye de te protéger, tu les écoutes. Et ils avaient raison ; tu n’étais pas en sécurité.

 

Pas que Dick croit que sa famille aurait pu la protéger de deux tritons kidnappeurs, malgré son opinion inébranlable de leur force. Elle a abondamment décrit ses grands frères costauds, et son père incroyable et invincible, dispensant généreusement des menaces contre Dick entre deux histoires. Dick trouve que c’est adorable qu’elle croit qu’une famille humaine puisse battre un triton, sans parler de deux, mais il ne la désabuse pas de cette idée.

 

Elle lui raconte l’histoire de la fois où Grant, son grand frère, a coupé un arbre tout seul, quand elle commence à claquer des dents si fort qu’elle s’interrompt. Dick fronce les sourcils, et ralentit — il a oublié les standards d’endurance des enfants humains dans ses efforts pour supporter les vagues de douleur chaque fois qu’il fait un mouvement brusque dans l’eau.

 

— Lâche mon cou, Rose, dit-il doucement, je te porterai à la place.

 

— J- je peux tenir.

 

Elle frissonne, s’agrippant plus fort tandis que Dick avance dans l’eau.

 

 — Lâche, trésor, cajole-t-il, et au bout d’un moment elle détache ses bras.

 

Dick l’attrape avant qu’elle puisse couler d’un pouce, et le poids supplémentaire contre ses côtes lui arrache un sifflement silencieux.

 

— Tu vois ? parvient-il à dire après un temps, essayant de garder le sourire. C’est beaucoup mieux. Maintenant tu peux finir l’histoire de Grant.

 

Rose repose sa tête contre son épaule, se relâchant malgré ses protestations, et baille quand elle continue. Les blessures de Dick le brûlent, et ses membres lui semblent des poids comme la fatigue s’installe, mais il peut presque distinguer les arbres sur la côte quand les murmures de Rose se taisent. Dick baisse la tête, et elle a les yeux fermés.

 

— Rose ?

 

Il la secoue — et le regrette quand ses côtes craquent douloureusement — mais elle se contente de lâcher un petit grognement. Adorable en n'importe quelles autres circonstances, mais là tout de suite, Dick n’est que trop conscient du refroidissement de l’eau. Il lui faut sans doute de la nourriture, de la chaleur et — d’autres trucs d’humains. Dick espère que sa famille est à sa recherche.

 

Mais Dick est assez proche pour distinguer les arbres un par un, et il ne voit personne attendre sur l’étroite plage de sable. Le soleil caresse le sommet des arbres, et tout l’endroit paraît étrangement désert. Quand Dick atteint les hauts-fonds, il passe de sa forme de triton à sa forme humaine pour avancer sur la terre ferme.

 

Ses vêtements s’accrochent à sa peau quand il rampe sur le sable humide, et il se retrouve à se dandiner dans l’eau pendant une minute avant de parvenir à se retrouver les pieds en bas. Il pousse sur ses pieds, luttant contre la gravité pour se tenir debout. Il tire Rose hors de l’eau glacée — la petite fille est beaucoup plus lourde dans l’air frais du soir, et Dick manque de perdre l’équilibre encore deux fois tandis qu’il se fraye un chemin vers le rivage.

 

Il n’y a personne sur la plage, dans aucune direction, et Dick s’engage avec hésitation dans les bois. La brise est une vague de glace qui gifle sa peau, la douleur de ses côtes passe de palpitante à brûlante quand il ajuste Rose sur sa hanche, et il ne voit pas de sang sur ses vêtements sombres, mais il sent une vague fraîche de picotement quand les entailles se rouvrent.

 

Chaque aspiration est comme une poignée d’éclats de verre dans ses poumons, et il est douloureusement mal assuré sur ses pieds, chancelant dans le sable glissant. Il espère qu’il n’attirera pas un requin sur le trajet du retour ; il ne pense pas qu’il pourrait repousser un bébé phoque, sans parler de quelque chose avec des dents pointues.

 

Mais d’abord il doit trouver des humains.

 

Rose est toujours profondément endormie, et Dick songe à la réveiller pour lui demander de meilleures indications. Il ne peut pas se contenter de se promener au hasard dans les bois, mais il ne va pas non plus la laisser là et s’en aller, pas sans s’être assuré qu’elle est entre de bonnes mains. Pour tout ce qu’il se moque de Bruce et de son incapacité à se retenir d’adopter la moindre bébé-créature qui croise son chemin, il s’est attaché à cette petite humaine fougueuse.

 

Peut-être que s’il se trouve un coin où s’asseoir un petit moment, ou trouver quelque chose pour bander ses plaies, ou quelque chose à manger — il ne sait pas si c’est encore loin, et l’épuisement pèse sur lui comme des chaînes. Peut-être quelque part sous le couvert des arbres…

 

Dick lève les yeux, détachant son regard du sable, et s’arrête net. Il y a un grand mâle humain juste devant lui. Il dépasse Dick d’une bonne tête, l’expression une grimace furieuse, un cache-œil couvrant de profondes cicatrices de griffures, et — la bouche de Dick s’assèche. C’est la pointe d’un harpon qui dépasse de son dos.

 

Un chasseur.

 

Les bras de Dick se resserrent automatiquement autour de Rose, et il recule d’un pas.

 

— T’as nulle part où aller, le poisson, dit froidement une voix derrière lui.

 

Dick se retourne, le cœur battant la chamade. Deux autres humains se tiennent entre lui et la sûreté de l’eau. Qu’est-ce que des chasseurs font ici ?

 

— Donne-nous la fille, grogne le plus grand des deux, tendant la main, un poignard prêt dans l’autre.

 

Dick secoue la tête automatiquement. Il y a des trafiquants d’humains, tout comme il y a des trafiquants de sirènes, et Dick est sûr que les chasseurs sont également opportunistes pour l’un et l’autre. S’ils sont prêts à chasser des sirènes innocentes, à torturer des sirènes, à arracher leurs écailles pendant que la sirène hurle — alors ils ne se gêneront pas de trafiquer une petite humaine.

 

Mais Dick est épuisé et Rose est si lourde et si glacée, qu'il n’est pas sûr qu’elle puisse survivre un séjour prolongé dans l’eau. Si déjà il parvient à retourner à l’océan.

 

Les hommes face à lui se raidissent et une voix grave derrière lui dit :
— On ne te laisse pas le choix, le poisson.

 

Il fait volte-face et crache :
— Vous êtes des chasseurs. Vous croyez que je vais vous la donner ?

 

Sa fatigue s’efface face à la peur qui lui tord les entrailles, ses sens s’affinant d’être entouré de gens qui traquent et tuent son espèce sans hésiter.

 

— Je ne sais pas ce que vous avez prévu de faire avec elle…

 

— C’est notre sœur, enfoiré à écailles ! Gronde le premier qui a parlé, plein de tension — et c’est de l’inquiétude dans les lignes dures et furieuses de son visage.

 

Le cœur de Dick manque un battement, et il étudie les hommes à nouveau. Le plus grand, avec le cache-œil, celui qui regarde Rose comme si elle disparaîtrait s’il la lâchait des yeux, a les mêmes cheveux blancs, et le plus jeune à une cicatrice sur la gorge que Rose avait dit que son frère avait.

 

Et ça expliquerait son absolue certitude que sa famille pourrait et voudrait traquer et tuer un triton pour elle.

 

— Prouvez-le, réplique Dick, alors même que le harpon étincelle au soleil couchant.

 

Il se force à repousser sa terreur grandissante d’être seul et blessé sur un rivage qui s’assombrit avec trois chasseurs expérimentés, et se concentre sur Rose. Sur le fait de la ramener chez elle saine et sauve.

 

Tout le reste, il peut s’en inquiéter après.

 

— Prouver qu’on est sa famille ? grogne le chasseur, avançant d’un pas.

 

Dick recule instinctivement et manque de trébucher sur un caillou du rivage. Il n’est pas vraiment en position de négocier, mais il ne la laissera pas jusqu’à être sûr qu’elle soit en sécurité. Ou jusqu’à ce qu’ils l’y forcent.

 

Mais ils ne l’y forcent pas. Ils n’attaquent pas, alors même qu’ils pourraient facilement le mettre à terre parce que — parce qu’ils ne veulent pas risquer la fille.

 

— Grant, dit le plus grand des chasseurs sur un ton d’avertissement.

 

Grant arrête d’avancer. Dick sent quelque chose qu’il n’ose pas appeler de l’espoir.

 

— Grant, répète Dick, ses doigts qui tiennent Rose tremblants. Elle m’a dit qu’un de ses frères s’appelait Grant.

 

Grant échange un regard rapide avec le chasseur le plus âgé, et reporte son attention sur Dick, plissant les yeux.

 

— Oui, dit lentement Grant. Je suis Grant, c’est Joey, et c’est notre père, Slade.

 

Dick tourne son regard vers les deux autres, plaçant des visages sur les noms des histoires que Rose lui a racontées, et les morceaux s’assemblent.

 

— Et ce que tu tiens, c’est notre petite sœur, Rose.

 

Dick baisse les yeux sur Rose, puis les repose sur sa famille.

 

La fille d’un chasseur. Il a sauvé la fille d’un chasseur, et maintenant ils ont l’air prêts à l’écorcher sur le champ.

 

— J’étais en train de la ramener chez elle, dit Dick, aussi calmement qu’il peut, tremblant et blessé et désarmé. Il y avait — des trafiquants.

 

Slade pousse un grognement, et Dick est saisi d’un frisson à la violence implicite dans le son.

 

Une petite part de lui lui dit calmement qu’il est foutu.

 

C’est Joey qui fait un pas en avant cette fois, et quand Dick n’eut pas de mouvement de recul, se tenant soigneusement immobile, Joey avance jusqu’à lui. Slade fait un grincement sourd de menace, mais Dick se force à avancer d’un pas et à relâcher sa prise sur Rose pour la déposer dans les bras de son frère. Étrangement, il se sent plus lourd sans elle.

 

— Elle s’est endormie juste avant qu’on atteigne le rivage, dit Dick.

 

Joey acquiesce d’un signe de tête et recule promptement. Il se dirige vers les arbres, et disparaît dans la pénombre montante, laissant Dick seul avec deux chasseurs ouvertement hostiles.

 

Il tente de faire un pas vers l’océan, et Grant vient le bloquer.

 

— Et où est-ce que tu crois aller comme ça ? demande Grant, tandis que Slade contourne Dick pour se tenir aux côtés de son fils, les deux se dressant entre lui et la sécurité de l’eau.

 

— Chez moi, dit franchement Dick, son regard passant d’un chasseur à l’autre alors que son cœur se serre. J’ai ramené votre humaine perdue, et maintenant je voudrais rentrer chez moi.

 

Avant que ses blessures suintantes le drainent entièrement, avant qu’ils ne s’aperçoivent qu’il ne peut pas respirer normalement, avant que — bon. Il sait ce que les chasseurs font aux sirènes.

 

Slade lève le bras et décroche son gigantesque harpon, qu’il tient devant lui aisément d’une seule main. Il ne le pointe pas sur Dick, et il n’en a pas besoin.

 

Quelque chose comme du désespoir s’amasse en Dick, la connaissance douloureuse que même tout entier il ne pourrait sans doute pas passer ces deux-là, et son souffle se coupe dans sa gorge soudain serrée. Il voulait juste passer une après-midi tranquille au soleil, et maintenant…

 

— Vraiment ? demande-t-il d’un ton tranchant, dissimulant la peur par un rictus, c’est comme ça que vous voulez me remercier ?

 

— C’est exactement comme ça que je veux te remercier d’avoir essayé d’enlever ma fille, dit Slade, la voix sourde et dangereuse.

 

Dick se force à adopter une expression furieuse.

 

Son estomac se contracte, et ses respirations se raccourcissent, tandis qu’une certitude douloureuse se loge dans sa poitrine et lui dit que cette fois il ne s’en sortira pas.

 

— Je ne l’ai pas volée, il rétorque, essayant d’empêcher l’émotion de transparaître dans sa voix. Je l’ai ramenée. Peut-être que vous devriez la surveiller de plus près si vous tenez tant à elle.

 

Il a fait mouche, il voit le coup frapper, voit Grant reculer avec quelque chose comme de la culpabilité tandis que Slade fait un pas en avant menaçant. Dick lève le menton, repoussant sa profonde fatigue et sa terreur, ses mains tremblantes serrées en poings.

 

— Tu voudrais me faire croire qu’un triton a sauvé ma fille ? demande Slade doucement. Je connais ton espèce. Je chasse ton espèce.

 

Encore un pas en avant, et si Slade lève son harpon maintenant, sa pointe s’enfoncerait dans l’estomac de Dick.

 

— Je tue ton espèce.

 

Le cœur de Dick bat dans sa gorge mais sa voix est parfaitement glaciale :
— Je suis au courant, je ne devrais pas être surpris que votre espèce n'ait aucune décence.

 

Personne ne sait qu’il est là, la plage est complètement déserte, et les chasseurs ne sont pas enclins à se montrer cléments, même sans l’adrénaline d’un parent disparu. Dick sait que ses deux seuls choix sont la mort ou la torture.

 

Les vagues de l’océan s’écrasent, cruellement proches. Comme si elles se moquaient de lui.

 

— La décence est pour les personnes, réplique Slade.

 

Dick — ne s’attendait pas à ce que cela fasse si mal, surtout pas face à la perspective de sa mort imminente. Une personne est une personne, que ce soit une sirène, un humain ou un chasseur, et Dick — il a sauvé sa fille et…

 

— Peut-être que j’aurais dû la laisser, dit Dick, et il ne reconnaît pas sa propre voix, sourde, brutale et venimeuse. Je n’aurais pas dû attaquer les deux tritons qui l’ont kidnappée, et je n’aurais certainement pas dû la ramener jusqu’ici.

 

Cette fois, Grant montre les dents et fait un pas en avant, mais Dick reste où il est, les orteils enfoncés dans le sable humide dans un effort pour conserver son équilibre. En fait, il n’est pas sûr de pouvoir bouger sans tomber ; ses entailles le brûlent, et tout le reste de son corps s’est changé en glace.

 

— Vous ne l’auriez jamais revue.

 

La voix de Dick est comme la pointe d’une lame.

 

— Vous pensez qu’ils savaient qu’elle était un rejeton de chasseurs ? Vous vous êtes faits beaucoup d’ennemis sous l’océan, après tout.

 

L’expression de Slade se durcit, passant de furieuse à assassine, et le visage de Grant alterne entre la rage et la peur. La vision de Dick se brouille sur les bords. Il espère vaguement que sa famille ne trouvera jamais ses restes.

 

— Ou peut-être que vous seriez tombés sur ses os un jour.

 

Grant bondit avec un cri de rage, et Dick recule instinctivement — du feu lance le long de son côté quand sa blessure flambe, et il ne peut pas étouffer le gémissement aigu quand il s’écrase durement sur le sable. Le choc lui coupe le souffle, et le monde se dissout, s’étirant autour de lui.

 

Il distingue deux larges silhouettes qui se tiennent devant lui, obscurcies par le ciel couchant, et essaye de se redresser sur un coude. Relève-toi, hurle quelque chose en lui, paniqué à l’idée d’être sur le dos aux pieds de deux chasseurs. Le reste rappelle qu’il est mort de toute façon.

 

Le sable glisse, coule sous ses doigts, mais il parvient à se servir de son bras intact pour se redresser. Le harpon n’est toujours pas pointé vers lui, et Dick entend des murmures, ou peut-être que ce n’est que le vent, mais tout se brouille et il utilise ce qui lui reste d’énergie pour se lever d’un bond.

 

Ça ne marche pas.

 

Il parvient à mi-chemin sur ses genoux avant de glisser, comme s’il y a des ficelles invisibles autour de ses bras et de ses jambes qui tirent pour l’étendre à nouveau sur le sable. Il ne voit pas les chasseurs, il ne voit rien, mais il sait qu’ils sont là, sait qu’il est exposé et impuissant et vulnérable, et son cœur bat dans son crâne.

 

Dick les sent plus qu’il ne les entend se rapprocher, les bottes résonnant contre le sable, et il se prépare au coup de pieds dans ses côtes fêlées, ou à un harpon droit dans l’estomac. Son cadavre repassera dans sa forme de triton, et ils pourront récolter toutes les écailles qu’ils veulent, et il…

 

Il voulait juste sauver la petite.

 

Bon. Ça, au moins, il a réussi.

 

L’obscurité déferle sur lui, son sursis expirant, et il est heureux d’échapper à la douleur.

 


 

Il y a quelque chose de dur et pointu contre son dos, il est tordu dans une position inconfortable, et tout lui paraît étrangement sec. De l’eau tiède lui coule dessus, et le sel brûle dans ses entailles.

 

— Zut, siffle quelqu’un.

 

Dick ne peut pas contenir le gémissement sourd quand quelque chose serre fermement ses plaies.

 

— Il saigne toujours.

 

Plus d’eau lui tombe dessus, elle s’assèche trop vite, et la voix lâche un juron :

 

— Arrête… pas sur moi, Joey !

 

La pression sur son côté est passée de douloureuse à insupportable, et Dick veut qu’elle s’en aille, mais il essaye de lever les mains et échoue. Quelque chose est enroulé autour, et Dick essaye de briser les liens qui enserrent ses poignets, mais ce seul effort l’épuise.

