Actions

Work Header

En Filigrane

Summary:

Lors d'une froide nuit d'été, le colonel Mustang est confronté à l'assassinat brutal de son ami Maes Hughes. Trouver son meurtrier tourne alors à l'obsession. Enquêtes, complots, spectres du passé... et, en filigrane, une présence discrète aussi insaisissable qu'un souvenir.
*Nouveaux chapitres chaque mardi et vendredi.*

Notes:

Voici bien longtemps que je n'avais plus écrit, encore moins une fanfic. L'arrivée inattendue de FMA sur WebToon a réveillé une vieille obsession et les idées qui allaient avec.
Je n'ai pas la prétention d'écrire quelque chose de révolutionnaire ou d'original, au contraire : certains ressorts seront familiers, voire clichés. Je prends quand même grand soin à travailler les personnages non-canon, à leur donner de la profondeur et les rendre aussi intéressants que possible malgré un narratif peut-être attendu.
C'est une histoire qu'il me tient à coeur de coucher en mots. J'espère qu'elle trouvera son public et vous plaira.

Disclaimer : aucun des personnages de l'oeuvre originale ne m'appartient et sont la propriété intellectuelle de Hiromu Arakawa. Je tente de leur rester fidèle, à eux et à leur histoire.

Chapter 1: Poussière

Chapter Text

Un silence assourdissant. L'atmosphère est épaisse, irrespirable. Un instant où le temps lui-même semble s'être figé. La poussière refuse de retomber et reste suspendue quelques secondes.

Et puis les cris qui retentissent comme si on avait brutalement augmenté le volume de la radio. Le son de la douleur et du désespoir. L'odeur est tout aussi prégnante, métallique, insupportable. On penserait qu'après tout ce temps, il se serait habitué à ce genre de scène. En bon soldat. Ces sensations ne sont-elles pas celles apportées par toutes les guerres ?

Et pourtant…

Il est sonné. Incapable de bouger. Ces cris autour de lui lui semblent émaner de sa propre poitrine et traduire sa propre détresse. Incapable de bouger. Il est impuissant, spectateur d'une tragédie dont il ne mesure pas encore tout à fait la portée. Ou bien si, mais il refuse de se l'avouer. Incapable de bouger.

Alors que le monde s'ouvre sous ses pieds.

 

Sursaut.

Un faible rayon de soleil matinal se fraie un chemin entre les rideaux mal tirés. Des grains de poussières flottent dans l'air et réfléchissent la lumière froide de l'aube. Il y a une certaine beauté dans ces subtils jeux de lumière, mais il n'y prête pas attention. A demi redressé, le drap dévoilant le haut de son corps, il fixe le vide devant lui sans vraiment le voir.

Un cauchemar. Un bête cauchemar. Quel cliché.

Il a du mal à en sortir, comme à chaque fois. Qu'importe le visage humide de sueur, le cœur battant à tout rompre ou la respiration saccadée, il n'a en tête que cet instant suspendu où sa vie s'est arrêtée. L'odeur de la poussière chaude, du sang. Les cris. Ces cris, insupportables, alors que lui-même n'avait pas réussi à émettre le moindre son.

Il secoue la tête, repousse le draps d'un geste maladroit. Ses pas le mènent jusqu'à la petite salle de bain privative attenante à sa chambre - privilège d'officier supérieur - où il s'asperge le visage à grande eau. S'arracher au passé, remettre un pied dans le présent.

Un présent qui n'est guère plus glorieux, finalement.

Les mains de chaque côté du lavabo, Roy Mustang contemple son reflet. Hughes lui dirait qu'il a une mine épouvantable avec ses traits tirés et ses cernes sous les yeux. Ce n'est pas ainsi que tu trouveras épouse, ajouterait-il avec une insouciance feinte. Et lui prétendrait de s'agacer, comme toujours.

Ainsi allait leur relation. Légère d'apparence, avec une dynamique superficielle pour quiconque ne prenait pas le temps de voir au delà. La profondeur de leur complicité échappait au tout-venant.

Il fait pivoter le miroir sur ses gonds, attrape de quoi calmer la migraine cuisante qui lui ceint la tête. Il a bien trop bu hier soir. Il espérait faire taire la culpabilité et étouffer les souvenirs, en vain de toute évidence.

Il enjambe une pile de livres effondrée sans un seul regard en arrière. L'un des ouvrages est resté ouvert à une page des plus explicites.

Les alchimistes sont vraiment la pire des vermines.

