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Arabesque

Summary:

Will Graham est un agent du FBI qui résous des meurtres grâce à son talent unique qui lui permet de voir les fantômes. Pourtant, quand Alana Bloom, sa collègue et amie, se fait sauvagement assassiner, il ne peux invoquer son esprit. Il doit se tourner vers le docteur Hannibal Lecter, psychiatre et connaisseur du surnaturel, pour tenter de retrouver le criminel, mais les choses tournent mal très rapidement.

Quand Will trouve le même sort que son amie, il reçoit la responsabilité de recueillir les nouvelles âmes et de les conduire à leur dernière destination. Mais sa nouvelle occupation n'éteint pas les flammes de la vengeance dans son cœur, et il est bien déterminé à faire payer à l'homme qui l'a trahis, à l'homme qui l'a aimé.

Chapter 1: Debussy

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« Moi aussi, il y a peu, j’étais humain. »

Il ne peut pas m’entendre, pas encore. Je regarde le jeune garçon, ses yeux brillants de vie. Je l’ai compris bien vite, ces yeux, on ne les voit que sur des visages tordus par la terreur.

« C’est une forme de réconfort. » disait une voix d'homme.

Le garçon perdait son sang abondamment, ce sang qui s’étendait autour de lui, s’insinuait entre les planches du parquet sous le regard impassible d’un homme. Grand, élégant, le teint blafard et le visage marqué par des larges pommettes et des fines lèvres, éternellement figées dans une expression de civilité. Will leva les yeux vers cet homme, le visage toujours baissé. Comme chaque fois qu’il le voyait… son cœur se serrait de sentiments contradictoires.

« Que l’au-delà soit plein de cette familiarité, de ces souvenirs d’une vie humaine. Jusqu’aux soldats qu’il envoi. » Il parlait d’un ton calme, cordial « Ou peut-être disais-tu ça pour apaiser ta culpabilité. »
« Ce n’est pas à lui que je parlais. » Je ne cachais pas ma rancœur.
« Tu m’en veux. »

Là où aurait dû se trouver mon cœur, je ne sentais plus que ce vide bouillonnant. Je tentais de garder mon calme. Au sol, le garçon se noyait dans ses hoquets, le sang sortant de sa bouche se mêlant à ses larmes. Bientôt, ses yeux se videraient de leur lueur.

« Quel goût j’avais, docteur ? » demandai-je, froidement.

Il se fendit d’un demi-sourire.

« Quel goût avait Alana ? »

Il prit une minute pour réfléchir.

« Elle avait un parfum subtil, une texture fondante et tendre, comme celle d’un agneau. »

Je ne pouvais pas répondre. Le visage du garçon et celui du docteur se mélangeait ; je le voyais s’éteindre dans un mélange de peur et de dépit. J’imaginais les longs cheveux d’Alana, collés par l’épais liquide, j’imaginais le dernier souffle du docteur. Un sourire se dessinait sur mes lèvres. De douleur, d’anticipation. Je me baissai, caressai la joue imbibée du corps, et pris sa main, jusqu’à sentir cette brume se solidifier, se composer, s’accrocher à moi. Son âme prenait forme alors que nous nous levions. Je ne dis rien de plus. Son nouveau voyage commençait.

 

Alana. Tout avait commencé avec elle. Tout avait commencé avec sa fin.

Jack Crawford m’avait appelé, un matin, l’air plus grave que d’habitude. Il cherchait ses mots, il hésitait.

« Il faut que tu viennes. » Finit-il par lâcher. « C’est Alana. »

Je regardai le fauteuil près de la cheminée, au pied duquel mes chiens dormaient. Le feu crépitait doucement, la lueur embrassait leurs pelages du même orange qui peignait le ciel. Ma vision s’assombrissait. Les teintes chaudes des flammes dansantes se noircissaient, s’épaississaient, s’agrandissaient, et le téléphone se laissa tomber sur le parquet sans bruit.

Son corps avait été défiguré au-delà de l’entendement. Ses pieds tordus en pointes de ballet ; ses jambes écorchées, ses bras, son cou, ne laissant qu’un justaucorps de peau le long de son torse. Figée dans une arabesque déformée, emprisonnée dans une éternelle expression d’horreur rouge de chaire. Je titubais en arrière, haletant, suffocant, et me cognai contre quelqu’un.

