Chapter 1: Insertion
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Chapitre 1 - Insertion
Station Gagarine – 2169
L'atmosphère de la station était lourde, chargée de la tension de dizaines de jeunes biotiques en pleine concentration. Les murs métalliques résonnaient sous les éclats des décharges, chacun tentant de maîtriser sa propre énergie. Parmi eux, Kaidan se battait contre un ennemi plus insidieux : ses migraines.
L'implant L2 qu'il portait depuis des mois avait été conçu pour maximiser ses capacités, mais les douleurs qui lui vrillaient parfois le crâne étaient insupportables.
Vyrnnus observait de loin, comme une ombre menaçante, son regard de prédateur fixant chaque mouvement. Le Turien, vétéran de la Guerre du Premier Contact, n'avait aucune pitié. Ses yeux perçaient le jeune biotique comme des lames de rasoir. Il se déplaça lentement vers Kaidan, son visage impassible, son corps imposant. À chaque pas, il semblait émettre une pression qui augmentait la difficulté de la tâche.
— C'est tout ce que tu peux faire, Alenko ? lança-t-il, avec l'intonation froide et bi-tonale propre à son espèce. Je croyais que les humains étaient plus résistants. Tu ne veux pas essayer un peu plus fort ?
Kaidan, déjà au bord de l'effondrement sous l'effet de la douleur, serra les dents. Ses mains tremblaient à peine, mais il refusait de laisser la souffrance l'envahir. Son corps était tendu, chaque fibre de ses muscles en lutte pour garder le contrôle. Il avait déjà été dans cette situation plusieurs fois, et chaque fois, il parvenait à repousser ses limites. Pas question de céder.
— Tu sais bien que ce ne sont pas tes exercices qui me font tomber, répondit Kaidan, sa voix teintée de glace. Mais je peux encore encaisser.
Le Turien haussait les épaules, son regard reptilien dénué de toute émotion. Il ne semblait pas se soucier de la réponse de Kaidan. Il était juste là, observant le jeune biotique, attendant un faux pas. Le jeune homme se releva, passant ses doigts dans ses cheveux bruns en bataille puis se mit en position de défense. Ses avant-bras étaient parcourus par de légers éclairs bleutés causés par l'énergie biotique. Il fit de son mieux pour penser à autre chose qu'à la douleur qui comprimait son crâne et contînt un début de vertige.
Il se souvint de sa première rencontre avec Vyrnnus. C'était il y a plusieurs mois mais la scène restait nette dans sa mémoire. Il se rappelait d'avoir été aussi impressionné par la démarche du Turien que par le regard qu'il lançait aux gamins débarqués avec lui. Les yeux d'un bleu acier enfoncés dans leurs orbites les scrutaient. L'instructeur s'était avancé vers eux et siffla à l'attention de Kaidan :
— J'étais à la barre du cuirassé qui a tué ton père, avec un sourire presque sadique.
Kaidan fût parcouru d'un frisson le long de son échine, mais il se contenta de sourire en coin, de lever la tête et de planter ses yeux sombres dans ceux du Turien.
— Mon père n'a jamais servi dans la première guerre, répliqua-t-il, la mâchoire serrée.
Il y eut un silence tendu. L'instructeur le fixa un instant, l'ombre d'une colère dans ses yeux. Sa plaque frontale se souleva légèrement. Même si les expressions turiennes étaient encore difficiles à déchiffrer pour Kaidan, il comprit que sa réponse n'avait pas du tout plu à Vyrnnus et que tôt ou tard, il allait le payer.
Il ne se trompait pas. Chaque jour, l'instructeur le poussait dans ses retranchements, comme aujourd'hui. Mais Kaidan refusait de plier sous la pression. Il n'était pas là pour devenir une marionnette.
Il se concentra pour activer sa barrière, au prix d'un effort surhumain. La sueur collait ses cheveux noirs sur son front.
Le turien s'éloigna alors, non sans un dernier regard empli de mépris. Mais la douleur redoubla à l'intérieur du crâne du jeune homme, s'enfonçant entre ses lobes comme une lame aiguisée. Il n'eut d'autre choix que de s'effondrer contre un mur de métal froid, seul, dans le silence oppressant de la station. La barrière autour de lui clignota avant de s'évanouir tandis qu'il pressait ses mains sur ses tempes, les coudes posés sur ses genoux.
— Une minute, rien qu'une minute, murmura-t'il pour lui-même.
Kaidan, épuisé, ferma les yeux, la douleur dans son crâne devenant de plus en plus insupportable. Il avait l'impression que tout allait se briser, que la migraine allait l'engloutir tout entier. Ses mains, crispées, tentaient en vain d'atténuer l'intensité de la douleur. Il pria pour quelques secondes de répit. La station autour de lui semblait devenir floue, déformée par la pression croissante dans son esprit.
Une chaleur familière se posa doucement sur son épaule. Il ouvrit les yeux et tourna la tête lentement pour croiser le regard de Rahna. Elle se tenait là, silencieuse, mais son regard était d'une douceur rare dans ce lieu dénué de pitié. Aucun mot n'était nécessaire. Sa présence seule apaisait Kaidan d'une manière qu'il n'arrivait pas à expliquer.
Il sentit son cœur battre un peu plus vite, mais il détourna les yeux, se concentrant sur l'effort de respirer régulièrement. Ses doigts frôlèrent les siens, hésitants, avant de se replier lentement. Il aurait voulu être plus fort, moins vulnérable, mais dans ces moments de fragilité, c'était elle qu'il cherchait. Elle était son point d'ancrage.
Il se força à lever le regard, et cette fois, il ne détourna pas ses yeux des siens. Rahna le regardait, ses traits détendus, comme si elle comprenait tout, sans qu'il ait besoin de parler. Il savait qu'il n'était pas le seul à ressentir cette proximité, même si elle n'était jamais dite à voix haute.
— Tu devrais rentrer te reposer, dit-elle, sa voix douce, empreinte de cette même tranquillité qu'il trouvait apaisante.
Kaidan resta un instant silencieux, observant la courbe de ses lèvres, l'éclat discret dans ses yeux. C'était une chaleur qu'il ne voulait pas laisser partir, une chaleur qu'il n'avait pas ressentie depuis longtemps.
— Je vais... rester ici un moment, répondit-il d'une voix rauque.
Elle hocha la tête sans insister. Il se sentit comme un poids lourd qui se levait de ses épaules simplement parce qu'elle était là. Elle ne le jugeait pas. Elle ne lui imposait rien. C'était rare, et il en avait besoin. Rahna était plus qu'un simple soutien. Elle était un refuge dans ce chaos qui ne cessait de les engloutir.
Chapter 2: Contact
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Station Gagarine –2169
Kaidan errait dans les couloirs froids de la station, ses pensées perdues dans l'immensité de l'espace. Point Zéro, la station Gagarine, n'était qu'une infime fraction du cosmos, isolée, loin de tout. Il avait envie d'aller plus loin, d'explorer tout ce que les brochures mentionnaient. Et il espérait que l'entraînement rude imposé par Vyrnnus lui permettrait d'intégrer une division prestigieuse de l'Alliance. L'idée d'être si loin de la Terre l'inquiétait parfois. Il se demandait si Conatix Industries les avaient délibérément éloignés de la planète pour les protéger...ou pour les enfermer, comme des expériences.
Les bruits de pas derrière lui l'alertèrent, et il se retourna pour voir Rahna s'approcher. Elle portait le même air sérieux qu'il avait vu chez elle ces derniers temps, mais aujourd'hui, il pouvait percevoir une lueur différente dans ses yeux. Un éclat de curiosité, presque d'excitation.
— Tu te souviens de l'émetteur dont Shelby nous a parlé ? demanda Rahna. Il permettrait d'envoyer des messages vers la Terre. Et je me suis dit qu'on pourrait peut-être enfin donner des nouvelles à nos familles.
Kaidan sentit une vague d'émotion le submerger. Six mois. Cela faisait six mois qu'il n'avait eu aucun contact avec sa mère, sa soeur ou son père, et encore moins avec ses anciens amis. Aucun message, aucune lettre, aucune parole échangée. Juste un vide. Le silence imposé par le programme SinBio était étouffant, suffocant. Il s'était habitué à l'isolement, mais il n'avait jamais cessé de se demander si ce qu'on leur imposait n'était qu'un moyen de les éloigner des autres, de les rendre encore plus étrangers à la société.
— Tu penses que c'est vraiment possible ? demanda-t-il, son regard se perdant dans celui de Rahna.
Elle acquiesça, son sourire s'élargissant légèrement. Elle savait ce que cette possibilité représentait pour eux. Pas juste un simple message, mais un lien, un fil ténu entre eux et un monde qu'ils avaient presque oublié.
— On devrait aller voir. Peut-être qu'on peut leur dire qu'on va bien, qu'on pense à eux. Rahna marqua une pause avant d'ajouter, d'une voix presque douce : Ou peut-être qu'on leur dira qu'on est prêts à rentrer.
Kaidan la regarda longuement, un flot de pensées traversant son esprit. L'idée de contacter sa famille, d'avoir des nouvelles, de retrouver une forme de connexion avec le monde extérieur... C'était à la fois un soulagement et une lourde responsabilité. Mais en cet instant, c'était surtout l'espoir d'une rupture avec cette station, cet endroit de discipline et de souffrance.
— Allons-y, répondit-il enfin. On verra ce qu'on peut faire.
Ils se mirent en route, leurs pas résonnant dans les couloirs de la station. Mais, à chaque pas, Kaidan ne pouvait s'empêcher de penser à Rahna, à cette complicité qui ne cessait de croître entre eux. Il n'osait pas encore nommer ce qu'il ressentait, mais il savait que ce moment, ici, avec elle, marquait quelque chose de plus profond qu'une simple amitié. C'était la chaleur qu'il avait tant recherchée dans cet endroit glacé. Et il était presque certain qu'elle le ressentait aussi.
Kaidan et Rahna rejoignirent immédiatement Shelby. Le jeune cadet, un peu gêné, leur tendit l'émetteur qu'il avait bricolé avec des pièces récupérées ça et là. Il semblait tout aussi excité que Kaidan à l'idée de pouvoir enfin envoyer un message, de rompre le silence imposé par la station.
Kaidan, après un rapide regard vers Rahna, se saisit de l'émetteur. Il avait l'intention de donner des nouvelles à ses parents, qui venaient de rentrer sur Terre après un long silence. Il savait qu'ils avaient souffert, eux aussi, de son absence. Alors, quand il tapa rapidement sur l'émetteur, il se sentait proche d'eux d'une certaine manière, pour la première fois depuis longtemps.
Rahna, quant à elle, resta silencieuse. Elle se tenait légèrement à l'écart, les yeux baissés. Kaidan sentit son malaise, mais ne posa aucune question.
Après quelques minutes, ils retournèrent tous les trois vers leurs dortoirs. Le silence entre eux était lourd, comme une barrière qu'ils n'osaient pas franchir. Le message envoyé, la mission accomplie, il ne leur restait plus qu'à reprendre le cours de leur vie ici, dans cet endroit froid et sans âme.
Le lendemain, alors qu'ils faisaient la queue au réfectoire pour le repas, Kaidan se tourna vers Rahna qui le suivait.
— J'ai remarqué hier que tu n'avais envoyé aucun message, dit-il à voix basse.
Rahna leva ses yeux sombres vers Kaidan, un peu gênée.
— Personne à qui en envoyer, commença-t'elle. Elle déglutit puis enchaina : Si mes parents en avaient reçu un, ils m'auraient immédiatement dénoncée aux administrateurs.
Kaidan avança dans la file, pris un plateau qu'il tendit à Rahna, frôlant intentionnellement ses doigts. Il se força à prendre un air détaché mais elle lui sourit à ce contact.
— Qu'en est-il de ton frère ?
— Je ne sais pas où il est posté en ce moment, j'ai pas eu de ses nouvelles depuis que je suis arrivée ici.
Ils furent interrompus par les protestations d'un de leurs camarades devant eux.
— De l'eau ! Bougonna le jeune homme aux cheveux clairs. Mais le distributeur refusa de s'activer.
— Erreur. La distribution de l'eau est interrompue pour vingt-quatre heures, résonna l'interface métallique.
Ils poursuivirent leur chemin dans la file, remplissant leurs gamelles de la pâte nutritionnelle sans goût qui leur servait de nourriture.
Le Turien fit irruption dans le réfectoire. Il était vêtu d'une combinaison de combat blanche aux bandes métalliques dorées sur un des bras. Sa voix bi-tonale résonna sur les murs avec l'autorité qu'ils ne reconnaissaient que trop bien.
— Détente terminée ! Tous en salle d'entraînement sur le champ !
La salle s'anima. Les jeunes biotiques se précipitèrent tous, aucun n'avait envie de se faire remarquer en arrivant le dernier. Rahna pris la main de Kaidan après avoir reposé son plateau et l'entraîna vers la salle. Tandis qu'ils marchaient d'un pas rapide, le jeune homme ne pouvait s'empêcher de remarquer le courant qui remontait le long de sa main. C'était l'énergie biotique de Rahna, un courant lent, pulsatile, très différent du sien. Il serra ses doigts autour de ceux de Rahna, un nouvel élan emportant son cœur.
La joie fut de courte durée lorsque, en entrant dans la salle, ils découvrirent Shelby attaché à un poteau, au centre de la pièce, entouré de blocs de construction. Vyrnnus se tenait là, impitoyable comme toujours, les bras croisés.
— Vous avez failli à vos devoirs, cadets, dit-il d'une voix glaciale. Shelby a dévié du programme. Il va apprendre à quel prix se paie une telle erreur.
Chapter 3: Déchirure
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Station Gagarine – 2169
Les cadets se figèrent, une peur sourde montant en eux. Kaidan sentit la colère s'amplifier dans son ventre, cette rage noire inextinguible qu'il avait appris à contenir. Il savait que la punition qui allait suivre serait brutale. Et que, cette fois, ils ne pourraient pas l'arrêter.
Vyrnnus attendait déjà devant eux, les bras croisés, un air impitoyable gravé sur son visage.
— Vous gaspillez votre éducation, commença-t-il, sa voix bi-tonale résonnant dans la pièce. Vous pensez que c'est une blague ? Il se tourna brusquement vers Kaidan. Tu es d'accord avec ça, Alenko ?
Kaidan, la mâchoire serrée, répondit calmement :
— Non, Monsieur.
Ses yeux se durcirent sous le regard perçant du Turien, mais il ne se laissa pas déstabiliser. Vyrnnus n'attendit pas sa réponse et tourna son attention vers les autres cadets.
— Quelqu'un sait ce que faisait Shelby la nuit dernière ?
Le silence dans la pièce se fit lourd. Personne ne bougea, personne ne répondit. Les jeunes biotiques, paralysés par la peur, étaient incapables de dire quoi que ce soit. Rahna sera un peu plus les doigts de Kaidan entre les siens.
Vyrnnus, satisfait, tourna son regard vers les blocs de construction à leurs pieds.
— Bien. Nous allons régler ça avec un exercice. Vos pouvoirs biotiques seront mis à l'épreuve. Si un seul d'entre vous échoue, vous recommencerez depuis le début.
Le Turien leur montra l'image d'une arche et leur ordonna de construire quelque chose de similaire avec les blocs. La tâche fut bien plus difficile que ce qu'ils imaginaient car ils devaient supporter la charge et se coordonner les uns aux autres. Ils étaient là depuis plusieurs heures, mais l'objectif approchait.
Kaidan transpirait, mais tenait bon. Il remerciait intérieurement ses implants de ne pas avoir déclenché une migraine pour le moment. L'épuisement commençait à se faire sentir au sein du groupe. Les cadets luttaient pour maintenir leur concentration, la fatigue écrasant leurs muscles. Ils touchaient presque au but.
Rahna chancela légèrement, ses mains tremblantes. Kaidan, en observant ses mouvements, se précipita pour stabiliser le bloc qu'elle portait. Il l'empêcha de tomber avec un geste précis, en canalisant son énergie biotique, mais tout se passa si rapidement que personne n'eut le temps de réagir.
Vyrnnus, toujours à l'affût,observa la scène avec un air moqueur.
— Ah, Alenko, toujours là où il faut, dit-il avec une fausse approbation. Mais Rahna... Il fit léviter un verre d'eau près de la jeune biotique, ses yeux brillants de malice. Tu sembles bien fatiguée. Tu devrais t'hydrater.
Rahna, épuisée, tourna les yeux vers le verre, les lèvres légèrement entrouvertes. Kaidan sentit un frisson d'alerte le parcourir, mais il n'eut pas le temps d'intervenir. Avant qu'il ne puisse faire quoi que ce soit, la jeune femme tendit la main vers le verre, assoiffée.
— Rahna ! cria Kaidan, mais c'était déjà trop tard.
Vyrnnus, dans un éclat biotique brutal, tordit l'avant bras de la jeune femme, fracturant l'os dans un bruit sec et horrible. Elle hurla. Le sang qui s'échappait de la plaie envahit le champ de vision de Kaidan. Quelque chose de sombre s'empara de son ventre, son esprit succomba aux mois de frustration, de douleurs et de rage contenues.
C'était trop.
La douleur de Rahna brisa sa dernière barrière. Laissant complètement tomber au sol les blocs de construction, Kaidan s'avança d'un pas rapide vers le Turien. Sa colère dévalait ses veines comme un torrent. Vyrnnus planta ses petits yeux reptiliens dans celui du jeune homme, riant de manière presque sadique.
— Tu veux un vrai combat, Alenko ? gronda l'instructeur, sortant un couteau de son uniforme.
Il plongea vers l'humain avec une rapidité déconcertante, son couteau tranchant son flanc droit. La douleur le fit un instant vaciller. Autour de lui, tout était flou. Il était seul au monde face au turien. L'énergie biotique grondait en lui puis se répandit sous sa peau, envahit ses muscles. Il tendit le bras devant lui et avant qu'il ne puisse se contrôler, il lança une déchirure d'une violence inouïe sur Vyrnnus.
Kaidan ne le vit même pas tomber. Il continuait à avancer, mué par la rage, et asséna un coup de pied violent dans la tête de son instructeur. Le silence qui s'en suivi fut assourdissant.
Le jeune homme se retourna, les poings serrés, parcourus de l'énergie qu'il n'arrivait plus à canaliser. Il était à bout de souffle. La première chose qu'il vit vraiment, ce fut Rahna, le bras blessé contre elle, terrifiée. Elle reculait lentement. Par instinct, Kaidan regarda en arrière. Il s'attendait à voir Vyrnnus riposter. Mais le turien gisait dans une mare de sang bleu, inerte.
Des murmures parcouraient les rangs. Il commençait à réaliser ce qu'il avait fait. Shelby, toujours attaché au fond de la salle, regardait son ami les yeux exorbités.
— Tu... tu l'as tué, osa un des cadets.
Kaidan se tourna vers la jeune femme qui recula de nouveau.
— Rahna... murmura-t'il.
Le silence dans la salle était lourd. Les cadets étaient figés, incapables de réagir. Ils avaient peur. Ils avaient tous peur de lui. Rahna quitta la pièce en courant, suivi d'une dizaine d'autres élèves. Il la regarda disparaître dans le couloir, emportant avec elle tout ce qu'ils avaient partagé. Tout espoir.
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Le lendemain, Kaidan se retrouva dans un transport blindé, avec deux soldats de l'Alliance. Ils semblaient nerveux, les armes à proximité de main.
Le biotique sentait son cœur battre encore fort dans sa poitrine, l'écho de ce qu'il venait de faire résonnant dans son esprit. Il avait tué Vyrnnus, un Turien, un instructeur qui, même s'il était cruel et impitoyable, faisait partie de cette machine qu'était la station Gagarine. Mais Kaidan ne ressentait pas de fierté. Il ne se sentait même pas réconforté par sa victoire. Il ne pensait qu'à Rahna, à son regard terrifié, à la peur qu'il avait lue dans ses yeux. Il pensait au mot meurtrier qu'on lui avait adressé à demi-mot dans le couloir qui menait à la navette.
Rahna... Il avait agi par colère, par défense. Mais quand il l'avait vue reculer, quand il avait vu la terreur s'inscrire sur son visage, quelque chose en lui s'était brisé. Il n'avait pas voulu la perdre, et pourtant, c'était ce qu'il avait fait. En tuant Vyrnnus, il l'avait poussée à s'éloigner de lui. Elle avait eu peur de lui. Shelby, et tous les autres aussi. Il avait encore du mal à comprendre comment le turien s'était effondré si vite et pourquoi il avait perdu le contrôle à ce point.
Il secoua la tête, essayant d'évacuer ces pensées. C'était trop tôt. Il n'avait pas le temps de pleurer ses choix. D'autres décisions l'attendaient. Il devait accepter la réalité.
Le vaisseau en route vrombissait tandis que la station disparaissait à travers le hublot de la cabine. Kaidan n'avait pas eu l'occasion de dire au revoir. Ni à Rahna, ni aux autres cadets. Ni même à Shelby, qui avait été un témoin silencieux de tout ce qui s'était passé. Il n'avait aucune idée de ce qui les attendait, ni si des sanctions seraient prises. Mais il savait qu'il ne reviendrait jamais ici. Gagarine n'était plus pour lui. Il était désormais un ex-cadet, un abandonné du programme SinBio.
Chapter 4: Inertie
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Terre, Vancouver –2170
Un mois s'était écoulé depuis l'incident à Gagarine, et Kaidan se retrouvait à Vancouver, chez ses parents. L'Alliance était largement impliquée au sein de la station. Conatix Industries et ses administrateurs n'agissaient pas sans leur aval. Ils préféraient sacrifier un instructeur trop zélé, plutôt que de risquer une enquête. Le dossier de Kaidan ne comportait aucune mention de ce qui s'était réellement passé. L'affaire avait été soigneusement enterrée et le site fut fermé.
Officiellement : gouffre financier, résultats peu probants, aucune rentabilité réelle. Le programme SinBio avait pris fin à la suite d'un« incident ».
Mais tout cela n'effaçait pas la colère du jeune homme. Il savait que l'Alliance avait permis les abus de Vyrnnus, fermant les yeux sur les méthodes employées et protégeant ceux qui avaient joué un rôle dans ce système corrompu. Cela le rongeait de l'intérieur, et à chaque fois qu'il pensait reprendre son engagement militaire, il était hanté par l'idée d'être de nouveau utilisé.
Accoudé au balcon de l'appartement de ses parents, Kaidan observait le ciel en silence. Il n'était pas sûr de ce qu'il ressentait. Une partie de lui voulait repartir, explorer l'espace, reprendre sa carrière militaire. Mais l'autre, plus sombre, le poussait à douter. Le meurtre de Vyrnnus le rongeait. La colère était encore là, quelque part. Il pensait aux mois passés là bas, aux pleurs de ses amis, à son propre épuisement, ses migraines. Et au bras de Rahna, au son causé par la fracture ouverte pour avoir voulu un simple verre d'eau sans utiliser ses pouvoirs. A sa façon de le regarder après.
Les institutions qu'il avait respecté avaient choisi de fermer les yeux dans le but d'obtenir des armes vivantes pour leurs escadrons : eux. Et ça le rendait furieux.
Son père le rejoignit, deux bières à la main. Il tendit une des bouteilles à Kaidan, qui la prit mécaniquement. Un silence s'installa entre eux. Après un moment, son père prit la parole.
— Tu sais, Kaidan, dit son père en s'installant à côté de lui. Je sais que ces derniers mois ont été durs pour toi, mais ta vie ne se résume pas à ce qui est arrivé là bas. Tu as encore des options.
Kaidan tourna son regard vers lui, un peu confus. Son père avait le talent naturel de lire en lui avec une facilité déconcertante. Il prit une gorgée de bière pour se donner une contenance.