 

— Attention, s’élève une voix plus grave et plus lointaine, ne t’approche pas…

 

— …trop près des griffes, oui, Papa, je sais

 

Le sol sous lui est secoué violemment, des vibrations courant le long de son échine et s’harmonisant dans ses côtes fêlées, et Dick ne peut pas respirer.

 


 

Des aiguillons de douleur sur son bras.

 

Un cache-œil, sombre et pesant, qui le domine de sa hauteur.

 

Des mots, des mots qu’il ne comprend pas, des mots dont il a oublié la langue, qui rebondissent contre lui et tombent par terre.

 

De l’eau, froide et rafraîchissante, métallique et non salée, et il a l’impression d’être étiré dans dix directions différentes mais au moins il arrive à respirer.

 

L’obscurité, qui le couvre lourdement.

 


 

Dick flotte dans l’obscurité, chaude et douce. Quelque chose est planté dans son côté et il fronce les sourcils, essayant de se mettre à l’aise. Et puis brusquement l’obscurité n’est pas chaude et douce, elle est froide et dure, et son corps est tordu est trop lourd et douloureux et…

 

Les chasseurs.

 

La panique le fait sursauter et il ouvre les yeux, éloigne-toi à la pointe de sa pensée. Il est dans — quelque part, il y a des murs autour de lui, il est dans une étrange boîte, lisse et ouverte, trop petite pour qu’il rentre complètement dedans. Il y a de l’eau autour de son torse, frôlant les bords de sa mâchoire, mais la moitié de sa queue sort de la boîte, et quelque chose de glacé court le long de l’échine de Dick.

 

Ses écailles noires et bleues sont couvertes de linges mouillés mais ils ne sont pas assez humides, Dick sent sa queue sécher, ses écailles gratter en se frottant les unes contre les autres.

 

Merde.

 

Ils auraient pu le tuer sur la plage et rapporter chez eux sa queue à sécher et écailler, mais ce n’est pas ce qu’ils ont fait, ils l’ont ramené lui, et — parfois on retrouve des sirènes enlevées par des chasseurs après des semaines ou des mois, mortes récemment alors qu’elles ont disparu il y a si longtemps, couvertes de — les écailles repoussent, et parfois on exploite les sirènes, et la panique l’étrangle si fort que Dick commence à se sentir étourdi.

 

Dick essaye de se métamorphoser, de sortir de cet endroit, et il ne peut pas — sa respiration est trop aiguë et trop rapide, et il ne peut pas se concentrer pour maintenir sa forme. Une panique qui l’enveloppe est épaisse, et même quand il ferme les yeux pour essayer de se calmer, il peut la sentir sur sa langue. Il y a un bourdonnement dans ses oreilles, un léger sens d’incrédulité sur sa situation ; et il n’arrive à se concentrer sur rien.

 

La porte de la pièce s’ouvre, et Dick tourne les yeux pour voir le plus jeune chasseur entrer les bras pleins de linges humides.

 

Leurs regards se croisent et Dick — il ouvre la bouche et il ne sait pas ce qu’il avait prévu de faire ou de dire, mais un appel désespéré et nostalgique sort de sa bouche, comme si Bruce ou ses frères pouvaient l’entendre, comme si qui que ce soit qui se soucie de lui pouvait l’entendre, comme si on ne le maintenait pas en vie uniquement pour le torturer et ensuite le tuer.

 

Soudain la boîte lui paraît une cage, trop serrée autour de lui, et Dick se redresse, de l’eau fraîche coulant partout. Les yeux de Joey s’écarquillent et il lâche les linges, et Dick arrive à basculer par-dessus le bord de la boîte, pour atterrir douloureusement sur le sol.

 

Avec insistance sur la douleur.

 

Ses blessures se rouvrent à son atterrissage sur le sol dur — sous les bandages, il se contorsionne pour voir les bandelettes qui couvrent sa poitrine. Et il ne peut pas respirer, ses côtes le lancent, et il continue à lancer des appels à sa famille, encore confus et paniqué, ils auraient pu se contenter de le tuer mais ils veulent quelque chose d’autre et maintenant

 

Joey fait un pas en avant, formant avec ses doigts des signes que Dick ne reconnaît pas, et Dick feule, montrant les crocs et sortant les griffes. Joey recule précipitamment.

 

Dick se traîne en arrière alors même que des bruits de pas accourent dans le couloir, et il se retrouve dans le coin, le dos au mur. Il ne peut toujours pas se métamorphoser, le cœur battant, du sang coulant de ses entailles, chaque respiration un coup de poignard tandis que son estomac se tord. Il sent son corps commencer à sécher, et il n’est pas censé rester longtemps hors de l’eau dans sa forme de triton, et…

 

La porte s’ouvre avec fracas et Slade entre suivi par Grant, les chasseurs remplissant la petite pièce, et Dick s’étouffe sur le sol comme un poisson sur la plage.

 

— Calme-toi, dit sèchement Slade.

 

Dick aurait ri s’il pouvait respirer, parce que l’idée de se calmer pour les chasseurs qui vont le torturer est absurde. La pièce tourne presque autour de lui, les sons résonnent étrangement, et une petite voix intérieure lui souffle : tu fais de l’hyperventilation.

 

Slade avance d’un pas et Dick lui feule dessus, son corps chantant danger danger danger, toujours incapable de former des mots. Slade l’ignore, fait un pas de plus et Dick griffe l’espace vide qui les sépare.

 

N’approche pas.

 

Slade s’arrête pour l’étudier et — Dick feule à nouveau, mais Slade fait délibérément un pas et met la botte sur la queue frémissante de Dick. Dick essaye de libérer sa queue, mais Slade appuie plus fort et ça fait mal et un autre appel affolé s’échappe de sa poitrine, et se transforme en gémissement de douleur.

 

— Grant, ordonne Slade.

 

Le jeune chasseur se rapproche, du métal dans les mains. Dick réagit instinctivement, et Grant crie de surprise quand les griffes de Dick ratissent son bras, mais son coup est faible, et le chasseur attrape ses mains assez facilement. Il referme les chaînes autour des poignets de Dick avant qu’il puisse les arracher à sa prise, et seulement après il les lâche pour attraper son bras sanglant.

 

— On essaye de t’aider, le poisson, dit sèchement Grant.

 

Dick feule à nouveau, comme s’il va les croire, et lutte contre les chaînes, mais son bref sursaut d’énergie l’épuise, et la pièce s’assombrit autour de lui.

 

Il ne peut toujours pas respirer, la panique compressant sa poitrine à un point insupportable, ses poignets attachés ensembles et sa queue clouée au sol et trois chasseurs entre lui et la sortie, et ses halètements se mouillent avant que l’obscurité l’avale.

 


 

Il est dans l’océan, froid et sombre autour de lui, et son papa et sa maman font des tours. Dick fait de son mieux pour les imiter avec ses petits ailerons, et ils le félicitent et lui apprennent à faire des pirouettes, à se tordre et à nager.

 

Sa maman rit et son papa sourit et — et il y a un plus gros triton derrière eux, les dents pointues et les griffes acérées, et Dick doit ouvrir la bouche et siffler pour les avertir mais il ne fait rien.

 

Il y a du sang dans l’eau. Personne ne sourit. Personne ne rit.

 

Un filet se resserre autour de lui, et il lutte pour respirer, et tout lui fait mal, et il y a trop de gens. Trop de gens, et il est de nouveau dans l’eau, mais ce n’est pas l’océan, c’est petit et clos et il ne peut pas remonter à la surface et tout est dur et lisse et on voit à travers mais il ne peut pas sortir.

 

Il est au cirque. Il est au cirque, dans un aquarium de verre, et il est plus grand que dans ses souvenirs, l’aquarium plus petit, mais les gens sont les mêmes, à rire et à bavarder et à taper sur le verre, pour essayer de le pousser à faire des tours, comme s’il est une sorte d’animal. Il hurle et hurle mais personne ne l’aide, personne n’essaye même, et Bruce ne viendra pas cette fois, Bruce ne sait même pas où il est, et une des petites filles presse sa tête contre le verre pour mieux le voir.

 

C’est Rose, qui sourit et agite la main vers lui, frappant sur la glace. Quelqu’un attrape son poignet avant qu’elle puisse frapper à nouveau sur le verre — Grant est accroupi auprès d’elle.

 

— Chut, lui dit-il, laisse-le dormir.

 

— Il est réveillé ! dit Rose avec excitation, se tournant vers son frère. Regarde, il a les yeux ouverts !

 

Grant se tourne pour le regarder, ses yeux bleus se plissant quand ils rencontrent le regard de Dick, et Dick ne sait pas quand il est passé du rêve à l’éveil, mais il est toujours dans un aquarium.

 

Non, et le hurlement le déchire. Les yeux de Grant s’écarquillent, et fait reculer Rose une seconde avant que la queue de Dick s’abatte contre le verre, mais l’aquarium est fait pour enfermer des sirènes, et il tremble à peine. Non, non, non — pas encore, pas encore, l’eau s’obscurcit de nuages de bulles tandis que Dick se contorsionne, éprouvant le fond, les côtés, traquant la moindre faille pour sortir de sa prison de verre.

 

Quelqu’un crie, étouffé hors du verre, et sa poitrine hurle, la douleur se répercutant sur sa peau, mais Dick ignore tout. Il faut qu’il sorte et il faut qu’il sorte maintenant.

 

Il ne sera pas un spectacle de cirque, plus jamais, et il est plus grand, plus malin et plus fort, il va se sortir d’ici. Le couvercle supporte ses coups de poings, et il voit les joints mais ne peut ni les briser ni les tordre, et il est sur le point d’essayer de déchirer le couvercle à coup de griffe quand il voit les marques de griffures.

 

Il y en a tant. Frénétiques ou longues, acérées ou lentes, un quadrillage de motif qui décore l’intérieur du couvercle. Dick passe ses doigts sur les marques, toutes légères, à peine une éraflure sur le verre épais. Aucune ne s’est même rapprochée de la destruction du couvercle.

 

La souffrance et la rage et le désespoir sont inscrits dans le verre, gravés dessus, et l’eau elle-même paraît étouffante, comme quand il nage trop loin dans l’obscurité infinie des profondeurs du plancher océanique.

 

L’eau se calme quand il arrête de bouger, et un rude sanglot s’arrache de sa gorge. Les chasseurs, toujours les putains de chasseurs, et Dick voulait juste sauver une enfant et maintenant il est enfermé comme un jouet. Soit pour la récolte de ses écailles soit pour qu’il soit un divertissement — les deux sont une torture, et Dick ne sait pas laquelle le tuera le plus vite.

 

Il se tourne, et Slade se tient de l’autre côté du verre, Grant et Rose un peu plus loin derrière. L’homme le fixe de son bon œil acéré, et quelque chose en Dick éclate.

 

Il n’est pas leur putain de divertissement.

 

Il refuse d’être exposé comme une curiosité.

 

Il ne peut pas les empêcher de le clouer au sol et d’arracher ses écailles, mais il peut refuser d’être traité comme un animal en cage.

 

Il a mal partout, mais il est entouré d’eau, ce qui lui procure ce petit bout de sécurité dont il a besoin pour se concentrer, pour chercher en lui la métamorphose, et il regarde l’œil de Slade se plisser quand les changements ondulent sur lui.

 

Ses griffes se rétrécissent en ongles, ses écailles se fondent les unes dans les autres et se changent en vêtements imperméables tandis que sa queue se sépare en jambes, et sa poitrine se serre un peu quand ses branchies s’effacent. S’ils veulent regarder quelque chose, ils peuvent regarder sa forme humaine.

 

— Heu, dit Grant, les mots étouffés et lointains, Les sirènes sont capables de respirer sous l’eau sous forme humaine ?

 

Dick retient de toute ses forces sa transformation humaine quand sa tête heurte le couvercle. L’aquarium est rempli d’eau à ras bord, il n’y a aucun moyen de respirer sans se noyer. Non, pense-t-il en clignant silencieusement des yeux vers eux, non elles n’en sont pas capables.

 

Bien sûr, il n’y a pas moyen qu’il maintienne sa transformation indéfiniment, au bout d’un moment il va commencer à s’étouffer et s’évanouir, et puis il se changera à nouveau en triton et pourra de nouveau respirer, mais s’ils veulent qu’il fasse du divertissement, ils vont devoir attendre très, très longtemps.

 

Dick soutient le regard de Slade. Il a l’impression que dans sa poitrine les côtes ont été remplacées par des bandes de caoutchouc, mais il ne cèdera pas en premier. Il aurait juste souhaité que quelqu’un fasse sortir Rose de la pièce — elle ne devrait pas avoir à regarder quelqu’un se noyer devant elle.

 

Le visage de Slade se durcit encore, et il avance à nouveau, presque nerveusement. Dick ne voit pas ce qu’il fait sur l’aquarium, mais alors le couvercle s’ouvre, pivotant à moitié, et entre le désir de rester loin des chasseurs et le désir de sortir de l’aquarium, la brûlure de ses poumons gagne.

 

Les chasseurs reculent quand Dick remonte à la surface avec une aspiration, pas pressés apparemment de s’approcher trop d’un triton en colère sans entrave, et cela laisse à Dick assez de place pour agir. Dick se maintient dans le coin le plus éloigné, il ne va pas rester dans le putain d’aquarium, et il pousse le couvercle au-dessus de sa tête avant d’agripper les bords de l’aquarium.

 

Ses mouvements sont saccadés et frénétiques, mais Dick ne peut pas s’arrêter pour réfléchir, il sait juste qu’il faut qu’il sorte, et il glisse deux fois avant de réussir à se hisser assez haut pour basculer par-dessus le rebord. L’atterrissage est dur, ses genoux craquent douloureusement sur le sol, mais il utilise le bord de l’aquarium pour se redresser sur ses pieds mal assurés, le dos pressé contre le mur et les yeux fixés sur les chasseurs.

 

Slade est immobile d’une façon qui indique qu’il est prêt à exploser en mouvement, et Grant — Grant a un pistolet harpon, dressé et pointé droit sur son cœur.

 

Dick reste où il est, et essaye de ne pas trembler.

 

Il ne retournera pas dans l’aquarium. Même s’ils menacent de le dépecer. Cette seule idée suffit à le faire paniquer, à lui couper le souffle dans sa poitrine battante, et il se sent paralysé. Il est pris au piège, et un hurlement grandit dans sa poitrine.

 

— Tu as vraiment des jambes, vient une voix absolument réjouie qui contraste avec la tension de la pièce.

 

Dick voit les expressions de Slade et de Grant se changer en horreur avant de repérer la petite fille qui court vers lui. Elle s’arrête juste avant de lui rentrer dedans.

 

— Joey a dit que tu avais des jambes, mais je lui ai dit qu’il était bête, parce que les sirènes ont des queues, et Papa a dit qu’il ne fallait pas traiter les gens de bêtes, mais Joey avait raison.

 

Rose a l’air fascinée tandis qu’elle touche du doigt ses jambes.

 

— Comment ça se fait que tu as des jambes ? Joey a dit que c’était de la magie. Est-ce que t’es magique ? Et moi, est-ce que je peux avoir une queue ? Papa, je peux avoir une queue ?

 

Slade a l’air — l’expression qui y ressemble le plus à laquelle Dick peut penser est la tête de Bruce la fois où Damian a ramené un serpent de mer géant qu’il avait appelé Goliath. L’air sur le visage de Bruce avant qu’ils aient été complètement certains que Goliath était inoffensif…

 

Le harpon de Grant est maintenant pointé sur la tête de Dick.

 

— C’est, la voix de Dick est à peine un grondement rauque, et il doit se racler la gorge deux fois avant que sa voix sorte plus fort qu’un murmure, c’est un truc de sirène. Désolé, Rose, je crois pas que tu puisses avoir une queue.

 

Rose gonfle ses joues, et Dick se concentre sur elle pour ne pas avoir à regarder sa mort imminente.

 

— Tu as des vêtements aussi ! remarque-t-elle, tirant sur son haut noir. Où est-ce que tu les as trouvés ? Je me souviens pas avoir vu Papa te donner des vêtements.

 

— Rose, appelle Slade à voix basse.

 

— Ça fait partie de la magie, dit Dick d’une voix rauque, essayant de sourire.

 

— Oooh, ils vont avec tes écailles !

 

Rose a l’air ravie, essayant à moitié de lui grimper dessus pour mieux voir les motifs.

 

— Ils sont jolis.

 

Rose.

 

La voix de Slade est plus tranchante, et étrangement fragile.

 

— Merci, dit doucement Dick.

 

Il ose poser une main sur sa tête. Il va mourir de toute façon. Ses cheveux blancs sont doux et touffus.

 

Rose le prend apparemment comme la permission de se mettre à babiller.

 

— Qu’est-ce qui arrive à tes vêtements quand tu as une queue ? Où vont tes jambes ? Comment ça se fait que tu n’avais pas de jambes quand tu m’as sauvé ?

 

— Rose, appelle Slade encore une fois, plus insistant, mais la petite fille ne se tourne pas.

 

— Papa dit que tu t’es blessé en m’aidant, dit Rose en levant la tête pour le regarder, et elle met les mains sur les hanches. Pour battre juste deux tritons. Papa et Grant et Joey n’auraient pas été blessés. Je t’avais dit qu’ils sont plus forts que toi.

 

Elle en a l’air très fière.

 

Dick ne peut pas s’empêcher de rire doucement.