« Que vois-tu, Will ? » me demanda-t-il.

Je me retournai et apercevais, à travers le flou de ma vision, la silhouette d’un homme fort. Ses larges mains calleuses me prirent par les épaules, ses yeux graves tentaient de trouver les miens.

« J-jack-» balbutiai-je.
« Qu’est-ce que tu vois ? »

Je le sentais retenir ses tremblements ; je le sentais me retenir, moi.

« Will, écoute-moi. » Sa voix devenait distante, faible. « On doit trouver qui lui a fait ça. »

Bientôt, je ne l’entendais plus. Ses lèvres bougeaient, mais aucun son ne sortait.

« Will ! »

Je secouais la tête, et partais dans la rue qui bordait la maison pour vomir. J’essayais de reprendre mes esprits, mais la vision de son corps me revenait comme la pulsation d’une douleur. Je m’adossai contre la clôture, sentant vaguement les policiers aller et venir autour de moi. Docteur Alana Bloom. Je voulais me souvenir de la douceur de ses yeux. Du coin de l’œil, je voyais Crawford s’approcher de moi, jusqu’à poser une main sur mon épaule.

« Je lui ai parlé hier… » murmurai-je.

Il hocha la tête.

« Elle m’attendait à la sortie de ma salle de classe. »

Je ne voyais dans ce souvenir que la danseuse de chaire suspendue dans son salon.

« Will… Je ne t’ai pas amené ici dans le but de te faire souffrir. »

Je cherchai son regard, mais il regardait droit devant.

« J’avais beaucoup de respect pour Docteur Bloom. C’était une collègue que j’appréciais, et… » Il soupira. « Elle s’opposait à ce que je t’emploie, elle craignait pour toi. Nous étions souvent en désaccord, mais je savais reconnaitre la brillance de son esprit. Je sais à quel point elle comptait pour toi. »
« Elle compte. » le corrigeai-je. « Elle compte toujours. »
« Will, je veux arrêter ce tueur. Je veux venger Alana, et lui apporter la justice qu’elle mérite. Mais j’ai besoin de toi. »

Mais j’étais impuissant. Cette fois, son fantôme ne m’accompagnait pas. Je n’avais personne pour me guider.

 

Je regardais le verre de scotch dans ma main. Il y a de cela une… éternité, surement, j’étais entré en tant que consultant au FBI. J’étais le seul humain que je connaisse qui puisse voir les fantômes, et une enfance à passer de médecin en psychiatres, de psychologues en neurologues, m’avait dissuadé d’en parler à quiconque. Mais quand une jeune fille, à peine 10 ans, m’avait découvert, les bras striés de bleus se cachant jusque sous son t-shirt, j’avais décidé de l’aider. Les morts ne se souviennent pas des derniers instants de leurs vies. Pas tout de suite, en tout cas, et cette petite fille n’avait aucune idée de ce qui lui était arrivé. Alors, je l’ai aidé à retrouver la mémoire. Après plusieurs mois, le nombre de lettres anonymes que j’avais envoyé au FBI se comptait en dizaines. Chacune avait amené à l’arrestation d’un tueur, chacune avait conduit à la découverte de preuves. Les lettres n’étaient pas si anonymes que ça, finalement, puisque Jack Crawford toqua à ma porte un matin d’hivers ; c’est ainsi que je devenu un consultant officieux en « profilage » pour le FBI. Je ne connaissais pas grand-chose de cette science, mais je devais être assez convainquant dans mon rôle pour passer sous les radars du FBI. Pour eux, j’étais un simple professeur de lettres avec un talent inné. Après ma mort, il m’était arrivé plusieurs fois de me demander ce qu’il se serait passé si je n’avais pas aidé cette petite fille ; mais j’en revenais toujours à la même conclusion : peu importe mes choix, Hannibal aurait continué de tuer. Peut-être qu’Alana serait toujours en vie, mais quelqu’un aurait pris sa place. Les cadavres ne s’arrêtent jamais de s’empiler, et même si j’avais refusé son offre, ce jour-là… rien n’aurait changé. Seulement le nom de ses victimes.