— Tu penses vraiment que j'ai encore des options après ça ? répondit Kaidan, la voix rauque. Je suis un échec, papa. J'ai tué quelqu'un. Et tout ça pour quoi ? Pour rien. J'ai gâché ma chance.
Son père le regarda calmement, comme s'il avait anticipé cette réaction.
— Tu n'as pas gâché ta chance. Tu as fait ce que tu pensais être juste à ce moment-là. Et oui, il y a eu des erreurs. Mais cela ne définit pas qui tu es. Il marqua une pause avant de continuer. Quand j'étais jeune, j'ai fait des choix que beaucoup auraient jugés mauvais. Mais ça ne m'a pas empêché de faire des choses intéressantes ensuite. Tu peux toujours trouver ta voie gamin.
Kaidan fixa la bière dans ses mains, ses pensées tourbillonnant encore et il sentit une migraine poindre à nouveau. Il but une gorgée du liquide ambré. Son père avait raison, mais il n'arrivait pas à voir cette nouvelle voie, pas encore.
— Et s'ils m'utilisent encore ? demanda-t-il finalement.
Son père sourit légèrement.
— Peut-être que tu ne vois pas les choses sous le bon angle. Tu es ce qu'ils cherchent. Et tu pourrais accomplir des choses à l'intérieur du système. Utilise-les. Il posa une main sur l'épaule de son fils, bienveillant. Quoi qu'il arrive, ta mère et moi te soutiendront.
Kaidan leva les yeux vers son père, trouvant en ses mots le réconfort dont il avait cruellement besoin. Il n'avait pas envisagé ce point de vue. Il n'était pas encore sûr de la voie à suivre, mais elle commençait à faire son chemin dans son esprit.
— Je vais y réfléchir, dit-il, la voix plus calme.
Son père se leva, laissant à son fils un moment de solitude. Kaidan regarda à nouveau le ciel. Un vaisseau traversa lentement les nuages au loin, sa coque métallique reflétant le soleil couchant.
Chapter 5: Arcturus
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Vancouver –2173
Il avait promis à son père de rester vivant.
Pas réparé. Pas grandi. Juste... vivant.
Le reste, il n'en avait jamais été question.
Sur la côte ouest, entre deux grincements de gravitrams et les bourrasques salées du Pacifique, Kaidan avait cru pouvoir redevenir quelqu'un d'autre. Le fils d'un militaire à la retraite, un jeune homme de vingt deux ans trop fatigué pour son âge. Il trimait dans des hangars orbitaux, chargeait des caisses de provisions, filait des coups de main dans un centre d'instruction civil quand on avait besoin d'un biotique pour de la démonstration.
Et ça aurait pu lui suffire.
Si seulement le passé ne collait pas aussi fort à la peau.
Mais l'Alliance ne l'avait jamais lâché. Elle envoyait ses rappels chaque année comme on lance un hameçon dans une eau trouble. Des propositions déguisées. Des « opportunités de réintégration ». Des programmes d'accompagnement pour anciens membres de projets classifiés.
Kaidan n'en avait accepté aucun. Il ne voulait plus servir de cobaye.
Jusqu'à ce que la demande change de ton.
Un message prioritaire. Cachet militaire. Origine : Arcturus Station.
Objet: Rappel prioritaire de profil stratégique.
Cette fois, il comprit.
Ils ne lui demandaient plus de revenir.
Ils voulaient qu'il revienne.
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Arcturus –2173
Le centre de recrutement n'avait rien de prestigieux. Des murs gris, une odeur de café brûlé, une cacophonie de conversations, d'alarmes, d'appels et de terminaux. Les fauteuils étaient conçus pour être inconfortables, comme si s'attarder ici était incongru. Mais l'homme en face de lui, Havelock, feuilletait à l'ancienne un dossier qui comportait son nom sur toutes les pages avec la mention « Classifié ». Certains passages étaient recouverts de lignes noires et chacune faisait froncer les sourcils du vétéran.
Kaidan attendait debout, les mains nouées dans son dos. Le silence s'éternisait. Il n'attendait aucune invitation pour s'asseoir : il savait déjà que cette rencontre ne serait pas simple. Après de longues minutes, Havelock rompit le silence, une des pages arrêtée entre ses doigts calleux.
— Tu sais quel genre de candidats arrivent avec un dossier papier, Alenko ? Demanda-t'il avant d'enchainer sans attendre de réponse. Ceux qu'on préfère garder enfermés.
Mais Kaidan ne se laissa pas déstabiliser. Il avait vu les mots « Programme SinBio – Incident Vyrnnus – Capacités destructrices non quantifiées » et savait où ça le mènerait.
Il se passa une main dans ses cheveux bruns qui avaient tendance à tomber sur ses yeux.
Havelock claqua le dossier.
— On n'a pas besoin d'une tête brûlée de L2 qui déclenche une migraine à la moindre surtension.
Le jeune homme leva imperceptiblement le menton.
— Je suis là pour servir. Sous conditions : Pas de nouvel implant. Aucun reconditionnement biotique. Vous me prenez tel quel, ou pas du tout.
Le recruteur s'enfonça dans son siège, croisant les bras. La veine sur son front palpitait. Il chercha une lueur de défi dans le regard de Kaidan mais n'y trouva qu'une détermination tranquille. Il serra les dents. Alenko était un atout. Que ce dernier le sache n'arrangeait visiblement pas son affaire.
— T'as un sacré culot. Tu sais combien de biotiques attendent à notre porte ?
— Je sais ce que je vaux, répondit calmement Kaidan en désignant la lettre posée sur la table. Sinon vous n'auriez pas fait envoyer ça.
Havelock se redressa en attrapant un stylo. Un pli fendit légèrement la commissure de ses lèvres tandis qu'il apposa sa signature sur le contrat. Le biotique laissa échapper un souffle de soulagement.
— Très bien, ponctua le recruteur. Mais tes cheveux passent sous la tondeuse réglementaire avant 06h.
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Affecté à la 35ᵉ escouade d'infanterie mobile, Kaidan se fondit dans la masse. Il n'était plus qu'un membre parmi les autres marines et réservistes de l'Alliance. Il était le seul biotique. Un silence lourd l'accompagnait à chaque arrivée. On l'observait comme une bombe à retardement. Mais Kaidan s'entraînait, comme les autres. Il réprimait ses pouvoirs. Il taisait ses migraines. Course, pas de tir, obstacles, coordination, démontage et remontage des armes. Routine.
Lors du premier exercice sur Séléné, les jeunes militaires devaient simuler une prise de relais de communication. Tirs à blanc, boucliers cinétiques ... jusqu'à ce qu'une mine d'entraînement, mal programmée, explose trop tôt. Par réflexe, Kaidan projeta une barrière biotique à la couleur violacée qui absorba l'onde de choc. Quand la poussière retomba, les cinq soldats à ses cotés le dévisageaient sans un mot. Et sans aucune blessure. Le sergent Nwosu lui donna une tape sur l'épaule.
— Bon sang Alenko, on a frôlé la vie ! Dit-il en éclatant de rire.
La méfiance se fissura. Kaidan avait de nouveaux amis.
Parmi eux, Amaya Voss le regardait avec un intérêt soudain. Dans les hangars d'Arcturus, après chaque entraînement, elle multipliait les rencontres fortuites. Elle trouvait toujours une excuse : dérive d'oscillateur, nouvelle technique de By-Pass électronique, suspicion de surchauffe dans le système de refroidissement des armures. Et Kaidan feignait de ne rien voir, même si un sourire traversait malgré lui ses lèvres dès qu'elle s'approchait.
Un soir, alors qu'il terminait un rapport et ignorait sa migraine naissante, la porte de sa chambre coulissa sans avertissement, désactivant la sécurité. Override manuel. Kaidan se leva de sa chaise, datapad en main.
— Amaya. Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t'il.
La jeune femme verrouilla derrière elle, prit la tablette des mains de Kaidan et la posa sur le bureau.
Elle ne répondit pas.
Elle se contenta de faire quelques pas dans la pièce avant de revenir vers lui. Ses yeux brillaient d'une lueur qui n'augurait rien de bon.
— Amaya, reprit Kaidan, plus fermement. C'est une mauvaise idée.
Elle s'approcha en glissant ses mains sur ses bras, déclenchant malgré lui un crépitement d'énergie biotique. Cette réaction la fit sourire. Elle était assez près pour que le jeune homme sente son parfum, sa chaleur. Son cœur s'accéléra. Elle le sentit. Attrapant le col d'Alenko, elle posa ses lèvres sur les siennes, d'abord avec douceur. Kaidan y répondit, incapable de se retenir plus longtemps. Il posa une main sur sa taille, l'autre remontant sur sa nuque, ses doigts se glissant dans ses cheveux, et l'attira plus près de lui. Le goût de sa bouche avait celui du café nocturne et de l'aridité de la station. L'espace se réduisit à eux, à la tension accumulée au cours des derniers mois. Il sentait le courant pulsatile de ses implants traverser sa peau, amplifié par l'adrénaline.
Un instant suspendu. Puis il se recula légèrement, le front contre celui d'Amaya, les yeux fermés.
Il murmura :
— Je pourrai tout lâcher...
— Alors fais le, Alenko, le supplia-t'elle dans un souffle.
Elle se pressa contre lui, ses mains se glissant sous son t-shirt, ses doigts effleurant sa peau. Kaidan retint un gémissement, sentant la surcharge de ses implants frôler la limite. Sa migraine battait ses tempes, mais ce n'était pas ce qui le préoccupait. Il avait envie de céder. Il la désirait. Ils étaient sur cette station depuis des mois et chaque seconde le rapprochait un peu plus de cette rupture. Ses aventures entre chaque mission s'étaient toujours soldées par des échecs. Trop loin, vie trop différente. Ici, c'était facile, avec quelqu'un qui partageait le même parcours et le même espace.
Il l'embrassa de nouveau, la guidant vers le bureau, pressant son corps contre elle. Elle interrompit le baiser pour retirer sa propre veste.
Un éclair de lucidité le traversa. Il y avait des règles strictes. Il ne pouvait pas voir s'effondrer si vite ce qu'il commençait à bâtir.
— Je ne peux pas. On ne peut pas.
Les mots tombèrent avec un poids inflexible. Il détourna les yeux, libérant les cheveux d'Amaya de sa poigne.
Elle cligna des yeux, la veste à moitié glissée sur ses épaules.
— Je vois. Tu tiens trop à ta brillante carrière ? Souffla-t'elle avec mépris.
Elle était furieuse.
Elle sauta du bureau, rajusta sa veste sans lui laisser le temps de répliquer. Elle fixa les yeux noisettes face à elle, déposa un baiser moqueur sur les lèvres de Kaidan et franchi la porte.
Il resta planté comme un con de longues minutes. A en oublier ses maux de tête. Il était à un cheveu de tout gâcher. Une voix, une réminiscence de Point Zéro, l'en empêchait. Le contrôle, c'était la liberté. Les relations personnelles entre membres d'une même unité étaient formellement proscrites par le règlement interne de l'Alliance. Et il ne voulait pas tout foutre en l'air.
Chapter 6: Élévation
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Arcturus – 2182
Le message était arrivé comme un couperet.
Message prioritaire.
Origine : Commandement de l'Alliance.
Sidon. Une station abandonnée, supposée être sécurisée, était maintenant occupée par des groupes armés inconnus. La petite escouade devait récupérer des informations sensibles, verrouiller le site, et repartir.
Pour Kaidan, c'était un test. Pas une mission comme les autres. Il en avait vu d'autres, certes, mais celle-ci n'était pas simplement une question de stratégie : c'était l'opportunité de prouver qu'il était prêt à franchir une nouvelle étape dans sa carrière. Il s'agissait de démontrer qu'il pouvait commander, qu'il pouvait prendre des décisions sur le terrain, sous pression, et guider ses hommes sans faillir.
À ses côtés, Nwosu, son mentor et confident dans l'ombre, l'observait en silence. Il avait confiance en Alenko.
Les semaines qui avaient précédé cette mission avaient été difficiles. L'Alliance n'avait cessé de faire pression sur Kaidan. Il avait mis son nom sur la ligne, mais la politique derrière tout ça le rongeait. Les biotiques étaient utilisés comme des armes, rien de plus. Pourtant, il avait appris à faire avec. Il se contrôlait, gardait une discipline de fer. Il utilisait ses pouvoirs pour protéger les siens mais jamais sur des cibles vivantes. Il craignait de franchir de nouveau la limite et de blesser la mauvaise cible. Bien qu'il n'était pas un excellent tireur, il préférait se servir de son M-8 Avenger pour abattre l'ennemi. Un fusil d'assaut c'était toujours fiable, tant que les balles thermiques ne le mettaient pas en surchauffe.
___________________________
L'équipe était prête. Alenko avait les idées claires. Aucune douleur cérébrale depuis plusieurs jours. Il révisa la carte du terrain avec ses coéquipiers. A sa droite, Amaya Voss pointait les reliefs en indiquant où était l'entrée du complexe. Kaidan et elle avaient fini par enterrer la hache de guerre et à devenir amis. Ils avaient grandi, étaient proches d'une autre manière. Au sein de l'escouade, un turien au regard affûté et une asari évaluaient les positions stratégiques à tenir, mettant le doigt sur les difficultés naturelles du terrain balayé par les vents violents. Deux jeunes soldats de l'alliance les accompagnaient : Richard L. Jenkins, un soldat de première classe, et David Marchall, un biotique que Kaidan formait depuis plusieurs mois.
Leur objectif était simple : sécuriser l'entrée principale de la station, localiser les informations et ressortir. Mais les conditions climatiques et les bâtiments vétustes offraient un décor parfait pour un piège.
Kaidan menait l'équipe au pas de course. Ils se postèrent de part et d'autre de la porte, et le verrou céda sous l'assaut du décodage de Voss.
— Activation des boucliers, commanda le Lieutenant Alenko.
Nwosu suivait la position du groupe depuis la navette, les yeux rivés aux écrans tactiques.
Les premiers mètres étaient presque silencieux, leur progression marquée par le bruit sourd des pas sur le sol métallique. Mais l'air se chargea vite d'une tension palpable. Un bip. Puis un autre. Quelque chose se passait sur les radars.
Kaidan leva la main, et Marchall, toujours derrière, déploya un champ biotique, silencieux mais efficace. C'était lui qu'il devait guider, mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, il fallait gérer l'ensemble. Le petit groupe s'avança à couvert.
En un instant, un premier ennemi surgit. Voss n'hésita pas. Elle abattit le mercenaire d'un tir bien placé. Mais d'autres silhouettes surgirent, tirant à vue.
La salle était trop étroite, trop démunie de toute couverture. L'escouade se lança dans l'action.
Alenko, à l'avant, coordonnait les mouvements, ses ordres clairs et précis, mais la situation devint rapidement plus chaotique. Le Turien tirait des balles à une vitesse impressionnante pendant que l'asari et Marchall contrôlaient des barrières pour protéger le groupe.
— Tenez la position ! cria Kaidan, à voix haute.
Le turien, Jenkins et Voss coordonnaient leurs tirs pour abattre les mercenaires un à un. Puis, ce fut le silence, rompu par le choc d'une dernière cartouche thermique sur le sol.
Ils patientèrent un instant, contrôlant leurs radars, avant que Kaidan donne l'ordre de poursuivre dans la salle suivante.
Une fois dans la salle des données, une explosion retentit. Un piège. La porte d'entrée était bloquée.
— Jenkins, sécurisation des données ! Ordonna-t'il.
Le jeune soldat s'avança vers la console, téléchargea son contenu pendant qu'Amaya et le Lieutenant se chargeaient de déverrouiller la porte. David Marchall concentrait ses efforts à maintenir la barrière active autour d'eux, au cas où les ennemis les attendraient derrière.
Lorsque le dernier verrou sauta, une balle rebondit sur le champ cinétique.
— Contact ! Résonna la voix du turien.
Le groupe se répartit de part et d'autre de la porte, alternant couverture et tirs. L'asari déchargea une onde de choc, faisait voler trois mercenaires en face d'eux. Voss et Jenkins les abattirent. Il en restait deux mais leurs positions n'étaient plus aussi favorable contre le petit commando. Kaidan agita la main, l'énergie biotique circulant dans ses bras pour former une barrière autour de lui. Il s'avança dans la pièce, fusil en main. Un des mercenaires quitta sa position pour l'attaquer, mais une balle traversa son casque. Jenkins fit signe au Lieutenant d'un air goguenard, satisfait d'avoir fait mouche. Le dernier ennemi jeta son arme au sol en signe de reddition mais l'asari l'envoya valser contre le mur dans un craquement d'os. Mort.
— On rentre, au pas de course ! commanda Kaidan d'une voix calme tout en avançant jusqu'à la sortie avec le groupe.
En passant près du corps d'un de leurs opposant, son regard s'attarda sur l'armure blanche des mercenaires avec un logo en forme de losange qu'il ne connaissait pas.
Les portes de la station se refermèrent alors que l'escouade embarquait dans la navette pour les ramener au vaisseau. Les données étaient sécurisées, le groupe indemne. Kaidan jeta un œil à Nwosu. Le sourire du sergent, habituellement réservé, laissait filtrer son approbation.
— Bien joué, Alenko. Tout le monde. On rentre à la base.
Le soir, Jenkins et le petit groupe dû se plier en quatre pour arracher Kaidan à son rapport et l'emmener boire un verre. Il finit par céder. Fêter sa victoire avait une saveur particulière. Agréable.
Son rapport n'était qu'une formalité. Plus tard, il comprendrait que la recommandation de Nwosu au capitaine Anderson ouvrirait une porte qu'il ne refermerait jamais.
Chapter 7: Prototype
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Centre de Formation de Combat Interplanétaire (CFCI) – Rio de Janeiro – 2183
La pièce n'était pas particulièrement vaste. Murs d'un bleu réglementaire. Pas d'holopanorama. Quelques affiches sur les murs, des listes de noms de ceux qui avaient intégré le centre et obtenu leur dernier grade. A travers les fenêtres, Kaidan observait d'un œil admiratif les marines du programme « N1»suivre leur entraînement. Être convié à suivre la formation des Forces Spéciales était en soi un immense honneur, réservé aux soldats de prestige de l'Alliance. Mais ce n'était pas pour ça qu'il était là.
En face de lui, le capitaine David Anderson faisait défiler les lignes d'un datapad. Kaidan pouvait voir à travers l'écran translucide les différentes lignes ayant marqué sa carrière... sans aucune donnée tronquée. Bien qu'il connaissait de réputation le capitaine, vétéran de la Guerre du Premier Contact, premier diplômé du programme des forces spéciales N7, il se rendit compte qu'il était probablement très loin de le connaître véritablement. Il releva la tête vers Anderson. Son visage était calme, parcourant les différentes lignes sans jamais froncer les sourcils. Rien dans sa posture ne laissait supposer que quelque chose lui déplaisait dans son dossier.
— Vous avez couvert pas mal de terrain ces dernières années, Lieutenant, dit-il en posant le datapad. Vous en voulez encore ?
— Oui, monsieur. Autant que possible.
Le Capitaine avança l'écran vers Kaidan et tapota deux fois dessus. L'image d'un vaisseau apparut. Taille d'une frégate, coque grise, une ligne profilée semblable à celles des machines turiennes. Ce détail le fit tiquer. Pourtant, le nom « Normandy SR-1 » et le sigle de l'Alliance indiquaient qu'il s'agissait bien d'un vaisseau humain.
Son visage avait dû trahir son étonnement, car Anderson devança sa question.
— Il s'agit d'un prototype, le fruit d'une collaboration entre l'Alliance et la Hiérarchie Turienne. Navigation furtive, moteur SLM de dernière génération, capacités de frappe et de reconnaissance rapide. On va bientôt le mettre à l'épreuve.
Il marqua une pause.
— J'ai besoin de gens compétents, fiables et discrets. Capables de travailler avec des non-humains. On m'a recommandé votre nom et je dois dire que votre dossier me plait. Vous n'êtes pas parfait mais vous réfléchissez, vous obéissez sans pour autant fermer les yeux. Et vos compétences biotiques sur le terrain surpassent beaucoup de L3 à ce qu'il paraît. C'est ce qu'il nous faut.
Kaidan acquiesça lentement. Il avait une centaine de questions à poser mais n'en posa aucune. Il comprit à ce moment-là qu'il ne s'agissait pas d'un simple transfert. Pour que les humains et les turiens collaborent sur un prototype de ce calibre, alors le Conseil était impliqué. Les missions du Normandy promettaient d'être d'un tout autre niveau que celles qu'il avait déjà remplies. Il sentait un poids lourd sur ses épaules mais une effervescence s'empara de son ventre.
C'était un point de bascule.
Kaidan entendit le cuir de la chaise grincer sous le mouvement du capitaine. Il se leva à son tour, les pieds ancrés comme s'il franchissait une ligne invisible.
— Départ demain. Embarquement au port spatial orbital, quai 7. Le Commandant Shepard et un Spectre du Conseil superviseront le vol sous mon commandement pour le vol d'essai.
Le Capitaine adressa un sourire à Kaidan et lui serra la main. Sa poigne était ferme et chaleureuse.
— Bienvenue à bord Lieutenant Alenko.
Kaidan le regarda s'éloigner. Le nom de Shepard résonnait dans sa tête. Il n'avait jamais rencontré le commandant, mais l'histoire de Torfan était tristement célèbre dans les rangs des marines. Ce qu'elle y avait fait. La manière dont elle avait mené l'assaut jusqu'au bout, quitte à y laisser les trois quart de son unité. Certains appelaient ça du courage. D'autres de l'obstination froide.
Le Lieutenant sentit un frisson sur sa nuque. Le Normandy était sous le regard du Conseil, une des premières opportunités pour les humains de prouver qu'ils avaient leur place sur l'échiquier politique galactique. Ils avaient besoin de gens tempérés. Et Shepard semblait à des millions d'années-lumière d'être quelqu'un de tempéré.
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Normandy SR-1 – Base orbitale de l'Alliance – 2183
La navette s'arrima à l'écoutille du Normandy. Kaidan ajusta la lanière de son sac sur l'épaule. Au travers du hublot, il vit le flanc noir et blanc du prototype, anguleux et épuré. Chaque ligne de la coque semblait faite pour la vitesse et le silence. Il n'était pas immense. Il n'en avait pas besoin. Ce vaisseau n'était pas fait pour impressionner. Il était fait pour frapper et disparaître. Même à travers la vitre, Kaidan sentait que la frégate avait quelque chose de vivant, une tension contenue comme celle d'un soldat prêt à bondir.
Le sas s'ouvrit dans un souffle métallique. Une décompression douce, suivie du chuintement familier des joints magnétiques, accompagna l'ouverture. Le sol vibrait doucement sous ses bottes. La lumière artificielle renvoyait des reflets froids sur les parois, et un bourdonnement régulier, presque rassurant, emplissait l'espace. A sa gauche, le poste de pilotage était encore vide. Il suivit le marquage au sol sur sa droite, croisa quelques regards rapides, curieux sans être intrusifs. L'équipage était encore réduit. Des techniciens en treillis bleu, un ou deux soldats en armure légère. Tout le monde s'activait comme si le vaisseau était prêt à décoller.
Un hologramme de la galaxie s'étendait devant lui, surplombé par une plateforme de commandement. Kaidan reconnu la signature turienne dans ce détail. Ils étaient à l'arrière du vaisseau. Les humains construisaient leurs bâtiments en permettant au commandant de bord de naviguer depuis l'avant. Ici,tout était pensé pour optimiser les lignes de tir et la lecture tactique, pas pour le confort.
Un homme, cheveux gris et visage austère l'attendait depuis un des terminaux.
— Lieutenant Alenko ? Dit-il en tendant sa main. Kaidan s'en saisit dans une poigne assurée.
— Oui monsieur.
— Charles Pressly, navigateur. Bienvenue à bord.
