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Plicplocplicploc
Plic ploc...plic...ploc
Plic ploc...plic ploc
L'égouttement irrégulier de la pluie traversant le toit rendait Jayce nerveux. Certains bruits pouvaient facilement l'horripiler : il y avait quelque chose d'incontrôlable, d'insupportable, dans ce son qui ne répondait à aucune logique et existait en dehors de sa volonté.
Plic, ploc
Comme les aiguilles d'une horloge, en décalé.
Plic
Une pause.
Il ressentait alors une sorte d'attente, les nerfs à vif, l'oreille tendue, mais rien ne venait.
Puis, alors qu'il commençait doucement à se rendormir...
Ploc
Il ouvrit les yeux en grand. Impossible. Impossible de dormir.
Un roulement de tonnerre retentit au loin, laissant présager un orage dans peu de temps.
La bicoque dans laquelle ils avaient trouvé refuge tenait à peine debout. C'était une antique ferme dans laquelle il restait à peine un peu de foin pour se faire une paillasse pour dormir. Toutefois, Jayce savait qu'il devait se montrer reconnaissant. Il avait échappé à la mort - encore une fois - et (son....partenaire ? ami ? frère de cœur ?...) Viktor était à nouveau à ses côtés, vivant.
Certes, on ne pouvait pas dire qu'il était en excellente forme, mais ça restait toujours mieux que lorsqu'il était mort, ou pire, lorsque son esprit était parti. Dans la pénombre, Jayce observait son visage trop pâle posé à côté du sien : il dormait côte à côte pour se tenir chaud. Il avait un air maladif, accentué par les cicatrices fluorescentes laissées par l'hexcore.
Mais au moins il était là.
Jayce tendit la main pour toucher sa joue, mais se figea au dernier moment.
Plic
Ploc
Plic
Ploc
Quelque chose le retenait, quelque chose d'instinctif.
Viktor n'aimait pas être touché.
Pendant des années, Jayce avait pris garde à restreindre ses habitudes. Jayce était quelqu'un de très tactile et Viktor, bien qu'il ne l'ait jamais exprimé verbalement, était réfractaire aux contacts physiques, alors Jayce avait essayé de s'adapter - il n'y parvenait pas toujours.
Après tout ce temps, pouvait-il encore toucher Viktor comme si rien ne s'était passé ? Et Viktor accepterait-il d'être touché par lui ?
Trop de questions pour un simple petit geste. Jayce laissa retomber sa main avec un soupir et se retourna de l'autre côté en fermant les yeux.
Ses pensées refusaient de se taire. La pluie, elle, s'était intensifiée, éclipsant presque le bruit du tonnerre au loin.
Est-ce que Viktor redeviendrait comme avant ? Que feront-ils une fois à l'abri ? Et si Viktor voulait partir de son côté ? Et s'ils ne trouvaient jamais d'abri ? Et si on les retrouvait pour les traîner de force à Piltover ?
Soudain, quelque chose se pressa contre son dos.
"Viktor ?", murmura-t-il.
- Non, croassa ce dernier, la voix étouffée par le dos de Jayce contre lequel son front reposait.
- Comment ça non ?, répondit Jayce avec un petit sourire.
Viktor lui donna un petit coup de tête entre les omoplates.
- Arrête de gesticuler. Dors.
La chaleur de son corps si près du sien était une distraction bien plus forte que le bruit de la pluie. Jayce déglutit.
- Viktor ?
- Hmm ?
- Est-ce que...
Il ne savait même pas quelle question poser. Juste envie de parler, de ne pas couper tout de suite le lien. Ils avaient peu eu l'occasion de parler en fuyant. Peut-être que Piltover n'était pas la seule chose qu'ils fuyaient...
- Est-ce que tu te sens bien ?, finit-il par demander, choisissant la question la plus importante qui le tracassait.
Viktor garda le silence. Jayce ne savait pas si c'était volontaire ou s'il s'était rendormi.
- Vikt...
- Je vais bien, souffla Viktor en redressant la tête. Je suis juste...
Il soupira et sa main agrippa la chemise de Jayce sur sa hanche. Sa voix devînt un murmure.
- Je ne veux pas penser.
Et sa main glissa lentement, timidement sous le tissu.
Jayce sentit sa respiration s'interrompre. Est-ce qu'il s'imaginait des choses ? Est-ce qu'il surinterprétait une simple maladresse ?