Chapter 2: Tchaikovsky

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Il m’attendait à la sortie de la maison, derrière les banderoles de la police. Parmi la foule d’agents, de passants, il sortait du lot. Quelque chose dans sa posture, dans son calme, quelque chose dans le regard qu’il gardait fixé sur moi dès le moment où j’ouvris la porte. Jack Crawford était à ses côtés, l’agent spécial du FBI et mon patron, en quelques sortes. Il avait un visage imberbe, si ce n’est le petit bouc sous sa bouche, et constellé de cicatrices d’acné. La peau brune, les cheveux rasés, l’air éternellement sérieux. Quand j’approchai, il me salua.

« Will ! Cet homme était un proche d’Alana. Le docteur Hannibal Lecter. »

Il me tendit une main que je serrai. Son ton était solennel, grave.

« Will Graham. » me présentai-je.
« J’aurais aimé vous rencontrer sous de meilleures circonstances, Alana me parlait parfois de vous. J’étais son professeur, son compère, et, je l’espère, son ami. »

Je revoyais le Will de cette époque avec rancœur. Un Will naïf, prêt à se jeter dans la gueule du loup.

« Je suis venu en espérant vous apporter mon aide. J’ai entendu parler de vos prouesses, monsieur Graham, et je pense pouvoir apporter quelque chose à votre… don particulier. »
« En tant que psychiatre ? Vous êtes psychiatre, je suppose. »

Il jeta un regard furtif à Crawford.

« Je suis très polyvalent. » Il me tendit une petite carte de visite avec un regard entendu. « Notre intérêt se rejoint, je vous prierai de considérer mon offre. »

Je hochais la tête vaguement. Il plissa des yeux une seconde, si subrepticement que je cru l’avoir rêvé, le fantôme d’un sourire sur ses lèvres.

« Il y a plusieurs façons de faire son deuil. Certains cherchent la paix, d’autres la justice. »
« Je comprends, docteur Lecter. » dit Crawford. « Croyez-moi, nous enverrons le coupable derrière les barreaux jusqu’à la fin de sa vie. »

Hannibal s’excusa avec cette politesse qui ne semblait jamais le quitter, et je le regardais s’éloigner, dans son costume impeccable, avec un sentiment nouveau, magnétique.

« Tu devrais considérer son offre, Will. » Je lui lançai un regard. « Il nous faut toute l’aide possible. »
« Par expérience, j’ai appris à ne pas faire confiance aux psychiatres. »
« Alana était psychiatre. »

Je détournai les yeux.

« As-tu vu quelque chose aujourd’hui, Will ? »

La porte de la maison cachait le cauchemar qui me hantait. Celui qui me tenait éveillé, et me réveillait en sueur. Dans le noir de ma chambre, dans le silence de la nuit, le salon derrière cette porte m’apparaissait. Ils avaient dû retirer le corps, mais je le voyais aussi clairement que la première fois. Il ne quittait plus ma rétine, gravé au fer blanc sous le vide de mes paupières. Je jouais machinalement avec la carte de visite, mes doigts effleurant le papier cartonné, traçant les lettres et les lignes. Malgré ces visions qui me hantaient, je ne voyais rien. Il y avait ce corps, ce salon, ce papier-peint et ces fenêtres, il y avait les muscles et la chaire, la peau et les cheveux, mais rien à voir. En tripotant la carte, je découvris des mots au dos, à l’écriture manuscrite particulièrement soignée. Je fronçai les sourcils. « Je peux vous aider à la réveiller ».

 

Il m’ouvrit en peignoir de nuit. Sur son bureau, j’entraperçu un verre de cognac. Il jaugea mon apparence débraillée, mes cheveux ébouriffés et ma chemise mal repassée. Je m’étais rhabillé dans la précipitation. Cependant, il n’était pas surpris de me voir, encore moins à cette heure-ci. Il sourit calmement et me laissa entrer. Dans son bureau, deux fauteuils, face à face, un divan à côté. Une large bibliothèque contenant plus de livres que ce qu’avait lu l’entièreté de mes étudiants, et un meuble de bureau trônant étonnamment au centre de la pièce. Il me servit un verre et m’invita à m’asseoir sur l’un des fauteuils. J’hésitai. Trop de fois, j’avais senti le cuir me coller à la peau dans ces pièces, parfois larges et austères, parfois petites, entourée de moquette et de jouets pour enfants. Je pris une gorgée de l’alcool qu’il me tendait. Il me regardait, patient, sans un mot. Je m’assis.