Kaidan rajusta la sangle de son sac sur son épaule pendant que Pressly lui fit faire le tour du pont supérieur. Il commentait à voix basse les points clefs du pont : cockpit, navigation, communication. Chacun de ses mots était pesé, comme pour jauger si Kaidan méritait d'entendre les subtilités du poste. Le navigateur s'arrêta devant l'ascenseur et activa son omnitool pour taper un code sur l'écran. Aussitôt, un signal résonna sur celui de Kaidan. « Pass activé. Autorisation L-T.AK 351. Accès autorisé».
— Je vous laisse aux mains de Jenkins. Je crois que vous le connaissez.
Kaidan leva un sourcil.
— Jenkins ?
— Oui, Caporal Richard L.Jenkins. Je crois qu'il est déjà en train de vous attendre en bas.
L'ascenseur s'ouvrit dans un souffle et Kaidan descendit sur le pont intermédiaire. La porte se referma derrière lui, l'odeur de café chaud du mess remplaçant peu à peu la stérilité du pont supérieur. A peine eut-il fait deux pas dans le couloir, qu'une voix familière résonna.
— Lieutenant !
Jenkins déboula d'un compartiment latéral, un large sourire accroché au visage. Son armure légère portait encore des traces de peinture fraîche, signe qu'il avait dû la faire réajuster pour cette affectation.
— Ça alors, je savais pas que vous veniez à bord ! Ça va être comme au bon vieux temps, hein ?
— Si par "bon vieux temps" tu veux dire les marches forcées dans la boue et les rations fades, alors oui.
Le jeune soldat éclata de rire. Toujours la même énergie, la même façon de voir les opérations comme une aventure plutôt qu'un danger. Kaidan lui rendit un sourire bref ; il savait que cet enthousiasme pouvait sauver un moral... ou coûter cher sur le terrain.
— Allez, je vous fais visiter, dit Jenkins. On commence par l'infirmerie.
Le couloir menait à une pièce immaculée, baignée d'une lumière douce. Des modules médicaux aux bords arrondis occupaient les murs. L'air y était plus frais, chargé de l'odeur du médigel et de désinfectant. Derrière un terminal, une femme aux cheveux argentés leva les yeux vers eux.
— Lieutenant Alenko, je présume ? Docteur Karin Chakwas.
Ils se serrèrent la main. La poigne était ferme, elle avait un regard à la fois doux et très assuré.
— Je me suis renseignée sur votre dossier médical, dit-elle sans détour. L2, série 21-C. Migraines occasionnelles, mais contrôle remarquable. Vous avez des troubles visuels ou auditifs associés ?
— Non, docteur. Rien que je ne sache gérer.
Elle se fendit d'un sourire, visiblement pas dupe de ce que ces douleurs lui causaient.
— Bien. Je veux vous voir toutes les deux semaines pour un suivi. Les implants L2 sont capricieux, et je préfère prévenir que guérir. Mon infirmerie vous est ouverte à toute heure.
Kaidan hocha la tête, agréablement surpris : peu de médecins prenaient la peine de connaître les spécificités de ses implants avant même de le rencontrer. En quittant la pièce, il se surprit à penser qu'il pourrait lui faire confiance. Ce n'était pas rien, pour lui.
Jenkins le guida ensuite vers la baie technique du pont inférieur. L'air y était plus lourd, la lumière plus crue. Des caisses de chargement et de munitions n'avaient pas encore été rangées et encombraient l'espace. Un Mako, véhicule blindé à six roues conçu pour les climats et le terrain accidenté des planètes les plus hostiles, était garé dans le hangar. Un homme trapu, la quarantaine, relevait la tête de son moteur.
— Gregory Adams, ingénieur en chef, dit-il en s'essuyant les mains. Vous êtes le biotique ?
— Oui, Lieutenant Alenko, mais vous pouvez m'appeler Kaidan.
— Parfait. Si vous mettez la main sur le Mako, c'est moi qui le garde en état. Et si vous voulez pas finir écrasé au fond d'un canyon, faudra suivre mes directives.
Le ton était sec mais pas hostile. Kaidan se contenta d'acquiescer : il savait reconnaître les hommes qui mesuraient les autres à leurs actes, pas à leurs paroles. En passant près du Mako, il effleura la carrosserie blindée du bout des doigts. Il espérait qu'elle résistait aussi bien aux tirs que ce qu'il avait lu avant d'intégrer la mission.
Enfin, Jenkins le ramena vers le cockpit une fois débarrassé de son sac militaire. Un homme mince à la silhouette légèrement déformée, casquette vissée sur la tête, pianotait sur un tableau de commandes avec une précision presque nerveuse.
— Lieutenant Alenko, annonça Jenkins.
— Ah !
Le timonier stoppa ses doigts sur la console et se tourna vers Kaidan.
— Jeff Moreau, mais tout le monde m'appelle Joker.
Il avait un sourire en coin permanent.
— Je pilote ce bijou. Et quand je dis "je pilote", c'est pas une figure de style. Personne d'autre ne touche à ces commandes. Vous me filez des coordonnées claires, et je vous y emmène sans une égratignure. Sauf si vous vomissez. Là, c'est chacun pour soi.
Kaidan esquissa un léger sourire. Un humour sec, presque abrasif, mais qui tranchait avec la rigueur militaire du reste du vaisseau.
— Je vais essayer... de ne pas vomir, Joker.
— Ouais... on verra ça après le premier atterrissage.
En quittant le cockpit pour rejoindre les quartiers de l'équipage, Kaidan eu l'impression que l'atmosphère du Normandy l'absorbait : un mélange d'efficacité glaciale et de personnalités marquées. Un équilibre fragile mais prometteur. Et dans quelques heures, ce mécanisme prendrait vie pour de bon.
Chapter 8: Impact
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Normandy –2183
Kaidan s'installa dans le siège de copilote, posture détendue mais gestes mesurés. Pas question de paraître surexcité devant Joker, qui l'observait déjà avec ce demi-sourire qui lui collait au visage. Devant eux, l'espace s'étendait comme une mer noire piquetée d'éclats froids. Le Normandy glissait sans bruit perceptible, le bourdonnement de ses systèmes à peine plus forts qu'un souffle.
Joker, vissé à son fauteuil, maniait les commandes avec la précision d'un chirurgien. Ses doigts passaient d'une interface à l'autre sans jamais hésiter. On aurait dit qu'il faisait corps avec la console.
— Alors, Lieutenant... prêt à bosser avec le meilleur pilote de l'Alliance ? lança Joker avec enthousiasme.
— On verra ça après la traversée du relai, répondit Kaidan, presque amusé.
Joker reprit son sérieux pour annoncer au commandant de bord leur progression.
— Relai Arcturus-Prime verrouillé. Début de la séquence de transmission.
Derrière eux, Kaidan capta un mouvement. Un Turien en armure sombre, marquée de rouge, observait la manœuvre. Nihlus. Spectre du Conseil. Sa simple présence imposait un silence particulier. Kaidan concentra son attention sur ses propres écrans, activant les boucliers thermiques pour la traversée.
— Connexion établie. Masse de transit calculée. Relais opérationnel, confirma Joker. Acquisition du vecteur d'approche.
Un léger changement dans l'air, puis une voix salua quelqu'un sur la passerelle : «Commandant.»
Kaidan se raidit. Elle approchait. Shepard.
— Stations sécurisées pour transit, annonça Joker, concentré.
— Feu vert. Phase d'approche, répondit le Lieutenant, vérifiant ses paramètres.
Shepard s'arrêta derrière eux, près de Nihlus. Elle observait en silence, l'attention entière sur la manœuvre. Joker fit pivoter le Normandy dans un arc précis, jusqu'à se placer parallèle au noyau du relai. Les immenses anneaux de métal commencèrent à tourner, la lumière bleue s'intensifiant jusqu'à baigner le cockpit d'un halo vibrant.
— Passage dans trois... deux... un...
Un éclair, un frisson dans la coque, et l'univers bascula. Le vide redevint immobile. Devant eux s'ouvrait le calme glacé du système Arcturus.
— Pas mal, commenta Nihlus d'un ton neutre. Votre capitaine sera satisfait.
Il quitta la passerelle, laissant Joker hausser les épaules.
— Je déteste ce type.
Kaidan arqua un sourcil.
— Il t'a fait un compliment.
— "Pas mal" ? Demanda Joker en mimant des guillemets avec les doigts. J'ai mis le Normandy sur un point de la taille d'une tête d'épingle à l'autre bout de la galaxie, et c'est "pas mal" ? Et puis... un Spectre à bord, ça pue les problèmes.
— Le Conseil a financé ce vaisseau. Normal qu'ils gardent un œil dessus.
Un raclement de gorge derrière eux les fit sursauter.
— Ça suffit, trancha une voix ferme. Vous êtes des soldats, agissez comme tels.
Kaidan se retourna. Shepard s'était avancée. Taille moyenne, cheveux aux épaules, regard d'acier. L'armure N7, sombre avec sa bande rouge, semblait taillée pour elle. Ses traits n'avaient rien de particulièrement doux, mais il y avait dans sa façon de se tenir, dans cette assurance naturelle, quelque chose qui accrocha Kaidan au point de lui faire oublier de respirer un instant. Il ne savait pas ce que c'était. Pas encore. Mais il savait que ça ne lui arrivait pas souvent.
— Désolé, Commandant dit-il en redressant instinctivement les épaules.
Shepard entrouvrit la bouche, prête à répliquer, mais l'intercom grésilla.
— Shepard, rejoignez-nous en salle de briefing pour les détails de la mission sur Eden Prime. Immédiatement, ordonna la voix ferme d'Anderson.
— Oh Capitaine... fit Joker avec un sourire en coin. Devinez qui va bientôt venir vous tenir compagnie ? Vous voyez très bien de qui je parle...
— Il est déjà là ! coupa Anderson d'un ton sec.
Kaidan dut se mordre l'intérieur de la joue pour retenir un éclat de rire. Mauvais timing : ils venaient déjà de se faire reprendre par Shepard, pas besoin d'en rajouter. Joker n'avait manifestement pas anticipé la rapidité d'un spectre Turien en mission.
— Vous avez remarqué que le capitaine est toujours agacé quand il me parle ? demanda Joker en se penchant vers Kaidan, faussement indigné.
— Je pense que c'est un privilège que toi seul arrives à provoquer, rétorqua Kaidan d'un ton placide, sans même détourner les yeux de ses consoles.
Shepard soupira, les mains sur les hanches.
— Merci, Joker. Vraiment. Maintenant il est sur les nerfs, et c'est moi qui vais en payer les conséquences.
Elle tourna les talons, rejoignant la passerelle d'un pas décidé.
La planète apparut dans le champ de vision, encore minuscule au milieu du noir sidéral. Eden Prime. Première colonie de l'humanité. Un symbole à la frontière des Systèmes Terminus. Ses continents ourlés de vert et ses océans d'un bleu profond rappelaient étrangement la Terre, mais baignée d'une lumière plus douce.
Kaidan ne connaissait pas tous les détails de la mission, seulement qu'il s'agissait d'une collecte de données. Simple sur le papier. Il s'étira sur son siège, puis se leva, sentant déjà la tension dans ses épaules se transformer en un mélange d'adrénaline et d'anticipation. Il tapota l'épaule de Joker, qui boudait encore depuis la sortie de Shepard.
Un bip sec rompit l'instant.
Transmission prioritaire : provenance Eden Prime.
Joker ouvrit la vidéo.
Les images jaillirent, hachées par des interférences, mais suffisantes pour glacer le sang. Des silhouettes couraient dans un chaos rougeoyant, des tirs striaient l'air, des explosions illuminaient des visages déformés par la peur. Ce n'était plus une simple colonie paisible. C'était une zone de guerre. Kaidan sentit une torsion s'emparer de son estomac.
— Merde... Envoie ça en salle de brief, Joker ! ordonna-t'il d'une voix qui ne tolérait aucune discussion.
Il quitta le cockpit d'un pas rapide qui vira bientôt à la course, descendant vers les quartiers inférieurs pour enfiler son armure. Chaque geste était précis, automatique, mais ses pensées tournaient à toute vitesse.
Le Normandy partait pour un vol d'essai.
Il venait d'être propulsé en première ligne.
Chapter 9: Frappe
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Eden Prime – 2183
Le Normandy survolait la haute atmosphère, ses moteurs modulant leur régime pour compenser la gravité de la planète.
Dans le sas, Kaidan vérifia une dernière fois l'intégrité de son armure. Il jeta un œil à Shepard, debout près du pupitre de contrôle. Elle paraissait tendue et observait de temps en temps le Turien. Le Lieutenant eu le sentiment que le Commandant en second, cette femme à la voix ferme et assurée, devait faire ses preuves face à Nihlus.
— Ordres du capitaine Anderson : on descend, on récupère la balise prothéenne, on remonte. Priorité absolue à l'objectif, pas de détour.
Jenkins acquiesça avec enthousiasme, le regard brillant. Kaidan, lui, se contenta d'un hochement de tête. L'adrénaline le gagnait aussi, mais il savait que cette impatience s'émoussait vite face au terrain.
— Vous ne nous accompagnez pas ? demanda le Lieutenant au Turien.
Un bip discret signala l'ouverture du canal. La voix du Spectre, grave et posée, résonna dans leurs casques :
— Je travaille mieux en solo. Je pars en éclaireur, je vous guide par intercom. En dehors de ça, silence radio.
Le sas s'ouvrit dans un souffle. L'air d'Éden Prime entra dans leurs filtres : pur, légèrement humide, avec un parfum végétal discret. Le sol absorba le poids de leurs bottes, recouvert d'herbe courte et de terre sombre encore marquée par la rosée.
Éden Prime n'avait pas usurpé son nom. Le paysage était idyllique, si on oubliait la transmission reçue sur le Normandy et les bruits de tirs au loin.
Kaidan ajusta sa position, balayant le secteur d'un regard attentif. Son radar affichaient des anomalies diffuses, sans menace immédiate.
Le spectre Turien avait pris de l'avance au pas de course. Rapide, discret. Il n'était plus en vue. De leur coté, Shepard avançait en tête, Jenkins sur ses talons, Kaidan en couverture arrière, attentif. Le chemin se resserrait entre deux crêtes, forçant l'équipe à ralentir. Le vent s'engouffrait par rafales, couchant les herbes hautes sur le flanc des collines.
Dans le canal, la voix profonde de Nihlus resta brève :
— Secteur dégagé. Continuez droit devant.
Shepard leva le poing, signe d'arrêt. Elle scruta la crête à gauche, ses yeux cherchant la moindre silhouette. Rien.
— Jenkins, passez devant. On garde le rythme.
Le caporal hocha la tête et s'exécuta, arme levée. Ses bottes écrasaient la végétation dans un bruit étouffé. Il semblait tendu, mais décidé.
Un sifflement sec fendit l'air.
La rafale suivante apporta un grésillement, puis l'odeur âcre d'isolant brûlé.
Kaidan pivota, cherchant l'origine, mais le tir suivant vint d'en face. Une silhouette métallique surgit d'un renfoncement rocheux : drone d'assaut, blindage blanc, optiques bleutées.
— Contact ! cria Jenkins.
Il tira avant même de se mettre à couvert, les éclairs de son fusil illuminant les environs. Le drone riposta avec une précision mécanique.
Un impact éclata contre la plaque pectorale de Jenkins, faisant sauter son bouclier cinétique et le projetant en arrière. Un autre impact atteignit sa tête. Il tomba lourdement sur le flanc, son arme glissant hors de portée.
— Jenkins ! lança Kaidan en se précipitant vers lui.
Shepard couvrit l'angle, abattant le drone d'une surcharge biotique. Il s'effondra dans un grincement, puis le silence. Le souffle de Kaidan se fit plus court alors qu'il atteignait son coéquipier.
Le caporal gisait sur le dos, la visière de son casque fêlée. Ses yeux vides étaient rivés au ciel. L'écran médical de son armure clignotait en rouge, sans rythme vital.
Il baissa les yeux une seconde, l'armure de Jenkins encore tiède sous ses gants. C'était rapide, propre, définitif. La voix ferme de Shepard le ramena à la réalité de leur situation.
— On n'a pas le temps. Il faut avancer.
Kaidan resta figé une seconde, le regard sur le visage inerte. Il ferma les yeux du jeune homme par réflexe, avant de se relever, l'arme à la main.
— Reçu, Commandant.
Shepard reprit la marche sans se retourner, et le lieutenant lui emboîta le pas, la tension nouée dans sa poitrine.
Le sentier s'élargissait à nouveau, bordé de pans rocheux éclatés par des tirs récents. Au détour d'un amas de débris, une rafale de coups de feu déchira le silence. Shepard leva immédiatement le poing, les forçant à se plaquer contre un pan de roche.
Une silhouette surgit entre deux blocs, poursuivie par un essaim de drones. L'armure blanche, couverte de poussière, portait encore les marques noircies d'impacts récents. Les boucliers vacillaient à chaque tir. La soldate glissa derrière un rocher, les drones pivotant déjà pour l'encercler.
— Couverture ! ordonna Shepard.
Kaidan réagit avant même d'y penser, levant une barrière biotique. Le crépitement bleu enveloppa la pierre et les tirs ricochèrent en pluie d'étincelles. Shepard, accroupie, visa dans l'angle et abattit deux des machines. La dernière explosa sous un tir précis du Lieutenant.
Le silence retomba aussi vite qu'il était venu.
La soldate releva la tête, à bout de souffle. Quelque chose dans son regard alerta Kaidan. De la terreur.
— Maître-artilleur Ashley Williams, 212ème, rapporta-t-elle, la voix encore haletante.
— Commandant Shepard, Alliance. Voici le lieutenant Alenko.
Williams jeta un regard vers eux, mélange de méfiance et de soulagement.
— Vous tombez bien. Les Geths tiennent tout le secteur. Ce qu'ils font aux colons...
Shepard reprit aussitôt la marche, d'un geste pour les faire avancer.
— Des Geths ?
Ashley hocha la tête, se mit à leur hauteur.
— On a vu un vaisseau énorme se poser près de la balise, avant que tout parte en vrille. Les Geths capturent les colons pour les empaler sur des sortes de... piques mécaniques. Ça les change. Ils bougent encore, mais... c'est plus eux.
Kaidan jeta un regard rapide à Shepard. Son visage restait impassible.
— Localisation de la balise ? demanda-t-elle simplement.
— Le site de fouille est juste après ce promontoire. Mais je ne sais pas si elle est encore là.
— Alors on y va.
Le promontoire franchi, la vue s'ouvrit sur un plateau éventré. Là où Kaidan s'attendait à trouver un site de fouille ordonné, il ne restait qu'un champ de ruines. Les pylônes d'ancrage étaient toujours plantés dans le sol, tordus, reliés par des câbles sectionnés. Des caisses de matériel éventrées jonchaient le sol, mélangées à des fragments de blindage noircis.
— C'était là, dit-elle en désignant une plateforme éventrée au centre. Les pylônes d'ancrage sont encore debout... Elle a disparu.
Ashley s'arrêta à quelques pas, le souffle court.
— La balise était fixée au centre de la plateforme.
Kaidan se baissa, activant son omnitool. Le faisceau orange balaya le sol, renvoyant des données incomplètes. Aucune signature énergétique prothéenne. Rien qui ressemble à ce qu'ils étaient venus chercher.
— Pas de trace. On dirait qu'elle a été déplacée, dit-il.
Ashley secoua la tête.
— Par qui ? Les Geths ? Ou... nos gars ?
Shepard ne répondit pas. Son regard balayait lentement les alentours, comme si elle cherchait à capter un son lointain.
Le canal grésilla dans leurs casques. Nihlus.
— J'ai repéré un petit spatioport à l'est, juste au-delà de votre position. Si la balise a bougé, c'est sûrement là-bas. J'y vais en premier.
— Reçu, on vous rejoint, répondit Shepard.
Elle se tourna vers eux.
— Direction le spatioport. Formation serrée.
Kaidan jeta un dernier coup d'œil à la plateforme vide. L'absence de la balise n'était pas qu'un contretemps : c'était une énorme complication.
Un tir au loin les força à accélérer la cadence. Nihlus ne répondait pas aux appels par intercom. Puis, un grondement se fit entendre. Lourd, d'abord indistinct, qui se mua en vibration profonde jusque dans le sol.
Kaidan leva les yeux en même temps que les autres. Une masse sombre fendait la couverture nuageuse. Ce n'était pas un transporteur, ni même un croiseur d'assaut. La silhouette ovale semblait presque organique, hérissée de longues excroissances articulées qui se déployaient comme les membres d'une créature abyssale. Sa taille seule défiait la logique : aucun vaisseau de cette masse ne devrait pouvoir se poser... ou décoller d'une planète.
Le rugissement devint un cri prolongé, saturé d'harmoniques qui résonnaient à l'intérieur du crâne plus qu'ils ne frappaient les tympans. Kaidan sentit un frisson glacé remonter le long de sa colonne vertébrale.
— C'est quoi, ce bordel...? souffla-t-il, plus pour lui-même que pour obtenir une réponse.
Personne ne répondit. Tous restaient figés à suivre des yeux la silhouette qui s'élevait lentement, comme arrachée au sol, avant de disparaître dans les nuages, laissant un silence saturé d'électricité.
— On bouge, trancha Shepard.
Le quai du spatioport apparut derrière un rideau de fumée. Kaidan repéra une silhouette effondrée à quelques mètres des caisses de chargement. Armure sombre, marquages tribaux sur la face et une mare de sang bleu étalée sur la dalle.
— Nihlus...
Ils se précipitèrent. Le corps gisait sur le dos, un trou noirci au centre du casque. Son fusil était toujours dans ses mains, la sécurité verrouillée. Pas de signe de lutte.
— Ce n'est pas un tir à distance... murmura Kaidan. Il n'a même pas eu le temps de riposter.
Un mouvement attira son attention. Entre deux caisses, un homme apparut, mains levées, le visage creusé par la peur et couvert de poussière.
— Ne... ne tirez pas ! bredouilla-t-il.
Shepard l'aligna d'un geste, l'arme stable.
— Ton nom.
— Po.. Powell ! J'ai vu l'autre Turien ! Il a abattu votre ami. Ils se connaissaient. Il l'a appelé Saren. Dès qu'il a baissé sa garde... il lui a tiré dans la tête.
Il désigna les quais d'un geste tremblant.
— Ils sont partis par là, avec la balise.
Shepard baissa son arme, mais son ton resta tranchant.
— Trouvez un abri et restez-y.
Powell s'éclipsa, disparaissant dans les ruelles du spatioport.
Ils n'avaient parcouru qu'une vingtaine de mètres le long du quai lorsqu'un son les figea.
Un cri. Pas humain. Quelque chose d'électronique et distordu. Ashley s'était tendue à ses côtés.
Des silhouettes émergèrent de la fumée. La peau, grise et craquelée, tendue sur les os. Les orbites creusées, traversées d'une lueur bleue qui pulsait lentement. Des câbles et des plaques métalliques incrustés dans la chair, courant le long des bras, du crâne et des jambes. Les bouches ouvertes semblaient figées dans un rictus de douleur permanente.
— Contact ! lança Kaidan.
Il projeta une barrière biotique devant eux. Shepard se plaça à sa gauche et tendit la main. Il vit des étincelles parcourir ses avant bras, puis elle ferma le poing. Les créatures se déchirèrent en un clin d'œil avant de s'effondrer, inertes.
— Bon sang...souffla Ashley.
Trois autres débouchèrent du brouillard. Shepard tira à nouveau, visa les points faibles et en abattit deux. Le dernier fut repoussé contre un mur par une projection biotique de Kaidan, son corps se brisant contre l'angle.
Le Commandant ne ralentit pas, elle s'avançait rapidement d'abri en abri. Ashley et Kaidan tentaient de tenir le rythme qu'elle imposait.
Ils franchirent le quai, traversant une enfilade de containers éventrés. Devant eux, faisceaux lumineux trahissaient une résistance Geth.