 

— Pour ça, tu me l’as bien dit, dit-il — et un des chasseurs fait un bruit étranglé, il ne sait pas lequel.

 

Dick serre les paupières un instant — je ne vais pas lui faire de mal, ce n’est pas moi le monstre ici — mais les gens sont rarement rationnels quand il s’agit de leurs enfants.

 

Il donne une petite tape sur la tête de Rose.

 

— Ton papa t’appelle, lui rappelle-t-il.

 

Il s’accroche à la chaleur qui fleurit en lui quand son expression se tord d’une grimace renfrognée. Il n’arrive pas à regretter de l’avoir sauvée, peu importe ce qui arrive après.

 

Rose se retourne, l’air toujours renfrognée.

 

Quoi, grogne-t-elle, ressemblant remarquablement à son père, ça fait deux jours que je peux pas lui parler.

 

S’il est inconscient depuis deux jours, cela explique certainement ses crampes à l’estomac.

 

— Rose, dit Slade avec raideur, viens là s’il te plaît.

 

Son regard est fixé sur Dick. Le visage de Grant est pâle — il y a un bandage autour de son bras droit là où Dick l’a griffé, d’un blanc éclatant contre le pistolet harpon qu’il tient.

 

— Mais Papa…

 

— Rose, dit doucement Slade, évitant clairement tout mouvement brusque quand Rose est si proche de Dick.

 

Pendant juste un instant, Dick songe à se servir d’elle pour se sortir de là — il ne lui fera pas de mal, mais de toute évidence ils ne le savent pas — et se déteste pour cette seule pensée.

 

Il pousse son dos légèrement, elle pousse un grondement qui est mi-grognement, mi-gémissement, mais retourne vers son père en frappant du pied. Laissant Dick sans bouclier face à deux chasseurs.

 

Il ne sait pas s’ils vont le tuer ou le remettre dans l’aquarium, mais dans les deux cas, ils ne rouvriront pas le couvercle. Il espère que Rose ne deviendra pas comme ses frères en grandissant. Il ne veut pas voir sa curiosité et sa fougue forgée en une autre lame de chasseur.

 

Slade ne se détend qu’une fois que Rose est à portée de main, et la tire promptement derrière lui. Rose braille, mais Slade s’adresse directement à son fils, son regard fixé sur Dick.

 

— Fais-la sortir, dit Slade d’une voix calme.

 

— Mais tu…

 

— Je m’en sortirai, dit Slade, fixant Dick. Sors-là d’ici.

 

Les lèvres de Grant se tordent en une grimace tandis qu’il fusille Dick du regard, mais il baisse le pistolet harpon et fait signe à sa petite sœur.

 

— Viens, Rose, tu as promis d’aider Joey avec les biscuits.

 

— Mais Dick…

 

— Tu lui parleras plus tard.

 

Quel optimisme.

 

Rose fait savoir son mécontentement par sa mine boudeuse, mais elle suit Grant hors de la pièce. Ils ne ferment pas la porte derrière eux, et Dick l’entend recommencer à babiller, quelque chose sur comment elle va décorer les différents biscuits et que Grant n’est pas autorisé à les toucher, et bien à contrecœur Dick concentre son attention sur Slade.

 

Le regard de Slade l’examine, et il est beaucoup plus calme maintenant que ses enfants ne sont plus là.

 

— Je ne vais pas être content si tu as encore rouvert tes points de suture, dit-il calmement, je les ai déjà refaits deux fois.

 

Il ne va pas être content. L’esprit de Dick se vide un instant, incapable de traiter cette déclaration.

 

— Je ne suis pas content que vous m’ayez mis dans un aquarium, s’échappe de ses lèvres sans permission.

 

Slade avance d’un pas, et Dick s’écarte instinctivement sur le côté, loin de l’aquarium, se servant du mur dans son dos pour se tenir debout.

 

— La baignoire ne marchait clairement pas, dit doucement Slade, et Dick montre les dents.

 

La — quoi ? la boîte trop petite où ils l’ont mis ? Dick se serait attendu à ce que ce soit un bassin d’assèchement— juste assez d’eau pour le maintenir en vie, pendant que sa queue s'assèche et que les écailles craquent pour être arrachées facilement.

 

— Donc vous avez décidé de me mettre dans une cage ?

 

Dick essaye de garder sa voix menaçante, mais elle est trop faible et trop tremblante. Slade continue à bouger vers lui, avec lenteur et assurance, et Dick trébuche sur chaque pas en arrière.

 

— Tu as attaqué mon fils, dit Slade, sa voix descendant d’une octave tandis que ses yeux se plissent, on ne pouvait clairement pas se fier à ta maîtrise de soi.

 

Dick se force à bouger sur le côté, pour que Slade ne puisse pas le piéger dans le coin.

 

— Ma maîtrise de soi ?

 

Sa voix est presque stridente.

 

— Vous m’avez enlevé !

 

Slade fait un pas en avant, et cette fois, Dick heurte le bord de quelque chose de dur, et perd l’équilibre. Sa panique explose quand il touche le sol, et immédiatement il se démène pour se remettre sur ses pieds, hurlant qu’il est vulnérable et seul et que le chasseur sera sur lui dans un instant…

 

Dick se redresse sur ses jambes, tremblant, et — et Slade n’a pas bougé quand il était par terre.

 

— Non, dit Slade, lentement et calmement, nous ne t’avons pas enlevé.

 

Dick est trop stressé pour faire quoi que soit d’autre que désigner d’un geste expressif la pièce autours de lui, et en particulier cet aquarium.

 

— Aurais-tu préféré qu’on te laisse te vider de ton sang sur la plage ?

 

Slade lève un sourcil.

 

Dick se souvient d’avoir été certain qu’il allait mourir sur la plage.

 

— Vous auriez pu me traîner jusqu’à l’océan si vous étiez si déterminés à m’aider, dit Dick avec hésitation.

 

Il est obligé d'abandonner la sécurité relative du mur dans l’étrange chemin circulaire qu’ils prennent, et il n’y a rien à portée auquel il puisse s’agripper facilement pour soulager ses jambes chancelantes tandis qu’il recule loin de Slade.

 

— Tu serais mort dans l’océan, insiste Slade, plissant les yeux.

 

Il a presque l’air de s’inquiéter pour lui.

 

— On croirait pas que ça t’aurait fait verser une larme, rappelle Dick.

 

Son dos heurte le mur du fond, ses doigts se recourbant autour d’un cadre éraflé pour se tenir debout.

 

Slade s’arrête — et soupire. Il a l’air… fatigué. Et un peu contrit.

 

— Ecoute, lâche-t-il, on est parti du mauvais pied.

 

Dick le fixe d’un regard vide.

 

— Mon nom est Slade Wilson, dit-il, merci d’avoir sauvé ma fille.

 

Cela suffit pour arrêter net Dick. Un merci ? Venant d’un chasseur ?

 

— Nous sommes désolés de t’avoir accusé de l’enlever.

 

Des excuses ?

 

— Nous t’avons ramené chez nous pour traiter tes blessures, dit Slade, les paumes levées. Rien d’autre. Tu es libre de partir quand tu veux.

 

Dick le regarde fixement, pétrifié par l’étonnement et — il s’agrippe plus fort au cadre et réalise que c’est la porte. La sortie. Il jette un rapide coup d’œil, ne voulant pas lâcher Slade des yeux pour très longtemps, mais la voie est libre, et le couloir derrière est silencieux.

 

Lentement Dick se risque à reculer, dans l’attente de la ruse, du piège, du — de quelque chose, parce qu’il est dans la maison d’un chasseur et qu’il n’arrive pas à croire qu’on le laisse partir, mais Slade ne fait aucun mouvement menaçant. Il n’est même pas armé.

 

Dick recule d’un pas. Et d’un autre, jusqu’à ce qu’il soit dans le couloir. Slade s’appuie contre la porte, et ne fait aucun mouvement pour le presser.

 

Les deux côtés du couloir mènent à des portes, mènent à l’extérieur, à la lumière du soleil et à l’air libre, et Dick partage ses regards entre les deux, ne sachant pas laquelle le ramènera à l’océan. Il réalise abruptement qu’il n’a aucune idée d’où il est, d’à quelle distance ils l’ont emmené, de combien de temps il lui faudra pour arriver à l’eau — il est épuisé, ses blessures pulsent comme des échardes plantées sous sa peau, et sa panique et son état d’alerte ne l’ont pas aidé.

 

— C’est la porte d’entrée, Slade pointe la porte de gauche. L’océan est en ligne droite à l’est, il y a une route majeure qui va dans cette direction. C’est à environ une demi-journée de marche, ou une heure et demie en voiture.

 

Ça fait… beaucoup de marche.

 

Dick n’est pas vraiment sûr de combien de temps ses jambes vont tenir rien qu’à tenir debout, et au moment où il perd connaissance, il repassera sous sa forme de triton.

 

— Rose a dit que tu as nagé pendant des heures, dit Slade, et Dick reporte son regard sur lui. Tu dois être très loin de chez toi.

 

Pas si loin — il aurait fait un meilleur temps s’il n’était pas blessé ni chargé d’un enfant humain — mais avec son épuisement, c’est bien assez loin.

 

— Oui, Dick se force à répondre.

 

Il regarda à nouveau la porte. Il pouvait partir. Là tout de suite, il peut partir, et il s’effondrera sans doute à vingt pas de cette porte.

 

— Nous t’invitons à un repas avec nous, offre Slade, et Dick le dévisage. Et je peux te conduire jusqu’à la plage en voiture.

 

Une ruse. Une tromperie. Une sorte de piège que Dick est trop fatigué pour reconnaître, et ils se mettront à rire quand Dick se fera avoir, et il doit partir.

 

Il y a un éclat bruyant deux portes plus loin et Dick sursaute, ses nerfs à vif hypersensibles.

 

— Je crois que Rose t’a fait des biscuits, dit Slade.

 

Cette manipulation émotionnelle est bien plus grossière et Dick ne — est-ce que le chasseur croit vraiment qu’il se fera avoir par ça ?

 

Sauf que — pour tous leurs défauts, ils chérissent vraiment Rose. Aucun d’entre eux n’a attaqué quand Rose était vulnérable dans ses griffes, et Dick veut croire qu’ils l’aiment assez pour ne pas servir d’elle comme appât. Et ils n’ont pas — il a toujours toutes ses écailles, ils l’ont laissé sortir de l’aquarium, et même maintenant, Slade ne l’attaque pas.

 

Dick devrait partir. Devrait passer la porte, devrait — devrait sortir et tomber dans la poussière à portée de vue de la maison d’un chasseur, et se métamorphoser de nouveau en triton, et mourir d’étouffement dans la rue. Ne devrait pas faire confiance à l’offre d’un chasseur, sans parler de l’offre de ce chasseur.

 

Mais s’ils jouent sur le long terme, Dick est trop fatigué pour le remarquer.

 

— J’apprécierais un repas, se force à lâcher Dick la gorge serrée, si vous m’en offrez un.

 

Slade hoche la tête, et fait signe vers la porte d’où débordent le bruit et la lumière.

 

— Bien sûr, dit-il, c’est le moins qu’on puisse faire.

 

Les pas de Dick sont hésitants, mais il parvient à la porte, et passe la tête à l’intérieur. Il y a une table et des chaises, et — toute une panoplie de choses que Dick ne reconnaît pas mais à en juger par l’odeur, c’est là qu’ils cuisinent la nourriture. Grant le remarque en premier, son regard se faisant plus acéré et sa posture plus tendue, mais il ne fait aucun mouvement pour se saisir à nouveau d’une arme. Rose le remarque ensuite, et son cri est assez fort pour faire grimacer ses deux frères.

 

— Dick ! dit Rose joyeusement, et elle court tirer une chaise de la table, j’ai fait des biscuits pour toi ! Viens t’asseoir.

 

Tu as fait des biscuits, microbe ? répète Grant, un sourcil levé, tandis que Dick entre avec appréhension dans la pièce. Il s’effondre plus qu’il ne s’assoit dans la chaise tandis que Rose tire la langue, mais c’est un soulagement de n’être plus debout sur ses pieds.

 

— Moi et Joey on a fait des biscuits, dit Rose, bombant le torse, et toi t’as rien fait !

 

Grant mime de recevoir un couteau en plein cœur, son regard acéré toujours fixé sur Dick.

 

— Reste ici, ordonne sévèrement Rose à Dick, avant de rejoindre là où son autre frère décore des biscuits.

 

Ils sentent… le sucre, et Dick est soudain affamé. Cela fait des lustres qu’il n’a pas eu de nourriture humaine.

 

Rose revient avec une assiette de biscuits qui ont clairement été décorés par la main d’un enfant. Dick doit lutter pour retenir son sourire, mais Rose ne le remarque pas, occupée à poser l’assiette devant lui avant d’attraper un biscuit.

 

— J’ai fait celui-là pour toi ! Tu vois, il a une queue !

 

Elle le lui fourre pratiquement dans la figure, mais dans le bref instant qu’il a eu pour le regarder, il n’a rien trouvé qui ressemble à une queue.

 

— Rose, parvient la voix de Slade de derrière eux.

 

Dick ne peut pas s’empêcher de se raidir, mais le ton est très clairement un soupir quand il contourne la table pour se diriger fermement vers la pile grandissante de biscuits décorés.

 

— Qu’est-ce que j’ai dit à propos d’embêter Dick ?

 

Rose fait la moue, et Grant ajoute, avec un sourire acide :
— Ouais, Rose, laisse le poisson tranquille.

 

Dick n’a même le temps de se sentir insulté, Rose se cabre instantanément :
 — C’est pas un poisson, tête d’idiot.

 

Dick s’étrangle de rire, et Slade se contente de soupirer. Rose se retourne vers Dick, et agite le biscuit devant sa figure — il attrape son poignet avant qu’elle le frappe dans l’œil, et du coin de l’œil voit tout le monde se tendre.

 

Il mord délicatement la « queue » du biscuit. Ou peut-être la tête, allez savoir. Le biscuit est délicieux, sucré et chaud.

 

— C’est très bon, Dick sourit chaleureusement à la petite. Merci, Rose.

 

Elle lui décoche un sourire rayonnant, et il cligne des yeux, silencieusement étourdi. Tout cet épuisant périple en vaut la peine, rien que pour voir cette expression sur son visage.

 


 

Dick sent qu’il pourrait dormir une éternité si quelqu’un lui donnait un coin confortable où dormir — mais il est toujours dans la maison d’un chasseur, et il ne va pas retourner dans l’aquarium, donc Dick accepte l’offre d’être ramené en voiture après le dîner.

 

Rose vient avec eux, ce que Dick n’admettra pas que cela le rassure, mais il ne se détend vraiment que quand il voit les vagues bleu-gris par les fenêtres du camion. Slade lui a donné quelque chose appelé du café pour le garder éveillé, et Dick a été nerveux pendant tout le trajet.

 

Le sable est doux sous ses pieds nus, et Dick sent les yeux lui piquer quand il atteint le bord des vagues. Encore quelques pas et il pourra se jeter en avant et repasser dans sa forme de triton et nager

 

— Dick !

 

Dick se retourne à temps pour que l’enfant heurte ses jambes et s’y accroche fort. Il titube et manque de tomber en arrière, mais parvient à garder son équilibre par quelques mouvements gauches. Slade est à bien dix pas de là, à les regarder en silence.

 

— Merci de m’avoir sauvée, chuchote Rose, sa voix se brisant.

 

Dick ne peut pas se retenir de s’accroupir et de la prendre dans une vraie étreinte. Elle s’accroche presque aussi fort que pendant qu’il la ramenait chez elle, et Dick prend un moment pour enfouir son visage dans ses cheveux et lui rendre l’étreinte toute aussi serrée.

 

— Tu dois revenir me voir, renifle-t-elle, et elle lève la tête pour le fusiller du regard, l’expression chancelante. Promets-moi !

 

Revenir voir la fille d’un chasseur ? Eh bien, Dick a sans aucun doute fait plus étrange.

 

— Promis, jure-t-il.

 

Il doit à regret se retirer quand Rose ne montre aucun signe qu’elle va le lâcher. Il faut qu’il rentre chez lui avant que l’épuisement le frappe complètement, et il a plusieurs heures de nage devant lui.

 

Elle résiste, mais il parvient à s’extirper, et résiste à ses yeux humides.

 

— Ne pleure pas, dit-il doucement, levant le bras pour sécher les larmes, je promets que je viendrai te rendre visite.

 

— Bientôt, dit-elle, tremblante mais acharnée.

 

— Bientôt, répéta-t-il, même s’il ne s’approchera d’aucun chasseur avant la guérison complète de ses blessures.

 

Elle le serre dans un dernier câlin avant que Dick doive vraiment partir, et il marche dans l’océan jusqu’à ce que l’eau lui arrive à la taille. Il se retourne, agite les mains pour dire au revoir à Rose, qui se tient sur le rivage, son père juste derrière elle. Et puis il se transforme, et ressent la sensation familière de l’eau de mer sur ses écailles, tandis que la liberté de l’océan s’étend devant lui.

 

Il rentre chez lui.