 

Son uniforme est encore lâche sur ses épaules. Il place soigneusement sa montre d'argent dans une de ses poches quand déjà il entend appeler son nom. Il n'a pas encore eu le temps de fermer la porte de chez lui, la journée commence.

Peu importe la journée, c'est la même chose. Il n'y avait pas de raison pour que ce soit différent aujourd'hui, se convint-il en serrant la montre dans sa main.

Ravalant la migraine et toutes les émotions qui lui enserrent la gorge, il retrouve son masque de colonel avec une aisance presque déconcertante. Il va immédiatement à la rencontre du soldat venu le chercher jusque dans les quartiers des officiers, s'enquiert de la raison de sa présence en terminant d'ajuster son uniforme.

C'est le début d'une longue journée.

 

Il n'écoute qu'à moitié les rapports qui lui sont fait. Appose tampon et signature sur un document qui ne le nécessite pas. S'agace du moindre petit dysfonctionnement. Bref, il n'a pas la tête au travail. Ses subordonnées ont l'habitude qu'il tire au flanc, mais là, ça a l'air différent. Appuyé contre le dossier de son fauteuil, regard vers l'extérieur, le colonel Mustang rêvasse, plus préoccupé par sa montre que par ce qu'il se passe autour de lui. Il joue avec depuis de longues minutes, remarque à voix basse un subordonné qui s'étonne de ne pas voir le lieutenant Hawkeye le reprendre. Il faut dire qu'il est d'une humeur exécrable aujourd'hui et les a déjà repris vertement pour des écarts anecdotiques.

Son rendez-vous galant de la veille a dû mal se terminer, suppose-t-on avec une discrétion toute relative. Ce n'est pas une raison pour être aussi désagréable, argue-t-on en retour. Les commérages ne cessent que lorsqu'un regard noir se pose sur le petit groupe de pipelettes. Pris sur le fait, le groupe se disperse et reprend le travail. On trouve des excuses pour quitter le bureau où l'ambiance est devenue pesante.

"Colonel."

Il ne bouge pas d'un pouce, suit du regard les quelques concierges qui ont fui sa présence. Il reste bien un ou deux subordonnés, un peu plus loin, occupés à il ne sait même plus quoi.

"Aujourd'hui n'est pas un bon jour, mais ce n'est pas une raison pour lambiner."

La fermeté habituelle n'y est pas. Comme souvent avec Hawkeye, les non-dits sont plus lourds de sens que chaque mot qui passe ses lèvres. Le rappel à l'ordre est limpide. Il soupire pour la forme, pose la montre d'argent sur son bureau et attrape un premier dossier.

Il a l'air d'un ennui à mourir.

C'est sans doute ce qui lui déplaît le plus dans le fait d'être un haut gradé : la paperasse ne cesse de s'accumuler, encore et encore, d'autant plus que le Général Grumman se fait un malin plaisir de tout lui déléguer pour se la couler douce. Le terrain ? Rare. L'alchimie ? N'en parlons pas.

Non, ce n'est clairement pas un bon jour.

 

***

 

Non, ce n'est clairement pas un bon jour.

La chaleur est pesante malgré tous les artifices déployés pour la rendre supportable. On revêt des étoffes amples, on se couvre la tête. Les maisons qui ont la chance d'avoir des volets les ferment, les autres essaient désespérément de créer un courant d'air.

Pour autant, rien ne bouge. Il n'y a guère que la poussière qui consent à se déplacer, rendant l'atmosphère plus étouffante encore. Ses jeux de lumière ? Ici, on n'a pas le chance de pouvoir prendre le temps d'y prêter attention.

Malgré la température, le village bruisse de l'activité qui s'y trouve. On aimerait y faire la sieste, mais c'est un privilège réservé aux anciens et aux petits. Les autres doivent participer à la vie de la communauté d'une façon ou d'une autre. Il y a ceux qui s'occupent d'aller pomper à la fontaine pour rapporter de l'eau, ceux qui s'occupent des bêtes, ceux qui s'occupent des cultures, ceux qui s'occupent des repas.

Dans l'organisation bien huilée de cette petite communauté d'apparence autonome, une petite file a commencé à se former devant l'une des maisons. Le vieil homme qui y vit a raconté comment les voyageurs qu'il a accepté d'héberger pour quelques jours lui ont appris à soulager ses douleurs articulaires. Une mère de famille a ensuite amené son nourrisson auprès de ces voyageurs, inquiète de sa fièvre. Et le mot s'est répandu.