Comme pour confirmer cette idée, la main de Viktor s'écarta. Jayce se retourna vivement pour faire face à Viktor, qui baissa aussitôt la tête, ramenant ses bras contre sa poitrine maigre.
- On devrait dormir, marmonna Viktor.
- Je n'y arrive pas, confia Jayce à voix basse.
La tête de Viktor se redressa et leur regard se croisèrent.
Le bruit de l'orage dehors était assourdissant.
Le visage de Viktor se releva un peu et ses lèvres rencontrèrent celles de Jayce, aussi légères qu'une plume.
Jayce sentit une chaleur nouvelle embraser son visage et, à son grand désarroi, il laissa échapper un geignement étranglé, ses lèvres s'écartant naturellement sous le baiser. Il ferma les yeux et les doigts fins de Viktor caressèrent sa tempe.
Au moment où il s'attendait à ce que Viktor approfondissent le baiser, ce dernier se rallongea, sa main jouant toujours avec les cheveux trop longs de Jayce.
- Je sais. Essayons quand même de prendre du repos.
Puis, brutalement, il se détourna et roula de l'autre côté, sans un mot de plus.
Jayce roula sur le dos, les mains sur son visage brûlant, oubliant la pluie, l'exil et tout le reste.
Seul demeurait ce baiser qu'ils venaient de partager, et tous les non-dits entre deux battements de son coeur affolé.
Notes:
je ne suis pas sur le spectre de l'autisme, aussi, bien que j'ai tenté d'écrire Jayce sur ce spectre, je m'excuse par avance des éventuelles maladresses que j'ai pu faire tout au long de cette fic
Chapter 2: Viktor
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Le corps de Viktor n'était plus le même qu'auparavant.
Il était passé par tant de transformations que Viktor avait du mal à se souvenir de ce qui était normal et ce qui ne l'était pas.
De toute façon, il n'avait jamais appartenu à la norme, depuis le début.
Cependant, il y avait des changements qui étaient suffisamment flagrants pour qu'il puisse les intégrer à son inventaire :
- L'hexcore, en s'extrayant de son organisme, avait laissé sur son corps amaigri de nombreuses cicatrices - hideuses - scintillantes. Viktor pensait que leur luminescence miroitante pouvait s'atténuer avec le temps.
Il n'en savait rien. - Ses poumons semblaient parfaitement fonctionnels. Il avait parfois des sensations désagréables dans la poitrine, une sorte d'étau écrasant, mais c'était comme des réminiscences, des douleurs fantôme de ce qu'il avait vécu. Comme si on lui avait défoncé la poitrine avec un marteau dans une autre vie.
Ou un morceau de plafond. - Sa jambe était faible. Elle tremblait lorsqu'il s'appuyait dessus, lui donnant la sensation d'être un nouveau né sorti du ventre de l'Arcane. Mais les muscles, les tendons, les articulations avaient l'air de ne souffrir d'aucune lésion apparente à la palpation.
En revanche, ses nerfs étaient indubitablement touchés. La douleur, quand elle éclatait, remontait comme un éclair le long de sa jambe, jouant du xylophone sur ses vertèbres. Gérable. Violente. Ignoble.
Déni pour plus tard, qu'il se disait. Il pouvait continuer à marcher en évitant de grimacer. Jusqu'à ce qu'ils ne soient plus en danger. Jusqu'à ce qu'il puisse y penser clairement. - En tout cas, point positif, les prothèses dans son dos avaient disparu, mystérieusement avalées par l'hexcore et jamais recrachées. A un moment, elles avaient fusionnées avec lui, et maintenant elles n'étaient plus là. C'était comme un membre en moins. Il n'était plus à ça près.
En bref : il se sentait plutôt bien, tout compte fait. Il avait eu de la chance.
Plus que ses victimes en tout cas.
Et il avait Jayce.
De quoi pourrait-il se plaindre alors ? S'il avait perdu tout le reste, sa propre humanité et ses recherches...
Il lui restait l'affection de son partenaire.
Il lui avait juré de rester, en dépit de tout ce qu'il avait fait, de tout ce qu'il avait failli faire, de ce qu'il était et des conséquences que ce choix auraient pour lui et pour ceux qu'il laissait derrière.