Notes:

PDV de Slade du premier réveil de Dick. [Batcellanea ch.134]

PDV de Slade de la scène de l’aquarium. [Batcellanea ch155]

[NDT : Batcellanea est un recueil de scènes bonus et de pdv alternatifs pour différentes fic d'envysparkler ('y en a tellement c'est trop bien !!!). J'intercalerai directement les chapitres Batcellanea correspondants dans cette traduction, donc pas besoin de vous demander où il faut aller les chercher. Je respecte juste le formatage des notes d'Envy.]

Chapter 2: scène bonus: Batcellanea ch.134

Summary:

Le triton se réveille.

Notes:

Demandé par anon ! Le Pdv de Slade d’une scène du chapitre 1 de nage ou coule.

Whumptober Jour 11 : Déshydratation.

Avertissement sur le contenu : sirène AU, captivité.

Chapter Text

Le premier indice qu’a Slade que le triton s’est réveillé est le bruit sourd qui vient du bout du couloir, et son analyse instinctive lui fait réaliser que Joey est là-bas, seul. Slade court, Grant aussi, et ils font irruption dans la pièce pour trouver Joey en train de reculer et un triton feulant et furieux sur le sol.

 

Il se tord sur place, ses mouvements vifs et nerveux, et il s’est pratiquement incrusté dans le coin du fond.

 

— Calme-toi, dit sèchement Slade, en venant se placer devant Joey parce que ce triton n’a rien à voir avec le portrait qu’a dépeint Rose de son sauveur.

 

Ce triton ressemble à tous les monstres qu’il a tué.

 

Le triton feule et griffe l’espace vide qui les sépare, et Slade sent une concentration froide et dure prendre le pas sur l’alarme qui hurle danger. Il y a une menace dans sa maison, et il doit s’en charger.

 

Le triton n’a pas l’air de vouloir s’approcher, et Slade pose une botte sur sa queue bleue et noire frémissante pour le clouer au sol. Le triton se tortille pour reculer, il siffle et produit même un son aigu, presque brisé, mais Slade ne bouge pas.

 

— Grant, appelle laconiquement Slade.

 

Il aurait préféré avoir une arme à longue portée, mais le triton est clairement épuisé et il a rompu ses points de suture, à en croire le rouge qui tache ses bandages et — il riposte violemment. Grant glapit de surprise mais parvient à refermer les menottes avant de faire retraite et il jure à la vue des entailles sur son bras.

 

Slade se retient de gronder — combien de fois doit-il dire à son fils de faire attention aux griffes

 

— On essaye de t’aider, le poisson, dit sèchement Grant à la créature sifflante.

 

Mais le triton l’ignore pour se démener contre ses liens, la queue frémissant sous la botte de Slade quand il tente, échoue et tente à nouveau de se libérer.

 

La panique le domine avant qu’il puisse aller bien loin, et le triton tourne sur Slade des yeux écarquillés qui le mettent mal à l’aise avant de s’affaisser là où il est, sa respiration haletante s’apaisant dans l’inconscience. Slade retire sa botte, avec la sensation de quelque chose qui se tord dans son estomac.

 

Il n’a jamais vu la terreur dans les yeux d’une sirène auparavant.

 

Grant nettoie ses entailles dans le lavabo tout en continuant à proférer des jurons, mais Joey s’accroupit auprès de la queue du triton. Slade se tend, se retenant de le repousser en arrière, et regarde son fils cadet passer avec précaution ses doigts sur les écailles du triton.

 

Joey se tourne pour lever la tête vers Slade, l’expression sérieuse.

 

« Il a besoin de plus d’eau, » signe Joey, et Slade s’accroupit pour voir sa découverte. La queue du triton est sèche et se pèle — les bords pointus des écailles commence déjà à se retourner là où Slade a gardé sa botte.

 

— On va lui trouver un plus grand bassin, dit calmement Slade.

 

Il va chercher sa trousse de secours. Il va devoir refaire ces points de sutures.

Chapter 3: scène bonus: Batcellanea ch.155

Summary:

Le triton ne s’est pas échappé de l’aquarium. Il se tord furieusement, envoyant de violents coups de queue qui change l’eau en un nuage de bulles, mais l’aquarium ne bouge pas. Il est construit pour contenir des sirènes et Slade relâche un lent soupir tandis qu’il tire sans subtilité Grant et Rose en arrière.

Notes:

Wumptober Jour 1 : entraves non-conventionnelles ! le pdv de Slade de la scène de l’aquarium dans le chapitre un de sink or swim.
Avertissement sur le contenu : sirène AU

Chapter Text

— Papa ! appelle Grant, d’une voix forte et tendue.

 

Slade se précipite aussitôt à l’intérieur. Tout l’intérêt de l’aquarium est que le triton ne peut pas s’en prendre à ses enfants, et Rose est là-dedans…

 

Le triton ne s’est pas échappé de l’aquarium. Il se tord furieusement, envoyant de violents coups de queue qui change l’eau en un nuage de bulles, mais l’aquarium ne bouge pas. Il est construit pour contenir des sirènes et Slade relâche un lent soupir tandis qu’il sans subtilité Grant et Rose en arrière.

 

A aucun moment il n’a oublié à quel point ces créatures sont dangereuses.

 

Le triton s’immobilise abruptement, le regard fixé sur le couvercle, et il se tourne lentement vers Slade. Slade ne peut pas lire les émotions sur son visage, mais il voit la main griffue du triton se serrer en un poing avant que son corps ne se transforme.

 

La longue queue rétrécit considérablement, les écailles se fondent les unes dans les autres et deviennent des vêtements, les branchies se referment et les traits de son visage changent de féériques à humains. Le changement est tout aussi remarquable que la première fois que Slade y a assisté, même si c’était dans l’autre sens, d’humain à monstre. Maintenant il y a un jeune homme dans un aquarium, qui le fusille du regard.

 

— Heu, dit lentement Grant, dans un ton de voix qui montre clairement que sa question n’en est pas une, les sirènes sont capables de respirer sous l’eau sous forme humaine ?

 

Le triton maintient sa transformation. Son regard n’est rien moins que torve, et Slade ne pense pas qu’il craquera en premier.

 

Slade se rappelle une chasse il y a longtemps, où ils ont débusqué une sirène qui se cachait dans une ville portuaire, et l’un des autres chasseurs lui a maintenu la tête sous l’eau jusqu’à ce qu’elle se noie et se retransforme en sirène. Il se rappelle le nœud de peur dans son estomac, la piqûre du et si ils se trompent. Les autres chasseurs s’en fichaient.

 

C’est une des raisons pour lesquelles Slade préfère chasser seul.

 

Papa, siffle Grant quand Slade s’avance.

 

Mais il ignore son fils pour déverrouiller le couvercle et l’ouvrir d’un coup sec. Il doit reculer en toute hâte quand le triton remonte à la surface, respirant bruyamment, et il est extrêmement surpris quand le triton décide de quitter l’aquarium, luttant désespérément pour sortir et tombant durement sur le sol.

 

Il est plus assuré sur deux pieds que Slade s’y attendait, chancelant mais tenant debout, dardant ses yeux sur toute la pièce, la définition d’un animal acculé. Grant a le pistolet grapin, Slade le voit du coin de l’œil, mais les animaux acculés sont dangereux, et les sirènes acculées peuvent être mortelles. Il faut que Slade trouve un moyen de le restreindre avant que…

 

— Tu as vraiment des jambes, s’exclame avec excitation une voix joyeuse.

 

Avant que Slade puisse se tourner vers elle, une panique aiguë gonflant dans sa tête, Rose s’est élancée vers le triton.

 

Oh merde.

 

— Joey a dit que tu avais des jambes, mais je lui ai dit qu’il était bête, parce que les sirènes ont des queues, et Papa a dit qu’il ne fallait pas traiter les gens de bêtes, mais Joey avait raison.

 

Rose est trop près. Si le triton s’emporte à nouveau, s’il s’énerve et panique, Rose est trop près. Grant est plus grand, Grant est entraîné, et même lui n’a pas réussi à éviter le coup du triton.

 

— Comment ça se fait que tu as des jambes ?

 

Rose touche du doigt le triton, et le cœur de Slade manque un battement.

 

— Joey a dit que c’était de la magie. Est-ce que t’es magique ? Et moi, est-ce que je peux avoir une queue ?

 

Rose se tourne vers lui, et elle sourit, et Slade se demande si c’est le dernier sourire qu’il verra.

 

— Papa, je peux avoir une queue ?

 

Pas sa fille. Pitié, s’il y a un dieu, pas sa fille.

 

— C’est, la voix du triton est rauque et éraillée, c’est un truc de sirène. Désolé, Rose, je crois pas que tu peux avoir une queue.

 

Sa fille est à un pas du même genre de monstre qui a mutilé Joey et tué Adeline, le même triton qui a entaillé le bras de Grant d’un coup de griffe, et Slade ne peut pas respirer.

 

— Tu as des vêtements aussi ! Où est-ce que tu les as trouvés ? Je me souviens pas avoir vu Papa te donner des vêtements.

 

— Rose, essaye Slade, la voix aussi calme que possible.

 

Grant a le pistolet grapin pointé sur la tête du triton, et Slade ne peut pas lui dire de le baisser. Il faut qu’il désamorce la situation mais il y a une menace près de sa fille et il ne peut pas réfléchir.

 

— Ça fait partie de la magie, le mer grimace.

 

— Oooh, ils vont avec tes écailles.

 

Rose tire sur le haut du triton, se levant sur la pointe des pieds.

 

— Ils sont jolis.

 

Rose, répète Slade, paralysé et désespéré.

 

— Merci, dit le triton, et il pose une main sur la tête de sa fille.

 

C’est une main humaine normale, pas un signe de griffes en vue, mais Slade n’arrive pas à arrêter de les imaginer se transformer et s’allonger.

 

— Qu’est-ce qui arrive à tes vêtements quand tu as une queue ? Où vont tes jambes ? Comment ça se fait que tu n’avais pas de jambes quand tu m’as sauvé ?

 

— Rose, appelle encore Slade, presque suppliant, mais la petite fille ne se tourne même pas.

 

— Papa dit que tu t’es blessé en m’aidant, dit Rose avec suffisance. Pour battre juste deux tritons. Papa et Grant et Joey n’auraient pas été blessés. Je t’avais dit qu’ils sont plus fort que toi.

 

Slade sent son cœur battre dans ses oreilles. L’impuissance est comme un poison dans ses veines. Il peut presque entendre la voix d’Adeline dans ses oreilles, sombre et en colère, c’est ce qui arrive quand on amène l’un d’entre eux dans sa maison.

 

— Pour ça, tu me l’as bien dit.

 

Le triton fait un bruit qui pourrait être un éclat de rire, et Grant fait un bruit étranglé à côté de lui. Slade lève une main devant lui en avertissement de ne pas faire de mouvement brusque. Le triton relâche un soupir doux et lent, et il donne une petite tape sur la tête de Rose.

 

— Ton papa t’appelle, dit-il.

 

Rose se retourne, toujours à portée de griffe du triton.

 

Quoi, dit-elle sèchement, ça fait deux jours que je peux pas lui parler.

 

Slade l’entend à peine.

 

— Rose, viens là s’il te plaît.

 

Le bras qu’il tend vers elle est tremblant.

 

— Mais Papa…

 

— Rose, il répète, le regard fixé sur le triton.

 

Le triton n’a pas l’air paniqué ou en colère. Le triton a l’air triste.

 

Il la pousse légèrement, et enfin Rose retourne vers Slade en frappant des pieds. Slade peut respirer à nouveau, sa poitrine se relâchant de soulagement, et il remet promptement Rose à Grant.

 

— Fais-la sortir, dit Slade à son aîné.

 

— Mais tu…

 

— Je m’en sortirai, dit Slade.

 

Son esprit fonctionne à nouveau, et garder un chasseur caractériel en train de se remettre d’une poussée d’adrénaline et un triton effrayé enfermés dans la même pièce, c’est courir à la catastrophe.

 

— Sors-là d’ici.

 

Grant pousse un grognement, les dents serrées, mais il obéit.

 

— Viens, Rose, tu as promis d’aider Joey avec les biscuits.

 

Rose proteste immédiatement.

 

— Mais Dick…

 

— Tu lui parleras plus tard.

 

Le regard du triton suit Rose quand elle quitte la pièce, son expression se tord comme s’il la supplie silencieusement de rester. Comme si — comme s’il se tourne vers elle pour qu’elle le protège.

 

Il l’a sauvée. Il est difficile de réconcilier tous les souvenirs qu’a Slade de prédateurs violents et cruels avec les histoires de Rose sur son sauveur, mais il l’a bel et bien sauvée. Et il l’a ramenée. Et il ne l’a pas blessée.

 

Le triton s’est réveillé désespéré et en panique, et il a presque ouvert le bras de Grant jusqu’à l’os. Le triton s’est réveillé désespéré et en panique, et il s’est montré d’une douceur extrême envers Rose. Slade ne fait pas partie des imbéciles qui croient que les sirènes ne sont qu’un cran au-dessus des dauphins. Elles sont aussi intelligentes que les humains, c’est ça qui les rend aussi dangereuses.

 

Mais il a sauvé Rose, et devant le souci évident qu’il se fait pour la fille de Slade, Slade ne peut pas le traiter comme un monstre.

 

— Je ne vais pas être content si tu as encore réouvert tes points de suture, dit-il plutôt qu’autre chose, je les ai déjà refaits deux fois.

 

— Je ne suis pas content que vous m’ayez mis dans un aquarium, feule le triton.

 

Acculé. Effrayé. Slade calcule les angles de la pièce et avance d’un pas précautionneux, en avant mais à droite.

 

— La baignoire ne marchait clairement pas, dit-il calmement.

 

Est-ce que le triton croyait honnêtement qu’il allait le laisser détaché après qu’il ait griffé son fils ?

 

— Donc vous avez décidé de me mettre dans une cage ?

 

Le triton montre les dents. L’effet est moins impressionnant avec des dents humaines.

 

Slade continue à tourner, surveillant les pas chancelant du triton.

 

— Tu as attaqué mon fils. On ne pouvait clairement pas se fier à ta maîtrise de soi.

 

— Ma maîtrise de soi ? la voix du triton grimpe dans les aigus. Vous m’avez enlevé !

 

Il avance encore d’un pas sur le côté, mais perd l’équilibre, et tombe maladroitement au sol. Slade s’arrête, mais il ne s’attend pas à ce que le triton panique, à ce qu’il se démène gauchement pour se remettre sur ses pieds, tremblant de la tête aux pieds, ses yeux bleus écarquillés se tournant vers lui comme s’il s’attendait à une attaque.

 

Le triton n’a pas peur. Le triton est terrifié. Slade embrasse la scène à nouveau, d’un point de vue plus lointain, et réalise que le triton sait qu’ils sont des chasseurs, sait qu’il est piégé — et qu’il a quand même été gentil avec Rose. Quand même été doux, même en sachant qu’elle vient d’une famille de chasseurs. Il s’est quand même… soucié d’elle.

 

— Non, dit lentement Slade, nous ne t’avons pas enlevé.

 

Le triton a l’air incrédule.

 

— Aurais-tu préféré qu’on te laisse te vider de ton sang sur la plage ?

 

Il avait déjà l’air d’être aux portes de la mort, un triton inconscient hors de l’eau, et Slade a dû empêcher Grant de le tuer avant qu’ils aient des réponses.

 

— Vous auriez pu me traîner jusqu’à l’océan si vous étiez si déterminés à m’aider, réplique Dick.

 

Il est maintenant plus proche de la porte que ne l’est Slade, et Slade doit cacher un sourire à la réussite de la manœuvre.

 

— Tu serais mort dans l’océan, insiste Slade, se surprenant lui-même par la profondeur de son émotion.

 

— On croirait pas que ça t’aurait fait verser une larme, siffle le triton, et la juxtaposition de son regard noir et de sa silhouette tremblante est…

Il est jeune. Plus jeune que Grant. Et autant que Slade a essayé de se rappeler que c’est le même genre de créature qui a détruit sa famille, le comportement du triton ne correspond en rien à ses attentes. Cela lui donne la migraine.

 

— Ecoute, dit-il finalement, on est parti du mauvais pied.

 

Il ne peut pas tuer le triton maintenant de toute façon, Rose piquerait une crise.

 

— Mon nom est Slade Wilson. Merci d’avoir sauvé ma fille.

 

Le triton est bouche-bée.

 

— Nous sommes désolés de t’avoir accusé de l’enlever.

 

L’histoire de Rose était très claire sur le sauvetage.

 

— Nous t’avons ramené chez nous pour traiter tes blessures, dit Slade, gardant son langage corporel ouvert. Rien d’autre. Tu es libre de partir quand tu veux.

 

Le triton réalise enfin qu’il est à côté de la porte. L’espoir mêlé de méfiance sur son visage est presque douloureux. Presque humain.

 

Slade durcit son cœur. Un triton gentil ne signifie pas que le reste ne sont pas des monstres. Il sait à quel point ils peuvent être dangereux. Et il ne va pas laisser un gamin trempé changer son opinion là-dessus.

 

Le gamin lance vers la porte un regard de détresse si vif que le cœur de Slade se tord.

Chapter 4: chapitre 2

Summary:

Slade et sa famille tombe sur un triton familier une nuit de sortie.

Notes:

Tous les terribles, terribles comptes avec des préjugés.