Les éclairs d'énergie se rapprochaient.
Kaidan aperçut les silhouettes hautes et élancées qui se détachaient dans la brume. Blindage blanc, une unique optique circulaire brillant d'un bleu glacé au centre de ce qui leur tenait lieu de visage. Des Geths. Les premiers qu'il voyait en vrai.
Leur visée était chirurgicale. Chaque rafale frappait avec précision, forçant le trio à se coller derrière un container. Les impacts résonnaient contre le métal dans une pluie d'étincelles.
— Flanc gauche, j'en vois deux, cria Ashley.
— Je m'en occupe.
Kaidan leva la main. Une onde de surcharge partit en arc, enveloppant le premier Geth dans un craquement violent. Ses circuits éclatèrent et il s'effondra comme une marionnette à qui on avait coupé les fils. Le second recula, ripostant, mais Ashley avait déjà contourné par le côté et vida son chargeur sur lui.
— Encore trois à douze heures, annonça Shepard.
Elle se redressa brusquement, ses mains luisant d'une énergie bleutée. Elle se projeta vers eux dans un éclair, son corps filant comme une charge cinétique vivante. L'impact fit voler le premier ennemi, son armure arrachée net. Sans ralentir, elle acheva le second d'un tir à bout portant, puis dégaina son omnilame pour transpercer le troisième, qui s'effondra dans un bruit synthétique sourd. Ashley et Kaidan n'avaient pas eu le temps de décocher une seule balle.
— Bordel, lâcha-t'il, impressionné.
Le silence retomba, troublé seulement par le crépitement des circuits endommagés. Shepard épousseta son armure puis désigna quelque chose du doigt.
Au centre de la plateforme, elle les attendait. La balise prothéenne.
Haute, élancée, d'un gris luisant, recouverte de stries lumineuses verdâtres qui pulsaient comme un cœur artificiel.
— C'est la balise ? demanda Shepard.
— Oui, confirma Ashley, mais... elle ne faisait pas ça avant.Quelque chose a dû l'activer.
Shepard activa son intercom.
— Site sécurisé. La balise est intacte. Préparez l'extraction. Alenko, analysez-moi ça..
Kaidan s'approcha en activant son omnitool pour la scanner. Les relevés affichaient des données instables, saturées d'une énergie inconnue. Chaque pulsation lumineuse semblait se caler sur un rythme qui n'avait rien de naturel.
Puis, la lumière s'intensifia.
La douleur le frappa de plein fouet.
Pas comme une migraine.
Pire.
Plus profonde, insidieuse. Une vrille brûlante plantée dans son crâne lui arracha un cri qu'il ne reconnu pas. Il fut incapable de le réprimer, malgré son habitude à serrer les dents. Ses pieds quittèrent lentement le sol. La balise l'attirait, chaque battement lumineux tirant un morceau de lui vers son noyau.
Il allait mourir ici.
Ses pensées se tournaient vers Jenkins. Nihlus. Les colons transformés en zombies. Est-ce qu'il aurait la même expression de terreur figée à jamais sur son visage ?
Une ombre passa dans son champ de vision. L'impact le cueillit de plein fouet, coupant net le fil invisible qui l'aspirait. L'air percuta ses poumons, le firent tousser. C'est en ouvrant les yeux qu'il réalisa que ce poids qui l'avait projeté hors du champ était Shepard. Il la vit suspendue dans les airs, figée, les bras écartés face à la balise qui semblait vouloir la dévorer.
— Shepard ! hurla Kaidan, se redressant.
Ashley l'agrippa par l'épaule.
— Non Lieutenant ! Vous allez y rester !
La lumière atteignit un paroxysme aveuglant. Une explosion projeta le Commandant au sol, inconsciente.
Kaidan se précipita vers elle, ouvrit sa visière. Elle respirait, mais faiblement.
— Shepard !
— Extraction ! Hurla Ashley.
Il prit Shepard dans ses bras, son poids amplifié par l'armure. Ses muscles protestèrent mais il ignora la douleur.
Ils franchirent la passerelle au pas de course, les bottes claquant sur le métal trempé de condensation. Les volutes de fumée du spatioport se dissolvaient dans l'air plus clair de la colline, mais l'odeur âcre des circuits brûlés restait accrochée à leurs armures. Le Normandy les attendait, ventre ouvert, prêt à les avaler hors de ce cauchemar.
Il n'osait pas penser à la portée de ce qu'ils venaient de perdre : La balise était détruite. Un spectre du Conseil, mort. Avec lui l'avenir politique de l'humanité. Et Jenkins... son enthousiasme débordant avait pris fin avec une brutalité froide.
En conduisant Shepard à l'infirmerie, il ne pensait qu'à une chose :
Elle respire. Elle respire encore.
Chapter 10: Rémanences
Chapter Text
Normandy, 2183
Kaidan se rongeait les sangs dans l'infirmerie. Quinze heures durant lesquelles il avait refusé de quitter sa chaise malgré l'insistance de Chakwas. Elle avait fini par l'installer sur sa propre chaise de bureau, plus confortable, et l'avait forcé à manger quelque chose pendant qu'il veillait sur Shepard.
Il regardait le visage du commandant, calme, paraissant dormir d'un sommeil profond. Il avait eu le temps de se pencher sur ses traits. Des pommettes hautes, une mâchoire affirmée, des lèvres pleines qui ne semblaient jamais s'étirer sur un sourire. Des mèches d'un brun rougeoyant tombaient sur son front. Un trait de crayon noir soulignait ses paupières, accentuant l'éclat changeant de ses yeux, entre le vert et le gris, et cette franchise dure comme l'acier. Endormie sur la table de l'infirmerie, le souffle régulier, elle paraissait beaucoup moins impressionnante.
Kaidan appuya ses coudes sur ses genoux, mettant sa tête entre ses mains en poussant un soupir interminable. L'odeur de médigel piquait ses narines. Il revoyait la lumière verte de la balise, l'instant où il avait senti ses propres barrières se fissurer, et le choc de son corps projeté au sol. Puis la silhouette de Shepard, suspendue dans la lumière, avant de s'effondrer.
C'était lui qui aurait dû être sur cette table.
Le léger froissement d'un drap le tira de ses pensées. Elle remua légèrement, sa respiration changeant de rythme. Ses paupières battirent plusieurs fois avant de s'ouvrir.
Sa main chercha à tâtons la rambarde de la civière.
— Commandant ? demanda-t-il, en se redressant.
Elle cligna des yeux, passant sa main sur son visage, comme pour remettre de l'ordre dans ses pensées.
— Kaidan... combien de temps ?
Il marqua un arrêt lorsqu'il entendit son prénom dans la bouche de Shepard. C'était inhabituel sur un vaisseau militaire. Il hésita.
— Quinze heures. Vous ... nous avez donné quelques sueurs froides.
— Vous êtes resté tout ce temps ?
— Oui.
— Pourquoi ? demanda-t'elle.
— Parce que... c'était moi qui aurais dû être là, pas vous. J'ai été imprudent. J'ai dû activer une protection en approchant trop près de la balise.
Le docteur Chakwas les rejoignit, un scanner à la main.
— Commandant, comment vous sentez-vous ? J'ai détecté des ondes cérébrales inhabituelles pendant votre sommeil. Vous avez rêvé ?
Shepard inspira lentement, ses yeux se perdant un instant vers le plafond.
— Des cauchemars plutôt. Flous. Comme si quelqu'un avait projeté des souvenirs dans ma tête, mais sans ordre... Juste... la mort, la destruction... et quelque chose d'ancien.
Kaidan fronça les sourcils. Ce qu'elle disait avait une gravité que même lui avait du mal à formuler.
Chakwas observa l'écran de son scanner, vérifia les relevés.
— Paramètres stables. Vous êtes bonne pour le service, Commandant. Mais allez-y doucement.
Shepard ignora la dernière consigne en glissant ses jambes hors de la table médicale. Elle prit appui pour se lever. Kaidan hésita, puis se risqua :
— Vous utilisez la charge, c'est ça ?
Un bref éclat de malice traversa les yeux verts de la jeune femme.
— Entre autres. Pourquoi ?
— C'est juste que... je surpasse la plupart des L3 que je croise. Mais pas vous.
Elle haussa un sourcil, amusée. En fin de compte, elle savait sourire.
— Alors ça veut dire que vous avez enfin trouvé quelqu'un qui vous donne du fil à retordre, Lieutenant.
Anderson apparut dans l'embrasure de la porte. Il jeta un œil inquiet à son Commandant en second.
— Shepard ? Comment vous vous sentez ?
— Comme neuve. J'avais pas fait une telle sieste depuis longtemps.
Le Capitaine ne parut pas se formaliser de la légèreté avec laquelle Shepard lui répondait. Il semblait familier avec son approche. La Commandante emboîta le pas du vétéran.
Un poids quitta la poitrine de Kaidan, sans effacer la culpabilité qui lui serrait encore le ventre. Cette femme revenait d'un choc qui aurait mis n'importe qui à terre, et pourtant... elle avançait, comme si tomber n'avait jamais été une option.
Quand ils disparurent dans le couloir, il adressa un signe de tête à Chakwas puis se dirigea vers le mess. Dans les coursives, le ronronnement du vaisseau lui parut presque apaisant. Il se laissa guider vers le mess. Ashley s'y trouvait, en simple tenue militaire.
— Williams, dit-il en prenant place face à elle.
Elle releva la tête, esquissa un sourire timide.
— Merci d'avoir parlé de moi au Capitaine Anderson. Grâce à votre recommandation, je suis affectée au Normandy.
— Vous l'avez mérité. Vous êtes un soldat efficace dans l'action.
Ashley secoua la tête, comme si elle avait encore du mal à y croire.
— Je me demande encore ce que fichaient les Geths sur Eden Prime. Ils avaient disparu derrière le Voile de Persée depuis quoi ? Trois siècles ?
— Depuis leur guerre contre les Quariens, oui, confirma Kaidan.
Elle fit tourner sa tasse entre ses mains, hésitante.
— J'ai déjà perdu des coéquipiers en mission. Mais jamais toute mon unité. C'est dur... Et je crois que pour l'équipage du Normandy, perdre Jenkins a porté un coup au moral également.
Kaidan hocha la tête, un souvenir précis lui revenant en posant ses yeux sur le four du mess : Jenkins, hilare, en train de se plaindre des rations au point de suggérer d'ajouter de la pâte thermique pour plus de piquant.
— Il avait un enthousiasme impossible à éteindre. Même sur le terrain.
Ashley ne répondit pas, mais lui adressa un signe de tête compatissant.
Des pas approchèrent. Shepard vint s'asseoir avec eux avec un naturel désarmant. Elle adressa un signe à la soldate.
— Williams, je suis ravie que vous ayez accepté l'invitation d'Anderson, en dépit des circonstances.
— Merci chef. Ravie aussi.
La commandante se tourna ensuite vers Kaidan, paraissant légèrement soucieuse.
— Et vous, Kaidan ? Comment vous tenez le coup ?
Il eut une fraction de seconde d'hésitation.
— Ça ira.
— Bien. On a déjà perdu un des nôtres, je ne veux pas en perdre un autre.
Elle se releva de sa chaise.
— Rassemblement dans le cockpit si vous ne voulez pas louper le spectacle. Nous arrivons à la Citadelle dans quelques minutes.
Ils quittèrent le mess ensemble, longeant le couloir métallique où résonnaient les vibrations constantes du moteur SLM. À mesure qu'ils approchaient du cockpit, la lumière artificielle se teintait d'un bleu plus froid, reflet du vide spatial qui les attendait derrière les vitres blindées.
Joker les accueillit sans lever les yeux de ses commandes.
—Ah, voilà mes spectateurs préférés, fit Joker sans se retourner, ses doigts dansant sur les touches. Approchez... et gardez la mâchoire fermée, je ne nettoie pas les traces de bave.
Nichée dans la Nébuleuse du Serpent, la Citadelle se déployait face à eux, chef-d'œuvre d'ingénierie suspendu dans le vide. Cinq bras colossaux s'ouvraient autour d'un anneau central de sept kilomètres de diamètre, d'où s'élevait la tour du Conseil,fine et éclatante. Les façades métalliques renvoyaient les reflets dorés du trafic spatial, tissant dans le noir une toile mouvante d'éclats et de lumière. Autour du spatioport, le ballet ordonné de centaines d'appareils croisait la silhouette austère de bâtiments militaires dont la technologie dépassait de loin celle de l'humanité.
Kaidan sentit le cockpit s'emplir d'une lueur plus vive, celle de la géante bleue au loin. L'échelle monumentale de la station lui donna le vertige, comme si le Normandy n'était plus qu'un éclat de poussière approchant une forteresse céleste.
Ashley resta bouche bée devant un énorme cuirassé Asari dont le canon principal paraissait vouloir dévorer tout le reste. Son blindage fuselé ne laissait aucune place au doute sur son identification. Le Destiny Ascension.
— Il est gigantesque ! s'exclama Williams. Regardez-moi la taille de ce vaisseau !
—C'est pas la taille qui compte, lança Joker avec un sourire en coin.
Ashley arqua un sourcil.
— Ça sent le vécu, Joker.
Il haussa les épaules, faussement vexé.
— Hé ! J'ai vu des cargos trois fois plus gros se faire démonter par des frégates bien armées. Sans puissance de feu, la taille, c'est juste pour frimer.
— Ou pour compenser un truc, répliqua Ashley.
Kaidan eut un bref rire, secouant la tête.
— Laissez le Destiny Ascension en dehors de vos concours de calibre... il a sa dignité.
La tension des dernières heures était retombée. Ces piques légères valaient mieux que n'importe quel discours : elles rappelaient à l'équipage qu'ils étaient encore vivants. Son regard dériva sur Shepard. Elle écoutait tout et avait esquissé un sourire. Mais ses yeux, rivés à la Citadelle, scrutaient la station comme on évalue un nouveau champ de bataille.
Chapter 11: Fumée
Chapter Text
Citadelle, présidium– 2183
Le chemin vers l'ambassade humaine serpentait au cœur du Présidium.
Kaidan avait vu des holos. Il avait lu les descriptifs officiels. Mais rien ne l'avait préparé à ça.
Un ciel d'un bleu limpide s'étendait au-dessus d'eux, et même Ashley, pourtant plus à l'aise sur le terrain que dans un décor diplomatique, leva les yeux comme pour s'assurer qu'il n'était pas réel. Ce n'était qu'une projection, il le savait, mais si bien conçue qu'on aurait pu sentir la chaleur d'un vrai soleil. Au loin, le halo du crépuscule programmé baignait les façades d'une lumière dorée.
Les allées étaient bordées d'une végétation qui n'existait qu'ici : des palmiers bleutés de Thessia côtoyaient des érables terriens et de longues lianes luminescentes de Palaven au parfum sucré. Entre les bâtiments, des canaux artificiels glissaient sur des dalles lisses, franchissaient des passerelles, puis disparaissaient dans des bassins où Kaidan crut apercevoir l'ombre argentée d'un poisson.
Tout respirait la prospérité et la stabilité. La paix.
Un mensonge bien entretenu. Ici, derrière les murs polis et les jardins parfumés, une poignée d'individus pouvait, dans une simple conversation, faire et défaire des mondes entiers.
Udina marchait en tête, costume impeccable, cheveux d'un gris uniforme. Quelque chose dans son regard restait insaisissable, comme s'il jaugeait chaque rencontre pour en mesurer le danger. Derrière, Anderson et Shepard suivaient de près.
Kaidan observa la démarche de sa supérieure : assurance naturelle, pas régulier. Son regard se laissa happer par le mouvement mesuré de ses hanches. Une seconde de trop. Il essaya de se concentrer en reportant son attention sur ses mains jointes dans son dos. Elles n'étaient pas immobiles : les doigts de Shepard se pressaient, se détendaient, puis reprenaient leur position comme si rien n'avait bougé. Un geste discret, imperceptible.
Elle était nerveuse.
Ils arrivèrent devant l'ascenseur qui menait au sommet de la tour du Conseil. Un cylindre de verre suspendu au-dessus du vide. Le sol vibra légèrement sous leurs pieds quand les portes se refermèrent, isolant le petit groupe du brouhaha du Présidium.
La cabine s'éleva sans un bruit. Kaidan posa un regard furtif sur Shepard : profil figé, mâchoire serrée, yeux rivés sur le panorama. Ses iris verts dérivèrent dans sa direction, accrochant les siens. Il baissa aussitôt le regard, tâchant de garder un air neutre.
Le sommet de la tour s'ouvrit sur un amphithéâtre circulaire, ouvert au vide, dominé par trois sièges massifs occupés par les trois espèces les plus anciennes et respectées de la Citadelle : l'Asari Tevos, le Turien Sparatus et le Salarien Valern. Chacun se tenait immobile et observait les humains qui s'approchaient. Leur silence avait le poids d'un jugement déjà rendu.
Kaidan et Ashley restèrent en arrière tandis que Shepard et Anderson s'avançaient vers le centre. Quand l'hologramme de Saren apparut sur la droite, Kaidan donna un discret coup de coude à la soldate en le désignant du menton. Elle serra les poings, les jointures blanchissant sous la tension.
Pendant que Shepard exposait la situation sur Eden Prime, il observa Saren.
Le Turien, vétéran parmi les spectres, portait une armure bleu-gris, ses plaques crâniennes partiellement recouvertes d'une capuche blindée. Ses yeux d'un bleu froid fixaient Shepard comme un insecte qu'il fallait écraser.
Kaidan connaissait sa réputation : engagé dans l'armée à quinze ans, Spectre à vingt-quatre, le plus jeune de l'histoire turienne. Intelligence redoutable, efficacité impitoyable, mépris affiché pour l'humanité depuis la perte supposée de son frère lors de la Guerre du Premier Contact. Il avait deux principes : ne jamais tuer sans raison... et toujours trouver une raison.
L'éclat de voix du Commandant le tira de son analyse :
— Saren a tué Nihlus et supervisé le vol de la balise prothéenne sur Eden Prime !
Saren ne cilla pas. Ses mandibules frémirent à peine. Il se tourna lentement vers Anderson. Un mouvement mesuré et calculé.
— Intéressant... chaque fois que je suis accusé de quelque chose, vous êtes dans les parages, capitaine.
Ses mots tombèrent comme une lame. Le Spectre coupa la transmission, laissant un silence lourd dans l'air.
Kaidan sentit un froid remonter le long de sa colonne, comme si la pièce venait de perdre quelques degrés.
Il observa Anderson. Ce coup l'avait atteint, même s'il ne laissait rien paraître. Il ignorait ce qui les liait, mais ce n'était pas anodin.
Tevos s'avança légèrement dans son siège, le regard posé sur Shepard qui semblait bouillir intérieurement.
— Ambassadeur, vous comprenez que nous ne pouvons pas révoquer l'autorité d'un Spectre sans preuves. Saren travaille pour le Conseil depuis des années et nous lui faisons confiance. Cependant, la mort de Nihlus justifie l'ouverture d'une enquête. L'agent Harkin du C-Sec est chargé du dossier.
Les autres conseillers se levèrent.
— L'audience est ajournée, déclara Valen. Ne revenez pas sans preuve réelle de vos accusations. Ou nous trouverons un nouvel ambassadeur pour votre espèce.
Ses yeux globuleux s'attardèrent sur Udina, le toisant de haut en bas, avec ce petit ralentissement dans le geste qui ne devait rien au hasard, puis ils quittèrent la salle.
Shepard tapa du poing sur la rambarde face au vide. Elle était furieuse.
Udina se tourna vers Anderson avec un calme étudié.
— Je transfère l'autorité du Normandy au Commandant Shepard.
— Attendez ? Shepard se tourna vers les deux hommes, incrédule. Il en est hors de question ! Le Normandy est au Capitaine Anderson !
Anderson hocha la tête, malgré l'humiliation.
—Commandant, Udina a raison. J'ai un passif avec Saren. Toute preuve que je trouverai sera immédiatement réfutée. Vous êtes la mieux placée pour mener l'enquête.
Ashley fit un pas vers le groupe mais Kaidan posa sa main sur son épaule. Il fallait leur laisser régler ça entre eux. La soldate croisa les bras en soufflant :
— Voilà pourquoi je déteste les politicards.
Shepard fit quelques pas, tournant en rond devant Udina. Elle écarta une mèche tombée devant ses yeux, devenus aussi durs que l'acier, puis croisa les bras. Elle s'était arrêtée devant l'Ambassadeur. Ce dernier s'affaissa imperceptiblement. Kaidan nota à quel point il était difficile pour Udina de garder un semblant de contenance devant elle. C'était savoureux.
Elle le laissa mariner quelques secondes. Anderson, derrière eux, affichait un sourire discret. Il semblait apprécier le spectacle à sa juste valeur.
Shepard parla d'une voix basse, profonde et froide.
— Très bien, Ambassadeur. Je prends le Normandy et je mène l'enquête sur Saren. Tant que votre objectif est aligné au mien, nous n'aurons aucun problème. Mais si vos priorités changent en cours de route, je saurai m'en souvenir.
Elle se tourna vers Anderson, et Kaidan capta un sourire et un clin d'œil entre eux qu'Udina ne put voir. C'était bref, complice, presque militaire dans sa discrétion. Shepard venait de lui envoyer un message silencieux : elle comprenait le sacrifice et comptait l'honorer.
Le Lieutenant sentit une chaleur lui remonter dans la poitrine, un mélange de respect et de soulagement. Le Normandy restait entre de bonnes mains, et pas seulement parce qu'elle savait mener un vaisseau — mais parce qu'elle savait aussi quand jouer avec les règles, et quand les briser.
Udina, lui, n'avait rien vu.Il croyait encore tenir les rênes. Kaidan savait déjà que Shepard finirait par les lui arracher... et il devait bien avouer que cette idée lui plaisait.
Citadelle, secteurs.
Le contraste de l'Antre de Choras avec le Présidium ne pouvait pas être plus frappant. Le groupe avait commencé son enquête dans les secteurs, où Harkin passait apparemment tout son temps libre. La musique, lourde et rythmée, martelait les tempes de Kaidan. Chaque pulsation vibrait jusque dans son implant L2, comme si le métal lui-même résonnait à l'unisson des basses. À travers la fumée épaisse, les vapeurs d'alcool et les relents de transpiration, des faisceaux lumineux rouges et violets découpaient les silhouettes des danseuses perchées sur une plateforme au-dessus du bar circulaire. Les flashs stroboscopiques accrochaient ses yeux, laissant une traînée brûlante derrière chaque clignement.
Il entra derrière Shepard et Ashley, scrutant la salle d'un œil machinal, mais il savait déjà que ce genre d'endroit n'avait rien d'un simple bar. Les rires étaient trop appuyés, les sourires trop intéressés. Ici, tout se négociait : de la dernière information volée à la prochaine trahison.
Une Asari au corps gainé de tissu translucide glissa le long d'un poteau, ses yeux cherchant ceux d'un client. Kaidan sentit son regard accrocher l'ondulation de son corps souple avant de se détourner, un peu trop vite.
— Vous voulez que je vous trouve un peu de glace, Lieutenant ?
Ashley l'observait, amusée.
Il sentit l'embarras le gagner, mais il chassa la remarque de sa coéquipière en agitant la main, un sourire en coin.
— Très drôle, Williams.
Il inspira profondément, et tenta de canaliser la douleur qui prenait place dans son crâne. Pas maintenant.
Shepard, elle, fendit la foule jusqu'à une table isolée dans un coin sombre. Harkin était là. L'humain, la cinquantaine mal conservée, était affalé sur une banquette, une bouteille à moitié vide devant lui. Ses yeux brumeux la détaillèrent avec une lenteur moqueuse. Et sale.
— Commandant Shepard... l'héroïne d'Eden Prime en personne. Qu'est-ce que je vous dois ?
— Saren. Je veux tout ce que vous avez.