C'était un sacrifice trop grand, et pourtant Viktor ne pouvait pas refuser. Égoïste jusqu'au bout, il ne pouvait se résoudre à repousser la seule étoile de son ciel enténébré qui le guidait vers de meilleurs auspices.
Viktor avait embrassé Jayce dans la grange la nuit dernière. Ils n'en avaient pas reparlé et avaient repris la route en discutant de manière strictement utilitaire. Rien n'avait découlé de cet acte, rien n'avait transparu de prime abord.
Pourtant, Viktor n'était pas fou. Il avait partagé l'esprit de Jayce - les traces de ses doigts brillant encore sur son front, dissimulés par les mèches trop longues de sa frange.
Il avait vu. Ce n'était pas son cœur qui avait imaginé les sentiments de Jayce à son égard, ils étaient bel et bien là.
Depuis le début.
C'était encore une blessure fraîche à laquelle Viktor avait du mal à se confronter. Il pouvait entendre que son partenaire l'ait choisi, l'ai aimé à un moment donné de leur relation, peut-être. Mais il avait traversé tant de métamorphoses...
N'était-ce pas se bercer d'illusions de croire qu'il était toujours le même ?
L'homme que Jayce chérissait...peut-être qu'il n'existait même plus.
Toutefois...Viktor refusait de briser ses espoirs.
Sans doute parce qu'il avait les siens, profondément enfouis dans les replis sombres de ce corps qui n'était pas tout à fait à lui.
Tout à fait lui.
Le jour luisait à peine qu'ils s'étaient remis en route. Les champs d'herbe folle scintillaient des dernières gouttes de pluie s'évaporant. La beauté d'une nature revigorée que Viktor aurait aimé rester explorer.
Mais ils étaient en fuite. Alors il n'interrompit aucun de ses pas, se contentant de suivre Jayce en s'arrachant à la contemplation.
Jayce avait pris le nécessaire à leur périple : il portait donc un énorme sac, comme le poids du monde sur son dos. Un peu de nourriture, d'eau, des bricoles qu'il avait entassées pêle-mêle sans se soucier de rien, sinon du temps que ça prenait - chaque seconde était précieuse - des vêtements, des bijoux à revendre pour faire de l'argent, une carte, une boussole...
De quoi tenir, mais jusqu'à où ? C'était une angoisse perpétuelle dans la gorge de Viktor qui ne savait pas comment en parler.
Jusqu'à où ? Jusqu'à quand.
Jusqu'à ce que Jayce lui lâche la main dans les champs de fleurs sauvages.
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Le bout du tunnel. Un petit village côtier. Fini le bivouac dans la nature, le camping dans le foin.
C'était presque dommage, parce que c'était dans le foin que Viktor lui avait donné leur premier et unique baiser.
Mais Jayce était loin d'avoir l'envie de faire la fine bouche. Il voyait bien combien Viktor souffrait en silence, le rythme de ses pas s'appesantissant au fil des jours. Il aurait aimé l'examiner mais n'était pas sûr que ce soit acceptable - que Viktor veuille cela. Il ne savait plus très bien où il se situait dans l'échelle relationnelle de Viktor - il n'ignorait pas que ce dernier avait de l'affection pour lui, mais le degré lui échappait encore (même après avoir fusionné leurs esprits quelques temps).
Pas sûr que leur baiser veuille dire grand chose. La pensée le harcelait, il ne pensait plus qu'à ça, la sensation, les émotions que ça provoquait, et ce que pouvait bien penser Viktor - et l'envie de recommencer.
Ça l'empêchait de parler et le silence c'était installé entre eux comme un mur depuis leur départ.
Ils n'arrivaient jamais à tenir une discussion. Les mots étaient trop lourds, il fallait tout réapprendre.
Jayce se sentait plus intimidé qu'il ne l'avait jamais été auparavant. Il pouvait faire face à ses propres sentiments pour Viktor - ce n'était pas un secret, ni pour l'un ni pour l'autre - mais pas en parler.
Leur nouvelle relation était trop sensible; non pas fragile, sensible.
Il avait déjà le cœur en hémorragie, il ne pouvait pas se permettre un mot de trop. Laisser échapper le flot de trop plein d'amour dont il était rempli - l'attente, le deuil, tout ça l'avait converti en un être nouveau. Dès qu'il regardait Viktor, il se sentait des étoiles dans les yeux.
