Chapter 2: La Chevauchée Fantastique
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En Arizona, les jours brûlaient et les nuits gelaient. Deux extrêmes inconfortables qui se rejoignaient pourtant avec une certaine grâce en fin et en début de journée, quand les ombres étaient longues sur le désert et que la température atteignait lentement le supportable. C’était une belle heure, une qu’Arthur aurait préféré passer avec un bon livre et un verre de lait, assis sur la maigre chaise du bureau du shérif avec la lumière dorée de la fin de l’après-midi visible à travers l’air chargé de poussière. Au lieu de cela, il avait dû atteler son cheval à une charrette et laisser derrière lui toute perspective de repos à Los Camelos, pour cavaler en direction du relai de diligence le plus proche.
Les planches du relai craquaient sous ses bottes, visiblement pas habituées à voir tant de passage ‒ rien d’anormal, à vrai dire, pour un petit arrêt de bout de ligne jusqu’où les diligences échouaient rarement. Celle de six heures était en retard (une occurrence des plus communes, à en croire le carnet du relai, qu’Arthur avait fini par lire par pur ennui), sans doute peu habituée à être attendue avec impatience et plus que certainement ralentie par les aléas de la route. Les Navajos avaient les voyageurs à la bonne, pour l’instant, mais ça ne voulait pas dire que le reste du monde ne pouvait pas se lever de bon matin avec de mauvaises intentions.
La grande ruée vers l’or de 1849 avait laissé une poignée de chercheurs d’or dans les canyons environnants, lesquels oscillaient entre le stupide et le misanthrope ‒ un combo qui en conduisait plus d’un à décider qu’il était plus facile de trouver l’or sous le siège d’un conducteur de diligence plutôt qu’au fond de leur tamis. À ça, il fallait rajouter la lie des ranchs de la régions, priée de commettre ses exactions n’importe où ailleurs que sur les terres de leurs employeurs, les nuisances notoires avec quelques dollars sur leurs têtes, les coyotes qui semblaient toujours trouver de nouvelles manières de causer des problèmes, et parfois même la nature elle-même, avec ses gorges, ses rochers et ses arbres solitaires qui choisissaient toujours d’être frappés par la foudre et de boucher la seule route praticable à des moments fichtrement inopportuns.
(Parfois, Arthur jouait avec les pointes métalliques de l’étoile qu’il portait au revers de sa veste, et se disait qu’aussi masochiste qu’avait été sa décision de demeurer shérif d’une petite ville de merde au seuil du monde connu, il n’avait toutefois pas poussé la chose au point de devenir shotgun sur un des attelages de la Wells Fargo.)
Il aurait certainement été plus intelligent de poursuivre jusqu’à la ville la plus proche et effectuer quelques courses plutôt que de faire les cent pas jusqu’à laisser un sillon dans le plancher vétuste du relai. La diligence s’y serait aussi arrêtée, et qui sait, peut-être aurait-elle-même été à l’heure. Mais voilà, Arthur n’aimait pas laisser Los Camelos à elle-même trop longtemps. Ça n’apportait généralement rien de bon.
Durant les premiers temps de sa nomination, le jeune blanc-bec qu’il avait été avait estimé que quitter la ville le temps d’une visite chez des amis au Texas était un laps de temps assez réduit pour que les problèmes ne s’accumulent pas trop. Grossière erreur. Les problèmes n’aimaient rien de mieux que de s’accumuler, et le faisaient avec d’autant plus d’enthousiasme quand vous aviez le dos tourné. Arthur était rentré du Texas pour trouver le bétail de la région à moitié décimé par une série de crimes passionnels, le saloon transformé en maison close et la maison close en débit de boisson, le prêtre barricadé dans son église et refusant catégoriquement d’en sortir, et le village en lui-même divisé par une tranchée de part et d’autre de laquelle chaque côté avait planté des écriteaux grossiers assortis de francs-tireurs. Ça lui avait pris trois mois pour ramener un semblant d’ordre dans le patelin, et un de plus pour que le Père Blaise accepte enfin de sortir de sa sacristie. Le saloon et la maison close avaient fini par fusionner dans un exemple presque émouvant de rapprochement fraternel, mais la population bovine de la région n’avait plus jamais atteint son faste d’antan.
Arthur, lui, avait envoyé la première d’une longue série de lettres implorant Washington de lui envoyer plus de bras pour tenir la région.
(Ce qui avait fini par payer, même si dans ses pires jours, Arthur le ressentait un peu trop comme un cadeau empoisonné. Ça n’aurait pas dû l’inquiéter à ce point de laisser la ville entre les mains de Lancelot. Le type était arrivé avec des recommandations, bon Dieu. Tout bien cacheté, écrit noir sur le blanc des papiers de l’administration, signé de la main du gouverneur et tout. Le type était juste un peu trop zélé pour son bien, c’était tout.)
(D’ailleurs, s’il avait su, il aurait envoyé Lancelot au lieu de trotter jusqu’au relai, tiens. Ça lui aurait fait prendre l’air.)
Pour la sixième fois en une heure, Arthur fouilla la poche intérieure de son veston pour en sortir une vieille montre à gousset, achetée à un quincailler il y avait une éternité, et compara avec frustration la descente inexorable des aiguilles avec l’immobilité de l’horizon. Il priait pour un nuage de poussière ‒ grand ou petit, ça lui était égal ‒ n’importe quoi qui romprait la monotonie du paysage.