« Dois-je en déduire que vous avez réfléchis à mon offre ? »
« Qu’est-ce que vous voulez dire, par ‘la réveiller’ ? »
« Je crois que vous le savez. Dans ce monde, il y a des choses qui nous échappent, et parfois, nous n’avons pas besoin de trouver ces réponses. » Je fronçai les sourcils. « Parfois, ces mêmes questions nous permettent de répondre à d’autres. »
« Vous voulez dire… »
« Je parle de votre don, Will. » Il prit une gorgée. « Pas celui de profilage, non. Celui qui se cache plus loin sous la surface. »

Il me sourit sobrement. Ma poitrine s’affolait alors que je tentais de garder un apparent sang-froid.

« Si vous pouviez voir mademoiselle Bloom, l’enquête aurait progressée déjà. Elle semble vous échapper. »
« Vous pouvez m’aider à la voir ? »
« Jusqu’à une certaine limite, oui. »

 

C’était le lendemain, à l’aube, j’étais de nouveau dans son bureau, sur l’un des fauteuils de cuir. J’étais mal à l’aise, hésitant. Il me regardait patiemment, le visage légèrement penché, les jambes élégamment croisées.

« Ce n’est pas une thérapie, n’est-ce pas ? »
« Sur certains points, ça s’en rapproche. »

Il avait un accent subtil que je ne pouvais pas précisément définir.

« Vous êtes réfractaire à toute forme de thérapie ? »

Je me levai déjà.

« Je n’ai pas besoin de ce genre d’aides. »

Il attendit que j’aie le dos tourner pour me répondre.

« Votre don est intrinsèquement lié à votre esprit. Je ne suis pas là pour vous psychanalyser au sens classique du terme, mais j’utiliserais des méthodes qui s’en rapprochent. »

Ma démarche se faisait moins assurée, mais je me dirigeai toujours vers la porte.

« Jack Crawford m’a parlé de votre trouble de l’empathie. N’avez-vous jamais considéré que les deux puissent être liés ? »
« Je veux seulement résoudre ce meurtre, docteur Lecter. Je n’ai pas besoin que quelqu’un entre dans ma tête pour ça. »
« N’est-ce pas ce que vous faites pourtant chaque fois qu’un fantôme vous apparait ? »

Cette fois-ci, je me retournai. Il m’offrait un petit air satisfait, un sourire qui m’agaçait presque autant qu’il m’intriguait.

« Parlez-moi du crime. »

Je me rassis. Je mis un petit moment avant de commencer à parler, inquiet, peut-être.

« Le tueur lui a ouvert l’estomac avec un couteau. Il lui a prélevé son foie, et l’a laissé succomber à l’hémorragie avant de la recoudre. Il l’a méthodiquement écorché post-mortem, et l’a cloué au mur dans une position de danseuse. »

Ma main se mit à trembler. J’attendis une seconde, deux, une dizaine, comme si son fantôme allait surgir pour me rassurer de sa voix douce. C’était la seule à connaitre mon don. Elle me soutenait, elle m’aidait. Elle apaisait les images de ces corps qui me hantaient la nuit.

« Qu’a-t-elle ressenti dans ses derniers instants ? »

Je bégayais.

« Comment pourrais-je le savoir ? Elle a dû… souffrir. »
« L’Homme ne laisse pas derrière lui qu’une âme perdue. »

Sa façon éloquente, assurée de parler me calmait si légèrement.

« Will, pour revoir son fantôme, vous devrez accepter l’état dans lequel elle a été laissée. »
« J’ai observé les photos jusqu’au dernier détail. J’ai vu son corps de mes propres yeux, j’ai… j’ai sentis l’odeur de mort et de sang frais dans la pièce, j’ai imprimé dans ma rétine la couleur de sa chaire. »
« Comment gérez-vous de voir, et d’interagir, avec les victimes au quotidien ? »

Mal. Très mal.

« Bien. »

Leurs corps mourants, leurs derniers souffles, leurs plaintes et gémissement, le tremblement de leurs membres, de leurs voix, la douleur de l’âme qui se souvient, qui pleurs, qui sombre, l’agonie du corps qui s’éteint. Je les revoyais encore et encore, leurs cris comme acouphène, leurs sanglots parmi les miens, leurs larmes trempant mon lit de ma sueur.