Il ricana, un son gras qui se perdit dans la musique.
— J'ai rien. Et même si j'avais... c'est pas gratis.
Shepard se pencha légèrement, sa voix assez basse pour que seuls Harkin, Kaidan et Ashley entendent :
— Vous avez deux options. Vous m'aidez... ou je fais en sorte que vos prochains jours ressemblent à un séjour prolongé en cellule de dégrisement.
Le sourire de Harkin s'effaça.
Il se redressa dans son siège, détaillant les trois individus face à lui.
— Ok, ok... Vous devriez parler à Garrus Vakarian, officier C-Sec. Un excité de première. Il croit toujours pouvoir sauver tout le monde. Aux dernières nouvelles, il se rendait au bureau du Docteur Michel.
Shepard recula, hochant la tête, et s'adressa à ses deux coéquipiers.
— Parfait. On le trouve, et vite.
Kaidan se demanda si Garrus savait dans quoi il venait de mettre les pieds.
Chapter 12: Convergences
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Citadelle – 2183
Les secteurs s'étaient enchaînés depuis qu'ils avaient quitté l'Antre de Choras, et le rythme imposé par Shepard ne laissait guère de place à la contemplation. Pourtant, lorsque le couloir s'ouvrit sur une vaste baie panoramique, Kaidan la vit ralentir, puis s'arrêter. Ashley lui jeta un coup d'œil, un sourcil levé. Ils finirent par la rejoindre et se placer à ses côtés.
— Ce n'est plus une station, murmura Shepard. C'est une vraie ville.
— À côté de ça, Point Zéro ressemble à un placard à balai, fit Ashley avec un sourire. Et c'est pourtant la plus grande station de l'Alliance.
Le nom heurta Kaidan comme une gifle. Ses mâchoires se crispèrent. Une pulsation lancinante monta depuis la base de son crâne, gonflant derrière ses tempes. Il inspira lentement, s'accouda à la barrière, cherchant un point fixe au loin pour oublier la douleur.
— Moi qui trouvais Point Zéro imposant... dit-il en forçant un ton neutre. Non mais vous avez vu la taille des secteurs résidentiels ? Comment ils font pour maintenir la cohésion d'une telle masse?
Shepard haussa les épaules, plissant les yeux pour suivre l'étendue d'un des bras de la Citadelle.
— Technologie Prothéenne. C'est incroyable qu'une telle civilisation ait pu s'éteindre... Mais ils ont permis qu'on s'installe ici, avec toutes ces autres espèces.
Elle poursuivit dans un souffle :
— Le Conseil représente un grand nombre de peuples. Je comprends qu'ils soient prudents avec les nouveaux venus.
— Ou alors...ils détestent les humains, répliqua Ashley en renouant ses cheveux derrière la nuque d'un air détaché.
— Nous avons des océans, de belles femmes... et cette émotion prisée nommée « amour ». D'après les vieux holos, nous avons tout ce qu'ils veulent, s'amusa Shepard.
Kaidan, perdu dans sa contemplation, acquiesça :
— Vu comme ça, il n'y a en effet aucune raison qu'ils ne vous aiment pas.
Merde.
Il se redressa, serrant ses mains contre la rambarde, et bafouilla :
— Nous. Je veux dire les humains. Euh... chef.
Ashley le regardait déjà d'un air moqueur.
— Vous ne prenez pas beaucoup de permissions, hein Lieutenant ?
Kaidan détourna le regard. La migraine, toujours présente, rendait le bourdonnement métallique des ventilations presque insupportable. Il chercha une réplique, mais rien ne vint qui ne trahirait pas son embarras.
Shepard prit la parole avant qu'il ne s'enfonce davantage.
— Très bien, riez, Artilleur. J'apprécie, Alenko, mais nous sommes en service ici.
Elle avait repris son masque de commandante, mais Kaidan surprit un mince sourire avant qu'il ne disparaisse. Il sentit un poids s'alléger dans sa poitrine : elle avait entendu, et peut-être même apprécié plus qu'elle ne le laisserait paraître.
Ils quittèrent la baie d'observation, l'éclat de la station encore en tête.
Le couloir se referma autour d'eux, les hautes parois laissant place à un plafond plus bas, des murs ternis par les passages répétés. La lumière y était moins pure, tirant vers un jaune fatigué. Les voix des passants, l'odeur de nourriture synthétique et le bruit du trafic aérien au loin formaient un mélange dense qui collait à la gorge.
Kaidan suivait, un pas derrière Shepard. La migraine s'était installée pour de bon. Une pression constante derrière l'œil droit, comme si son implant L2 vibrait au rythme des pulsations de son sang. Il savait que c'était en grande partie dans sa tête, ou plutôt à cause d'elle, mais ça rendait chaque détail un peu flou, chaque bruit légèrement décalé.
Ils descendirent un escalier aux marches usées. Les panneaux de signalisation en asari et en turien clignotaient de manière asynchrone. Plus ils approchaient des niveaux moyens, plus la foule se faisait pressante. Shepard fendait le flot avec l'efficacité d'une patrouille en terrain urbain. Ashley restait à son flanc.
Une enseigne holographique finit par apparaître à travers le flux de passants : Cabinet médical – Dr Michel.
La porte était à moitié entrouverte, la lumière intérieure vacillante.
— Ce n'est pas bon signe, murmura Shepard.
Elle jeta un regard à Kaidan et à Ashley, qui se placèrent en couverture de part et d'autre de la porte. Shepard entra la première.
À l'intérieur, le désordre était manifeste : un brancard renversé, des caisses de matériel médical ouvertes, et au fond, des silhouettes.
Le Dr Michel, coincée contre le mur, faisait face à deux hommes en armure légère, fusils levés. Des humains, mais pas des civils :armures noircies par l'usage, peintures rouges et noires, démarche assurée. Des mercenaires, de toute évidence.
— Lâchez vos armes, ordonna Shepard.
L'un pivota vers elle. Kaidan leva la main pour lancer une projection biotique... mais la douleur dans son crâne lui vola une fraction de seconde. L'onde jaillit trop tard : l'homme reculait déjà, vacillant seulement au lieu d'être plaqué au sol.
Le second leva son arme vers Shepard. Elle tira avant même qu'il ne vise, envoyant son fusil heurter la cloison.
Un coup sec retentit. Le premier homme, en pleine retraite vers la sortie, s'effondra, une balle logée dans le crâne.
Kaidan se retourna.
Un turien venait d'entrer par la porte latérale. Armure cobalt marquée d'impacts anciens, peinture tribale bleue barrant son visage, viseur fixé sur l'œil gauche. Dans ses mains, un fusil de précision encore fumant.
— Tir propre, rapide, dit-il à Shepard en hochant la tête. Sa voix, bi-tonale, était profonde et grave. Plutôt agréable à entendre.
Le Turien se déplaça vers le Dr Michel, l'aidant à se redresser. Puis, il observa le groupe.
— J'en conclus que vous n'êtes pas avec les hommes de Fist ?
— Fist ? Demanda Shepard. Non, nous sommes de l'Alliance. Je suis le Commandant Shepard, et voici le Lieutenant Alenko et le Maître artilleur Williams.
Kaidan sentit Ashley se tendre imperceptiblement à coté de lui. Elle observait le Turien avec une méfiance contenue.
— Garrus Vakarian, C-Sec, répondit-il en s'accroupissant près d'un mercenaire pour fouiller une de ses poches. Et ça... c'est un homme de Fist. Il jeta au pied du commando un badge noir orné d'une gravure dorée clinquante avec la lettre F.
Pendant que Kaidan examinait le badge, Shepard se dirigea vers la doctoresse, encore terrifiée, pour lui poser quelques questions, pendant que Garrus observait d'un coin de l'œil le Lieutenant.
Pas de reproche, mais l'impression d'être évalué suffit à resserrer un peu plus sa mâchoire. Il n'avait pas besoin que l'agent du C-Sec fasse un commentaire : il savait qu'il avait été lent. Et il détestait ça.
Ashley s'affairait déjà à aider Michel à rassembler ses affaires. Shepard s'agenouilla près du médecin.
— Qu'est-ce qui s'est passé ?
— Ce n'est pas moi qu'ils voulaient, Commandant. C'est une jeune Quarienne... Elle est venue me voir hier, blessée. Elle voulait contacter le Courtier de l'Ombre pour vendre une information sur Saren.
Kaidan sentit un frisson glacé remonter sa nuque.
— Et vous l'avez envoyée vers qui ?
— Fist. L'intermédiaire habituel. Je ne savais pas qu'il avait retourné sa veste. Il travaille désormais pour Saren.
Garrus se tourna vers Shepard et hocha lentement la tête.
— Michel m'a prévenu. Ces deux-là voulaient éliminer tout témoin. Si on veut sauver la Quarienne, il faut bouger maintenant.
— Où est Fist ? demanda Shepard.
— Secteur 94. Un entrepôt de transit désaffecté, officiellement fermé. Parfait pour un piège.
Shepard se redressa.
— On ne lui laisse pas le temps de refermer la nasse. Vérifiez vos armes, on décolle immédiatement.
Secteur 94 – Entrepôt
Leur descente vers les secteurs inférieurs les plongea dans une lumière terne, filtrée par des grilles poussiéreuses. Des passerelles métalliques se croisaient au-dessus d'un vide noir. Garrus marchait en tête, viseur abaissé sur son œil gauche.
— L'entrepôt est au bout. Il y a toujours du monde dans les hauteurs, alors restez couverts.
Une forme massive se postait à la porte de l'entrepôt.
Pas un gardien.
Il cherchait visiblement à pénétrer dans la zone. En approchant, Kaidan retint son souffle tant l'individu était... colossal.
Un Krogan.
Armure lourde, fusil à pompe Carniflex, plaque frontale d'un rouge profond bardée de cicatrices.
Yeux sanguins.
Dentition carnassière.
Kaidan se prépara à ériger une barrière au cas où la rencontre dégénérerait. Les Krogans n'étaient pas réputés pour leur diplomatie.
En les entendant arriver, l'individu les balaya du canon de son arme. Il était sur la défensive.
— Vous bossez pour Fist ? grommela-t-il d'une voix rocailleuse.
Shepard leva une main, paume ouverte.
— Non. On est là pour le descendre.
Le Krogan ricana, une note gutturale qui résonna dans le métal des parois.
— Mauvaise nouvelle pour vous : Fist est à moi.
Garrus rangea son arme.
— Il détient une otage. Une Quarienne. Il nous la faut vivante.
Le mercenaire abaissa légèrement son arme, mais son regard rouge restait fixé sur Shepard.
— Laissez-moi Fist, et votre otage sort d'ici en vie.
Le Commandant hocha la tête et activa la fréquence de l'intercom pour le relier à leur canal.
— Marché conclu.
— Urdnot Wrex.
— Shepard, répondit-t-elle simplement.
Wrex remit son fusil sur l'épaule, mais ne perdit pas son air menaçant. Kaidan ne le lâcha pas des yeux, se demandant s'ils n'avaient pas fait entrer le loup dans la bergerie.
En entrant dans l'entrepôt, ils virent deux hommes armés monter la garde à proximité d'une navi de marchandises. Kaidan projeta le premier contre un mur. Shepard tua le second avec une déchirure biotique.
À l'intérieur, l'air était saturé de poussière et de métal chauffé. Des murs de conteneurs formaient un labyrinthe,surplombé de passerelles suspendues.
— Contact à onze heures, murmura Garrus.
Shepard et Kaidan échangèrent un bref regard, puis se déployèrent. Shepard frappa le sol d'une onde de choc qui renversa deux ennemis derrière une pile de caisses. Kaidan, profitant de l'ouverture, projeta un troisième contre une grue dans un fracas métallique. Elle enchaîna d'un tir précis qui acheva le premier, pendant qu'il neutralisait le second d'une rafale de tirs. Un quatrième surgit par le flanc : Kaidan leva une barrière pour couvrir Shepard, qui le faucha d'une charge biotique avant de l'envoyer rouler hors de portée.
En quelques secondes, l'espace devant eux fut dégagé. Les tirs cessèrent.
L'intercom grésilla.
— Vous aussi, vous vous sentez un peu seuls, Artilleur ? lança Garrus, sa voix teintée d'un amusement sec.
Ashley esquissa un sourire en coin, sans cesser de surveiller l'arrière.
— J'allais le dire. Si ça continue, on va finir par jouer aux cartes en attendant notre tour.
— J'apporte les jetons, répliqua Garrus, avant de reprendre sa couverture haute.
— Et moi le Ryncol, ajouta Wrex en lâchant un rire guttural.
Shepard, à portée d'oreille, eut un mince sourire, mais ne ralentit pas la cadence. Kaidan s'efforça de garder le rythme malgré la tension qui lui battait dans le crâne.
Ils progressèrent rapidement entre les rangées de conteneurs. Des silhouettes se dessinaient par intermittence, fusils levés, mais aucune ne tenait plus de quelques secondes face à l'alternance de tirs précis et de projections biotiques. Garrus et Ashley restaient en couverture sur les hauteurs tandis que Wrex avançait dans le sillage de Shepard et Kaidan comme une masse inarrêtable.
Un escalier en métal grinça sous leurs pas et les mena à un niveau surélevé. Derrière une cloison vitrée, un homme les attendait, mains levées. Armure légère, visage marqué par la nervosité : Fist.
— Attendez... On peut discuter, balbutia-t-il. Le Courtier de l'Ombre ne répond plus. Saren m'a fait une offre, j'ai accepté. C'est juste du business...
Wrex s'avança, Carnifex levé à hauteur de tête.
— Mon business, grogna-t-il.
Fist recula, heurtant la paroi.
— Écoutez, je peux vous dire où elle est... La Quarienne... Elle a des infos sur Saren...
Le coup partit, brutal. Le corps s'effondra dans un bruit mat, laissant sur la cloison un éclat rouge sombre. Le fusil à pompe de Wrex cracha une unique cartouche thermique.
— Contrat rempli, lâcha-t'il.
Un bruit étouffé résonna derrière le bureau. Le groupe se prépara à faire feu.
— Ne ... ne tirez pas, je ne suis pas avec lui.
Une voix timide, féminine. Déformée par le filtre d'un masque.
Shepard abaissa son arme et fit signe au reste du groupe de faire de même. Le Krogan grogna, mais obéit.
Une Quarienne sortit prudemment de sa cachette. Combinaison noire et violette, drapée autour de sa silhouette fine. Kaidan nota les gravures délicates courant le long de sa coiffe et de ses épaules. Les motifs évoquaient étrangement les tracés d'anciens peuples humains. Elle se présenta : Tali'Zorah nar Rayya.
Ils descendirent, encadrant la jeune ingénieure. Kaidan fermait la marche, balayant chaque angle du regard, la migraine tapant toujours mais les sens en alerte.
Ils remontèrent vers les niveaux supérieurs par un réseau de passerelles étroites. Les grilles vibraient sous leurs pas, amplifiant sa douleur.
— Encore loin ? demanda-t-il à demi-voix.
— Deux secteurs, répondit Garrus. Après ça, on sera sur le réseau sécurisé des Ambassades.
La lumière s'éclaircissait à mesure qu'ils montaient. Plus haut, les couloirs prenaient cette teinte propre au Présidium, claire et presque naturelle. Mais personne ne ralentissait.
Lorsque les portes blindées des Ambassades se refermèrent derrière eux, Kaidan sentit ses épaules se détendre pour la première fois depuis leur entrée dans l'entrepôt. Les gardes postés à l'intérieur leur jetèrent un regard intrigué, mais Shepard ne leur laissa pas le temps de poser des questions.
— Salle de conférence, tout de suite, ordonna-t-elle.
Chapter 13: Spectre
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Citadelle – 2183
Udina les aperçut dès qu'ils franchirent le hall des Ambassades. Ses yeux se plissèrent et il fondit sur eux, costume tiré à quatre épingles, mais les épaules raides comme du verre prêt à casser.
— Shepard... qu'est-ce que c'est que ça ?
Il désigna Wrex, Garrus et Tali d'un doigt accusateur.
— Vous débarquez ici avec un comité d'accueil extraterrestre et... armé, en plus ?
Shepard se contenta de le toiser d'un air glacial. Ses yeux verts avaient la teinte d'acier caractéristique d'une colère maîtrisée.
— Vous vouliez une preuve, Ambassadeur. La voici.
Elle montra Tali, qui s'était légèrement tassée sous les regards, comme si elle cherchait à disparaître derrière sa combinaison et son masque.
— Et sans Garrus et Wrex, on ne l'aurait jamais eue.
Udina ouvrit la bouche pour répliquer, mais s'en ravisa. Ses narines frémirent.
— Très bien. Le Conseil vous attend.
Il fit volte-face et les conduisit jusqu'à la grande salle circulaire. Les portes hautes s'ouvrirent dans un souffle, dévoilant l'amphithéâtre baigné d'une lumière claire. Des balcons surplombaient les lieux, chargés d'émissaires de toutes espèces. Kaidan sentit le poids de dizaines de regards se poser sur eux alors qu'ils s'avançaient.
Les trois conseillers les attendaient, immobiles dans leurs sièges surélevés. Shepard s'arrêta au centre. Tali fit un pas en avant.
— J'ai un enregistrement, annonça-t'elle, sa voix adoucie par les filtres de son masque.
Son omnitool s'alluma et projeta un flux audio dans l'air. La voix de Saren était clairement identifiable :
« Eden Prime a été un succès décisif. Grâce à la balise, nous avons fait un grand pas en direction du Canal. »
Puis, une autre voix, féminine, assurée, résonna dans le silence :
« Et favorisé le retour des Moissonneurs. »
Un murmure parcourut la salle. Sur les balcons, Kaidan vit des têtes se tourner, des mandibules se contracter, des griffes se serrer autour des rambardes.
Tevos se pencha, incrédule.
— Cette voix... C'est Bénézia !
Le nom seul provoqua un nouveau frisson dans l'assemblée. Tevos enchaîna, plus grave :
— Une matriarche Asari. Des siècles de vie et d'expérience. On l'écoute, même quand on n'est pas d'accord. Et elle a des disciples partout. Saren n'aurait pas pu trouver meilleure alliée.
Valern prit le relais, mains jointes, le débit rapide propre aux Galariens.
— Les Moissonneurs... c'est une vieille légende. Des machines qui auraient éradiqué les Prothéens il y a cinquante mille ans. Les Geths y croient. Ils les voient comme le sommet de l'évolution synthétique.
Il haussa légèrement les épaules,ses yeux noirs brillants.
— Saren a peut-être utilisé cette croyance pour acheter leur loyauté. Mais... pourquoi vouloir vraiment leur retour ? Ça n'a aucun sens.
Sparatus, lâcha d'un ton sec :
— Peu importe ses motivations. Nous avons assez d'éléments pour confirmer son rôle dans le massacre d'Eden Prime et la mort de Nihlus.
Tevos hocha la tête.
— Saren Arterius est révoqué de son titre de Spectre. Shepard, vous et votre équipage, vous le traquez et vous le neutralisez.
Udina s'avança aussitôt.
— Avec tout le respect que je vous dois, il nous faut une flotte pour ça.
— Hors de question, coupa Sparatus. Nous ne pouvons pas envoyer toute une flotte pour un seul homme.
Tevos échangea un regard bref avec ses homologues, puis dit doucement :
— Mais nous pouvons lui donner autre chose. De quoi agir... seule.
Udina comprit avant qu'elle ne le dise. Anderson aussi. Kaidan remarqua la tension imperceptible dans leur attitude.
— Commandant Shepard, reprit Tevos, à compter de cet instant, nous vous donnons les pouvoirs et prérogatives d'un agent Spectre.
Elle se leva, son regard planté dans celui de Shepard.
— Les Spectres sont les yeux et la main du Conseil. Vous aurez autorité sur toute personne, partout dans la galaxie, et ne répondrez qu'à nous. C'est une immense responsabilité.
Shepard s'avança, droite dans son armure noire. Sa voix était solennelle.
— Responsabilité que j'accepte.
Un souffle parcourut l'assemblée. Sur les balcons, certains échangeaient des regards incrédules, d'autres inclinaient la tête en signe de reconnaissance. Kaidan sentit sa fierté dominer, un instant, la douleur qui battait à sa tempe. Il venait d'assister à un moment historique.
Wrex, Garrus et Tali rejoignirent l'équipage, chacun pour des raisons différentes.
La Quarienne voyait en Shepard une figure à respecter, et le Normandy représentait l'occasion idéale d'accomplir son Pèlerinage tout en mettant à profit son expertise technique. Garrus, lassé par l'inaction et la paperasse du C-Sec, y trouvait la liberté de traquer Saren sans chaînes administratives. Quant à Wrex, il avait ses comptes à régler et ne comptait pas attendre que la vengeance vienne frapper à sa porte. Il souligna l'efficacité de Shepard, admiratif. C'était rare pour un Krogan.
Shepard ne s'y opposa pas : elle partait du principe que tout allié déterminé pouvait faire pencher la balance. Ashley se défendait d'être xénophobe, mais elle voyait d'un mauvais œil l'idée de faire monter trois étrangers à bord d'un prototype de l'Alliance. Elle se plia pourtant à la décision du Commandant.
Le Conseil, avant de les laisser partir, leur transmit une série d'informations glanées au fil d'anciens rapports. Plusieurs pistes se recoupaient : une archéologue Asari, LiaraT'Soni, menait des fouilles sur une planète isolée, loin des voies principales. Officiellement, ses recherches portaient sur la culture Prothéenne. Officieusement, elle était aussi la fille unique de Bénézia. Si quelqu'un pouvait savoir où trouver la matriarche, c'était bien elle.
Normandy
Le Normandy quitta les docks dans un silence presque solennel, ses moteurs abaissant leur régime jusqu'à se fondre dans le murmure constant de la station. Shepard rejoignit le poste de pilotage où Joker vérifiait encore ses instruments.
— Cap sur Therum, annonça-t-elle. Secteur Artemis Tau.
Joker leva un sourcil, ses doigts déjà en train de programmer la route.
— On va chercher quelqu'un ?
— Une archéologue. Elle pourrait nous mener à Bénézia.
Un sifflement bref échappa au pilote.
— Une mission tranquille, donc.
— Comme d'habitude, répondit Shepard, le ton sec mais l'ombre d'un sourire trahissant qu'elle n'y croyait pas non plus.
Elle le laissa à ses calculs et rejoignit le mess après avoir quitté son armure, comme chacun d'entre eux. L'équipage s'était déjà rassemblé pour célébrer sa promotion. Quelques bouteilles circulaient, fruits d'anciennes escales pour lesquelles même l'Alliance fermait parfois les yeux. Les verres tintaient, les conversations se superposaient, ponctuées d'éclats de rire. Plusieurs techniciens et navigateurs vinrent serrer les mains de la Commandante.
Pressly observait la scène à distance, verre à la main, comme s'il essayait de mesurer ce que signifiait avoir un Spectre à bord et une poignée d'extraterrestres.
Joker, fidèle à lui-même, les rejoignit après avoir programmé le pilotage automatique du vaisseau. Kaidan remarqua qu'il boitait fortement. Ses épaules et ses jambes déformées se remarquaient davantage, une fois debout.
— Commandant, j'espère que vous savez que devenir Spectre ne vous donne pas droit à la place de pilotage, protesta-t'il en se versant un verre.
— Tu peux dormir tranquille, répliqua Shepard, sourire en coin. Je ne touche pas aux jouets des autres.
Même Wrex, accoudé à une table, semblait d'humeur moins sombre, acceptant un verre de Garrus en comparant sa boisson avec de la pisse de Butarien, ce qui fit rire le Turien. Tali, une boisson dextro-aminée munie d'une paille devant elle, balayait la pièce du regard comme si elle en cartographiait chaque recoin.