Et puis, par un miracle qu’il avait honnêtement cessé d’espérer, une tache grise apparut à l’horizon.
« Oh, c’est pas trop tôt. » marmonna Arthur dans sa barbe. Il rangea sa montre et jeta un coup d’œil vers le mur du relai, où un cheval gris était harnaché à une carriole rudimentaire. Tout ce qui voyageait au-delà du relai le faisait à pieds ou à sabot, et vu les pointures qu’il s’apprêtait à recevoir, il doutait qu’une petite marche impromptue dans le désert d’Arkansas soit à leur goût. Il ajusta l’étoile de shérif sur sa veste, redressa son chapeau et s’apprêta à faire face aux nouveaux arrivants.
« Hé, mais c’est Pendragon ! » le salua le whip avec un claquement de son fouet. « Ça f’sait longtemps, dis donc ! Dis bonjour, le Nordique ! »
Perché sur le toit, le shotgun lui adressa à peine un signe de tête, le regard dardé sur l’horizon. Sa carrure impressionnante surplombait un amas de valises qu’y l’était tout autant, donnant à la diligence un air bizarrement élancé. La plupart des shotguns avaient l’excuse du tabac à chiquer pour ne pas répondre aux questions des passager, mais celui-ci ne faisait même pas mine d’avoir la bouche pleine.
« Pas bavard ? » commenta Arthur.
Le whip soupira : « M’en parle pas. Heureusement que les m’sieurs-dames font la conversation, sinon, j’me sentirais seul, avec lui. Y parle la langue, hein, c’est pas ça, y comprend bien, mais y répond pas. Dit que ça l’déconcentre. Hein, c’est ça, Gruduche ? »
Le silence persista. « Gruduche ? » demanda Arthur.
« C’est c’qu’on m’a dit qu’c’était son nom, mais bon, on m’l’a dit qu’une fois et tu connais ma mémoire… »
Arthur n’y connaissait en vérité pas grand-chose à la mémoire de ce conducteur de diligence spécifique, mais hocha la tête en tentant d’avoir l’air convaincu. Quand on vivait dans une petite ville à la frontière de l’Ouest sauvage, on apprenait à maintenir de bonnes relations avec le seul moyen de quitter ladite ville.
« Par contre, faudrait que je m’y mette pour descendre les bagages de ces messieurs-dames. » continua le whip en désignant la montagne de valises sur laquelle Gruduche était perché. « Parce sinon, on va être en retard et ça va chauffer pour mon grade. » Il frappa du manche de son fouet la vitre de la diligence. « Hé, vous descendez ou merde ? C’est votre arrêt ! »
Il y eut remue-ménage, bruits de voix couverts, gesticulations, et puis enfin, la porte s’ouvrit. Un élégant soulier de ville, bientôt suivi d’un deuxième, dégringola le marchepied pour s’écraser dans la poussière rouge de l’Arkansas. Au-dessus de ces souliers se trouvait un homme comme Arthur n’en avait plus vu depuis bien longtemps. Son col était relevé si haut qu’il en touchait presque ses oreilles, et sa chemise était si immaculée qu’Arthur s’étonnait presque de ne pas voir le paysage se refléter dedans. Son haut de forme dissimulait des cheveux grisonnants et une paire de grands yeux béats.
« Merci mon brave ! » lança le citadin ‒ car il ne pouvait en vérité s’agir que d’un citadin ‒ en direction du whip, avant de se tourner vers Arthur : « Vous devez être l’autorité compétente de cette splendide région. Monsieur Pendragon, n’est-ce pas ? Enchanté, je suis Mr. Duke-Aquitaine. J’espère que nous ne vous avons pas fait attendre trop longtemps ‒ nous avons été tant séduits par vos magnifiques paysages que nous nous sommes arrêtés un moment pour les contempler. »
Arthur cligna des yeux lentement. Derrière Duke-Aquitaine, le whip s’arrêta un instant de décharger les bagages pour partager avec lui un moment de douloureuse solidarité. « Non, ça va. » finit-il par laisser échapper entre ses dents. « J’avais pris ma journée, de toute façon. »
(Il n’avait pas, en l’occurrence, pris sa journée. Les politesses étaient les plus douloureux des mensonges.)
« Dites donc, vous comptez me laisser là-haut ? » s’exclama une voix indignée dans l’habitacle. « Aidez-moi à descendre, enfin ! »
« Oh, c’est vrai ! » Le Duke-Aquitaine se précipita vers le véhicule et tendit un bras vers la personne qui se trouvait à l’intérieur. « La discussion est si plaisante que j’en oublie la galanterie ! Laissez-moi aider mon épouse et je suis à vous. »
Deux femmes sortirent de la diligence, la première avec un regard assassin vers le bras qui lui était offert, le prenant malgré tout. Elle avait réussi à caser dans l’habitacle une crinoline dont le diamètre rappelait à Arthur les roues à aubes de ces bateaux qui remontaient le Mississipi. Tout d’un coup, le nombre de valises que le whip descendait du toit semblait infiniment plus explicable. Si chacune des robes de Madame représentaient une telle quantité de voilure, on devait en effet vite manquer d’espace de rangement. Après avoir ôté son chapeau et salué les dames avec une politesse qui ne devait sans doute aucunement masquer ses bottes crottées et sa barbe hirsute, Arthur s’adressa au conducteur :
« Il peut pas vous aider, le Nordique ? » demanda-t-il en désignant le tas de valises. « Ça irait plus vite à deux, nan ? »
« Y bougera pas. J’ai essayé d’lui dire que ça serait bien aimable s’y pouvait quitter l’horizon des yeux trente secondes pour filer un coup de main, mais pas moyen d’le faire bouger ! L’est persuadé qu’les Navajos vont débarquer de derrière la colline s’y s’détourne un instant. Même si on n’en a pas vu la queue d’un depuis quat’ jours. »
« C’est bien dommage, d’ailleurs. » intervint Duke-Aquitaine. « Je suis sûr que ce sont des gens fort sympathiques. J’adorerais entendre leurs idées sur les aménagements du territoires que nous pourrions faire par ici. »
Arthur avait comme hypothèse que, une fois passé l’étonnement d’avoir été consultés par des Visages Pâles, les Navajos s’empresseraient de suggérer un décampage généralisé et immédiat de tous les Européens de la région, mais il se garda bien d’en souffler mot au bourgeois.