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

La fête foraine est la dernière d’une longue, longue série de sorties pour remettre Rose à l’aise avec l’idée de sortir — elle a vigoureusement insisté qu’elle allait bien, et Slade a évité l’océan pendant un mois ou deux au cas où, ne voulant pas plus de problèmes jusqu’à ce qu’il soit sûr que le kidnapping de Rose n’était pas une attaque contre lui, mais alors elle était manifestement mal à l’aise dans l’eau, réticente à nager et elle s’agrippait farouchement à son frère le plus proche, et elle détestait sortir.

 

Slade pensa qu’elle était seulement nerveuse, et s’assura qu’elle avait un adulte de confiance à portée de vue en permanence, mais alors Rose s’était effondrée en sanglots et en hurlements à l’idée qu’on l’a laissée chez Wintergreen pendant que les autres partaient à la chasse, et Slade dut rester avec sa fille pratiquement inconsolable pendant que Grant et Joey allait régler le problème des attaques d’une sirène solitaire sur les bateaux de pêche le long de la côte.

 

Depuis, ils ont visité les musées de la ville, ils sont allés faire de la marche dans les bois, et Slade envisage d’organiser un autre voyage vers l’océan. Même si Rose ne veut pas entrer dans l’eau, y retourner et lui montrer que ce n’est pas dangereux, qu’elle est en sécurité si elle est avec eux tous, devrait aider.

 

Mais pour le moment, Slade doit endurer la fête foraine que Joey a trouvé.

 

Grant n’arrête pas de s’éclipser pour jouer aux jeux clairement truqués, et réapparaît de temps en temps avec une nouvelle mixture trop sucrée. Joey sert de monture à Rose pour qu’elle puisse voir par-dessus la tête de tout le monde, et elle glousse de rire, heureuse et avenante, ravie de les tirer d’un côté puis de l’autre dès que quelque chose attire son attention. C’est Slade qui est nerveux, un picotement nerveux courant le long de son dos à la surabondance de gens, de bruits et de facteurs qu’il ne peut pas surveiller.

 

Il a failli perdre sa fille. Failli la perdre pour toujours, failli la perdre par la faute d’une sirène, de la même façon qu’il a perdu Adeline, de la même façon qu’il a perdu son œil, de la même façon qu’il a failli perdre Joey. Il l’aurait perdue, si un triton n’était pas intervenu, et ça lui démange toujours.

 

La rage brûlante qui laissa place à la surprise quand le triton s’est effondré à leurs pieds, se retransformant pour révéler des blessures profondes et sanglantes, et l’étincelle de remords qui grandit quand Rose leur a expliqué comment le triton a repoussé ses assaillants et l’a ramenée jusqu’à la maison à la nage.

 

Slade ne chasse pas les sirènes pour le plaisir, il chasse les sirènes qui tuent des êtres humains, celles qui sont trop vicieuses et avides de pouvoirs pour qu’on les autorise à vivre, mais il n’a jamais eu une très haute opinion de l’espèce. Elles ne sont pas des humains, elles ne pensent pas comme des humains, ce sont des prédateurs violents et mortellement dangereux qui ont failli détruire sa famille en une sanglante après-midi.

 

Des sirènes ont kidnappé sa fille.

 

Une sirène l’a ramenée.

 

Il est dans une impasse.

 

Mais une bonne action n’efface pas tout un passé de violence, et un bon triton ne représente pas le reste de leur espèce. D’ailleurs, Rose finira bien par arrêter de babiller sur Dick, avec un peu de chance elle finira par l’oublier complètement, et Slade n’aura plus jamais besoin de penser à lui.

 

— Il y a une tente sur les sirènes ! s’exclame Rose.

 

Slade soupire mentalement. Il prie quiconque pourrait l’entendre que cette fascination pour les sirènes lui passe un jour. On croirait que se faire kidnapper par elles l’auraient aigrie contre l’espèce pour toujours, mais non, elle a apparemment décidé que Dick était cool et courageux, et vraiment Slade n’est que reconnaissant qu’elle ait abandonné son idée de se trouver une queue.

 

— On y va ensuite, on y va ensuite !

 

Joey se tourne docilement vers la tente des sirènes, et Slade se demande quelle production dégoulinante de niaiserie ils ont cette fois. Les boutiques qui vendent des bijoux en écailles de sirène le dégoûtent — les tuer, oui, prendre des trophées tordus, pourquoi — et de temps en temps, il y a de la propagande sociologique marine sur comment ils devraient s’entendre avec les créatures de l’océan, comme si les créatures en question suivaient les lois humaines et les coutumes humaines, et ne leur étaient pas supérieures avec leurs dents tranchantes et leurs griffes acérées et…

 

Slade inspire profondément, et suit Joey.

 

Grant les rejoint quand ils se frayent un chemin dans la cohue, mastiquant un beignet, et le malaise de Slade devant l’excès de sucre glace ne fait qu’augmenter à la vue de la pancarte devant la tente. « Véritable Triton vivant~~Venu tout droit des Profondeurs de la Mer » proclame la pancarte, et Slade sent son estomac se tordre.

 

— Un vrai triton ! dit Rose ravie.

 

L’avertissement de Slade arrive trop tard — Joey la pose par terre et Rose se précipite à l’intérieur avant qu’il puisse les arrêter.

 

Il hait ces endroits, hait la façon dont ils donnent des sirènes en spectacle comme si c’étaient des animaux de compagnie et pas des prédateurs dangereux et intelligents, hait que tout un tas de gamins va grandir en pensant que les sirènes sont inoffensives à cause d’un poisson dans un bocal.

 

Sa fille se fraye un chemin dans la foule jusqu’à le grand aquarium au centre, mais Joey s’est figé à la lisière, et Slade lui jette un regard curieux quand Grant dit, lentement et à voix basse :

— Oh merde.

 

Slade se hérisse instantanément. Danger, dit son esprit, scannant la pièce, ses enfants sont en danger, il y a un triton…

 

Le triton.

 

Le triton dérive à demi-conscient dans l’aquarium, les frémissements de sa queue bleue et noire faisant de petites vagues. Il est clairement drogué, de minuscules tremblements sont la seule indication qu’il remarque la foule de gens qui l’entourent et frappent sur le verre.

 

Il est aussi très, très familier.

 

Quelque chose se tord à l’intérieur de Slade. Il n’y a aucune chance que Rose ne l’ait pas reconnu, Slade voit son visage se fendre d’un sourire tandis qu’elle se presse plus près de la vitre. Il n’entend pas ce qu’elle dit, ses gesticulations sont les mêmes que tous les autres enfants autour d’elle, mais il voit son sourire disparaître quand le triton continue à flotter sur place, les yeux mi-clos et vides.

 

Rose s’écarte comme si elle avait pris une décharge, et fend la foule pour revenir vers eux, s’arrêtant bien hors de portée de main et levant la tête avec des yeux brillants écarquillés.

 

— C’est Dick, dit-elle d’un air vide.

 

Slade envisage de mentir, et repousse cette idée — Rose ne se fera pas avoir.

 

— On dirait que c’est lui, en effet, dit calmement Slade, empêchant son tumulte intérieur de transparaître sur son visage.

 

— Il ne bouge pas. Pourquoi il ne bouge pas ? demande Rose à voix basse, levant les yeux vers lui comme s’il avait toutes les réponses.

 

Slade ne sait pas trop comment expliquer qu’on endort en général les sirènes capturées pour le spectacle parce que sinon elles seront trop violentes, il ne sait pas où commencer à expliquer tout le concept tordu des attractions de foire, et il ne sait pas s’il veut expliquer l’état compliqué des relations entre humains et sirènes à une petite fille de sept ans.

 

Aucun des mots qui lui passent par la tête ne sont les bons, mais il n’arrive pas à en trouver de meilleurs. Joey et Grant le fixent aussi, tous les deux silencieux, leurs visages étrangement vides.

 

— Je crois qu’ils lui ont donné quelque chose pour le faire dormir, concède finalement Slade.

 

Rose se tourne pour voir la foule de gens qui huent le triton captif.

 

— Mais pourquoi ? demande-t-elle, désorientée. Est-ce qu’il est malade ? Mais alors pourquoi ils ne le laissent pas dormir ? Ils n’arrêtent pas de taper sur la vitre. Il est blessé ?

 

Slade voudrait être n’importe où plutôt qu’ici.

 

— Non, dit Grant d’une voix froide et brutale, ils le font dormir pour qu’il ne puisse pas s’échapper.

 

Slade lui jette un regard noir, et le regard de Grant le défie de répliquer.

 

— S’échapper ? demande Rose, la voix tremblante. Il est prisonnier ? Alors pourquoi personne l’aide ?

 

Slade ne sait pas quoi dire. Joey a l’air dévasté. L’expression de Grant est un nuage d’orage.

 

Rose recule. Et recule. Et recule, jusqu’à se presser contre ses jambes, et quand il se baisse, elle ne proteste pas quand il la prend dans ses bras. Elle s’agrippe fort à lui, mais ses yeux sont toujours fixés sur Dick. Sur l’aquarium. Sur tous les visages qui se pressent près de lui, sur les coups frappés contre la vitre, sur les oooh et les aaah tandis que le triton flotte mollement dans l’eau.

 

Elle tremble.

 

— C’est mal, dit Rose d’une toute petite voix tremblante.

 

Il y a des larmes dans ses yeux quand elle se tourne vers Slade, sa lèvre inférieure tremblante.

 

— Papa, arrange ça.

 

Slade reste figé pendant un moment — il ne peut pas — Rose ne comprend pas — ce n’est pas illégal. Les forains ne font rien de mal. Les sirènes ne sont pas — elles ne sont pas soumis aux mêmes règles que les humains, Rose ne comprend pas qu’ils ne sont pas humains, et aussi déplaisant que ce soit, Slade ne peut pas juste l’arrêter.

 

Il y a de la douleur sur le visage de Dick, même dans un état de semi-conscience, et les mots de Rose résonne dans ses oreilles. C’est mal. Il la serre plus fort, et presse un baiser sur les cheveux de sa fille.

 

Il n’a jamais rien su lui refuser de toute façon.

 

— Quelle tranquille soirée, marmonne Grant, les yeux acérés et légèrement tirés.

 

Les signes de Joey sont plus vifs que d’habitude : « Je ne savais pas qu’ils gardaient des sirènes comme ça. J’étais au courant pour l’écaillage des queues, mais pas… » Il fait une expression de dégoût intense puisqu’apparemment aucun moment ne suffira pour le décrire.

 

Il y a les chasseurs, il y a les braconniers, et il y a ceux que Slade ne peut appeler autrement que des esclavagistes, et Slade s’est efforcé très durement de garder ses enfants loin des deux derniers groupes. Tuer des sirènes est une chose. C’est de la légitime défense. Les torturer, les écailler, les produire en spectacle — il ne veut pas que ses enfants s’approchent de ça.

 

— Quelle est la sécurité ici ? demande Slade, préparant déjà un plan pour créer une diversion.

 

Il ne veut pas continuer à regarder Dick, mais il ne peut pas détacher son regard de la silhouette droguée et flasque qui flotte dans l’eau. Pour n’importe quel autre triton Slade aurait hésité, mais — Dick a sauvé sa fille.

 

Slade peut repayer cette dette.

 

— Pas possible, Grant secoue la tête sombrement. J’ai repéré plusieurs chasseurs.

 

Son expression indique clairement de quel genre de chasseurs il s’agit.

 

— Et il n’y a aucune chance que le poisson se change en humain dans cet état. Traîner un triton adulte n’est pas vraiment discret.

 

« Attendons la nuit, » suggère Joey. « Moins de gens. »

 

Ce n’est pas un mauvais plan, et ça leur permet de faire un crochet pour récupérer du matériel.

 

— Il faut que tu l’aides, murmure Rose.

 

Elle a toujours les larmes aux yeux, et Slade la serre contre lui.

 

— Ne t’inquiète pas ma chérie, chuchote-t-il, je promets qu’on va le sortir de là.

 


 

Cela fait longtemps qu’il n’a pas utilisé ses talents contre des humains et sur le plancher des vaches, mais il n’a pas laissé ces capacités rouiller, et Grant et lui s’arment chez Wintergreen. Wintergreen a aussi ce que cherche Slade, une amulette qui peut forcer la métamorphose du triton en forme humaine tant qu’il la porte, et cela veut dire que Slade peut faire sortir Dick sans devoir transformer sa benne en piscine encore une fois.

 

— Elle n’est pas faite pour un usage à long terme, avertit Wintergreen, quelques heures, au plus.

 

Ce qui veut dire que Slade doit trouver quelque part où le mettre, et Dick a clairement été drogué, donc le jeter dans l’océan n’est pas une très bonne idée — et tout cela, il pourra s’en occuper plus tard. Une fois que Dick est libre.

 

Quand il quitte l’armurerie de Wintergreen, Rose l’attend, s’agrippant à la dague qu’il l’a entraînée à utiliser.

 

— Je viens, dit-elle, levant le menton avec entêtement. Dick est mon ami. Je veux aider.

 

Slade hésite, ne voulant pas déclencher une crise de nerfs, mais Joey s’approche d’elle et signe :

« Ils ne te laisseront pas en arrière, allons nous entraîner avant de partir. » Rose se détend, apaisée. Joey lui lance un regard appuyé tandis qu’il entraîne au loin sa petite sœur, et Grant et Slade se glissent dans le camion.

 

Peu importe combien de crises Rose va piquer, Slade refuse de la mettre en danger. Elle a sept ans, et elle peut attendre leur retour en sécurité.

 

— Je prédit beaucoup de hurlements dans notre avenir, hume Grant.

 

Slade lui jette un coup d’œil interrogateur, comme si Grant et Joey ne l’ont pas aussi pourri-gâtée, cette petite sœur beaucoup plus jeune qu’on a presque littéralement lâché sur le pas de leur porte et qui remplit leur maison d’une lumière qui s’était éteinte à la mort d’Adeline.

 

La foire est plongée dans l’obscurité quand ils arrivent. Slade se gare à huit-cents mètres — assez loin pour que personne n’entende le camion, et pas trop loin pour porter Dick, conscient ou non.

 

Il n’y a pas de gardes, il n’y a rien de précieux ici, et Slade et Grant se déplacent en silence dans l’obscurité. Il y a une paire de gens qui se promènent, mais ils sont faciles à éviter, et ils se dirigent de plus en plus profondément dans les tentes. Il n’y a aucune trace de la présence de chasseurs, et cela met Slade sur les nerfs.

 

Il connaît les chasseurs, il sait combien c’est difficile de tuer des sirènes, sans parler de les capturer, surtout pas ceux qui sont entraînés comme Dick. Ces forains délabrés ne sont pas ceux qui payent la facture pour ça, non, il est bien plus probable qu’un groupe de chasseur a attrapé un triton et le leur a loué, et quand la fête foraine sera finie, ils…

 

Slade peut entendre distinctement la voix de Rose s’exclamant avec excitation sur la beauté des écailles de Dick. Il repousse cette pensée.

 

La tente de Dick est la seule à être éclairée, et Slade grogne intérieurement. Des lumières signifient des gens, et leurs chances de sortir d’ici discrètement viennent de baisser.

 

Il fait un signe à Grant, et ils se rapprochent pour écouter et découvrir combien il y en a à l’intérieur, voir si peut-être Slade a de la chance et qu’ils sont juste en train de nourrir le triton et qu’ils sont sur le point de partir.

 

Il ne peut pas distinguer les voix au début, mais elles sont de plus en plus claires plus ils s’approchent, et Slade fait signe à Grant de rester derrière lui.

 

— Il n’est pas drôle comme ça, se plaint quelqu’un, accompagné du bruit de coups sur du verre, tu aurais pu y aller doucement sur le sédatif.

 

— On vend des billets, et un triton incontrôlable ne ferait qu’effrayer les gens, dit une seconde voix irritée.

 

— La peur vend des billets aussi, rigole bruyamment un autre, n’est-ce pas Clive ?

 

— Beaucoup de billets, confirme le présumé Clive, la voix sombre et mielleuse, la peur et le sang.

 

Cela fait quatre personnes, et Slade fronce encore plus les sourcils.

 

— Il sera tout à vous dans deux jours, dit la deuxième voix, vous pourrez vous amuser avec lui à ce moment-là.

 

Grant a l’air malade.

 

— On peut s’amuser avec lui maintenant, lance quelqu’un d’autre.

 

Les protestations augmentent, et puis :
— Oui, oui, pas de traces, on sait.

 

— Qu’est-ce que tu fais… on n’est pas censés ouvrir l’aquarium…

 

Il y a comme un crépitement. Et puis des éclats de rire.

 

— Regarde ça, chuchote quelqu’un, même sous sédatifs…

 

Un autre crépitement, plus de rires.

 

Slade pousse légèrement les pants de la tente pour jeter un œil à l’intérieur pendant que montent les éclats de rires Ils voient l’aquarium, cinq hommes qui se pressent autour. L’un d’eux tient un bâton, debout sur une chaise, et ils le regardent toucher l’eau une seconde après que le bâton lance des étincelles.

 

L’angle étroit suffit à Slade pour voir le corps de Dick être agité de soubresauts, son visage grimaçant et des bulles s’élevant inutilement.

 

— Fais danser le poisson, dit quelqu’un, et seul le fait que Slade voit des armes sur la moitié des hommes le force à reculer au lieu de bondir en avant.

 

— Papa, siffle Grant, à voix basse et furieux.

 

Slade le force à reculer d’un pas aussi.

 

— Il nous faut une diversion, dit Slade, d’un ton ferme et sans appel.