La musique improvisée provenait d'un vieux terminal, saturant parfois dans les basses, mais personne ne s'en plaignait. La lumière, plus chaude que celle des coursives, jetait sur les visages une teinte dorée qui adoucissait les traits. Dans cet espace confiné, l'air portait un parfum rare sur un vaisseau militaire : celui d'un moment suspendu.
Kaidan se contenta d'un verre d'eau. Non pas qu'il n'avait pas le cœur à la fête, mais la douleur serrait toujours son crâne comme dans un étau. Il leva son verre à l'honneur de Shepard avec les autres, puis s'éclipsa discrètement dans les quartiers de l'équipage.
Le couloir menant à cet espace paraissait presque vide, bercé par le ronronnement des systèmes du Normandy. Après la cacophonie de la Citadelle, le silence avait un poids confortable. Kaidan poussa la porte et s'assit sur une couchette, le front appuyé contre ses mains. La lumière tamisée soulignait les pulsations qui martelaient ses tempes.
Il n'avait pas compté les minutes quand la porte s'ouvrit à nouveau. Une silhouette féminine apparut dans l'encadrement. Il ne la reconnut que lorsqu'elle tira une chaise pour s'installer en face de lui, un verre d'eau et une petite boîte d'aspirine à la main.
— Je pense que ça vous fera du bien, Lieutenant, dit-elle en lui tendant deux comprimés.
Il la regarda, surpris, et elle répondit par un sourire.
— Vous pensiez que je ne connaissais pas mon équipage ?
Kaidan prit les comprimés et le verre. Lorsque sa main frôla les doigts de Shepard, il perçut un instant le courant biotique qui l'animait. Un flux intense, désordonné. Sauvage. Il fit mine de ne rien laisser paraître.
— Merci, Commandant.
— Shepard, corrigea-t-elle. On n'est pas en mission.
Son regard s'accrocha au sien.
— J'ai remarqué que vous étiez un peu tendu quand Williams a parlé de Point Zéro.
Kaidan sentit ses épaules se raidir malgré lui.
— C'est...une longue histoire. Pas forcément la plus glorieuse.
— Vous voulez m'en parler, Kaidan ? fit-elle doucement.
Il hésita, puis lâcha un rire bref, sans joie.
— J'ai été entraîné à Point Zéro dans ma jeunesse. Programme expérimental pour développer nos pouvoirs biotiques et on avait un instructeur zélé. Trop zélé.
Shepard ne dit rien, mais s'appuya vers l'avant, attentive, ses yeux fixés aux siens.
— Disons que le projet a pris fin le jour où j'ai décidé que ses abus avaient dépassé la limite. Et... je regrette la façon dont ça s'est terminé.
Elle se redressa.
— On a tous été forcés de faire quelque chose qu'on regrette, un jour ou l'autre. L'important, c'est ce qu'on en retire.
Il soutint son regard quelques secondes. Elle n'avait pas reculé, pas jugé, pas détourné les yeux. Ce simple fait pesait plus qu'il ne voulait l'admettre.
— Vous en retirez quoi, vous ? demanda-t-il, la voix plus basse qu'il ne l'aurait voulu.
Shepard eut un léger sourire, amer.
— Que poursuivre un ennemi jusqu'au bout avait un prix. Parfois, ce prix, c'est ceux qui sont derrière vous. On peut recevoir tous les honneurs du monde après ça. Ça n'efface pas nos actes.
Kaidan soupira, observant la mèche de Shepard qui tombait devant ses yeux. L'envie de la repousser lui effleura l'esprit, mais il se retint. À la place, il murmura :
— Torfan ?
— Torfan, confirma-t'elle, la voix basse et sans détour.
Le silence qui suivit n'était pas pesant. Il avait même quelque chose d'agréable, comme un fil tendu qu'aucun des deux ne voulait rompre. Le ronronnement du Normandy enveloppait la pièce, ponctué du souffle régulier de leurs respirations.
Elle finit par se lever, son ombre glissant sur la cloison.
— Reposez-vous. On aura besoin de vous en pleine forme sur Therum.
Elle se détourna, mais il se surprit à parler avant qu'elle n'atteigne la porte.
— Shepard... merci.
Elle s'arrêta. Un bref instant, elle resta immobile, et il eut la sensation qu'elle pesait ses mots. Finalement, elle tourna la tête, ses yeux accrochant les siens avec une intensité qui lui donna l'impression qu'elle avait encore beaucoup à dire... mais qu'elle ne le ferait pas ce soir.
— Vous me remercierez quand on aura bouclé cette mission.
La porte se referma derrière elle. Sa migraine était toujours là, obstinée, mais il ne pensait plus à la douleur. Juste à cette chaleur sourde qu'elle avait laissée derrière elle, et qui, pour une raison qu'il préférait ne pas analyser, refusait de s'éteindre.
Chapter 14: Fournaise
Notes:
Ce chapitre est bien plus long que ce que je fais d'habitude, mais j'espère que je saurai capter votre attention tout du long <3
Chapter Text
Therum — 2183
Le voile orangé de l'atmosphère léchait la coque du Normandy comme une langue de braise. Les voyants rouges clignotaient sur le poste de pilotage, sur fond d'alarmes sonores. Kaidan, debout derrière Joker, surveillait la purge des puits thermiques : l'activité volcanique saturait les systèmes.
— Soufre, convection, turbulences, et en prime un peu de lave, résuma Joker. Idéal pour bronzer, Commandant.
Elle leva les yeux au ciel mais le coin de ses lèvres s'étira légèrement.
— Allez, on se pose à deux minutes du site. Mako prêt au déploiement. Pressly, purge thermique toutes les dix minutes.
— À vos ordres, Commandant.
Pressly verrouillait déjà la procédure sur son datapad. Shepard tourna les talons, ses bottes noires claquant dans la coursive métallique.
Sur le pont inférieur, le commando l'attendait, aligné face à elle. Kaidan prit place à coté d'Ashley et verrouilla son casque.
— Mission claire, annonça Shepard en enfilant le sien. Chaleur de niveau 1 : nos armures tiendront quelques minutes. On entre, on sécurise, on récupère le Docteur T'Soni. Pas de feu inutile.
Ses yeux balayèrent l'escouade.
— Garrus, couverture extérieure. Vous restez dans le Mako, prêt pour une évacuation express. Adams, vous conduisez.
— Reçu, Commandant, répondit Garrus en vérifiant son fusil.
— Ashley, Wrex. Escouade d'assaut. Si ça bouge à l'intérieur,vous passez devant.
Le Krogan esquissa une grimace carnassière. Shepard soutint son regard rougeoyant.
— Pas de tir gratuit, Wrex. Dernier recours uniquement.
— Comme si c'était mon style, Shepard, grommela-t-il.
Le grondement de la planète couvrit à moitié sa voix. Kaidan dut tendre l'oreille pour capter la suite.
— Tali, sur les systèmes électroniques. Verrous, terminaux : tout ce qui bloque, c'est pour vous.
La Quarienne hocha la tête, doigts crispés sur son omnitool.
— Oui,Commandant.
Enfin, Shepard pivota vers son second.
— Kaidan, avec moi. On couvre le commando ensemble, surcharge et déchirure si nécessaire.
— Compris, chef.
Il resserra ses gants, sentit le courant de ses implants courir sous sa peau. Pas de douleur cette fois.
Il était prêt.
Une secousse violente fit trembler le pont : le Normandy venait de toucher le sol. Les sécurités hydrauliques de la baie s'ouvrirent dans un souffle, laissant entrer l'air brûlant du volcan.
— Allez, on embarque ! lança Shepard.
Ils descendirent au pas de course vers le Mako. L'air chargé de cendres fouettait déjà leur visière. Kaidan posa la main sur la carrosserie du véhicule, incapable de chasser la même pensée qu'à son premier jour : espérer que le bouclier tienne bon.
_________
Le Normandy les avait déposés au plus près du site. Adams prit place aux commandes du Mako, et Kaidan n'avait jamais autant béni la présence de l'ingénieur. Cet engin de malheur, aussi stable qu'un vieux pick-up sur la Transcanadienne, secouait l'équipage à chaque aspérité du terrain volcanique. Le blindage résistait. Ses os, moins.
Quand le véhicule s'immobilisa devant l'entrée de la structure prothéenne, il sentit un soulagement presque coupable. Il descendit derrière Tali, ses bottes s'enfonçant dans la poussière sombre, et balaya la zone au radar.
— Zone dégagée, Commandant.
Shepard acquiesça et mena le groupe jusqu'aux arches noircies du site de fouilles. La structure semblait émerger de la lave, comme si les Prothéens avaient bâti une forteresse de feu.
Garrus resta dans le Mako avec Adams, lunette ajustée sur l'entrée. Il fit un signe à Shepard : opérationnel.
Ashley et Wrex franchirent les premiers le réseau de tunnels quand la Quarienne fit sauter le verrou électronique. Kaidan s'engagea à leur suite.
Son oreillette vibra soudain : Shepard venait de le basculer sur son canal privé.
— Vous avez bien dormi, Lieutenant ?
La simplicité de la question le désarma. Shepard le regarda du coin de l'œil à travers sa visière. Derrière l'acier de son regard, il crut percevoir une inquiétude sincère. Il répondit par réflexe :
— Ça ira, Commandant.
Elle baissa la voix, presque un murmure.
— Restez avec moi.
Il crut voir, au coin de ses lèvres, l'ombre d'un sourire. Le canal repassa en général.
Zone de fouilles
Le tunnel avala le groupe, leurs lampes-torches découpant l'obscurité saturée de poussière. La chaleur semblait se répercuter contre les parois, un souffle brûlant qui collait à la gorge malgré les filtres de l'armure.
Chaque pas faisait craquer la roche vitrifiée. Par moments, un pan de pierre se détachait dans les hauteurs et roulait en cascade, comme une salve d'artillerie. Fusils levés, l'escouade se figeait, le silence nimbant soudain leurs respirations amplifiées par l'intercom.
Ashley balayait les environs avec le canon de son fusil d'assaut.
— On dirait qu'il y a du mouvement...
Kaidan n'entendait rien de plus que le grondement constant du volcan. Mais ses nerfs, eux, y croyaient.
Shepard leva le poing, marquant l'arrêt. Ses yeux fouillèrent le plafond obscur.
— Garrus, situation extérieure ?
Un grésillement, puis la voix posée du Turien résonna dans le micro :
— Pour l'instant, rien à signaler. Pas de signatures thermiques mobiles dans votre secteur.
— Bien reçu. Tenez la position.
Ils reprirent l'avancée. Chaque renfoncement dans la roche semblait cacher une menace, chaque écho pouvait être celui d'une créature lovée dans l'ombre. Kaidan resserra sa prise sur son pistolet, muscles tendus.
Au détour d'un couloir, une voix résonna contre les parois naturelles des tunnels. Une voix claire, mais brisée par la panique.
— Par ici ! Est-ce que quelqu'un m'entend ?!
L'escouade s'immobilisa, Shepard leur imposant le silence d'un signe. Kaidan sentit un frisson lui courir dans le dos malgré la température suffocante.
Ils approchèrent de la source, une lumière artificielle venant progressivement caresser le passage, jusqu'à déboucher sur une salle immense.
En son centre s'élevait une tour colossale, dressée comme un monolithe vivant. Des arches béantes la creusaient de part en part, montant à intervalles réguliers le long de sa hauteur vertigineuse. La construction, faite d'un matériau lisse et sombre, semblait absorber la lumière des projecteurs installés au sol.
Des restes de fouilles encombraient l'espace : des câbles serpentaient au sol, des scanners encore allumés projetaient des lueurs vertes vacillantes sur la poussière noire, des ficelles tendues limitaient des espaces creusés.
Le contraste frappait : l'ordre millénaire de l'architecture prothéenne encerclé par le désordre d'un chantier récent.
Kaidan leva les yeux, sa gorge soudain sèche. L'échelle du monument défiait l'entendement : la tour semblait prolonger la montagne elle-même, comme si les Prothéens avaient sculpté une cathédrale dans son ventre.
Dans l'une des arches à mi-hauteur, il distingua une silhouette bleutée. Figée. Prisonnière d'une bulle translucide.
Une Asari.
La barrière oscillait autour d'elle, l'empêchant de bouger malgré ses efforts. Ashley échangea un coup d'œil avec Kaidan, sourcils froncés.
Shepard éleva la voix, ferme.
— Docteur T'Soni ?
— Oui. Je vous en prie, libérez-moi avant qu'ils arrivent !
L'affolement transperçait sa voix.
— Qui ? demanda Shepard.
— Des Geths ! J'ai tiré, j'ai touché un drone, je crois, mais ils étaient trop nombreux... Alors j'ai activé les défenses de la tour pour me protéger et... je n'arrive pas à me libérer !
Le Commandant balaya la salle du regard, évaluant les accès. Un vieil ascenseur métallique occupait le centre du mur, cage brinquebalante prisonnière de câbles rouillés. Elle actionna la commande, sans effet. Les voyants restèrent obstinément éteints.
— Mort, constata Ashley. Et vu l'état des câbles, même si ça marchait, j'aurai pas mis un pied dedans, chef.
Wrex s'approcha, posa une main massive contre le mur. Il donna un coup de poing, la roche vibra à peine.
— Pas moyen de forcer. À moins que vous aimiez finir aplatis sous une montagne.
Un silence pesant retomba, seulement troublé par le champ pulsant autour de Liara. Ses yeux bleus suivaient le groupe.
— Il y a un escalier à l'intérieur de la structure. En y accédant, vous pourriez désactiver mon champ de stase depuis la console derrière moi.
Alors Tali, jusque-là en retrait, leva la voix.
— Commandant... là, regardez.
Elle désigna un appareil massif à demi-enfoui dans la poussière noire : un laser minier, oublié par l'équipe de fouilles. La tête de la machine pointait vers la paroi rocheuse, inerte, mais l'écran de commande clignotait encore d'une lueur jaune.
— Je pourrais lancer une séquence de forage, expliqua-t-elle, ses gants sur le panneau tactile. Ça permettrait de creuser plus bas dans la structure, et de créer une entrée secondaire.
Kaidan s'approcha, et observa les relevés sur son omnitool.
— Ça nous amènerait sous l'arche où le docteur T'Soni est bloquée. On pourrait remonter par l'escalier central.
Il hocha la tête vers Shepard.
— Ça vaut le coup.
Wrex haussa les épaules, carnassier.
— Tant qu'on bouge. Je n'aime pas sentir la roche vibrer sous mes pieds.
Shepard marqua un bref silence, puis fit signe à Tali.
— Allez-y.
Les doigts de la Quarienne dansèrent sur les commandes. L'appareil s'éveilla dans un grincement métallique. Un faisceau écarlate émana de la pointe, entaillant la roche dans une gerbe de flammes et d'éclats de pierres.
Liara leva les yeux vers eux, un éclat d'espoir traversant son visage.
Le laser s'éteignit dans un dernier craquement, laissant derrière lui un boyau sombre aux parois encore luisantes. L'escouade s'y engagea rapidement, leurs torches projetant des halos mouvants sur la roche vitrifiée.
Garrus activa le canal :
— Commandant, y'a du mouvement. Je vois plusieurs signatures approcher de votre position. Ce ne sont pas des signatures thermiques, mais ça bouge vite.
— Wrex, Ashley, ouvrez la marche ! ordonna-t-elle.
Le Krogan s'engouffra aux cotés de l'Artilleur au pas de course, leurs fusils prêts à toute éventualité. Tali les talonnait, les yeux rivés sur son omnitool pour repérer les intrus.
Shepard posa une main brève sur l'épaule de Kaidan en le dépassant.
— A mes cotés, Lieutenant. Barrières.
Il hocha la tête et déploya aussitôt une première protection sur Ashley. Shepard fit de même pour Tali, leur aura bleutée scintillant dans la pénombre.
Wrex, en tête, attaquait déjà l'escalier en spirale, ses pas lourds résonnant comme des coups de canon.
— Allez, le dernier arrivé est un pyjak ! ricana-t-il, son rire grave répercuté par l'écho.
Le silence explosa en un sifflement et un impact violent contre la rambarde. Un autre tir frôla Wrex. Par réflexe, Kaidan projeta un voile d'énergie bleutée qui brisa le projectile.
— Drones !
Des formes luisantes surgirent des hauteurs, les optiques rouges brillant comme des braises. Les machines tournoyaient dans les arches, déversant une pluie de tirs qui martela la pierre noire.
Dans l'intercom, le Turien les interrompit de nouveau.
— Commandant, il y a un transporteur en route vers votre position. Sa forme ne ressemble à rien de connu. Contact estimé dans moins de dix minutes.
Kaidan sentit l'adrénaline courir dans ses veines. Sa peur s'effaçait sous la certitude féroce que tant qu'il restait aux côtés de Shepard, rien ne les briserait. Le reste du groupe semblait être gagné par la même urgence car ils se précipitèrent à l'assaut des drones.
— Je peux en retourner un ! lança Tali, accroupie derrière une colonne, tapant sur les écrans orangés projetés par son omnitool. Mais il me faut quelques secondes !
— On vous couvre, répliqua Shepard.
Les drones tournoyaient, criblant les marches de rafales qui ricochaient en gerbes étincelantes. Kaidan se concentra, renforçant sa protection cinétique comme une peau supplémentaire autour de lui. Wrex, deux marches plus haut, grogna d'impatience et faisait feu sur les machines qui s'approchaient trop près.
— Vous perdez votre temps. Laissez-moi les descendre à l'ancienne !
— Tali, dépêchez-vous ! supplia Ashley, le bouclier de son armure encaissant les tirs les uns après les autres.
— Presque... presque... souffla Tali, doigts crispés sur l'interface.
Un drone pivota brusquement vers elle, canon incandescent. Shepard tira en rafale, Kaidan libéra une surcharge qui fit grésiller ses circuits. La machine s'effondra dans un nuage d'étincelles, roulant sur les marches.
Puis, d'un coup, l'unité restante s'immobilisa. Son viseur rouge cligna, se teinta de bleu.
— Piratage réussi ! annonça Tali.
Le drone fit volte-face et ouvrit le feu sur ses semblables.
Wrex éclata d'un rire tonitruant.
— Ha ! Voilà enfin un bout de ferraille qui sert à quelque chose.
Ils reprirent leur progression jusqu'à l'étage où se trouvait l'Asari. Le faisceau de leurs lampes accrocha des silhouettes étendues. Des cadavres. Trois soldats Geths gisaient, criblés d'impacts et partiellement brisés.
— Elle en a descendu, constata Wrex. Pas mal, pour une scientifique.
Shepard leva la main, signal d'arrêt sec. Son regard balayait les arches béantes.
Trop calme.
Trop vide.
Le coup partit aussitôt. Le drone piraté par Tali se disloqua sous l'impact.
— Sniper ! cria Kaidan.
Il dressa un champ biotique dans le même souffle, absorbant la seconde rafale. Shepard riposta d'un tir précis, forçant l'ombre à se replier derrière une colonne.
Une respiration brève s'installa. Kaidan sentit son cœur cogner comme un marteau dans sa poitrine, mais la voix de Shepard lui revint en mémoire. Elle avait imposé son calme en lui.
Ashley prit position à sa droite, canon levé. Tali, déjà accroupie près de la console, lançait à voix basse :
— Je commence le déverrouillage... mais il me faut du temps !
Dans l'intercom, Garrus reprit :
— Transporteur en approche. Contact dans cinq minutes.
Shepard serra la mâchoire.
— Alors on les occupe jusqu'à ce que Tali ouvre cette foutue cage.
En contrebas, une porte secondaire venait de s'ouvrir à la volée. D'autres synthétiques se déployèrent, grimpant les marches qui les séparaient du groupe. À leur tête surgit un foudre de guerre Krogan, colosse bardé d'une armure aux insignes de Saren. Ils ouvrirent le feu en arrivant dans la pièce où se tassait le commando.
— Enfin un adversaire valable, gronda Wrex, ses crocs découverts en un sourire carnassier.
Il bondit sans attendre, Ashley sur ses talons. Le choc de leur assaut résonna aussitôt dans la salle.
Kaidan se plaça aux côtés de Shepard, esquivant les tirs du sniper Geth posté à bonne distance. Son viseur rouge balayait la mezzanine.
— Suivez-moi Kaidan !
Shepard se mit à couvert derrière un des piliers de la salle. Le lieutenant lança une surcharge une fois le tireur en ligne de mire : l'onde crépita, parasitant les circuits de la machine. Shepard enchaîna d'un geste fluide, projetant une déchirure qui fit éclater l'unité dans une explosion sonore.
L'onde de choc roula sur les murs, si puissante qu'elle fit vaciller deux soldats Geths. L'air vibra mais les deux biotiques ne perdirent pas une seconde. Leurs gestes se coordonnèrent parfaitement, chacun propulsant un synthétique contre la paroi, désintégrés.
— De là où je suis, ça ressemble à des déflagrations de grenades. Vous me confirmez que c'est volontaire ? demanda Garrus sur le canal.
— Pas de grenades, répondit Ashley, haletante en rechargeant son fusil d'assaut. Deux biotiques, c'est carrément des armes de destruction massive !
Elle rejoignit Wrex, qui écrasait la gorge d'un soldat synthétique avec sa botte. Elle l'acheva d'un tir dans son optique, avant de se faire plaquer au sol par le foudre de guerre ennemi.
Wrex le saisit par les épaules, dégageant l'humaine de sa prise et lui permettant de respirer. Kaidan l'aida à se relever. Shepard activa ses implants, et chargea à son tour, visiblement inconsciente de sa différence de taille.
Elle n'avait pas peur.
Le foudre de guerre, lui, refusait de plier. Ashley et Wrex s'acharnaient, leurs rafales et leurs coups martelant son armure sans parvenir à briser la carapace. Il essaya de mettre Shepard à terre avec ses poings, mais elle esquiva de justesse.
— Le champ est désactivé ! cria Tali.
La bulle qui enfermait Liara se dissipa dans un souffle. L'Asari s'effondra sur les genoux, la respiration hachée, engourdie par la stase. Elle secoua la tête avant de se relever, observant le groupe au prises du titan.
Le foudre de guerre Krogan, la carapace cabossée mais toujours debout, chargeait, écume aux lèvres. Wrex s'avança d'un pas, prêt à encaisser, mais la masse biotique du colosse fonçait trop vite.
Liara, encore vacillante, chancela contre l'arche. Ses mains tremblaient, ses lèvres balbutiaient un mot inaudible. Kaidan crut qu'elle allait s'effondrer de nouveau.
Puis, d'un coup, ses yeux se figèrent.
La panique fit place à une concentration fébrile.
Elle leva les bras, presque malgré elle. L'énergie qui jaillit de ses mains pris corps en une sphère gravitationnelle qui éclata dans la salle, déformant l'air avec un sifflement sourd. Le Krogan hurla, arraché du sol comme un pantin, et avec lui les débris environnants, projetés en spirale autour de lui. Le commando s'accrocha aux aspérités de la structure pour ne pas être emportés.
La carcasse massive du guerrier se tordit et ses os se brisèrent. Il fut plaqué contre le plafond avant d'être relâché dans un bruit sourd. La sphère disparu aussi vite qu'elle était arrivée, déséquilibrant l'escouade.
Silence.
Wrex ramassa son fusil, les yeux fixés sur le cadavre écrasé. Puis il laissa échapper un rire.
— Par les tripes de Kalros... je me moquerai jamais des archéologues.
Ashley, haletante, rangea son fusil d'assaut en soufflant.
— Shepard, je crois qu'on a trouvé une autre arme de destruction massive.
Kaidan avait senti la distorsion jusqu'au creux de ses implants. Il échangea un regard avec Shepard, leurs yeux écarquillés le temps d'un instant rare, presque complice. Même eux, biotiques chevronnés, avaient de quoi être impressionnés.
Liara chancela de nouveau, ses mains encore parcourues de filaments d'énergie bleue. Son expression était horrifiée par ce qu'elle venait de libérer.