« Sympathiques ou pas, je persiste à dire que nous aurions dû amener une escorte. » marmonna Mme Duke-Aquitaine. Elle se fit tendre par sa domestique une délicate ombrelle en dentelle qu’elle déploya avec un regard mauvais envers le soleil couchant.
« Vous avez Angharad, c’est déjà une escorte. » répondit Mr. Duke-Aquitaine.
La deuxième femme haussa les sourcils sous son bonnet de dentelle, l’air estomaquée. Sa réaction semblait être entièrement partagée par Mme Duke-Aquitaine : « À moins que vous n’attendiez d’Angharad qu’elle ne poignarde d’éventuels agresseurs avec son épingle à chapeau, je ne vois pas ce qu’elle pourrait ajouter à ma protection. »
« Si Monsieur attend de moi que je défende Madame par les armes, je me permets de rappeler à Monsieur que cela dépasse grandement mes fonctions. Si j’avais des ambitions militaires, j’aurais postulé à l’armée et pas chez Madame. » maugréa la dénommée Angharad.
Arthur n’avait pas passé les dix dernières années de sa vie à gérer les conflits d’une ville de colons antipathiques que pour ignorer une engueulade qui se profilait avec tant de clarté à l’horizon. Il confirma que le whip avait bien descendu la dernière valise, avant de s’avancer vers son chargement, les doigts crispés sur le chapeau qu’il avait toujours dans les mains.
« Je veux pas vous vexer, M’sieur Duke-Aquitaine, mais ça sera bien de presser un peu le pas. J’aimerais qu’on arrive avant la nuit. »
« C’est la chose la plus intelligente que j’ai entendu de la journée. » dit Mme Duke-Aquitaine. « Dites-moi seulement que vous avez un véhicule plus spacieux que ce cabinet sur roues. »
Arthur se tourna vers le relai, à la rambarde duquel son cheval était toujours attaché, puis la charrette elle-même attachée au cheval. Il se retourna vers ses interlocuteurs, pour constater que la diligence avait promptement décampé, sans doute pressée de s’en retourner à la civilisation. Derrière les bourgeois et leur domestique, la pile de valises attendait patiemment qu’on la charge dans son prochain moyen de transport.
« J’ai bien peur de vous décevoir, madame. » avoua Arthur, une migraine pointant déjà à l’arrière de son crâne. « Mais si ça peut vous rassurer, le trajet n’est pas bien long. »
Arthur avait toujours été conscient que Los Camelos était une ville qui ne payait pas de mine, et ce sentiment n’était certainement pas amélioré par les visages éloquents de désolation des trois citadins qu’il trainait derrière lui dans sa charrette. Ce n’était pas la côte Est et ses belles cités au quadrillage moderne, ni même ces petites bourgades fondées par les premiers colons débarqués d’Europe, qui avaient eu le temps de prospérer et de s’enrichir. Non, c’était une ville en point d’interrogation, aux fondations provisoires et à l’avenir incertain. Si loin dans le Wild West, les petites communautés comme la leur étaient à la merci d’un caprice du temps ou des circonstances. Los Camelos était en tout point semblable aux petites huttes de prospecteurs qui maculaient les gorges et les canyons environnants : bâtie par appât du gain et maintenue par un mélange d’entêtement et de résignation.
Au bout de la rue principale s’élevait timidement la pointe de l’église, une petite chose sombre qui avait été détruite et reconstruite plus de fois qu’Arthur pouvait le compter, avec à chaque fois un peu moins de soin accordé à l’esthétique. Accolée à son flanc, la petite école représentait un rare éclat de vie et d’intelligence qui était malheureusement à moitié occulté par l’imposante silhouette du saloon, duquel sortaient des notes de musiques discordantes et des émanations d’alcool. Dans un accès surprenamment ingénieux de pragmatisme, le cabinet du médecin se situait juste à côté ; et, plus pragmatique encore, la porte suivante se trouvait être celle du croque-mort. Si l’on descendait la rue en se frôlant un chemin entre les charrettes, les chevaux et les vaches, on atteignait le General Store, la banque et la mairie, puis, après derrière un amas de petites maisons que rien ne distinguait de cabanes sinon des rideaux aux fenêtres, on pouvait commencer à entrapercevoir le lac Powell et ses eaux claires où les bêtes s’abreuvaient et où le linge était trempé avant d’être laissé à sécher sur les pierres.