 

Grant serre les poings mais il hoche la tête nerveusement.

 

Ils entendent le crépitement encore une fois avant d’être trop loin pour entendre.

 

Le feu est facile à démarrer, et il se répand à la tente vide. Loin des animaux et des dortoirs, mais près des piles de linge sec, et Slade et Grant se dépêche de revenir vers la tente de Dick pendant que les flammes surgissent et que s’élèvent des cris d’alarme.

 

Les cinq hommes se précipitent dehors, et pas un ne regarde en arrière quand ils courent vers le feu. Slade se retient de leur tirer dans le dos.

 

C’est encore pire comme cela. La tente est vide, la lumière trop brillante, il n’y a rien d’autre que le corps flasque frémissant dans le grand aquarium. Dick flotte près du fond, relâché et aveugle, et quelqu’un a lâché des chardons ardents dans l’estomac de Slade.

 

— Dick ? appelle Grant comme ils enlèvent le haut de l’aquarium. Dick, tu m’entends ? Est-ce que tu nous vois ?

 

Rien.

 

Grant lance à Slade un regard inquiet avant de se hisser par-dessus la paroi de verre et dans l’aquarium. Dick ne lutte pas quand Grant enroule ses bras autours de la poitrine du triton et donne un coup de pied pour les faire remonter à la surface — il ne se débat pas du tout, rien à voir avec la dernière fois que Slade l’a vu dans un aquarium, rien de la violence affûtée qui a manqué de déchirer le bras de Grant.

 

Le triton est un complet poids mort, et ses traits ondulent puis se relâchent à nouveau quand Slade passe l’amulette au cou de Dick.

 

— Dick ? essaye encore Slade. Est-ce que tu nous entends ? Dick ?

 

Il essaye de tapoter la joue du triton, puis de lui ouvrir les paupières.

 

Les yeux bleu clair de Dick restent vides.

 

Au moins c’est plus facile de sortir un humain de l’aquarium, et Grant se dirige vers l’entrée, dégoulinant, pendant que Slade hisse Dick sur son épaule.

 

— Il faut qu’on s’en aille maintenant, jure Grant.

 

Des voix se dirigent vers eux, et ils sont obligés de prendre des détours pour contourner la foire et couper à travers bois avant de rejoindre leur camion.

 

— Dick, dit Grant doucement à voix basse. Est-ce que tu m’entends ? On t’a sorti de là. Dick ?

 

— Grant, grogne Slade tandis qu’ils marchent quasiment à l’aveuglette entre les arbres.

 

Dick est inconscient, ou pratiquement. Il ne va pas pouvoir répondre avant un bon moment.

 

Grant l’ignore, et maintient un flot constant de murmure, interrompu régulièrement par des « Tu m’entends ? » qui n’obtiennent aucune réponse. Quand ils arrivent enfin au camion, l’expression de Grant est au bord de la fracture, les fissures très visibles.

 

— Est-ce qu’il va s’en remettre ? demande Grant, hésitant, pendant que Slade attache Dick dans le siège arrière.

 

Slade ne sait pratiquement rien sur l’anatomie des sirènes ou leur santé. Il en sait assez pour tuer ces créatures, et c’est tout. Slade ajuste la tête de Dick pour que sa nuque ne soit plus à un angle aussi net, la calant contre la ceinture.

 

— Ça va aller, dit finalement Slade.

 

Grant n’a plus sept ans, et n’est plus si facile à convaincre.

 


 

En parlant d’enfants de sept ans, Rose les attend sur le pas de la porte quand ils se garent chez Wintergreen, les bras croisés, le visage rouge, bouffi et furieux, et elle attend à peine que la voiture s’arrête de bouger avant de s’avancer vers eux.

 

— Tu peux gérer celle-là, marmonne Grant dans sa barbe avant de vite se détacher et d’abandonner le camion, le traître.

 

Slade ne peut même pas sortir avant que Rose commence à hurler.

 

— Tu avais promis — comment t’as pu — tu es juste parti et tu n’étais plus là et comment t’as pu — j’ai dit que je voulais aider et tu as dit que je pouvais venir et tu es parti et…

 

La diatribe se dissout en gémissement désarticulés et étranglés, et Rose ne se débat que pour la forme quand Slade la prend dans ses bras.

 

— Je suis désolé, dit-il doucement tandis qu’elle sanglote sur son épaule. Je sais, trésor, mais c’est dangereux, et on serait allé plus vite si on n’avait pas à de t’inquiéter pour toi.

 

— Vous n’aviez pas besoin de vous inquiéter pour moi, renifle Rose avec colère, je ne suis pas un bébé !

 

Slade étouffe son amusement légèrement hystérique avant qu’il puisse la mettre plus en colère. C’est une enfant, et elle n’a jamais regardé sa mère se faire mettre en pièces sous ses yeux, ni la gorge de son frère se faire déchiqueter, et Slade veut qu’elle grandisse sans perdre cette innocence.

 

— Je sais, trésor, dit-il à voix basse, mais nous voudrons toujours te garder en sécurité.

 

Rose fait un bruit mécontent, mais elle enfouit sa tête contre lui, et Slade en déduit qu’elle l’a pardonné.

 

— Est-ce que vous l’avez sauvé ? demande Rose d’une petite voix.

 

L’hésitation dans sa voix est ce qui manque de le faire s’effondrer. C’est la première fois qu’elle ne paraît pas être entièrement convaincue de ses capacités.

 

— Bien sûr, ma chérie.

 

Slade se retourne vers le camion, et ouvre la portière arrière. Rose a un petit cri de surprise quand elle aperçoit Dick, et se dépêche de s’extraire de son étreinte pour s’asseoir à côté du triton.

 

— Dick, demande-t-elle doucement, posant une main hésitante sur son bras.

 

Dick ne bouge pas, mais sa respiration s’est stabilisée, plus de vrai sommeil que l’état où l’avait mis les drogues, et Slade choisit de le prendre comme un bon signe. Il laisse Rose commencer une conversation unilatérale mais résolument joyeuse, et va parler à Wintergreen.

 

Joey a l’air épuisé, les bras serrés autours de lui, et Slade prend le temps de l’attirer dans une étreinte.

 

— Merci d’avoir veillé sur Rose, murmure-t-il, et Joey se détend légèrement.

 

Slade le relâche suffisamment pour que Joey puisse signer, et le garçon a une expression tirée :
« Elle me déteste. »

 

— Elle a sept ans, Slade lui ébouriffe les cheveux, elle aura tout oublié demain matin. Tu as bien fait.

 

Joey se détend encore plus au compliment, et Slade entre dans la maison pour trouver Grant et Wintergreen. Ils sont dans la cuisine, Wintergreen est appuyé sur le comptoir tandis que Grant est assis à la table la tête dans les mains, un verre de bourbon à moitié bu devant lui.

 

— Tu as pu le sortir sans danger ? demande Wintergreen.

 

Il y a quelque chose de tranchant dans son regard — Slade ne lui a jamais posé de questions sur les origines de sa famille, et personne dans le milieu ne l’a importuné à ce sujet non plus, mais la plupart d’entre eux sont conscient qu’il n’est pas entièrement humain — quand il étudie Slade.

 

— Oui, répond Slade, brièvement.

 

Il fait le tour de la table pour poser la main sur l’épaule de Grant. Il renvoie le verre et son reste de bourbon à Wintergreen en haussant un sourcil.

 

— Je te rendrai l’amulette une fois qu’il aura récupéré.

 

— Tu me diras si tu as besoin d’autre chose, dit Wintergreen, avant d’emporter l’alcool et de quitter la pièce.

 

Grant frissonne sous la prise de Slade, un petit gémissement étouffé lui échappe, et Slade attend.

 

Enfin, Grant parle, sa voix un grincement râpeux.

 

— Est-ce que c’est pour ça que tu ne me laisses jamais aller aux congrès des chasseurs ?

 

Slade est allé à une paire de congrès des chasseurs, ici et là, et il n’a jamais amené ses enfants à aucun d’entre eux. Certains chasseurs sont des gens comme lui, qui ont perdu de la famille et qui ont décidé de faire quelque chose, et d’autres viennent de lignées, élevés toute leur vie dans ce combat, mais certains sont des chasseurs parce qu’ils aiment le meurtre, la torture et la violence, et ce n’est pas le genre de chose que Slade veut laisser s’approcher de sa famille.

 

— Oui, répond juste Slade. Les sirènes ne sont pas les seuls qui peuvent être des monstres.

 

Grant lève la tête, le visage pâle et les yeux brillants.

 

— Ils l’ont torturé, murmure-t-il, brisé, pas pour ses écailles, pas pour le tuer. Même pas parce que c’était une menace. Ils l’ont torturé parce qu’ils trouvaient ça drôle.

 

— Oui, dit Slade.

 

Grant est un adulte, il comprend que le monde n’est pas bon, droit ou juste, mais Slade se sent tout aussi impuissant face à sa colère. Grant pousse un cri inarticulé et se lève brusquement de sa chaise, un reste du tempérament qui avait inquiété Slade avant qu’il se soit adoucit dans son rôle de gardien de ses petits frère et sœur.

 

— Je ne sais pas si je peux continuer, marmonne Grant, la voix hachée et rauque, avant de quitter la pièce.

 

Slade regrette que Wintergreen n’ait pas laissé le bourbon.

 

Tous ses enfants sont dans le camion quand il sort — Joey à l’avant, Grant pâle et silencieux à l’arrière, et Rose babille à l’intention de Dick à propos sa visite à la bibliothèque la semaine dernière, et la bibliothécaire qui a essayé de lui faire prendre un livre pour les bébés, et comment c’était horrible, et l’histoire dévie vers l’explication d’une série avec des dragons qu’elle lit en ce moment.

 

Ils sont à mi-chemin de la maison quand Grant reprend la parole :
— On ne peut pas le mettre dans l’aquarium.

 

— Quoi ?

 

— Dick. Il ne peut pas garder l’amulette. La baignoire n’a pas marché. Et l’aquarium…

 

L’idée rend Slade malade aussi.

 

« La piscine ? » signe Joey, et Slade le fixe avec des yeux plissés. Ils n’ont pas de piscine. « La piscine de Rose », clarifie Joey, et Slade réalise qu’il parle de la piscine gonflable qu’ils ont pris pour aider Rose à se réhabituer à l’eau.

 

— Elle… devrait être assez grande, dit Grant après un temps de considération.

 

— Tu vas dormir dans ma piscine ! dit Rose à Dick avec excitation. J’ai demandé à Papa si je pouvais passer la nuit dans la piscine mais il a dit que j’allais devenir un pruneau ou quelque chose comme ça... oh ! Tu te rides pas si tu restes dans l’eau trop longtemps ?

 

— Bien sûr que non, microbe, dit Grant, c’est un poiss… triton.

 

La voix de Grant chancelle.

 

— C’est un triton.

 

Quand Slade lui jette un coup d’œil dans le rétroviseur, il a de nouveau l’air malade.

 

Dick ne se réveille pas de tout le trajet de retour, ni pendant que Slade, Grant et Joey ont installé la piscine dans le jardin, même si Rose soutient que Dick s’est réveillé et l’a reconnue pendant qu’ils remplissaient la piscine. Slade n’est pas sûr de pouvoir la croire, mais ça n’a pas d’importance — une fois l’amulette enlevée, Dick est de retour dans sa forme de triton, sa queue étendue dans la piscine, l’eau juste assez profonde pour le recouvrir. Profondément endormi.

 

Il reste quatre heures avant l’aube. Slade prend le premier tour de garde.

 


 

Dick se réveille à la fin de la matinée. Slade est dans la cuisine, à lorgner son petit-déjeuner et à se demander s’il peut faire une autre sieste, quand Grant entre, l’expression subtilement soulagée.

 

— Il est réveillé.

 

— Dick ? demande Slade, clignant des yeux.

 

— Ouaip ! ‘Resté debout, a répondu à une paire de questions. Rose est avec lui maintenant.

 

Ça cause une poussée d’inquiétude.

 

— Tu l’as laissée avec lui ?

 

La dernière fois qu’il avait laissé un de ses enfants seul avec un triton confus et blessé, Grant avait été blessé.

 

Grant hausse lentement un sourcil :
— Combien de temps t’as dormi, Papa ? Dick ne ferait jamais de mal à Rose, même s’il pouvait lever le petit doigt là tout de suite.

 

Il attrape l’assiette de sashimi que Joey a préparé — aucun d’entre ne sait vraiment ce qu’une sirène a besoin de manger, mais ils savent tous que les sirènes mangent du poisson cru.

 

Slade le suit quand même dans le jardin, et voit Dick enroulé sur son côté dans l’eau, à écouter les babillements de Rose.

 

— …et alors Papa a dit qu’on reviendrait la nuit, et il m’a promis que je pouvais venir, et puis lui et Grant sont partis juste comme ça sans m’emmener !

 

— C’était dangereux, croasse Dick, sa voix à peine un murmure.

 

— Je ne suis pas un bébé ! Rose croise les bras avec colère. Papa m’apprend à utiliser une dague ! Je m’en serais sortie !

 

En laissant de côté le danger, il n’y avait pas moyen que Slade l’aurait laissé s’approcher de ce genre de chose. Il ne lui a pas dit les détails de comment ils ont trouvé Dick, et il ne lui dirait jamais. Il y avait des choses dont il pouvait protéger ses enfants.

 

— Ça va aller, dit Dick d’une voix rauque, je suis là maintenant.

 

— Oui, bienvenue à ton deuxième séjour à la Casa de Wilson, dit Grant.

 

Dick ne sursaute pas, mais en revanche il se fige avant de se retourner pour les regarder approcher.

 

— Si tu continues comme ça, on devra te donner une récompense de la carte de fidélité.

 

Dick fronce un peu les sourcils, clairement perplexe, mais Grant s’accroupit à côté de la piscine et lui tend l’assiette.

 

— C’est Joey qui les a faits, donc si t’aimes pas, c’est sa faute.

 

Dick a l’air encore plus surpris à la vue de la nourriture, et il jette un regard interrogateur à Slade pendant un moment avant de prendre un morceau de poisson d’un geste hésitant.

 

Grant a raison, le triton peut à peine lever un bras sans trembler. Slade a toujours le prospectus de la fête foraine — cela fait presque deux semaines qu’ils étaient en ville. Et Slade ne sait pas depuis combien de temps les chasseurs avaient Dick avant ça.

 

Où qu’il ait été, on l’a clairement affamé, et Slade soupçonne que la seule chose qui retient Dick d’arracher l’assiette des mains de Grant et d’essayer de tout engloutir d’une seule bouchée, c’est les fréquents coups d’œil qu’il n’arrête pas de jeter à Slade.

 

— Merci, dit-il quand l’assiette est pratiquement nettoyée, souriant sans découvrir ses dents. Pour le repas…

 

Son regard se porte sur Slade.

 

— Et pour m’avoir sauvé.

 

— On n’allait pas te laisser là-bas, dit Rose, scandalisée, bien sûr qu’on t’a sauvé !

 

Le sourire que Dick adresse à Rose s’élargit un peu, devenant un peu plus sincère, et Slade les laisse.

 

Il se sent déstabilisé, et il ne sait pas pourquoi. Ils ont sauvé Dick. Il est en sécurité maintenant, clairement il se sent mieux, et bientôt il pourra regagner l’océan et retourner chez lui. Slade ne comprend pas d’où vient son sentiment de malaise.

 

Peut-être qu’il a juste besoin de dormir.

 

Il regarde dans le miroir en se lavant la figure, et les traits froids et durs de son reflet se moquent de lui. Il voit les cicatrices là où une sirène a griffé la moitié de son visage et a pris son œil. Le rappel sinistre du pire jour de sa vie.

 

Mais quand il ferme les yeux, il ne voit pas la sirène qu’il a tué dans une tentative désespérée de se défendre. Il voit Dick, les yeux vides et les griffes sanglantes, étendu sur le pont du bateau.

 


 

Slade se réveille à la fin du tour de garde de Grant, et regarde péniblement Joey prendre la relève — Rose a une énergie infinie maintenant que Dick est là, et elle a décidé de lui lire une histoire même si le triton épuisé s’est rendormi — avant de retourner à l’intérieur. Le sentiment de malaise n’a pas disparu, mais Slade peut l’ignorer tandis qu’il commence à préparer le dîner.

 

Il se sent bizarre parce que Grant est bouleversé, parce que c’est la première fois que Grant est confronté aux ténèbres de leur monde. C’est tout. Il est mal à l’aise parce que sa fille est bouleversée que son ami ait été blessé. C’est tout.

 

Et puis Grant se montre, se massant la figure, et pousse une Rose silencieuse dans la pièce.

 

— Je suis trop fatigué pour répondre à ses questions, bâille-t-il.

 

Ça ressemble à une esquive.

 

— Tu peux parler avec elle.

 

Slade ne veut pas parler avec Rose.

 

Grant disparaît dans le couloir d’où il est venu et lentement Rose se traîne jusqu’à une chaise et regarde fixement la table, et Slade se donne trente secondes pour contempler le plafond avant de soupirer.

 

— Qu’est-ce qu’il y a, trésor ? demande-t-il.

 

Rose hausse les épaules.

 

— Rose…

 

— Pourquoi Dick était dans l’aquarium ? demande-t-elle d’une petite voix.