Le docteur Lecter se leva. Il ouvrit un tiroir de son bureau et chercha quelques secondes.

« Je vais induire un état de conscience modifié. » m’expliqua-t-il. « Je vais vous demander de détendre vos épaules, votre mâchoire et votre dos. Fermez les yeux, maintenant. »

Je l’entendis se rassoir. Il me guida d’une voix douce, assurée, vers un endroit paisible.

Je me voyais dans une rivière.

« Vous sentez le courant se heurter à vos chevilles. »

J’attendais sous le soleil doux d’une matinée, ma canne à pêche entre mes mains.

« Le vent fait virevolter vos cheveux, caresse votre visage. Les buissons chuchotent avec le clapotis de l’eau. »

Sa voix se fondait dans le décor comme un chanteur et ses instruments.

« Vous sentez quelque chose accrocher votre canne à pêche. »

Au fur et à mesure, le bruit de la nature, le vrombissement de l’eau, avalèrent ses mots. Je remontai ma ligne, me battant contre la forme épaisse et lourde qui se dessinait sous le ruisseau. Mes mains s’accrochaient à la canne, mes muscles se serraient dans mon bras. Une fois le poisson complètement à moi, je contemplai ma proie un temps.

« Joli coup. »

Je me retournai. A ma gauche, assise sur la berge, les pieds dans l’eau, une femme aux longs cheveux bruns me regardait d’un air tranquille. Il lui manquait la peau sur ses jambes, ses bras, son cou, et son visage était camouflé par un masque vénitien. Je lâchai la bête dans mon sceau, le cœur brulant comme de la chaire à vif.  

Chapter 3: Aquarium

Chapter Text

« Comment tu te sens ? » bredouillai-je.
« Brumeuse. »
« Tu as retrouvé des souvenirs ? »

Elle réfléchit un moment. Son corps était drapé d’une robe légère à fleur, qui virevoltait au vent. Était-elle seulement réelle ?

« Je me suis souvenue de ses mains sur ma taille… » Sous sa poitrine, elle agrippa le tissu, serrant le poing. « Il m’a surpris par derrière, ses mains sur ma taille. Je n’osais plus respirer. Je ne bougeais plus, tétanisée, chaque membre de mon corps comme glacé. »
« Et ensuite ? »

Elle secoua la tête. Sous son masque, je ne voyais que ses yeux. Le reflet de l’eau se fondait dans le bleu de ses iris.

« Alana, je- »
« Quand tu me parlais de ces fantômes que tu voyais, une petite part de moi continuait de douter. Mais à la toute fin, quand j’ai su que j’étais condamnée, il ne restait plus en moi que l’espoir que, tout ce temps, j’avais eu raison de te croire. Que quelque chose d’autre m’attendait après les dernières minutes qu’il me restait. »

Elle se leva, l’eau caressant ses chevilles alors qu’elle avançait. Mes lèvres tremblaient légèrement, ma main agrippant ma canne jusqu’à blêmir, comme pour me concentrer sur autre chose que la culpabilité qui me serrait le cœur.

« Je ne sais pas comment le retrouver, Alana. » confessai-je. « Sans ton aide… je n’ai jamais pu le faire sans l’aide de la victime aussi bien que sans l’aide de mon amie. Et maintenant, on m’a enlevé les deux. »

Arrivée près de moi, elle s’accroupit, laissant ses doigts et le bout de ses cheveux danser dans l’eau. On voyait encore malgré sa robe les bretelles dessinées de son justaucorps de peau.

« Souvent, dans ma vie, je me suis sentie impuissante. » L’amertume se sentait dans sa voix. « En consultation, quand je voyais mes patients se détruire sans m’écouter. » Elle agrippa la terre sous les cailloux, la contemplant dans sa paume. « Quand je voyais Crawford te surmener au nom de la justice. » Son poing se serra, et les grains s’en écoulèrent avant de se disperser dans la rivière. « Mais au moins, quand il s’agissait de ma propre vie, je pouvais agir. Quand le directeur de l’université m’a puni pour avoir refusé ses avances, j’ai démissionné. » Le bas de sa robe flottait autour d’elle, nuage du tissu blanc voletant sous l’eau. « Mais j’ai été tué, écorchée, et il n’y a rien, absolument rien que je puisse faire pour me venger. »

Je m’assis près d’elle. Elle regardait fixement les ondes de l’eau autour de ses doigts.