« Nous pourrions construire une gare là, ce serait absolument charmant. » commenta Duke-Aquitaine.
« Si près de l’eau ? » rétorqua son épouse. « Ça va rendre le contournement beaucoup plus remarquable. Vous voulez que les passagers se plaignent ? »
« Ils pourraient apprécier la vue ! »
« Des sous-vêtements et du crottin de cheval, vous appelez ça une vue ? »
Arthur grinça des dents et tira la bride pour engager l’attelage dans la rue perpendiculaire où les bâtiments les plus récents avaient été bâtis : le bureau du shérif, où Arthur savait qu’il était attendu, et le petit hôtel de Gaunes, où il comptait laisser ses passagers et leur montagne de valises.
« Bohort, j’amène du monde. » déclara Arthur en poussant la porte verte. Il manqua de renverser le garçon d’hôtel, un benêt du nom de Gauvain qui n’avait rien trouvé de mieux à faire que d’épousseter le lustre en plein milieu du passage.
« C’est absolument pittoresque ! » s’exclama Duke-Aquitaine avec un enthousiasme auquel Arthur commençait à s’habituer bon gré mal gré, mais qui sembla faire grand effet sur le réceptionniste. « Ces tapis sont charmants, ça me rappelle mon dernier passage à Paris. »
« Un grand merci, Monsieur ! » s’exclama Bohort, l’air béat. Arthur devait lui concéder que c’était la première fois qu’un des clients de l’hôtel de Gaunes s’attardait un tant soit peu sur la décoration. Il fallait dire que la clientèle habituelle était plutôt composée de colporteurs, de trappeurs et de l’occasionnel propriétaire de ranch venu faire affaire en ville. Peu d’entre eux étaient sensibles à l’attention que Bohort portait au mobilier et aux arrangements floraux, sinon pour se demander comment exactement un hôtel de seconde zone pouvait se payer des imitations françaises et de la porcelaine délicate. Pour des bourgeois venus de New York, cependant, cela devait sans doute être attendu, même si Duke-Aquitaine ne se priva pas d’en faire l’éloge :
« Et ces boiseries ont un charme fou, où les avez-vous trouvées ? »
« Oh, je les fais venir de la Nouvelles-Orléans. » répondit Bohort, les joue roses. « C’est aussi de là que viennent ces adorables abat-jours‒ »
Visiblement à court de tolérance pour les badinages, Mme Duke-Aquitaine se racla la gorge et désigna d’un signe de tête impérieux les bagages qui attendaient d’être débarqués pour la seconde fois de la journée. Heureusement, Gauvain ne mit pas trop de temps à ses rappeler de ses devoirs et s’empressa de commencer le déchargement, secondé par Angharad. Bohort, lui, était passé du rose à un rouge embarrassé, et feuilletait rapidement dans son livre des comptes.
« Vous avez sans doute besoin d’une chambre, vous devez être fourbus… J’ai une petite suite au premier, pas grand-chose, mais c’est confortable. D’où nous venez-vous ? »
« New York. Nous sommes en voyage de reconnaissance, comme j’aime à le dire. »
De sa place en retrait, Arthur pouvait voir Mme Duke-Aquitaine rouler des yeux d’une manière qui n’était certainement pas digne d’une dame, mais qu’il se sentait enclin à pardonner.
« Ah bon ? » souffla Bohort. « En reconnaissance pour quoi ? »
« Pour une ligne de chemin de fer. Nous avons déjà relié une bonne partie des villes de l’Est et envisageons de nous étendre dans la région. »
« Oh, ce serait fantastique ! Ce serait l’occasion d’attirer de nouvelles têtes dans notre ville ! »
« N’est-ce pas ? Les paysages sont fabuleux et les prix de l’acier sont très avantageux, ces temps-ci. Je suis à peine arrivé et je suis déjà convaincu ! »
« Il en faut peu à Monsieur. » marmonna Angharad qui passait avec une valise sous chaque bras, un Gauvain chargé comme une mule sur les talons.
« Nous ne feront rien avant d’avoir un rapport de nos architectes. » déclara Mme Duke-Aquitaine avec fermeté. « Et avant d’avoir pu jauger de la sûreté de la région. »
Arthur ne pouvait que prier qu’elle la juge à son goût. Mais comme la plupart de ses prières, celle-là devait se retrouver lourdement punie.
Chapter 3: Le saloon de la dernière chance
Chapter by Kaantt
Notes:
Note de Kaantt : We're back! Pour un peu plus d'expositionTM
Chapter Text
Bordel. Sa capacité à se fourrer dans des situations merdiques devrait être élevée au rang d'art. Son invité n'était arrivé que depuis une heure et il pouvait déjà voir les regards envieux et jaloux des habitants de la ville sur les valises pleines de merveilles et de richesses. C'était pas souvent qu'on voyait arriver une dame bien habillée et suffisamment riche pour avoir sa propre suivante dans la région. S'il ne faisait pas attention il aurait un cambriolage à régler avant la fin de la semaine. Il avait pourtant abandonné Duke-Aquitaine aux bons soins de Bohort, à ses jolies chambres aux draps propres (chose suffisamment rare à Los Camelos pour être notée) et ses sels de bains parfumés sans remords ni regrets. Si le Duke était un homme bien poli il n'était certainement pas fait pour la vie en Arizona et Arthur ne lui donnait pas deux semaines avant qu'il ne reprenne ses bagages, sa femme et leur suivante et déguerpisse sans jamais revenir.