 

Elle ne le regarde toujours pas. Slade savait qu’elle allait poser cette question à un moment ou à un autre, mais il n’a pas encore trouvé de réponse à lui donner, et il prend un moment pour réfléchir.

 

Rose décide de profiter du silence pour préciser.

 

— Tu disais qu’on a mis Dick dans un aquarium parce qu’il était blessé et que la baignoire était trop petite, et qu’on l’a fermé parce que Dick était désorienté et qu’il risquait de frapper quelqu’un par accident au réveil. Et puis quand Dick s’est senti mieux il est sorti.

 

Slade a passé la paume sur les griffures à l’intérieur du couvercle de l’aquarium. Il ne l’a pas rendu aux chasseurs à qui il l’a emprunté. Pas que ça change grand-chose à long terme.

 

— Mais Grant a dit qu’ils gardaient Dick prisonnier.

 

Rose lève enfin la tête vers lui, et son expression est implorante.

 

— Pourquoi est-ce qu’ils gardaient Dick prisonnier ?

 

Suppliant Slade de lui donner une réponse qu’il n’a pas.

 

Slade étudie son visage. Pour le plaisir, il pense, et repousse. Parce que c’est juste comme ça que sont les gens, il pense, et repousse. Parce que des gens sont prêts à payer pour le voir, il pense, et repousse.

 

— C’étaient des gens mauvais, Rose, choisit finalement Slade. C’est pour cela qu’on te dit de ne pas suivre des inconnus, parce que tu ne sais pas qui est bon et qui est mauvais.

 

Rose le fixe, les yeux écarquillés :
— Mais alors pourquoi est-ce que personne d’autre n’a aidé ?

 

Oh purée.

 

— Tu me dis toujours de hurler très fort si quelqu’un essaye de m’enlever.

 

Le visage de Rose s’empourpre tandis qu’elle s’efforce de ne pas pleurer.

 

— Tu as dit que quelqu’un viendrait m’aider. Et… et Dick était là, et personne ne l’aidait ! Personne ne… Ils étaient en train de rire ! Ils étaient… Ils étaient tous là à le regarder et personne n’aidait, Papa !

 

— Je sais, ma chérie, dit doucement Slade. Je sais. Je…

 

Il ne veut pas expliquer, il ne sait même pas où commencer, mais les yeux de Rose brillent tandis qu’elle renifle, et il faut qu’il fasse quelque chose.

 

— Parfois, dit-il lentement avant de s’interrompre. Les gens ne… comprennent pas ce qui se passe. Ils ne se rendent pas compte qu’on fait mal à quelqu’un devant eux. Ils ne pensent pas que ce n’est pas bien.

 

— Il était dans une cage !

 

— Je sais, trésor, murmure Slade. Je sais.

 

Il aurait voulu qu’ils ne soient jamais allés à cette fête foraine. Mais s’ils n’y étaient pas allés, Dick serait encore dans un aquarium.

 

Il aurait voulu que Rose ne voie pas ça. Il aurait voulu que Rose ne soit pas forcée à voir son ami comme ça.

 

— Comment ils ont pu ne pas savoir que c’était pas bien ? demande Rose en larme.

 

Slade aurait voulu qu’il y ait quelqu’un, qui que ce soit, qui puisse expliquer cela, qui puisse trouver les mots justes pour sécher ses larmes et tout arranger.

 

— Les sirènes sont différentes des humains, dit lentement Slade. Et certaines personnes ne… comprennent pas ce que ça veut dire.

 

— Comment ça, ils ne comprennent pas ?

 

— Ils pensent que ça n’a pas d’importance, dit finalement Slade. Que les sirènes ne ressentent pas la douleur ou le chagrin. Que ce n’est pas grave de les garder prisonnières.

 

— Comme les dragons ? Rose fronce les sourcils. Livia sait qu’ils ont des sentiments mais le royaume pense que ce ne sont que des monstres.

 

Slade n’avait qu’une connaissance fragmentaire de l’histoire des livres qu’elle lit, mais il est très reconnaissant de pouvoir refiler l’explication à une tierce partie.

 

— Oui, acquiesce Slade. Comme les dragons.

 

Rose tombe dans un silence penseur, et Slade croit presque être hors du terrain miné avant qu’elle reprenne la parole.

 

— Si je n’avais pas demandé, dit Rose d’une petite voix, est-ce que tu aurais aidé Dick ?

 

L’hésitation de Slade suffit à le damner.

 

— Rose, dit-il, mais c’est trop tard, elle s’est levée de sa chaise, et le regarde comme si elle ne l’avait jamais vu auparavant. Trésor, s’il te plaît…

 

— Tu n’aurais rien fait, souffle Rose, les yeux écarquillés. Tu…

 

— Si, répond Slade calmement. Parce que Dick t’a sauvée. Je l’aurais délivré même si tu ne me l’avais pas demandé.

 

Avec le recul, c’est très vrai, il se souvient du crépitement du bâton et veut briser l’échine de l’homme qui l’utilisait. A ce moment — à ce moment, il ne se souvient pas de ce qu’il aurait fait.

 

— Mais seulement Dick, Rose se met à pleurer. Si ce n’était pas Dick, tu l’aurais… tu l’aurais laissé là.

 

— Ma chérie, toutes les sirènes ne sont pas de bonnes personnes…

 

— Je sais ! elle hurle, frappant du pieds. Je me suis fait kidnappée ! Mais les gens peuvent êtres bons ou mauvais, c’est ce que tu as dit, et tu ne sais pas s’ils sont mauvais !

 

— Rose, trésor.

 

Slade s’accroupit devant elle tandis qu’elle s’essuie les yeux.

 

— Ce n’est pas si simple, d’accord. On ne peut pas appeler la police, parce que ce n’est pas illégal. On l’a volé, mais on ne peut pas le faire pour tout le monde. C’est difficile.

 

Combien était-ce difficile pour un triton de sauver ta fille ? une voix résonne dans sa tête.

 

— Mais pas pour toi, hoquette Rose, mais elle permet à Slade de l’attirer dans son étreinte. Tu as sauvé Dick !

 

— Même pour moi, contre Slade, ce n’est pas si facile.

 

— Tu n’as même pas essayé, dit Rose avec irritation.

 

Elle lui retourne ses propres paroles, et il a presque envie de rire.

 

Elle a raison. Il n’a pas essayé. Il ne se soucie guerre des sirènes sur la terre ferme — ceux qu’il chasse sont dans l’eau. Il ne fraie pas avec les autres chasseurs, préférant rester seul. Et quand il trouve quelque chose qu’il n’aime pas, il… l’ignore.

 

Si Dick n’était qu’un triton comme les autres, si Rose n’avait jamais été kidnappée, et qu’ils étaient allé à la fête foraine et avaient vu la même chose…

 

Le triton serait mort, lentement et douloureusement, et Slade s’en serait fiché.

 

— Je suis désolé, dit-il dans ses cheveux, je suis désolé, ma chérie. Je vais m’améliorer.

 

C’est la promesse qu’il a fait à Grant et à Joey à l’hôpital, leurs vêtements encore souillés de sang, et elle l’a soutenu jusqu’ici.

 


 

 

Malheureusement, ils sont interrompus par le carillon de la sonnette, et un frisson d’alarme parcourt l’échine de Slade. Ils n’attendent pas de visiteur.

 

Un coup d’œil par les rideaux de la cuisine révèle trois camions noirs dans la rue. Des camions de chasseurs. Il jure à voix haute.

 

— Rose, dit Slade avec urgence. Il faut que tu ailles mettre l’amulette à Dick. Et ensuite va dans l’eau. Joey aussi.

 

— Mais je n’ai pas mon maillot de bain…

 

— Je sais, c’est pas grave. Juste… vas-y. Maintenant, trésor.

 

— Mais Papa…

 

— Tu te souviens quand je t’ai dit que le séjour de Dick ici devait rester secret ?

 

Elle hoche la tête.

 

— Là tout de suite, il faut que ça reste un secret. Tu comprends ?

 

Rose jette un regard à la porte, effrayée, mais elle fait ce qu’on lui dit, et court vers le jardin. Slade attend que la porte de derrière se referme derrière elle avant de répondre à la porte d’entrée, respirant lentement.

 

Le problème quand ses ennemis sont habituellement sous l’eau c’est qu’il ne s’attend pas à ce qu’ils frappent à sa porte.

 

— M. Wilson !

 

Il y a quatre chasseurs sur le pas de sa porte — trois plus jeunes, et un qu’il reconnaît de la fête foraine.

 

— On ne vous dérange pas ?

 

— J’étais en train de préparer le dîner, Slade arque un sourcil. Je peux faire quelque chose pour toi, Rick ?

 

Rick est un des chasseurs qui sont plus proches de l’âge de Grant que du sien, et il se gratte la tête d’un air penaud. Ce n’avait pas été son idée de venir ici, donc.

 

— Il paraît que la foire près de la plage a laissé un triton s’échapper, et bien, les gens sont un peu affolés.

— S’échapper ? répète Slade d’une voix traînante, plaçant autant de jugement dans sa voix que possible.

 

L’homme de la foire plisse les yeux.

 

— C’est pour ça qu’on les tue dès qu’on a l’opportunité.

 

— C’est vrai, grimace Rick. On se demanderait si tu voudrais donner un coup de main ?

 

Les chasseurs ont l’air pleins d’espoir. Slade s’agrippe au dos de la porte hors de leur champ de vision.

 

— Ma fille n’aime pas être laissée seule, dit sèchement Slade, et le visage de Rick s’emplit de sympathie.

 

— Ah, oui, Rose, j’avais oublié… Elle va bien maintenant ?

 

— Mieux, répond Slade laconiquement.

 

— Qu’est-ce qui se passe ici ? interrompt la voix de Grant, et il se faufile sous le bras de Slade pour se tenir dans l’entrée. Salut, Rick, quoi de neuf ?

 

— Grant ! Rick sourit. On a un triton en cavale, j’étais justement en train de l’expliquer à ton père, mais…

 

— Il ne peut pas quitter Rose, dit Grant avec un sourire acéré. Moi, par contre, j’adorerais partir à la chasse au poisson. Y a de la place pour moi ?

 

— Bien sûr ! rayonne Rick. Toujours de la place pour le Ravageur !

 

Slade sent le léger frisson là où Grant s’appuie contre lui.

 

— Bref, on est en train de rassembler quelques gars, on se retrouve sur les quais dans deux heures — les gens commencent à être impatient de sortir en haute mer et on veut le trouver rapidement.

 

— Ça me va, je serai là dès que je suis prêt.

 

Les chasseurs s’en vont, et Slade referme et verrouille la porte, et il surveille jusqu’à ce que tous les camions se soient éloignés avant de se tourner vers Grant.

 

Son fils a l’air pâle, mais déterminé.

 

— Sois prudent, dit Slade à voix basse.

 

Il sait à quel point ce jeux est dangereux.

 

Grant hoche rapidement la tête, et jette un regard à la rue déserte.

 

— Je pense qu’il vaut mieux que tu raccompagnes notre ami chez lui le plus tôt possible, dit lentement Grant.

 

Slade pense la même chose.

 

Ils ne peuvent pas cacher un triton pour toujours, et surtout pas s’il y a des gens qui le cherchent.

 


 

Ils partent le lendemain matin. Interrogé, Dick a indiqué à Slade une direction générale du nord-est, et d’après les dernières nouvelles des quais, les chasseurs s’étalent vers le sud. Slade ne sait pas si c’est l’œuvre de Grant, et il ne pose pas la question.

 

Les amis de Grant — aussi assoiffés de sang et naïfs que certains puissent paraître — sont une chose. Les chasseurs qui travaillaient avec les forains en sont une autre entièrement, et il est douloureusement évident que les seules menaces ne sont pas sous l’eau.

 

Ils se lèvent tôt, avant que les quais s’animent vraiment, mais c’est difficile de passer entièrement inaperçu quand très peu de gens sortent en mer, et Slade se retourne pour bloquer le passage de leur visiteur pendant que les enfants préparent le bateau.

 

Dick porte l’amulette, plus un vieux sweat pour couvrir les vêtements suspects, et un chapeau, mais il n’y a pas moyen de déguiser sa claudication sans attirer encore plus d’attention, et Slade espère que Joey arrive à l’aider à monter sur le bateau rapidement. Rose, au moins, a pris toute l’affaire pour un genre de jeu d’agent secret, et elle est presque trop excitée.

 

— Tu sors, Slade ? demande Ikon, jetant un regard au bateau. Les gars n’ont trouvé aucune trace de ce triton en cavale. Les eaux sont dangereuses.

 

— Ils ont dit que c’était au sud, on va remonter la côte, dit Slade, gardant son ton serein. D’ailleurs, on est capable de repousser un seul triton.

 

Le Deathstroke est bâti pour la chasse, pas pour la croisière.

 

— C’est juste.

 

Ikon incline la tête en arrière. Il regarde toujours le bateau, et Slade résiste à l’envie de de se retourner pour voir ce qui se passe.

 

— Tu sais, dit lentement Ikon, à ton retour, on devrait organiser une réunion.

 

— Une réunion ?

 

— Entre chasseurs. Les vieux, clarifie Ikon, remarquant de toute évidence l’éclair de dégoût de Slade. Pas les nouveaux qui veulent juste tuer pour le plaisir, ou les idiots qui ont cru que c’était une bonne idée de garder un triton enfermé dans un aquarium.

 

De toute évidence les chasseurs venus de l’extérieur n’avaient plus à personne.

 

— Ceux d’entre nous qui faisons ce qu’on fait parce qu’on comprend que l’océan n’est pas sûr.

 

Cela se rapproche beaucoup des réflexions de Slade lui-même. Ce que Rose a dit — pour réussir quelque chose de ce genre, Slade aura besoin de tout un réseau.

 

Ikon lance un regard très appuyé par-dessus l’épaule de Slade en finissant :
— Et que les monstres ne sont pas les seules choses que tu trouves sous l’eau.

 

Slade prend le temps de penser merde, mais Ikon n’a pas l’air de rechercher la confrontation.

 

— Je garderai un œil sur ton garçon pour toi, dit Ikon, laissant Slade avec une tape sur l’épaule et une promesse de faire le point avec Wintergreen à son retour.

 

Slade ne traîne pas dans les parages, même si Ikon a l’intention de garder pour lui ses soupçons sur le passager de Slade, et ils sortent en haute mer très peu de temps après.

 

Slade regarde la côte s’éloigner — Dick et Rose ont une conversation sur les papillons à l’école de Rose, Joey est à la barre — et il s’interroge.

 

Pas que des monstres sous la mer. Pas tous les monstres sous la mer.

 

Peut-être qu’il est temps qu’il arrête de limiter ses cibles aux sirènes.

Notes:

Il s’avère que de conduire un bateau de chasseur en territoire des sirènes était une idée imprévoyante. [Batcellanea ch195]

D’ici à ce que tout se soit réglé, Bruce serre très fort Dick, Slade a eu deux arrêts cardiaques distincts, Jason boude de ne pas pouvoir estropier du chasseur (— Non, Jay, même pas un petit peu !), Joey et Tim ont une discussion sur un bateau de recherche marine qui fait pas si secrètement aussi office de police contre les braconniers, et Rose et Damian sont devenus des complices inattendus.

Le PDV de Grant de la deuxième scène. [Batcellanea ch201]

Le PDV de Dick de la scène de l’aquarium. (Batcellanea ch143]

Chapter 5: scène bonus: Batcellanea ch.201

Summary:

Grant réalise à quel point ça paraît horrible de l’autre côté.

Notes:

Whumptober n°14 : « Tiens bon. » ! Le PDV de Grant de la deuxième scène de nage ou coule chap. 2.

Avertissement sur le contenu : sirène au, captivité, électrocution.

Chapter Text

Chasser sur la terre ferme est très différent de chasser sous l’eau. Grant le savait, il a entendu les vieilles histoires de son père sur l’Armée, mais il ne savait pas. On n’avait pas besoin de se faufiler sous l’eau. On n’avait pas à se demander si les monstres nous ressemblent, ni ce que qui nous empêche d’être un monstre.

 

Grant suit son père dans la tente du triton, la pancarte lui paraissant particulièrement dégoûtante maintenant qu’il sait ce qu’il y a à l’intérieur. C’est éclairé comme s’il y a des gens à l’intérieur, il y a des voix, et pendant une paire battements de cœurs, Grant veut croire que c’est le triton. Que tout le étendu-drogué-au-fond-de-l’aquarium était un genre de truc. Exactement le genre de supercherie à laquelle il faudrait s’attendre d’une bête malicieuse et meurtrière.

 

Ce qu’il trouve est bien pire.

 

— Il n’est pas drôle comme ça, se plaint quelqu’un. Tu aurais pu y aller doucement sur le sédatif.

 

— On vend des billets, dit une seconde voix irritée, et un triton incontrôlable ne ferait qu’effrayer les gens.

 

Il n’a pas tort là-dessus.

 

— La peur vend des billets aussi, rigole une troisième voix, n’est-ce pas Clive ?

 

— Beaucoup de billets, – la voix de Clive sombre et mielleuse et Grant le hait immédiatement – la peur et le sang.

 

Grant attend le signal de son père, mais son père attend toujours. Attend quoi, Grant ne le sait pas, parce que l’envie de frapper quelque chose le démange et sa patience ne durera pas beaucoup plus longtemps.