— Je... je n'avais jamais réussi à... pas à cette échelle.
Shepard posa une main ferme sur son épaule, presque admirative.
— Alors vous avez un sacré instinct pour choisir vos moments, Docteur.
Dans l'intercom, Garrus les rappela à l'ordre, pince-sans-rire malgré l'urgence :
— Deux minutes avant contact. J'espère que vous êtes tous en vie, après ce que j'ai entendu. Vous comptez garder tout le spectacle pour vous ou je peux en avoir une part ?
Shepard se redressa, reprenant déjà son ton de commandement.
— On a ce qu'on est venus chercher. On sort, et vite.
Un grondement sourd s'éleva des profondeurs de la structure. Des fissures zébrèrent la paroi, crachant des gerbes de poussière noire.
Liara sembla terrifiée.
— J'ai... j'ai fragilisé la matrice ! Cette tour ne tiendra pas longtemps. Nous devons sortir d'ici, maintenant !
Une poutre métallique se détacha du plafond et s'écrasa à quelques mètres, les figeant une courte seconde. Shepard n'attendit pas davantage.
— En mouvement !
Ils s'élancèrent vers l'escalier en courant. Le sol tremblait, les marches se fendaient sous les ondes de choc. Kaidan fermait la marche, couvrant la retraite d'un œil, quand une secousse plus violente projeta Shepard contre la rambarde. Elle manqua de basculer dans le vide.
Sans réfléchir, Kaidan tendit sa main et referma sa prise sur l'avant-bras du commandant. Les muscles tendus, il la tira d'un coup sec, l'arrachant au gouffre.
Leurs visières se frôlèrent presque. Dans ses yeux, il vit la surprise, la rage de ne pas céder... et une fragilité qu'elle n'aurait jamais laissée paraître dans d'autres circonstances. Ils restèrent un instant interdits.
Puis le souffle de Kaidan rompit le silence. Un murmure.
— Restez avec moi, Shepard.
Elle hocha la tête, un sourire infime aux lèvres, fugace, avant de se redresser et de reprendre sa course, le Lieutenant à sa suite.
Le plafond s'effondra derrière eux dans une avalanche de roches et de flammes. Ils rejoignirent l'escouade juste avant que la salle s'écroule dans un vacarme assourdissant, avalant tout ce qu'il restait du site.
À l'intérieur du couloir, tous haletaient, couverts de poussière. Liara, appuyée contre la paroi, fixait encore ses mains tremblantes. Kaidan, la gorge sèche, échangea un regard avec Shepard. Ils n'avaient pas besoin de mots : ils savaient tous deux qu'ils venaient de frôler la tombe.
Ils débouchèrent dans la lumière crue de l'entrée. Le Mako attendait, moteur allumé. Garrus leur faisait signe.
— On dirait que vous avez trouvé l'archéologue... le tout avec finesse et discrétion.
Ashley esquissa un sourire en hissant Liara dans le véhicule.
— Ça, c'est du sauvetage !
Wrex claqua la porte derrière lui, son rire grave couvrant la cacophonie qui les entourait.
— Au moins, elle sait se battre.
La Commandante s'assit aux côtés de Kaidan, la respiration courte. Adams écrasa l'accélérateur pour mettre le plus de distance possible entre eux et ce cauchemar.
Le casque encore recouvert de suie collante, Shepard s'adossa à la carrosserie du Mako. Sa voix résonna dans leurs oreillettes :
— Franchement, je pensais pas recruter une escouade de démolisseurs professionnels. Mais je vais m'y habituer.
Malgré la tension, les rires répondirent. Le véhicule s'enfonça dans la poussière volcanique, fuyant la gueule ardente qui s'effondrait derrière eux.
Kaidan croisa les yeux verts de Shepard. Une seconde, pas plus. C'était le même fil invisible qu'il avait senti, là-bas, quand elle avait privatisé le canal de communication.
Chapter 15: Enclave
Chapter Text
Normandy - 2183
Assis dans la salle de briefing avec le reste de l’escouade, Kaidan observait. Les bras croisés sur sa tenue militaire, il détaillait le visage de l’Asari en face de lui. Ses traits avaient une symétrie presque parfaite. De fines écailles parcouraient sa peau bleutée, un relief discret qui captait la lumière en nuances irisées. Sous certains angles, elle paraissait presque translucide. À la place des cheveux, il distingua les excroissances souples qui se prolongeaient en arrière de ses tempes, ondulant en arcs réguliers le long de sa nuque.
Ses iris, d’un bleu limpide, semblaient encore chercher une accroche, comme s’ils avaient besoin d’un témoin pour certifier son existence. Kaidan détourna le regard une seconde, conscient d’avoir franchi cette ligne fragile entre l’observation et la fascination. Il n’avait pas encore décidé s’il devait lui faire confiance ou non.
Elle se tortillait sur sa chaise, mal à l’aise. Ses yeux évitaient soigneusement de rencontrer les siens, mais revenaient sans cesse vers Shepard. Ses gestes trahissaient une hésitation, comme si chaque pas dans le Normandy risquait de réveiller une animosité latente.
L’air était lourd, saturé de chaleur résiduelle et de silences crispés. Le visage d’Ashley restait, de très loin, le plus figé de tous.
Kaidan n'était pas étranger à ce que pensait sa coéquipière humaine à propos des aliens d'une manière générale, et en particulier ceux présents autour de cette table, dans un vaisseau militaire de l'Alliance.
Shepard prit place en bout de table, les mains jointes, les yeux fixés sur l’écran encore noir.
— Bien, dit Shepard, sa voix grave claquant comme une consigne. Docteur T’Soni a accepté de collaborer avec nous. Ses recherches et son expertise sur les Prothéens nous seront utiles.
Kaidan inspira et se redressa sur sa chaise. C’était à lui de se mouiller, il le savait. Pas parce qu’il voulait provoquer Shepard, mais parce qu’un second ne pouvait pas laisser une inquiétude collective couver en silence.
— Commandant, dit-il en croisant les doigts sur la table, avec tout mon respect, on parle de la fille de Bénézia. De l'alliée supposée de Saren.
Garrus hocha imperceptiblement la tête. Ashley renouait ses cheveux derrière sa nuque. Un geste que Kaidan avait remarqué, lorsqu'elle était contrariée. Le corps de Liara s'était raidi, ses mains crispées sur la table.
Shepard le dévisageait attentivement. Elle avait l'air calme, pas en colère comme il le craignait.
— Je le sais, Lieutenant Alenko. Et je prends la responsabilité de sa présence.
— Je n’ai jamais approuvé les choix de ma mère, coupa Liara d’une voix tremblante mais ferme. La dernière fois que j’ai eu de ses nouvelles, elle se trouvait sur Noveria. Je n'en sais pas plus.
Un frisson discret parcourut l’équipage. Kaidan la fixa : elle paraissait sincère, mais il voyait dans ses yeux un mélange de loyauté brisée et de peur, comme si chaque mot prononcé contre Bénézia lui arrachait une part d’elle-même.
Shepard acquiesça.
— Alors nous irons sur Noveria.
Mess du Normandy
La pièce baignait dans un calme relatif : cliquetis de couverts, conversations étouffées, vrombissement discret des moteurs. L’équipage prenait place par petits groupes, mais l’escouade avait fini par occuper la longue table près de l'ascenseur qui reliait les ponts.
Kaidan posa son plateau, glissa dans le siège à côté d’Ashley. Face à eux, Garrus décortiquait du bout des griffes ce qui devait passer pour une ration turienne, l’air concentré. Tali triturait le couvercle scellé de son repas stérile, visiblement peu emballée.
Shepard arriva la dernière, plateau dans une main et un datapad sous le bras. T-shirt gris, pantalon sombre, cheveux encore humides. Pas d’armure, pas d’uniforme. Et pourtant, Kaidan remarqua comme les conversations s’étaient ralenties à son arrivée, comme si sa présence suffisait à fixer le centre de gravité de la pièce. Elle s’assit et piqua directement sa fourchette comme si elle avait une guerre à mener contre ses légumes synthétiques.
— Alors, lâcha Ashley, en avalant sa bouchée, Noveria. Quelqu’un sait à quoi s’attendre là-bas ?
— De la glace, répondit Garrus sans lever les yeux. Et beaucoup d’ennui.
— Ennui… ou paperasse, ajouta Shepard. Et croyez-moi, ça peut être pire que des Geths.
Le bruit irrégulier de pas résonna dans le mess. Joker venait d’arriver, son éternel air sarcastique greffé au visage. Il tira une chaise et s’installa.
— Et si vous voulez mon avis, ce n’est pas la paperasse qui m’inquiète. C’est le fait qu’on débarque sur un monde où les militaires ne sont déjà pas les bienvenus… et qu’on y débarque avec un Spectre.
Un silence passa. Shepard haussa les épaules, comme si elle refusait de donner du poids à la remarque. Mais Kaidan, lui, sentit plusieurs regards se croiser.
— C'est pas toi qui disait qu'un Spectre à bord te rendait nerveux ? demanda Kaidan, amusé.
Un éclat de rire général secoua la tablée, Shepard comprise.
Joker conserva une expression stoïque quelques secondes, puis céda et tendit un pouce vers le lieutenant.
— Très drôle. Mais allez-y, trouvez-moi une seule mission qui se soit déroulée tranquille depuis la promotion de Shepard.
La commandante leva les mains en signe de reddition.
— D’accord, j’avoue. Mais j’espère quand même que tout ce qu’on aura à affronter là-bas sera un tampon à poser sur un formulaire, rien de plus.
Kaidan capta un discret sourire sur le visage de l’Asari. Elle n’avait pas touché à sa ration, mais elle écoutait, attentive, comme si elle cherchait déjà sa place dans le groupe.
Puis son attention se porta sur Shepard. Elle venait de prononcer sa phrase avec ce ton léger qu’elle utilisait parfois pour clore un sujet… mais ses yeux, l’espace d’une seconde, n’avaient rien eu de léger.
Kaidan la connaissait déjà assez pour y voir autre chose : pas de l’ironie ni de l’optimisme. Plutôt une anticipation, une inquiétude qu’elle n’avouerait jamais devant eux.
Il reporta son attention vers son plateau, une bouchée sur la langue. Mais le goût de sa ration lui parut soudain bien plus acide.
Quelques heures plus tard, les hublots du Normandy se teintèrent d’un blanc éblouissant. Des nappes de brouillard s’accrochaient aux reliefs acérés de la planète glacée, et l’horizon disparaissait dans une uniformité aveuglante.
Kaidan remonta le col de sa veste militaire. Rien qu’à la vue de la planète, il sentait déjà le froid s’infiltrer sous sa peau.
— On a quitté une fournaise pour atterrir dans un congélateur, marmonna-t-il.
— Entre ça et un terrain de cendres, répondit Ashley, j’hésite encore.
Au poste de pilotage, Joker bataillait avec les administrateurs de Port Hanshan. Il avait dû insister lourdement, jouer la carte du « nous avons un Spectre à bord » pour obtenir l’autorisation de pénétrer dans l’espace aérien. Noveria n’était pas un monde comme les autres : hors juridiction concilienne, son isolement servait de couverture à toutes sortes d’expériences trop dangereuses ou trop douteuses pour être menées ailleurs. Synthetic Insights, Elanus Risk Control, Binary Helix… toutes payaient rubis sur l’ongle pour mener leurs recherches dans l’ombre. Ici, chaque intrus était une menace. Chaque visiteur, un espion potentiel.
Lorsque le sas s’ouvrit sur la baie de Port Hanshan, une lame glacée s’engouffra aussitôt, mordant les visages. Shepard s’engagea la première, suivie de Liara et Wrex, tous trois en armure. Personne ne savait encore quelle serait l’attitude de Bénézia si elle se trouvait bien ici.
Kaidan, Garrus, Tali et Ashley restèrent en arrière. Le lieutenant regretta presque de ne pas avoir enfilé son armure, ne serait-ce que pour se protéger du souffle polaire.
En bas de la passerelle, une escouade de gardes les attendait, fusils serrés contre la poitrine. Leurs armures grises et lisses donnaient une impression de neutralité clinique. Le spatioport, bloc de béton et d’acier, achevait ce tableau impersonnel : rien ici n’était pensé pour accueillir, seulement pour contenir.
Une femme s’avança, visage fermé, gestes mesurés.
— Armes interdites sur Noveria. Procédure standard. Veuillez les remettre immédiatement.
Kaidan jeta un œil à Ashley. Elle portait toujours son pistolet à la ceinture, et le pli de sa mâchoire suffisait à dire qu’elle n’avait aucune envie de s’en séparer.
Shepard franchit un pas, son ton sec tranchant dans l’air glacé.
— Commandant Shepard. Spectre. Mes prérogatives incluent le port d’armes, et il en va de même pour mes coéquipiers.
La femme se tendit au mot Spectre.
— Commandant, nous sommes en dehors de l’espace concilien. Nous vous rendrons vos armes une fois votre identité…
— Capitaine Maeko Matsuo, interrompit une voix métallique depuis les haut-parleurs. Leur identité est confirmée. Veuillez les laisser entrer.
Un silence tendu suivit. Matsuo pinça les lèvres, puis hocha la tête, sèche.
— Très bien. Vous, Spectre, et vos deux accompagnants. Les autres restent désarmés. Ils sont autorisés à circuler dans l’enceinte du spatioport en civil uniquement. Quant à votre vaisseau, il est saisi tant que vous êtes ici. Interdiction de décoller sans notre autorisation.
Ashley inspira comme pour protester, mais Shepard leva une main, calme, avant même qu’un mot ne franchisse ses lèvres. Elle se tourna vers ceux restés dans le sas et leur adressa un simple signe de tête. Le message était clair : pas de vagues.
Shepard attendit que Matsuo se soit éloignée pour se tourner vers Kaidan. Ses yeux se posèrent brièvement sur Ashley, Tali et Garrus, puis revinrent vers lui.
— Lieutenant, vous restez ici avec eux. Gardez un œil sur le Normandy et assurez-vous qu’on puisse repartir quand on en aura besoin.
Kaidan hocha la tête.
— Vous voulez vraiment tenter de retrouver Bénézia vous-même ?
Elle soutint son regard.
— Si elle est ici, je dois la confronter. Liara aussi. On reste en contact par intercom.
Kaidan inspira par le nez, mains serrées derrière son dos.
— D’accord. Mais si ça tourne mal, je veux que vous pensiez à une extraction rapide, Commandant. Je me charge de préparer le terrain.
Un bref sourire passa sur le visage de Shepard.
— Je savais que je pouvais compter sur vous.
Puis elle fit signe à Wrex et Liara, et tous trois suivirent les gardes vers le dédale métallique de Port Hanshan.
Kaidan resta immobile quelques instants, les yeux fixés sur la silhouette de Shepard qui s’éloignait. Sa voix résonnait encore dans ses oreilles, grave et assurée, mais derrière, il avait cru percevoir une nuance différente. Comme si, sous l’autorité du Spectre, il y avait aussi une part de confiance… adressée à lui, rien qu’à lui.
Port Hanshan
Le café panoramique surplombait la baie d’amarrage. Tout en verre et acier, il avait l’allure d’un salon chic, un lieu conçu pour impressionner les investisseurs de passage plus que pour offrir un vrai confort.
Kaidan prit place avec ses coéquipiers à une table un peu à l’écart. Tout autour d’eux, la clientèle se ressemblait : costumes sobres, robes droites, datapads vissés dans les mains. Les voix étaient basses, rapides, saturées de chiffres et de deals. Pas un éclat de rire, pas une note légère. Chaque conversation sonnait comme un contrat à plusieurs zéros.
Ils faisaient tâche. Trois silhouettes militaires et une nomade dans cet océan de cols blancs. Kaidan le sentit aussitôt : certains les dévisageaient à la dérobée, comme si leur simple présence rompait le code invisible du lieu.
Il posa les coudes sur la table et observa attentivement la salle. Caméras dans chaque angle, gardes en faction près des ascenseurs, employés pressés qui entraient et sortaient avec la régularité mécanique d’une horloge.
Un mouvement attira son attention. Garrus, assis face à lui, faisait exactement la même chose : inspection discrète, méthode claire, œil entraîné. Quand leurs regards se croisèrent, un bref éclat complice passa entre eux. Kaidan reconnut en lui ce que l’Alliance appelait un "bon partenaire de terrain".
Un serveur vint prendre leur commande. Ashley demanda un café noir sans lever les yeux du comptoir vitré, Garrus choisit un équivalent Turien à l’odeur métallique, et Kaidan se contenta d’un thé brûlant — plus par habitude que par goût. Tali préféra ne rien prendre. Elle programmait quelque chose sur son omnitool pour détecter des signatures électroniques.
Quelques minutes plus tard, alors que la vapeur de leurs tasses s’élevait en volutes ténues, une silhouette approcha.
La femme se distinguait aussitôt de la foule. Pas d’uniforme strict ni de tailleur trop raide : elle portait une robe simple, ajustée, d’un gris perle qui tranchait avec les costumes sombres des autres clients. Ses cheveux étaient relevés en un chignon impeccable, et son sourire semblait étudié pour être à la fois courtois et désarmant. Mais ses yeux, d’un vert clair, observaient trop attentivement pour appartenir à une simple bureaucrate.
Elle s’arrêta devant leur table. Elle s'attarda un instant sur la Quarienne mais décida de l'ignorer.
— Lieutenant Alenko ? Artilleur Williams ? Inspecteur Vakarian ?
Sa voix était posée, presque chaleureuse, mais chaque syllabe semblait pesée avec soin. Elle inclina légèrement la tête, un geste précis, comme répété.
— Gianna Parasini. Je travaille pour l’administrateur Anoleis.
Elle marqua une pause, son regard passant de l’un à l’autre. Puis elle ajouta, un léger pli au coin des lèvres :
— Et je pense que nous pourrions avoir… des intérêts communs.
Chapter 16: Compromis
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Port Hanshan – 2183
La femme assise à leur table tapotait discrètement ses doigts sur le bois, un tic nerveux qui contrastait avec son calme apparent. Elle fixait Kaidan comme si elle l'évaluait, lui et sa loyauté. Ses lèvres s'étirèrent finalement.
— Gianna Parasini. Je suis la secrétaire d'Anoleis qui dirige tout ce qui se passe sur Noveria. J’ai besoin d’alliés pour faire tomber un supérieur corrompu. Pas de grands discours, pas de paperasse : vous m’aidez, je vous ouvre des portes qui restent fermées à tous les étrangers ici.
Kaidan soutint son regard, les bras croisés.
— Désolé. Nous avons déjà une mission, et elle n’a rien à voir avec vos querelles internes.
Parasini haussa un sourcil, comme si elle s’y attendait. Elle glissa une carte de données sur la table, ses doigts effleurant à peine le verre.
— Alors considérez ceci comme une option. Si vous changez d’avis, vous saurez où me trouver.
Elle se leva aussitôt, disparaissant parmi les silhouettes pressées du café sans un mot de plus. Tali n’avait pas bougé durant tout l’échange, la lueur de son omnitool restant muette, mais ses épaules légèrement raides trahissaient ce qu’elle pensait de la fonctionnaire.
Un crépitement dans l’oreillette.
La voix du Commandant résonna dans les tympans de Kaidan :
— Ici Shepard. On a un pass pour le garage, on file au Pic 15 en Mako. Tempête en approche, transmissions incertaines. Restez à l’écoute. Terminé.
Kaidan se redressa et lança un regard aux autres.
— Shepard et les autres vont au Pic 15. La météo risque de créer des interférences.
Ashley hocha la tête, la mâchoire serrée.
— Si elle dit qu’elle peut le faire, alors elle le fera. Mais j’aimerais pas être à leur place dans ce blizzard.
Garrus esquissa un rictus ironique, ses mandibules s’écartant à peine.
— Comme si ça allait être une promenade de santé. Vous, les humains, vous avez toujours l’air de sous-estimer les mauvaises conditions climatiques.
Ashley le toisa en coin, un éclat malicieux dans les prunelles.
— Peut-être… mais au moins on n’a pas besoin de casque intégral pour que les passants arrêtent de crier quand on entre dans un café.
Une brève accalmie suivit, rompue par le rire grave de Garrus. Kaidan se joignit à lui de bon coeur. Ashley avait cessé de toiser l’officier du C-Sec comme s’il allait dégoupiller une grenade à leurs pieds. Tali finit par pencher légèrement la tête, comme si cette légèreté l’atteignait elle aussi. L’atmosphère s’était détendue, plus légère, rythmée seulement par le grondement du blizzard contre la verrière. Les employés du port défilaient autour d’eux sans leur accorder un regard.
— Vous trouvez pas que ça ressemble à une cage, ici ? fit Ashley en désignant les vitres givrées. Toutes ces paperasses... tout est sous contrôle, rien ne dépasse. A part nous.
— Une cage dorée, répondit Garrus.
Kaidan esquissa un mince sourire.
— Vous détestez les paperasses, Williams… mais je parie que vous les remplissez toujours au carré.
Ashley haussa une épaule, le coin des lèvres teinté d’ironie.
— Rigueur et discipline. Avec trois sœurs à la maison, fallait que quelqu’un montre l’exemple.
Il hocha lentement la tête. Il percevait derrière ses mots une sincérité rare, la même dureté que celle qu’il portait en lui.
Garrus, amusé, ajouta :
— On dirait que vous avez trouvé votre miroir, Alenko.
— Je crois pas. Lui, il réfléchit trop. Moi, je fonce, répondit Ashley.
Kaidan haussa les épaules, faussement sérieux.
— Ça me permet de vous prévenir quand vous foncez dans un piège, Ash !
Ils se levèrent de la table puis marchèrent quelques pas, leurs bottes claquant sur le métal des coursives. Puis Ashley reprit, une teinte insolente dans la voix.
— En parlant de mes sœurs… elles vous ont déjà vu sur une photo de promo de l’Alliance. Depuis, elles arrêtent pas de me bassiner avec « le lieutenant aux épaules carrées, au beau sourire et au regard ténébreux ». Je parie que si vous passiez le pas de notre porte, elles se battraient pour savoir laquelle vous épouse.
Kaidan cligna des yeux, pris au dépourvu, puis plaça ses mains dans son dos pour se donner un peu de contenance.
— Dans ce cas, rappelez-moi de ne jamais accepter une invitation chez vous. Je ne tiens pas à déclencher une guerre civile familiale.
Garrus, qui n’avait rien manqué de l’échange, se pencha légèrement vers Kaidan, adoptant un timbre plus sérieux.
— Eh bien, Alenko… je commence à comprendre que certains regards qui traînent un peu plus longtemps sur vous n’ont donc rien à voir avec des évaluations strictement professionnelles.
Kaidan sentit un nœud lui serrer l’estomac : son coéquipier n’avait rien dit de précis, mais il savait. Ou plutôt, il avait vu. L’idée que ses sentiments aient pu transparaître lui donna un vertige fugace, vite camouflé derrière un masque neutre.
Ashley, elle, éclata de rire, inconsciente du sous-entendu.
— Voilà, Lieutenant. Même un Turien le dit : vous êtes officiellement classé « danger public » pour la gente féminine.
Kaidan était flatté, mais ses pensées s’étaient déjà échappées vers une silhouette aux yeux verts. Garrus avait peut-être effleuré une vérité qu’il aurait préféré garder enfouie.
Tali se permit enfin d’intervenir, sa voix douce glissant entre eux :
— Pour ma part, je pense que certaines qualités comptent plus qu’un joli sourire ou un physique avantageux. Comme la précision d’un tir bien placé.
A ses mots, le Turien tourna légèrement la tête vers elle, ses griffes s'enroulant autour de sa ceinture. Kaidan eut l'impression que sa peau était devenue légèrement plus bleue qu'à l'accoutumée.
Ses pensées furent interrompues par l'activation de l'intercom. Shepard, la voix déformée par la tempête, donnait de brèves mises à jour. Malgré l'expertise de Tali, ils ne parvenaient pas à améliorer le signal.