En regagnant le bureau du shérif (Il ne pouvait pas encore l'appeler son bureau, il n'en n'avait pas le droit, dans le Wild West il fallait gagner le droit d'appeler quelque chose sien. On ne pouvait pas juste s'emparer de la propriété d'une chose, il fallait la mériter pour en être le propriétaire.) Son premier réflexe avait été d'attraper sa copie cornée de Moby Dick et d'installer confortablement ses pieds sur le bureau plein de traces d'usure et de coup de couteau laissé par l'ancien propriétaire des lieux. Quand Arthur était arrivé à Los Camelos il avait fait changer l'orientation du vieux meuble : plutôt que de faire face à la porte il était à présent tourné vers la fenêtre par laquelle il pouvait apercevoir le lac Powell et les habitants qui venait y faire leur lessive, et plus loin la rumeur des Navajos qui ne venaient jamais trop près de la ville.
Dans le bureau du shérif il y avait une vieille horloge qui avait dû coûter un bras quelques années plus tôt mais qui ne valait plus rien aujourd'hui. Un bel objet venu d'une manufacture de Belgique en bois brut et magnifiquement orné. Un style second empire français propre aux beaux palais de Paris et Bruxelles qui jurait avec l'aspect rustique de la petite ville d'Arizona. Un souvenir de l'ancien propriétaire des lieux qui était tout aussi délabrée que l'esprit malade et fatigué de celui que les habitants n'avaient jamais appelé shérif mais toujours mon général . Quand Macrinus et son accent bourgeois du Vermont (un homme qui avait certainement connu son heure de gloire dans sa prime jeunesse alors qu'il servait comme général dans la guerre du Mexique) avaient quitté Los Camelos, son adjoint Cordius dans ses bagages et les registres de ses treize ans de service brûlés dans la petite cour de la prison, il n'avait laissé derrière lui que cette vieille horloge qui ne donnait plus l'heure correctement depuis au moins trois mois. Elle trônait toujours dans le bureau d'Arthur mais maintenant elle donnait l'heure avec une régularité militaire grâce aux bons soins du flambant neuf Deputy Marshall de Los Camelos.
Lancelot. Lancelot et ses jolies petites bottes cirées en cuir luxueux, ses cheveux blonds coupés courts, bien peignés et son air de p'tit minet. Lancelot, le gars de la haute fraîchement débarqué de D.C avec une belle lettre pleine de recommandations et de compliments de la part des supérieurs d'Arthur et qui n'était pas fichu de s'adapter aux coutumes de Los Camelos. Lancelot le nouveau Deputy Marshall de Los Camelos.
Quand la porte de son bureau s'ouvrit avec son grincement sinistre habituel et que le bruit caractéristique des bottes de cuir et des harpons en métal argenté résonna contre le plancher bancal que personne n'avait jamais réussi à réparer, Arthur sut immédiatement que c'était Lancelot qui venait lui annoncer une mauvaise nouvelle :
« C'est le saloon. » annonça Lancelot. Il avait pris le soin de se découvrir avant d'entrer dans le bureau du shérif. Il ajusta son insigne brillante de Deputy Marshall qu'il prenait le soin de polir tous les soirs avant de se coucher avant de remettre son chapeau blanc comme la neige qu'Arthur n'avait pas vu depuis deux ans voyant que le shérif n'avait rien dit. « Elles ont recommencé. »
Quand Lancelot parlait de cette manière c'était pas la peine de poser plus de questions. Il fallait abandonner son livre et lever ses fesses de la vieille chaise bancale, retirer ses pieds du bureau, attraper son carnet et une mine de charbon et quitter le poste. Abandonner le capitaine Achab à sa chasse à la baleine semblait criminel mais il était certainement plus grave de mettre le saloon à feu et à sang que de laisser le capitaine seul face à l'immense cachalot blanc. C'était pas la peine de demander à Lancelot de gérer la situation seul, il lui dirait certainement que ça ne rentrait pas dans ses fonctions et il n'aurait pas tort.
Si au quotidien ce respect des règles plaisait assez à Arthur de temps en temps il s'en passerait bien.
Ce n'était pas non plus la peine de lui demander qui avait recommencé et ce qu'elles avaient recommencé. Il ne connaissait que trop bien les problèmes que rencontraient le gérant du saloon et son unique serveuse. De la même manière que plusieurs cours d'eau peuvent n'avoir qu'une seule source, les problèmes de ce tripot n'avaient qu'une seule et même origine : les danseuses du saloon et leurs chamailleries d'enfants.
La réputation du saloon était faite de bric et de broc et les années ne l'avaient rendue que plus bancale. Plus connu pour les disputes entre les danseuses que pour la propreté, le saloon de Los Camelos rayonnait par ses émanations d'alcool plus que par la qualité des spectacles de danse et de musique (si on pouvait appeler cette cacophonie de la musique) qui se tenaient tous les jours à partir de quinze heures de l'après-midi (quand le pianiste n'était pas encore endormi). L'établissement était le plus grand bâtiment de la ville et aussi le plus célèbre. Malheureusement ce n'était pas pour la qualité de la nourriture et des boissons. C'était pour sa porte qui n'était jamais fermée, pour ses fenêtres aux vitres brisées tour à tour par des coups de poing mal placés et des pierres envoyés depuis l'extérieur par des enfants joueurs ou des soûlards vexés d'avoir été virés de l'établissement par une serveuse qui n'appréciait pas de se faire vomir dessus et pour les disputes légendaires entre les danseuses qui égayaient les journées grises des habitants de la ville.