 

— Il sera tout à vous dans deux jours, dit Irrité, vous pourrez vous amuser avec lui à ce moment-là.

 

Comme si le triton est un jouet à passer de mains en mains.

 

— On peut s’amuser avec lui maintenant, lance Geignard.

 

Les éclats de voix augmentent et alors :
— Oui, oui, pas de traces, on sait.

 

— Qu’est-ce que tu fais… dit sèchement Irrité. On n’est pas censés ouvrir l’aquarium…

 

Grant reconnaît le crépitement distinctif d’un bâton électrifié quand il en entend un.

 

— Regarde ça, dit quelqu’un, fasciné, même sous sédatifs…

 

— Fais danser le poisson, hue un chasseur au milieu de bruyants éclats de rire et Grant voit rouge.

 

Il a un nom, veut crier Grant, prêt à forcer le passage à l’intérieur, tant pis pour les armes et pour la discrétion.

 

Papa recule et Grant siffle, à voix basse et furieux, tandis qu’il est tiré en arrière aussi.

 

— Il nous faut une diversion, dit Papa, d’une voix calme et sans appel.

 

Grant veut bouillir contre lui, veut lui demander s’il s’en fiche — mais les yeux de Papa sont brûlants et Grant cède.

 

Grant est à peine conscient de ce qu’il fait — il suit les ordres de Papa et ce n’est que quand ils s’éloignent en courant qu’il réalise qu’ils ont mis le feu au milieu des tentes. Par chance, la diversion fonctionne, les chasseurs se précipitant dehors maintenant que quelque chose de plus précieux pour eux qu’un triton à demi-mort est en danger, et Grant se glisse sans difficulté à l’intérieur de la tente.

 

Le sentiment d’erreur est presque assez fort pour l’arrêter net.

 

Dick flotte au fond de l’aquarium, les yeux ouverts mais incapables de voir, frémissant de légers spasmes. Grant — eux aussi ont mis le triton dans un aquarium, et il avait l’air endormi, enroulé sur lui-même. Maintenant c’est comme s’ils ont trouvé un cadavre, la peau de Dick est grise et ses traits sont relâchés.

 

Grant imagine dire à sa petite sœur qu’ils n’ont pas réussi à sauver son sauveur.

 

— Dick ? appelle Grant, repoussant la panique dans sa voix tandis qu’ils enlèvent le couvercle. Dick, tu m’entends ? Est-ce que tu nous vois ?

 

Dick ne bouge pas. Grant s’arrête à peine pour échanger un regard avec son père avant de sauter par-dessus le bord et dans l’aquarium. Dick ne bouge pas quand Grant lance maladroitement des éclaboussures dans l’eau, ou quand il plonge vers lui, ou qu’il entoure le triton immobile de ses bras et les pousse tous deux vers le haut.

 

Un complet poids mort.

 

Papa est là avec l’amulette et il la passe par-dessus la tête de Dick. La force du soulagement que ressent Grant quand les traits de Dick se brouillent et que sa queue se change en jambes suffit presque à le faire défaillir. Tout le monde sait que les sirènes mortes ne peuvent pas se transformer.

 

— Dick, essaye Papa, la voix basse et rocailleuse. Est-ce que tu nous entends ? Dick ?

 

Il titille le triton sans réaction. Comme ceci, comme un humain, le poids de la torture et de la captivité s’enfonce plus profondément. Papa laisse tomber l’idée d’obtenir une réponse et aide Grant à tirer Dick hors de l’aquarium.

 

Grant est trempé jusqu’à l’os, mais cela n’a pas d’importance. Papa a Dick sur les épaules, supportant sans difficulté le poids du triton — il est beaucoup plus petit comme humain que comme triton, un fait que Grant a remarqué la dernière fois, mais qui le frappe beaucoup plus durement maintenant.

 

Il y a des voix qui se dirigent vers eux donc ils n’ont pas le luxe de prendre le temps de s’assurer que Dick va bien, à la place ils se dirigent vers le camion en prenant des détours pour éviter tout chasseur. Grant marche à côté de son père, le regard fixé sur le visage du triton.

 

— Dick, est-ce que tu m’entends ? demande-t-il doucement. On t’a sorti de là. Dick ?

 

Il n’y a aucune réponse, mais ça ne l’arrêtera pas. Même pas le grognement de son père. Grant continue à demander des « Tu m’entends ? » tandis qu’ils se dirigent vers le camion, sa voix devenant de plus en plus rauque et râpée.

 

— Ça va aller, finit Grant après avoir dit à Dick combien Rose a hâte de le revoir. Tiens bon. Ça va aller, je te le promets.

 

Sa voix se brise.

 

Son père ne dit rien du tout.

Chapter 6: scène bonus: Batcellanea ch.143

Summary:

Dick flotte dans la cage.

Notes:

Demandé par anon ! Le PDV de Dick de la scène de l’aquarium du chapitre deux de nage ou coule.

Whumptober Jour 20 : Piégé Sous l’Eau.

Avertissement sur le contenu : sirène au, captivité, électrocution.

Chapter Text

Tout est froid. Il est vide à l’intérieur, abruti par les drogues et la douleur, et Dick peut à peine remuer la queue. Sait pas si elle bouge. Sait pas si il bouge, s’il est encore en vie, ou si ce brouillard infini est l’enfer sous-marin.

 

Il n’y a rien d’autre que de la lumière. De la lumière et une cage. Il ne sait pas combien de temps ça fait, mais il sait que ça fait assez longtemps pour que ses pensées se soient brouillées en bruit de friture.

 

Personne ne va venir. Il est seul. Il va mourir ici — maintenant, dans une semaine ou dans un mois. C’est la troisième fois qu’il a été capturé par des chasseurs, et il connaît le proverbe.

 

La première fois Bruce l’a sauvé — mais Bruce n’est pas là, Bruce n’a aucune idée d’où Dick est allé, et personne ne partira à sa recherche avant des semaines.

 

La deuxième fois — bon, la deuxième fois n’était une vraie capture, et Slade l’a laissé partir. Ces chasseurs ne le laisseront pas partir. Pas quand il est l’attraction phare du spectacle forain. Il vaut trop cher. Mort ou vif.

 

Quelque chose frappe contre sa vitre. Il l’ignore, comme toujours, essayant de s’enfoncer suffisamment dans sa propre tête pour ne pas sentir le poids des regards qui lui démange.

 

Il y a le son du verre râclant sur le verre, et des voix se font soudain plus distinctes. Dick frémit — est-ce que c’est l’heure de le nourrir ? En général l’effet des drogues s’est estompé à l’heure de le nourrir, mais Dick s’épuise de plus en plus et…

 

La douleur le traverse comme si du feu brûlait ses nerfs. Dick spasme violemment. Il ouvre les yeux, essaye de voir ce qui se passe, et ça déferle sur lui à nouveau.

 

Dick gémit, mais rien ne peut l’entendre.

 

Ça va et ça vient, des décharges intermittentes qui le font se tendre, il lutte contre un hurlement quand la douleur le frappe par vagues. L’obscurité se déploie autour de lui, mais la douleur est trop vive pour qu’elle triomphe, laissant Dick à se noyer dans l’agonie sans protection.

 

Faites que ça s’arrête, supplie-t-il à quiconque pourra l’entendre, mais il sait que ça n’arrivera pas. Il n’aura pas une telle chance une nouvelle fois.

 

Enfin, tout se fond dans un brouillard général, une meurtrissure de misère, de chagrin et de terreur. Rien n’est assez fort pour passer au travers, et son imagination alterne entre des pensées à demi formées dans le vide.

 

Il entend la voix de Grant une fois. Celle de Slade. Rose lui parle de ses frères et quelque chose se serre autours de sa poitrine. Il est assis dans cet aquarium, à la regarder lui sourire de l’autre côté de la vitre. Il est humain, les membres tremblants et faibles, ses respirations bruyantes dans l’air glacé.

 

Ça n’a pas d’importance.

 

Il ne sera jamais libéré.

 

Rose commence une histoire avec des dragons, et il s’accroche au rêve fragmenté tandis qu’il glisse dans un sommeil plus profond.

Chapter 7: scène bonus: Batcellanea ch.195

Summary:

Il s’avère que de conduire un bateau de chasseur en territoire des sirènes était une idée imprévoyante.

Notes:

Whumptober n°8 : Ils sont trop nombreux ! Scène tirée des notes de fin du chap. 2 de nage ou coule.

Avertissement sur le contenu : sirène au.

Chapter Text

Slade, pour peut-être la première fois, se détendit une fois que le bateau atteignit la haute mer. Comme ceci, il pouvait voir venir tout autre bateau à des miles. Les chasseurs étaient partis dans la direction opposée et il les écorcherait tous vifs si quoi que ce soit arrivait à Grant. Ses deux autres enfants étaient avec lui. Dick était avec lui. Le bateau était bien équipé et armé.

 

Ils étaient en sécurité.

 

Dick n’arrêtait pas de lui jeter des regards incertains à la dérobée, mais lui aussi se détendait plus ils s’éloignaient du rivage. Slade avait laissé les pistolets harpons désarmés en concession pour la tranquillité du triton, et entre l’immense étendue d’eau et le récit enthousiaste de Rose de leur escapade comme si c’était un film d’espionnage, le triton se calma petit à petit.

 

Le soleil apparut au bout d’environ une heure et Slade pencha la tête vers lui, fermant les yeux pour le laisser réchauffer ses cicatrices. Les babillages de Rose remplissaient ses oreilles, ainsi que les éclats de rire de Dick. Joey trafiquait la radio.

 

Il ne s’était pas attendu à l’attaque.

 

Le bateau tanga, aussi soudainement et abruptement que s’ils s’étaient échoués. Mais Slade savait ce qu’il se passait, il se retournait déjà tandis que Dick lâchait un hoquet de stupeur et que Rose hurlait, cherchant du regard le sillon caractéristique.

 

Il n’y en avait aucun, mais une deuxième poussée plus forte fit tanguer le bateau, comme la queue d’une sirène heurtait violemment la coque, et Slade perdit de précieuses secondes à se précipiter vers les pistolets-harpons.

 

Trop de temps. Trop de temps pour les atteindre et les recharger. Trop de temps pour que qui que ce soit les joignent par radio. Trop de temps et trop tard.

 

Slade attrapa Joey, blanc comme un linge et pétrifié, et le tira en arrière juste au moment où une main griffue grimpa sur le côté du bateau. Des cheveux sombres et des yeux violemment verts, du rouge dans l’eau en dessous, et le triton ne ressemblait en rien à celui qui avait tué sa femme et mutilé son fils, mais cela n’avait pas d’importance.

 

C’était le même genre de monstre au bout du compte.

 

Slade s’empara d’une lance qui traînait sous le filet et s’écarta du triton en trébuchant, tournant la tête de tous côtés. Il y avait une autre sirène à tribord. Une autre à la proue, beaucoup trop près de Rose et Slade l’attrapa par les épaules quand le bateau tanga à nouveau. Quand il regarda à la poupe à nouveau, le premier triton était parvenu à grimper à bord, montrant ses dents pointues et ses griffes acérées.

 

Deux sirènes à bâbord. Joey serrait fort Rose, tous les deux pressés contre son dos tandis que Slade pointait la lance sur le triton le plus proche. Dick avait disparu. Une autre sirène à la proue — ils étaient tombés sur un tout un putain de troupeau.

 

De toutes ses années, Slade ne s’était jamais autant trompé dans ses calculs. Même — même quand il avait perdu Adeline, la voix de Joey, son œil — il était parvenu à s’en sortir. Mais ça ? Il n’y avait aucun moyen pour qu’ils y survivent.

 

Slade resserra sa prise sur la lance, garda un bras pressé autours de ses enfants, et remercia que Grant ne soit pas avec eux.

 

Le triton à la queue rouge rampa sur le pont avec les griffes, inhumainement rapide pour tout ce qu’il n’était fait pour la terre ferme, et il avait la lance toute prête dans la main mais il y avait d’autres sirènes à repousser, d’autres sirènes plus près de ses enfants, et Slade n’avait que deux mains…

 

— Jay, arrête ! retentit la voix de Dick, forte et claire.

 

Le triton à la queue rouge s’arrêta. Slade resta là où il était, la lance levée, le cœur battant violemment dans sa gorge.

 

La tête de Dick émergea à l’étrave, les sourcils froncés farouchement. Il — il ne portait plus l’amulette. Il attrapa la queue du triton qui les menaçait et tira en arrière — ce qui eut pour seul effet d’énerver le triton davantage.

 

— Ce sont des chasseurs, siffla le triton à la queue rouge, les yeux pleins de malveillance. Ils t’ont enlevé.

 

— Ils m’ont sauvé, maintenant descends !

 

Dick tira à nouveau, parvenant à faire reculer le triton de quelques pouces.

 

— Jason !

 

Le triton à la queue rouge siffla furieusement. La prise de Slade sur la lance était si serrée qu’il avait l’impression que ses doigts se fracturaient. Dick tira à nouveau, et cette fois le triton glissa d’un pied.

 

— Jason, gronde une voix depuis la proue.

 

Slade se tourna instinctivement pour faire face à la nouvelle menace, gardant ses enfants derrière lui. Ce triton était plus vieux. Plus grand. Le regard dans ses yeux était celui d’un prédateur surveillant son domaine, et il était braqué sur Slade. Il passa sur ses enfants et Slade se tendit encore plus. Etrangement, le triton recula, jusqu’à ne plus tout à fait les menacer d’aussi prêt.

 

— Descends du bateau.

 

— Bruce ! vint le gémissement de protestation, à la limite du capricieux.

 

Quand Slade tourna la tête, Dick était en passe de réussir à arracher entièrement le triton. Le bateau tanga à nouveau à la soudaine disparition de poids et Slade tomba sur un genou, ce qui l’obligea à lâcher la lance pour attraper ses enfants.

 

Il ressentit cette perte comme une blessure physique et il était conscient du ralentissement du temps alors qu’il regardait désespérément autours d’eux, se demandant d’où viendrait l’attaque, qui les menaçait, de quel côté Slade devrait se jeter pour se mettre entre ces dents et griffes et ses enfants…

 

Personne n’attaquait.

 

Slade scanna une deuxième fois mais effectivement, la plupart des sirènes s’étaient éloignés à la nage, hors de portée du bateau. Dick se chamaillait avec le triton à la queue rouge à l’étrave, aussi turbulent que Grant et Joey en pleine bagarre, et la seule autre sirène proche était une fille mince aux cheveux sombres, qui avait ignoré Slade et jetait des coups d’œil à Rose à la place.

 

Et elle… faisait des grimaces ?

 

Abasourdi, Slade regarda la sirène tirer sur son propre visage pour faire des expressions bizarres. Une arracha enfin un éclat de rire à sa fille et la sirène rayonna. Slade resta bouche bée, incapable de comprendre ce qu’il se passait.

 

Joey lui tapa sur le bras et Slade se tourna immédiatement pour le regarder. Les signes du garçon étaient lents et hésitants, son expression songeuse. « Papa… je crois que c’est le troupeau de Dick. » Il le signa avec le geste pour famille.

 

Slade reporta son regard sur l’eau et vit les ressemblances. L’inquiétude. Les sirènes plus jeunes qui faisaient des cercles autour de Dick, comme pour veiller sur lui. Le plus grand triton qui les surveillait, calmement mais avec méfiance. Le triton à la queue rouge, au regard féroce. Protecteur.

 

Ils n’attaquaient pas. Ça ne valait absolument rien sur le long terme, mais là tout de suite ils n’attaquaient pas. Ce qui voulait dire que Slade avait une chance de survivre à tout ceci.

 

Dick mit enfin fin sa dispute avec le triton à la queue rouge — son frère ? — en l’enfonçant sous l’eau. Il s’approcha de l’étrave, à la fois penaud et réjoui.

 

— Je suis désolé, dit Dick, je n’avais pas l’intention de vous faire peur. Ils n’avaient pas l’intention de vous faire peur non plus.

 

Le triton à la queue rouge avait émergé derrière lui et faisait des gestes décidément menaçants.

 

— Merci beaucoup de m’avoir ramené.

 

Slade n’avait pas grand-chose à répondre. Il fallait d’abord que son rythme cardiaque se calme.

 

— Je suis vraiment désolé.

 

Dick avait l’air contrit, c’était le truc.

 

— Je promets que personne ne va vous attaquer. S’il vous plaît, s’il y a quoi que ce soit que je puisse faire pour vous, dites-le-moi.

 

Slade ne savait pas comment ou quand Rose avait réussi à s’extirper de sa poigne de fer, mais elle bondit jusqu’à la balustrade, les yeux écarquillés et l’expression enchantée.

 

— C’est ta famille ? Est-ce que ce sont tes frères et sœurs ? Je peux les rencontrer ? Est-ce que eux ils peuvent m’aider à avoir une queue ? Pourquoi est-ce que ton frère fait une drôle de tête ?

 

Le rythme cardiaque de Slade regrimpa en flèche.

Notes:

Tous les scènes ajoutées de nage ou coule dans Batcellanea dans l'ordre chronologique : 134 — 155 — 201 — 143 — 195

[NDT: Batcellanea est un recueil de pov alternatifs et de scènes bonus pour toutes les fics de envysparkler. Elle continue d'en ajouter à chaque Whumptober, ce qui fait je vais peut-être continuer d'allonger cette fic, si elle en rajoute.]