Les interruptions suivantes se faisaient de plus en plus inquiétantes. Des tirs, séparés par des bruits blancs, les ordres de Shepard qu'elle donnait entre deux informations, rendaient Kaidan nerveux. Ici, il se sentait impuissant. L'avancée au sein du laboratoire du Pic n°15 était difficile.
— Ici Shepard… progression lente… ces créatures surgissent partout, elles attaquent en meute. Wrex tient la ligne, Liara s’occupe de sécuriser nos arrières. On avance.
— Des raks... krrr... Shepard ! Cria le Krogan, avant qu'un tir plus fort que les autres ne couvre le reste.
Kaidan et ses compagnons restaient rivés à la fréquence, comme suspendus à chaque fragment de voix. Les messages se succédèrent ainsi, par bribes, durant ce qui leur parut des heures. L'angoisse lui vrillait l'estomac.
Lors de la transmission suivante, le ton changea. La voix de Shepard claqua, urgente, essoufflée :
— Ici Shepard… on est devant l’ascenseur principal du complexe. Accès verrouillé. On n’a pas le code d’ouverture ! Sans ça, impossible de rejoindre Benezia.
Des tirs éclatèrent derrière. Shepard reprit, haletante :
— Kaidan, trouvez-moi un moyen d’ouvrir ces foutues portes, ou on va finir coincés à se battre jusqu’à la dernière cartouche.
Un fracas métallique noya la transmission. Des jurons de Wrex passèrent, suivis de la voix affolée de Liara :
— Shepard, derrière vous !
Puis plus rien qu’un souffle blanc.
Kaidan resta un instant immobile, son cœur ayant raté un battement. Il appuya sur l'intercom, tentant d'interpeller le Commandant, mais rien.
Rien que le silence.
Un court instant, le visage de Jenkins lui revint en mémoire.
Son air rieur.
La balle qui l'avait fauchée.
Il ne pouvait pas les perdre eux aussi. Même cette Asari qu'il ne connaissait pas encore.
Kaidan se passa une main sur le visage pour remettre de l'ordre dans ses idées et se sortir du stress qui le paralysait.
La sécurité de la station appartenait à Anoleis.
Autrement dit, il pouvait verrouiller ou libérer l’accès au complexe comme bon lui semblait. Shepard pouvait se battre, mais pas franchir une porte close par l’administration.
Il savait ce que cela signifiait : sans un coup de pouce de l’intérieur, Shepard, Wrex et Liara étaient piégés. Il échangea un regard avec les autres. Une seule personne leur avait tendu la main.
Quelques minutes plus tard, Kaidan poussait la porte du bureau feutré où l’attendait Gianna Parasini. Son sourire l’accueillit comme si elle avait toujours su qu'il reviendrait sur sa décision.
— Vous êtes là plus vite que prévu, Lieutenant, dit-elle calmement. Alors, on joue cartes sur table ?
Le militaire inspira, bras croisés. Les compagnons qui se tenaient derrière lui donnaient la force dont il avait besoin.
— Ouvrez ces accès. Shepard n’a pas le temps d’attendre.
Parasini inclina la tête, amusée.
— Bien sûr. Mais rien n’est gratuit, pas sur Noveria. Vous m’aidez, je vous aide. C’est la règle.
Il soutint son regard sans répondre.
Sa décision était prise.
Chapter 17: Preuves
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Port Hanshan — 2183
La porte du bureau de Lorik Qui’in grinça sur ses gonds déformés. Ils arrivaient trop tard.
Kaidan échangea un bref regard avec Ashley, déjà en joue, avant de franchir le seuil. Gianna ne leur avait autorisé que le port d’un pistolet discret, ce qui avait fait pester Williams. En simples tenues militaires, sans blindage, ils se savaient vulnérables.
Le chaos s’étalait devant eux. Le bureau, d’ordinaire luxueux, n’était plus qu’un champ de ruines : chaises renversées, datapads brisés, dossiers déchirés qui jonchaient le sol. Sur un mur, Garrus montra du menton des impacts nets dans le béton.
— Tirs récents, souffla-t-il.
Pas un simple cambriolage. Quelqu’un avait voulu effacer jusqu’à la moindre trace exploitable.
Et ce quelqu’un était encore là.
Des éclats de voix se faisaient entendre dans un renfoncement de la pièce. Deux agents, habillés comme la femme qui les avait accueilli froidement au spatioport, Matsuo. Ils appartenaient à Elanus Risk Control Services.
Les hommes leur tournaient le dos, affairés à fracasser un terminal sous un néon qui clignotait d'une lueur maladive.
Le premier se retourna. La surprise figea son geste une seconde trop longue. Lorsqu’il glissa la main vers son arme, Ashley avait déjà pressé la détente. Le bouclier cinétique de son armure vascilla mais le tir de précision de Garrus le faucha dans la foulée.
Le Turien se mit aussitôt à couvert. Le second agent riposta, ses tirs ricochant contre la cloison.
— Couvrez-moi ! lança Tali.
Tali pianotta sur son omnitool. Une étincelle jaillit du terminal saboté : l’écran explosa, sonnant l’ennemi qui recula en titubant.
Kaidan… resta figé une fraction de seconde. Ses doigts s’étaient crispés sur la gâchette de son pistolet, mais rien n’était parti. Son corps, pourtant habitué à réagir avant même que l’esprit ne calcule, refusait de suivre.
Le silence de Shepard dans son oreillette lui vrillait encore l’estomac. Et si elle ne répondait plus jamais ?
Quand il reprit le contrôle, le combat était déjà fini. L’odeur de poudre se mélangeait à celle, âcre, du sang. Il baissa lentement son arme, crispant la mâchoire. Trop lent. Bien trop lent.
Ashley le regarda du coin de l’œil, mais ne fit aucun commentaire. Garrus enjamba l’un des corps, méthodique, comme si rien n’avait déraillé.
— Ce bureau a été nettoyé. Mais pas assez vite, grommela le Turien. Voyons s’ils ont laissé quelque chose d’utile.
Kaidan inspira profondément. Il força ses jambes à bouger, à reprendre le contrôle. Ses yeux se tournèrent vers un écran fissuré. Il s'éteignait par intermittences mais le disque dur ne semblait pas avoir été impacté par les tirs.
Kaidan s’en approcha, activant son omnitool pour tester le dispositif mais un signal résonna aussitôt.
— Circuits cramés, commenta-t-il. Je n’y entrerai pas sans le démonter pièce par pièce.
Tali était déjà agenouillée près du terminal.
— Laissez-moi faire.
Ses doigts gantés effleurèrent les commandes, déclenchant une série d’hologrammes orangés sur son interface. Les flux de données défilaient à une vitesse démente. Kaidan l’observa du coin de l’œil, notant la précision quasi musicale de ses gestes.
— Les fichiers sont endommagés… mais pas irrécupérables, marmonna-t-elle. Donnez-moi une minute.
Le silence s’installa, rythmé par les impacts de la neige contre les baies vitrées du bureau. Une pression familière vibrait derrière l'oeil droit de Kaidan. Chaque seconde sans nouvelle de Shepard amplifiait son angoisse.
Enfin, Tali redressa la tête.
— Voilà. J’ai restauré une partie des données.
Un flot de chiffres et de noms défila. Ashley fronça les sourcils.
— Des loyers ?
— Pas seulement, répondit Tali. Regardez. Ces crédits devaient aller directement à la Noveria Development Corporation. Mais Anoleis les a redirigés vers des comptes personnels… et une partie a servi à payer des agents corrompus de l’ERCS.
Garrus siffla entre ses mandibules.
— Classique. Il détourne les fonds, graisse quelques pattes pour garder le silence et fait porter le chapeau à un concurrent gênant.
Le nom de Lorik apparaissait plusieurs fois, relié à des dossiers falsifiés. Kaidan serra les poings.
— Ils veulent le faire tomber à sa place.
Ashley hocha la tête, le regard dur.
— Si ces preuves sortent, Anoleis est fini.
— Pas tout à fait, corrigea Tali. Ce ne sont que des données techniques. Devant une cour ou même devant les Affaires Internes, ça ne vaut rien sans un témoignage. Il nous faut Lorik.
Kaidan acquiesça.
— Alors allons le chercher.
Appartement de Lorik
Ils retrouvèrent Lorik Qui'in dans une suite impersonnelle, toute de verre et d'acier. Le Turien, costume froissé, épaules raides, se tenait droit devant la baie vitrée. quand le groupe entra, il les accueillit d'un regard méfiant.
— J'imagine que vous n'êtes pas venus pour admirer la vue.
Kaidan jeta la carte de données sur la table.
Lorik pâlit.
— Ces fichiers… s’ils sortent, je suis fini. Anoleis s'en sort toujours.
Ashley croisa les bras.
— Ou alors, vous témoignez. Vous dites la vérité.
— Il a des agents au sein même de l'ERCS ! s'énerva-t-il. Vous ne comprenez pas comment fonctionne cette planète.
Le silence s’épaissit. Garrus fit mine de hausser les épaules, comme si la lâcheté de Lorik ne l’étonnait pas. Tali, elle, s’écarta pour leur laisser le champ libre.
Kaidan s’avança, plantant ses yeux bruns dans ceux du représentant de Synthetics Insight.
— Vous avez raison. On ne comprend pas Noveria. Mais je comprends une chose : sans vous, Anoleis poursuit son trafic. Libre. Vous êtes la cible parfaite. Vous croyez que vous cacher derrière votre bureau sera efficace ?
Il marqua une pause, le ton grave.
— Vous êtes peut-être un homme d’affaires, pas un soldat. Mais si vous ne parlez pas, Anoleis s’en sort et tôt ou tard, votre cadavre sera son prochain trophée.
Lorik tressaillit. L'idée de son sort probable sembla l’atteindre. Anoleis avait le bras long, et le Turien le savait. Il détourna le regard, ses épaules s’affaissèrent. Le silence pesa de longues secondes avant qu’il ne cède. Enfin, Lorik souffla.
— Très bien. J’irai témoigner. Mais sachez que ça me coûtera tout.
— Ca vous sauvera plus que vous n’imaginez, conclut Kaidan.
Bureau de l'Administrateur Anoleis
L'entrée s'ouvrait sur un bureau feutré. Pas celui d'Anoleis, mais de son assistante, Gianna Parasini. Le sourire qu'elle leur adressa en voyant Lorik franchir la porte avait autre chose : la satisfaction de quelqu’un qui avait attendu ce moment depuis longtemps.
— Monsieur Qui’in. Lieutenant. Je suppose que vous avez trouvé ce que je cherchais.
Le Turien remit la puce de données à la femme. Pendant que les preuves défilaient sur son omnitool, son expression prit une allure plus sombre. Deux agents en uniforme apparurent derrière elle. Et avec eux, Anoleis.
L'Administrateur regardait sa prétendue assistante, la bouche tordue de rage.
— Traîtresse ! Vous ne pouvez pas ... !
— En fait si, répondit-elle avec un calme glacial. Gianna Parasini, Affaires Internes conciliennes. Vous êtes en état d’arrestation pour corruption, détournement de fonds et collusion avec une organisation privée armée.
Anoleis hurla, mais les gardes l’encadrèrent, le forçant à avancer. Son regard venimeux se planta une seconde dans celui de Kaidan.
Le lieutenant soutint sans ciller.
Quand les portes se refermèrent sur le cortège, Parasini se tourna vers eux.
— Merci. Votre intervention change beaucoup de choses. Noveria avait besoin qu’on lui arrache quelques masques.
Ashley haussa un sourcil.
— Et vous pensiez qu’on allait juste deviner que vous bossiez pour les Affaires Internes ?
— Je fais ce travail depuis deux ans, répondit Parasini. Je ne pouvais pas risquer ma couverture. Et sans un témoin, tout tombait à l’eau. Aujourd’hui, j’ai enfin ce qu’il me fallait.
Kaidan resta silencieux. Gianna lui tendit la main. Il hésita, partagé entre gratitude et l’impression d’avoir été utilisé. Mais il accepta de la serrer.
— Merci Lieutenant. A propos, j'ai reçu une communication du service de sécurité. Il semblerait que votre Commandant revienne du Pic n°15.
Son sang ne fit qu'un tour. Il quitta le bureau, Tali, Garrus et Ashley sur ses talons.
Lorsqu'ils rejoignirent le pont du Normandy, Joker attendait, bras croisés dans le froid glacial. Sa veste n'avait rien de règlementaire, mais elle semblait lui tenir chaud. Le petit groupe rentra à l'intérieur, pressés de retrouver la température contrôlée du vaisseau.
Kaidan préféra attendre aux cotés du pilote, dehors. Il sentait ses muscles se détendre d’un coup. Le froid ne le dérangeait plus. Seulement l'attente.
Le Commandant revient du Pic n°15.
Cette pensée tournait en boucle dans sa tête. A ses cotés, Joker ne disait pas un mot mais le froncement de ses sourcils trahissait son inquiétude.
Les minutes passèrent.
Wrex apparut en premier. Le Krogan avait l'air encore plus remonté que d'habitude, si c'était possible. Il monta dans le vaisseau d'un pas rapide, lourd, pressé. Sans un mot.
Kaidan croisa le regard de Jeff, aussi étonné que lui.
Plus loin, il distinguait deux silhouettes, dont l'une se blottissait contre l'autre. Liara pleurait. Lorsque les deux femmes arrivèrent au pont, Joker ouvrit la bouche, mais l'expression de Shepard suffit à le dissuader du moindre commentaire. Elle paraissait plus sombre qu'à l'accoutumée.
Après des heures de silence, la voir vivante lui coupa presque les jambes. Un poids immense se dénoua dans sa poitrine, remplacé par une chaleur qui lui serra la gorge. Il s’obligea pourtant à garder le visage neutre, un simple signe de tête militaire.
Le Commandant passa devant lui sans un mot, concentrée sur Liara. Ses yeux verts s’attardèrent à peine sur son second.
Elle était en vie. Et cela lui suffisait.
Chapter 18: Trêve
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Normandy, Baie Technique - 2183
Les rugissements du Krogan s'amplifiaient au fur et à mesure que l'ascenseur du vaisseau descendait au pont inférieur. Kaidan enfonçait ses ongles dans la paume de sa main, incapable de savoir s'il arriverait à lui parler ou non. Et à en sortir vivant. Il se concentra sur le ronronnement grave des moteurs. L’air, saturé d'huile et de métal chauffé avait un parfum familier, rassurant. Il inspira profondément, et avança dans la baie lorsque les portes s'ouvrirent. Un Krogan calme était déjà massif et dangereux par nature... et Wrex n'était pas calme.
Il paraissait plus imposant que jamais, son armure cabossée encore maculée de traces de givre. Ses prunelles écarlates brillaient dans la pénombre. Les larges cicatrices bardant sa plaque frontale le rendait encore plus intimidant.
— Ton commandant est complètement cinglée ! lâcha-t-il d’une voix rocailleuse.
Le Krogan siégeait sur une caisse, pendant que d'autres étaient éparpillées autour de lui. Kaidan sentit l'énergie d'un flux biotique récent. Il ignorait que Wrex en était un.
Dans l'ombre d'un recoin, il vit Tali, aux cotés d'Adams. Aucun d'eux n'avait osé approcher. Le Lieutenant avança de quelques pas, seul le bruit de ses bottes sur le sol métallique tranchait avec le silence.
— Que s'est-il passé, Wrex ?
Le Krogan fixa ses yeux rouges aux siens avant de grogner.
— Des Rachnis. Y'avait des foutus Rachnis dans ces labos !
Le souvenir de la transmission hachée lui revint en mémoire. « Des Raks... ».
Il n’avait pas compris sur le moment, et n’y aurait pas cru même si le mot lui était parvenu en entier. Les Rachnis avaient été exterminés par les Krogans deux mille ans plus tôt, évitant à la galaxie une guerre d’usure. Cet acte leur avait valu tous les honneurs, avant que le Conseil ne les brise avec le Génophage, une fois jugés trop gênants.
— Tu es sûr de ce que tu avances ? demanda-t-il.
Le rictus de Wrex dévoila ses crocs.
— J'en mettrais mes quatre à couper. Et Shepard a libéré leur reine. Elle a chanté dans la tête d'un cadavre Asari et prétendu qu'elle voulait la paix.
Kaidan eut du mal à imaginer la scène. Mais Wrex lui parlait, et c’était déjà un signe. Il s’approcha et finit par s’asseoir à côté de lui. À côté de cette masse, il se sentait minuscule.
— Je ne sais pas ce que vous avez vu, là bas. Mais je sais que Shepard n'hésite pas une seconde, quand elle a affaire à quelqu'un de dangereux.
— Ouais. Cette petite humaine a plus de courage que beaucoup de nos guerriers. Mais je suis sûr qu'on regrettera d'avoir relâché cette saloperie.
La colère grondait dans sa voix, presque douloureuse. Kaidan sentit le poids de l’histoire écraser ses mots. Il choisit de ne pas le nier.
— Je comprends, Wrex. Les Krogans ont beaucoup sacrifié pour exterminer les Rachnis.
Il fit une pause. Kaidan ne parlait pas seulement des guerriers qui s'étaient enfoncés dans les galeries souterraines de Suen pour y déloger les reines pondeuses. Il évoquait à demi-mot tout ce que le Génophage leur avait coûté : des milliers de morts-nés, la perte lente et inexorable de toute perspective d'élévation.
Un peuple condamné à pourrir sur Tuchanka.
Tant de Krogans sacrifiaient leur jeunesse à courir après des chimères, ou à se vendre comme mercenaires dans l'espoir de se reproduire avec les rares femelles fertiles.
— Sans vous, reprit le Lieutenant en baissant la voix, la galaxie aurait une toute autre allure. Vous aviez mérité mieux.
Wrex ne répondit pas, son regard se perdant au loin. Kaidan eut une idée. Il donna un léger coup de coude au Krogan.
— Wrex ?
— Hmm ?
— Tu crains de ne plus pouvoir éliminer les Rachnis s'ils reviennent en force, c'est ça ?
Le Krogan le toisa de nouveau, piqué.
— Hé ! Notre peuple n'a rien perdu de son pouvoir de combattant ! S'il faut éradiquer les Rachnis, nous le ferons encore, comme nos ancêtres !
Kaidan haussa les épaules, un sourire en coin.
— Alors, c'est pas vraiment un problème, pas vrai ?
Wrex se tut quelques secondes, avant de lâcher un son guttural qui ressemblait à un rire amer.
— Ok Lieutenant. Tu parles bien pour un humain. Mais on verra si tes beaux discours tiennent quand cette reine nous retombera dessus.
Il hocha la tête, comme s’il venait d’accorder à Kaidan une marque de respect. Dans l’ombre de la baie, Tali et Adams échangèrent un regard soulagé : la tension venait de retomber.
Pont intermédiaire
En remontant par les coursives grises du Normandy, Kaidan passa devant l’infirmerie. À travers la vitre, il distingua Liara, allongée sur une couchette, les traits apaisés par le sommeil. Chakwas veillait sur elle, un livre à la main. Le calme contrastait avec la tempête qu’ils venaient de traverser. Shepard n'était plus avec elles. Il continua à monter les marches en direction du poste de navigation. Pressly avait l'air concentré à entrer leurs nouvelles coordonnées.
— Le Commandant ? Demanda Kaidan en s’arrêtant.
Pressly leva à peine les yeux.
— Dans son bureau. Seule. Elle m’a demandé de filtrer les visites.
— Je dois débriefer avec ma supérieure, trancha le Lieutenant.
Le navigateur se détacha de ses écrans, un peu surpris par le ton inhabituel du Second. Il soutint son regard, puis hocha la tête sans protester.
Kaidan inspira, s’arrêta devant les quartiers du Commandant, puis toqua.
— Entrez.
La voix de Shepard paraissait lasse, étouffée par les couches métalliques de la porte. Elle s’ouvrit dans un souffle.
La lumière orangée des lampes de veille baignait la pièce d’une chaleur inhabituelle. Elle donnait à Shepard un teint doré, presque doux, contrastant avec l’éclat froid des néons du Normandy. Sur le bureau, une tasse de café à moitié pleine refroidissait lentement, oubliée à côté d’un datapad dont les lignes défilaient sans qu’elle y prête attention.
Elle était assise sur la chaise, une jambe repliée sous elle, un de ses pieds nus touchant le sol de la cabine. Shepard avait attaché ses cheveux à la va-vite, laissant quelques mèches brunes retomber devant son front. Elle portait un simple pantalon fluide noir et un débardeur brodé du signe « N7 » sur la poitrine. Kaidan ne put retenir un sourire discret : il n’y avait que des marines comme elle pour brandir leur formation comme un trophée, même hors mission.
Elle leva la tête et planta ses yeux verts dans les siens.
Kaidan hésita, puis vint s'adosser au bureau face à elle, paumes posées à plat sur le métal froid. Une tension sourde naquit dans son ventre et une seule question l'obsédait : « Que s'était-il passé au Pic n°15 ? ».
— Merci, dit-elle simplement.
Le mot le désarma. Il cligna des yeux, incertain. Elle lut sa confusion et poursuivit, d’une voix plus basse :
— Tu nous as sauvé la vie, là-bas. Une minute de plus et c’était fini.
Un frisson lui traversa la poitrine. Tu. Pas Lieutenant. Pas Alenko. Son cœur se serra, comme s’il avait manqué un battement. Il sentit la chaleur lui monter aux joues. Il laissa filer quelques secondes, le temps de trouver quelque chose d'approprié à répondre.
— J’ai seulement fait mon devoir, murmura-t-il.
Elle secoua la tête, baissant brièvement les yeux. Les doigts de Shepard jouaient nerveusement avec l’ourlet de son pantalon.
— Non. Tu as pris une décision au moment où il le fallait. Et je ne l’oublierai pas.
Kaidan la regarda en silence. Une mèche échappée tombait devant sa paupière. Il avait de nouveau envie de l'en écarter et de la glisser derrière son oreille. Les traits de Shepard étaient las, traversés d’une fatigue qu’il ne lui connaissait pas. Sa mâchoire se contracta légèrement lorsqu’elle reprit :
— Nous avons affronté Bénézia. Elle a envoyé ses commandos Asari contre nous… et nous avons dû la tuer.
Elle fit une pause, avant de murmurer, la voix se brisant presque.
— Liara a perdu sa mère...
Elle détourna les yeux, serrant son genou avec ses doigts comme pour ne pas laisser paraître ce que ça lui coûtait.
Kaidan inspira profondément. La jalousie qu’il avait ressentie à l’égard de Liara lui parut soudain déplacée. Shepard avait agi en commandante, mais aussi en femme capable d’accueillir la douleur d’une autre. Et le regard qu’elle lui lançait, à lui, n’avait rien de comparable.
Il hésita, puis se surprit à chuchoter :
— J’ai eu peur que tu ne reviennes pas.
Elle releva aussitôt la tête. Ses yeux verts s’ancrèrent profondément dans les siens, comme si elle cherchait à percer ce qu’il n’osait pas dire. Ses lèvres s’étirèrent.
— Pas de chance, Lieutenant. Je n'ai pas fini ce que j’ai à faire.
Les secondes s'écoulèrent, puis elle laissa filer un sourire. Son expression était indéchiffrable.
— Tu l’as vu toi-même… toi et moi, quand on s’y met, on rase une salle entière. On devrait peut-être prévenir Garrus et Ash qu’on joue dans une autre catégorie.
Kaidan répondit par un rire, mais il était incapable de savoir si elle venait de plaisanter ou de lui avouer qu’elle comptait sur lui d’une façon différente. Son cœur battait plus vite et ses paumes s’accrochèrent un peu plus fermement au bureau froid.
Il se déroba à son regard pour masquer le trouble qui courait dans ses veines, incapable de répondre sans se trahir.
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