La serveuse du saloon l'avait accueilli avec un regard désintéressé et une cigarette au coin de la bouche. M'zelle Uinda avait cet air sévère et fermé des filles de l'Oregon et l'accent monotone de Portland. Elle fumait sans discontinuer et faisait claquer les talons de ses bottes pas vraiment à la mode mais pas tout à fait ringardes non plus sur le sol sale de l'établissement. Quand elle servait les habitués du saloon on aurait pu croire à sa mine qu'elle était en train de dormir debout, et faire preuve de sympathie avec les nouveaux soûlards lui faisait certainement plus de mal qu'un arrachage de dents chez le médecin voisin. Trop classe pour être une danseuse mais pas assez élégante pour être une dame de la haute ou avoir fait un bon mariage, M'zelle Uinda travaillait la journée et une partie de la nuit avant d'aller se coucher dans sa petite chambre de bonne à l'étage de l'établissement.
Arthur n'avait que rarement vu le saloon aussi sale. Pourtant le sol de planches mal clouées et de verre brisé n'avait jamais été propre. Il était toujours couvert de la poussière rouge du grand Canyon et de flaques d'alcool de mauvaise qualité dans lesquelles étaient écrasés des restes de cigares, de cigarettes et de restes de nourriture. La dispute entre les danseuses avait renversé chaises, tables et bouteilles d'alcool et M'zelle Uinda tenait un balai dans ses mains prête à commencer le nettoyage des lieux dès que le shérif aurait foutu le camp.
Elle n'avait pas pris la peine de le guider vers le problème, elle lui avait simplement désigné la scène du doigt et était retournée derrière son bar se servir un shot de whisky et de le descendre d'une seule traite avant de reprendre son travail. Dans un coin de la pièce, un jeune chanteur roux qu'Arthur avait bien connu les premiers mois de son arrivée à Los Camelos grattouillait sa guitare, elle s'approcha de lui avec une pinte de bière nettement plus remplie que celles qu'elle servait habituellement. Il était évident que M'zelle Uinda avait ses clients préférés et que le shérif n'en faisait pas partie. Il n'avait jamais le droit qu'à des petits verres et des petites portions.
La scène du saloon, si on pouvait véritablement appeler cet ensemble de planches instables et de vieux rideaux rongés par les mites et les intempéries une scène, se dressait piteusement dans le fond de la salle. Des cinq danseuses du saloon ; trois étaient assises sur un banc avec des cigarettes et des verres de limonade et deux autres étaient debout. La plus petite des deux, Demetra, avait un œil au beurre noir et tenait dans son poing serré une poignée de cheveux arrachés à la plus grande Aelis dont le visage était griffé.
« J'vais pas vous demander qui a commencé et ce qui s'est passé. Je crois que j'connais déjà la réponse. » déclara Arthur en sortant son calepin de la poche de son pantalon de toile. Il dut tourner une bonne vingtaine de pages relatant les différentes disputes entre les deux danseuses des deux dernières semaines avant d'en trouver une qui n'était pas encore couverte de sa petite écriture serrée et illisible pour n'importe qui d'autre que lui.
Il n'avait d'ailleurs jamais su comment ces chamailleries entre les deux avaient commencé. Il avait toujours pensé que c'était simplement une histoire d’ego : Demetra était la première danseuse du saloon et l'arrivée, relativement récente d'après ce qu'il avait compris des discussions de comptoir, d'Aelis avait dû mettre à mal sa position. Pourtant les confessions qu'il avait entendues au-dessus des verres de whisky l'avaient détourné de cette piste simpliste : leur rivalité ne pouvait se réduire à une histoire d'ego. Il ne comprendrait peut-être jamais les disputes entre les deux femmes mais il avait fini par découvrir un pattern dans leurs chamailleries.
Si Aelis était la plus frontale des deux dans leurs chamailleries de bas-étage, Demetra était la plus vicieuse. Il était facile de voir quand Aelis allait attaquer : elle montrait les dents, se mettait à crier et brandissait son poing en direction du visage de sa collègue. La voir se battre c'était comme regarder un chien défendre son maître ou sa maison. Demetra était plus en retrait : elle observait sa proie, tâtait le terrain avant d'attaquer d'un coup unique mais qui ne ratait jamais sa cible plus féline qu'Aelis et diablement efficace.
Dans un coin du saloon quelques notes dissonantes résonnaient sur un piano désaccordé. Yvain, le jeune pianiste qui n'avait eu ce poste que parce que son père était l'un des plus gros trafiquants d'armes de la région et son grand-père l'un des cadors de la ruée vers l'or de 1848, pianotait sans considération sur les touches blanches et noires. Arthur lui jeta un coup d’œil désapprobateur alors que les deux danseuses reprenaient leur dispute à voix basse.