« Je te vengerais. Je trouverai la personne qui a fait ça, Alana, je te le promets. Mais j’ai besoin de ton aide… »
« Je suis limitée, Will. Je peux regarder, mais pas beaucoup plus. »
« Pourquoi je ne peux pas te voir ? »

Je n’arrivai pas à masquer mon exaspération. Elle cessa de contempler l’eau pour planter ses yeux dans les miens. De mes épaules baissées à mon front plissé, mon corps suintait le désespoir.

« Tu ne me laisses pas entrer dans ton esprit. »
« Quoi ? Je- je… »

Je balbutiai des syllabes incompréhensibles.

« Tu vas devoir faire sans moi, cette fois. En tout cas, partiellement. »
« Comment ? Comment faire, Alana ? »

La rivière s’agitait, le courant s’accélérait. Dans son sceau, le poisson se débattait.

« Hannibal te l’as dit, Will. Ce n’est pas juste parce que tu peux voir les fantômes que tu résous ces crimes ; c’est parce que tu les comprends. »
« Je ne comprends rien, vraiment, je ne comprends rien à ce qui se passe ! »

Des larmes tombaient de mes joues avant même que je les sente apparaître. Je continuai de protester, mais mes mots se transformaient en sanglots. La douleur qui me brulait la gorge s’étendait à ma poitrine et mes yeux. J’agrippai la terre sous mes jambes.

« Qu’est-ce que je dois voir, Alana ! »
« Qu’est-ce que tu vois ? »

Je secouai la tête vigoureusement. J’étais pris de hoquets à chaque mot, mes lèvres goûtaient le salé de mes larmes.

« Je ne vois rien… »

Quand je fermais les yeux, je revoyais son corps accroché au mur. Je continuai de secouer la tête, tremblant de plus en plus. Deux mains se posaient sur ses hanches. Je sentais sa respiration s’arrêter.

« Je ne vois rien, Alana. »
« Tu as toujours pu voir les choses, Will. »

Un couteau frôla le tissu de sa chemise. Elle tremblait, sa poitrine se levant malgré elle sous le coup de courtes et rapides respirations. Il releva légèrement son haut, juste assez pour coller la lame contre sa peau. Elle était froide, dure, et reflétait d’une lueur bleutée la lumière chaude de la lampe au plafond.

« Alana… »

Je sentis, sur les jointures de mes doigts, la froideur de sa peau. Quand je rouvris les yeux, je peinais à la voir à travers mes larmes. Comme la lame du couteau, sa main était glacée. Elle se posa sur ma joue pour balayer mes sanglots.

« Tu vas me venger, Will. J’ai confiance en toi. »

D’un geste timide, je relevais légèrement son masque, je m’approchai juste assez pour sentir ses lèvres frôler les miennes, avant de l’embrasser. Petit à petit, je la sentis s’envoler. Sa peau se fondait avec les arbres derrière elle, sa main avec mes larmes. Elle disparaissait. Je m’allongeai dans le lit de la rivière, mon nez et ma bouche à peine dehors.

Je me réveillai sur ce même fauteuil de cuir. Hannibal me regardait, le bras tendu vers moi, un mouchoir dans la main.

« Était-elle… réelle ? »

Je sentais mon visage imbibé de larmes et ma chemise trempée de sueur.

« Elle l’était, oui. »

Je prenais le mouchoir et me redressai, l’esprit encore embrumé, et portai une main à mes lèvres, revoyant ce baiser que nous avions échangé.

« Comment tu te sens, Will ? »

Le regard dans le vide, je répondis d’une voix faible.

« Nauséeux. »

Un acouphène me prit, ce cri strident parasitait mon ouïe et couvrait les paroles du docteur. Généralement, ça ne signifiait rien de simple. Ma vision se brouillait sous le bruit qui se précisait de plus en plus. Un hurlement. Je distinguais la silhouette translucide qui s’opacifiait à mesure que sa voix se cassait.

« Voyez-vous son fantôme, Will ? »

Je secouai la tête distraitement et me levais.

« Non, c’est… quelqu’un d’autre. Une jeune fille. »

Elle me remarqua enfin, et son cri s’éteignit. Elle me regardait avec terreur.

« Sauvez-moi. »