C'est assez rare ici qu'un médecin fasse son apparition. De ce qu'elle en a compris, il y a eu beaucoup de charlatans et autres vendeurs de rêves, mais dans l'ensemble, la communauté se repose essentiellement sur des superstitions aux fondements contestables. C'est ainsi que son hôte lui a appris vouloir soulager ses articulations en glissant une tresse d'ail sous son lit.

Elle en aurait recraché le thé si généreusement offert.

"A ce rythme-là, on aura vu tout le village d'ici ce soir !"

L'exclamation toute adolescente lui arrache un sourire. La file n'aura de cesse de s'allonger, c'est plus que probable. Et s'ils restent ici plusieurs jours, il y a tout à parier qu'ils commenceront à voir des patients venus d'autres villages, d'autres communautés pour s'enquérir de l'aide d'un médecin. Ca pourrait l'agacer. Après tout, chaque halte allonge le temps passé sur les routes. Elle ne l'envisage pas comme un fardeau pour autant : elle considère que c'est son devoir d'aider ces gens, ayant des compétences auxquelles ils n'ont que rarement accès. Qui serait-elle pour refuser de tendre la main à ceux qui n'ont rien et qui pourtant lui donnent un toit sous lequel dormir ?

L'échange équivalent, se dit-elle fugacement avant de se concentrer à nouveau sur son patient.

Tout l'après-midi, les villageois bravent la chaleur écrasante pour venir à sa rencontre. Elle soigne des bobos d'enfants, soulage des douleurs dentaires, remet trois épaules en place, examine des peaux brûlées par le soleil, réalise même un examen gynécologique.

Inlassablement, elle demande à chacun s'ils ne voient pas d'inconvénient à ce qu'elle soit secondée par son apprenti. Inlassablement, elle montre à l'adolescent ces petits détails que seul un œil entraîné peut reconnaître. Elle lui montre les gestes, lui fait réaliser des soins simples en le surveillant d'un air critique. Elle fait preuve d'une patience infinie, mais ne tolère pas la moindre erreur.

En médecine, faire une erreur c'est risquer la vie du patient.

 

La nuit est tombée depuis longtemps quand la file, enfin, se tarit. Elle n'apporte pas la fraîcheur glaciale du désert et garde une épaisseur étouffante. Il faudra attendre la saison des pluies pour qu'enfin on puisse respirer.

Elle salue le dernier patient à voix basse et se tourne vers son hôte. Ce dernier a un regard amusé pour le jeune Charlie qui s'est endormi sur sa chaise quelques minutes plus tôt. Un sourire attendri passe entre les deux adultes. Elle s'approche du vieil homme, lui demande comment vont ses articulations, propose un massage supplémentaire pour les déverrouiller. Et ce dernier de décliner : elle en a assez fait pour la journée, elle devrait plutôt se reposer. Qu'elle ne s'inquiète pas pour le gamin et le laisse à sa chaise : à cet âge, on pourrait dormir dans un fossé et se réveiller comme après une nuit dans un bon lit.

Rire complice.

Elle prend congé, bougie à la main, et se dirige vers l'arrière-pièce de la maison, un genre de débarras que le vieillard a mis à sa disposition avec ce qui ressemble à un matelas aussi vieux que lui. Un long soupir fatigué lui échappe alors qu'elle laisse tomber les tensions de la journée. Elle se défait de sa blouse qui a perdu tout l'éclat de son blanc d'origine. Elle tire aujourd'hui plus sur les ocres et porte les stigmates d'une vie peu conventionnelle pour un docteur.

Enfin, qu'en sait-elle, après tout.

Elle s'approche du petit seau d'eau posé sur le rebord de la fenêtre et s'asperge le visage pour une toilette rapide. En redressant la tête, elle devine son reflet dans le seul carreau de fenêtre qui n'est pas cassé. La faible lumière de la bougie ne flatte pas ses traits tirés par la fatigue persistante des dernières années. Ses cernes n'ont de cesse de se creuser jour après jour.

Elle se détourne de son reflet et tire sur le foulard qui retient ses lourds cheveux bouclés, avant de souffler la petite flamme. La nuit l'enveloppe toute entière. Il n'y a plus une lueur, plus un bruit dans le village.

Une atmosphère angoissante qui lui donne la boule au ventre tant elle est familière. Il y a dans ces silences une solitude et un effroi qu'elle ne s'explique pas. Un silence qui n'a pas cette sérénité ni ce calme narrés par les contes pour enfants.

Un silence assourdissant.