« J'vais pas non plus vous demander de pas recommencer. » Il savait bien que c'était inutile d'essayer de raisonner avec Demetra et Aelis. Elles n'écoutaient jamais ses arguments et leurs promesses étaient plus vides que les caisses de la police. « Par contre vous allez payer une amende au Deputy Marshall pour tout le bordel que vous avez mis ici. »
Les expressions indignées sur leur visage disaient tout ce qu'Arthur avait besoin de savoir sur les habitants. A Los Camelos les gens étaient près de leurs sous ( Ils sont pingres , c'est ce qu'aurait dit Lancelot s'il avait pu entendre ses pensées) et payer une amende était souvent pour eux bien plus choquant que de passer une nuit dans la petite geôle du bureau du shérif. Laissant à Lancelot la tâche de collecter l'amende des deux danseuses, Arthur quitta le saloon. Cette fois M'zelle Uinda ne prit pas la peine de le reconduire. Elle l'avait fait la première fois qu'il était venu régler un différend dans le saloon et devait certainement considérer que ce n'était plus la peine, qu'il connaissait la sortie maintenant. Pourtant le respect de l'ordre aurait voulu qu'elle le fasse. Il quitta le saloon avec un soupir pour regagner son bureau.
Arthur n'avait jamais aimé l'allure du bureau du shérif. Ce n'était pas tellement par snobisme, contrairement à Lancelot, mais plutôt à cause du peu de respect que ce genre de bâtiment témoignait pour sa profession. Le bâtiment était vétuste, la prison tombait en lambeaux, seule une des cellules pouvait encore être occupée sans prendre le risque d'assister à une évasion et il n'y avait plus de personnel pour s'occuper de l'accueil des visiteurs. Il n'y avait plus que lui et Lancelot pour maintenir la barque dans la bonne direction et pour essayer de reconstruire la façade du bâtiment et l'honneur de la police du coin. Un bon coup balai était toujours nécessaire dans ce bureau, à toute heure du jour ou de la nuit. La poussière semblait s'être incrustée dans le cœur même du bois du plancher. Le papier peint à la couleur suspecte (il n'avait jamais bien su si c'était du vieux rose jauni par les années ou un gris tellement sale qu'il avait fini par changer de couleur) était arraché par endroit et il manquait une planche au parquet sous le large bureau du shérif. Arthur avait beau essayer de nettoyer son espace de travail, à chaque fois que le soleil se levait il retrouvait la même saleté dont il s'était débarrassé la veille. Il n'était pas encore découragé par cette tâche de Sisyphe mais au fond de lui il savait que ce n'était qu'une question de temps avant qu'il abandonne l'idée de transformer son bureau en espace de vie agréable.
La seule chose qui apportait un peu de vie dans le poste du shérif c'était le bruit régulier et incessant du mécanisme de la grande horloge du général Macrinus. Cette vieille horloge l'agaçait mais il n'avait pas pu s'en débarrasser. Ce n'était pas faute d'avoir essayé mais elle semblait désespérément clouée au sol. Il avait même ravalé son honneur et demandé à Lancelot de l'aider à la retirer de la pièce mais même à deux ils n'avaient pas pu la bouger d'un centimètre. Il aurait voulu la remplacer par une de ces inventions modernes qui aurait pu lui donner l'heure sans faire de bruit. Il n'avait d'ailleurs pas besoin de regarder cette antiquité pour connaître l'heure. Los Camelos était réglée comme une partition et les mouvements des habitants de la ville l'informaient avec précision du passage du temps.
Six heures : c'était l'heure à laquelle il quittait son lit le matin. Il posait ses pieds sur le parquet plein d'échardes, passait une laine et allumait la lampe à huile (après avoir pesté contre quatre ou cinq allumettes qui refusaient toujours de s'enflammer) avant de quitter son lit. Il tirait ses rideaux et par la fenêtre il pouvait voir les autres habitants allumer leurs lumières et quitter leur maison pour aller travailler ou se rendre au lac avec du linge. L'église sonnait ses premiers coups et les plaintes des enfants s'élevaient à l'intérieur des habitations.
Huit heures : le saloon était déjà ouvert depuis plusieurs heures à ce moment mais c'était là qu'on voyait arriver les premiers habitués. Perceval et Karadoc, deux gars du patelin qui trimballaient des pelles dans leurs dos et des pioches dans leurs poches et laissaient derrière eux la poussière rouge caractéristique du grand canyon dans lequel ils passaient tout le temps qu'ils ne passaient pas à boire et à manger. Ils venaient prendre un petit-déjeuner qui se prolongeait souvent jusqu'au milieu de l'après-midi et rentraient chez eux ensuite pour récupérer leurs sacs de toile remplis de matériel étrange et quittaient ensuite la ville pour le désert aride du grand canyon à une demi-heure de marche.
Dix heures et trente minutes : c'était souvent à ce moment que le premier soûlard se dirigeait en titubant, ou soutenu par le propriétaire des lieux, vers la maison de l'unique médecin de la ville. Généralement, il en ressortait une quarantaine de minutes plus tard après avoir ingéré un des remèdes dont Merlin avait le secret. Mais parfois il n'en ressortait pas et on ne le revoyait que le soir, sortant les pieds devant de la maison du voisin croque-mort.
Midi : l'heure à laquelle Arthur quittait son siège pour aller manger au saloon. C'était également l'heure à laquelle la plupart des clients quittaient les lieux pour trente minutes, laissant le temps à Arthur de manger pratiquement seul.
Quinze heures : les premières notes dissonantes du piano d'Yvain commençaient alors à résonner dans les rues de Los Camelos. Après quelques échanges au-dessus d'un verre d'alcool (certainement coupé à l'eau mais Arthur n'avait pas pris la peine de le lui faire remarquer) les danseuses commençaient leur show et alors il n'était plus possible de travailler efficacement. On était toujours dérangé par des cris, des chants et des disputes.
Dix-sept heures et trois minutes : tous les vendredis c'était à cette heure qu'arrivait le grand bouquet de fleurs pour M'zelle Uinda de la part d'un ou d'une inconnu.e. Elle ne ramenait jamais le bouquet chez elle, elle se contentait de le laisser mourir dans un coin du saloon et le remplaçait la semaine suivante avec le nouveau. On ne savait rien sur cet admirateur ou admiratrice secret.e sinon que cette personne avait de l'argent, c'était la seule manière logique d'expliquer comment un bouquet de fleurs fraîches pouvait apparaître en plein désert de l'Arizona. Les six autres jours de la semaine c'était l'heure à laquelle le chanteur Renart arrivait, venu noyer sa panne d'inspiration dans la bière.
Dix-huit heures et quarante-cinq minutes : Arthur avait alors fini son service et et c'était l'heure à laquelle il verrouillait la porte du bureau pour aller dîner à l'hôtel de Bohort (qui ne lui faisait jamais payer ses consommations) mais c'était également l'heure à laquelle les pires coyotes du coin arrivaient au saloon, profitant de la fin du service du shérif pour se livrer à leur trafic en toute impunité.
« Vous avez pas du travail à faire ? » demanda Arthur à seize heures et sept minutes, le moment où chaque jour Lancelot entrait dans son bureau pour lui faire son rapport de la journée. « J'suis sympa mais faut pas pousser le bouchon trop loin. Vous êtes pas en vacances ici, c'est pas parce qu'il fait beau que vous pouvez vous permettre de vous la couler douce. »
Lancelot n'avait pas vraiment mérité ces remontrances. Il ne faisait que son boulot et il le faisait plutôt bien mais il était vraiment temps qu'il essaye de se détendre et de s' amuser un peu, même si pour lui le summum de l'amusement se trouvait sûrement dans une journée dans le tout nouveau Central Park avec une limonade et un bon livre.
(Il ne pouvait pas vraiment expliquer ce qui ne collait pas, ce qui ne marchait pas entre lui et Lancelot. Il devrait l'apprécier pourtant ; le gars était compétent, pas complètement antipathique et assez agréable à regarder. Il n'y avait rien chez lui de fondamentalement désagréable et pourtant il n'arrivait pas à l'apprécier.)
« Je ne vous aurais pas dérangé si je ne pensais pas l'affaire d'importance. » Ça c'était pas faux. Lancelot avait un respect infaillible pour la hiérarchie. Il s'adressait toujours à lui avec la plus grande politesse et il se demandait parfois s'il n'allait pas un jour s'incliner devant lui en entrant dans son bureau. « Venec est là. Il est revenu »
« Et c'est ça que vous appelez une affaire urgente ?! »
Quand Macrinus était parti de Los Camelos il ne l'avait pas prévenu de la présence d'un vendeur à la sauvette mais Cordius avait pris le soin de lui parler du gars un peu bizarre qui essaye toujours de vendre des trucs au général et qui repart toujours avec un coup pied au cul . Venec n'était pas un gars dangereux mais il avait certainement arnaqué plus de gens dans sa courte carrière que tous les malfrats de New-York réunis. S'il devait être tout à fait juste avec Lancelot il lui avait bien dit qu'ils devraient un jour s'occuper en détail du « cas Venec ». Un dossier d'une centaine de pages écrit à la mine de charbon et annoté soigneusement par Lancelot. Mais il n'était pas d'humeur à le faire aujourd'hui.
« Si ça peut vous faire plaisir, ou vous rassurer après tout j'en sais rien, je vais aller jeter un coup d’œil à ce qu'il fabrique. Mais c'est la dernière fois que vous me dérangez pour ce genre de truc. C'est bien clair ? » Le hochement de tête que lui adressa Lancelot suffit à le convaincre de quitter une nouvelle fois son siège et le poste de police.
Derrière la petite église au clocher penché, une petite caravane était installée à l'ombre d'un vieil arbre que l'aridité des lieux n'avait pas encore réussi à tuer. A côté de cette caravane, un chapeau blanc soigneusement vissé sur sa tête, se tenait Venec, un brin de maïs entre les dents et une bouteille de limonade fraîche dans la main.
« Salut shérif ! » s'exclama-t-il quand il vit la silhouette du shérif s'avancer dans sa direction. Il retira son chapeau et l'agita dans sa direction avec un grand sourire un peu benêt qu'Arthur avait appris à apprécier. « Alors ça bichonne ? »
Il avait toujours une manière bien à lui de l'accueillir. Il l'appelait toujours shérif, jamais monsieur Pendragon ou même monsieur tout court, il avait même peut-être passé suffisamment de nuits dans la prison de la ville pour gagner le droit de l'appeler Arthur.
« Combien de fois va falloir que je vous dise d'aller vendre vos merdes ailleurs ? » Répondit celui-ci avec un sourire.
Ça le tuait d'admettre que la présence de Venec dans ce trou paumé avait le mérite d'égayer un peu ses journées. Il pourrait même dire que d'une certaine manière il avait de l'affection pour lui mais si ses deux ans à Los Camelos lui avaient appris quelque chose c'était bien qu'il ne fallait pas faire confiance à ceux pour lesquels on a de l'affection.
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