Ils n'étaient pas censés avoir une autre chance.
Ils en avaient une, c'était une révolution, et Jayce ne savait pas quoi en faire.
- J'entends d'ici les rouages de tes pensées qui ruminent, haleta Viktor.
Jayce se retourna, le regard perçant. Ce n'était pas juste de la part de Viktor d'être à la fois si distant et si prévenant.
- Je réfléchissais à la meilleure solution de trouver de l'argent pour passer la nuit à l'auberge. On en a bien besoin.
Son regard appuya sur la boue sur les chaussures de Viktor et le bas de son pantalon, puis l'auréole de sueur sur sa chemise, ses cheveux collés à son front rougi par leur longue marche et par le soleil.
- Laisse-moi m'occuper de cette partie-là, déclara ce dernier en le rejoignant. Je vois un clocher : on peut se donner rendez-vous là-bas. Tu cherches une auberge, et je me charge de trouver de quoi payer.
- Tu es sûr ?
Viktor haussa les épaules.
- J'irais près des quais. C'est souvent là qu'on trouve ce genre de pratiques...
- Je ne disais pas ça parce que je doutais de tes compétences, s'agita Jayce en laissant tomber son sac au sol.
C'est à dire que...tu as l'air fatigué.
Viktor s'essuya le front, baissant les yeux.
- Ça va aller. C'est vrai que j'ai perdu l'habitude de faire l'exercice, et je dois encore m'acclimater à...tous ces changements.
Malgré toute sa compassion, Jayce était bien incapable d'imaginer à quoi Viktor faisait face, et tout ce qu'il entendait par le terme très diplomate de "changements". Est-ce qu'on pouvait parler de simples changements quand on passait par une résurrection et un statut de quasi divinité à faible être humain ?
- D'accord.
Il tira de son sac un bracelet qu'il avait porté quand il était conseiller. Cela lui paraissait venir d'une autre vie, ce n'était même pas un souvenir, c'était tellement ordinaire, tellement banal qu'il n'y avait jamais prêté attention.
C'était seulement maintenant qu'il remarquait à quel point il avait été privilégié pour pouvoir se permettre de voir un tel objet comme insignifiant, alors qu'aujourd'hui, leur droit à dormir sous un toit avec un repas chaud dans l'estomac en dépendait.
Viktor le lui prit délicatement des mains.
- Je reviens aussi vite que possible. Attends-moi sur la place du temple, dit-il en croisant son regard.
Pendant une seconde, Jayce se laissa absorber par la possibilité de l'embrasser. Cela lui paraissait presque normal, presque naturel. C'était Viktor, et il connaissait la texture de ses lèvres sur les siennes.
Puis le moment passa et il se détourna.
- OK. A toute à l'heure.
Jayce trouva rapidement l'établissement qu'ils recherchaient après avoir demandé le renseignement à un passant dans la rue.
Les gens d'ici n'avaient rien à voir avec les citadins de Piltover ou de Zaun. Il y avait une atmosphère tellement différente, à la fois très détendue, comme à Piltover, sans pour autant l'étouffement que l'on pouvait ressentir parfois avec la profusion de technologie foisonnant un peu partout - les véhicules, dans la rue, les airs, les marchands. L'absence de bruit était un soulagement pour ses sens facilement submergés. D'un autre côté, le vide laissait à Jayce un sentiment de solitude, le manque de Viktor à ses côtés le faisant se sentir sans défense - ce qui était absurde.
Il avait passé la plus grande partie de sa vie sans Viktor.
Et pourtant, aujourd'hui, c'était comme s'il y avait un trou là où il devrait y avoir quelque chose. Jayce ressentait son départ de façon encore plus aiguisée maintenant qu'ils s'étaient enfin retrouvé.
Sûrement le fait qu'il ait enfin fait le tri dans ses sentiments y était pour quelque chose.
Il avait choisi Viktor. Envers et contre tout, cette fois il ne le lâcherait plus.
Avec un soupir résigné, il passa la porte de l'enseigne au nom évocateur - Chez l'Alchimiste.
Il entra dans une vaste salle aux murs lambrissés et dont le plafond était supporté par de lourdes poutres en chêne. De grandes fenêtres apportaient de la lumière sur les tables rectangulaires qu'une jeune fille blonde aux allures de danseuse et vêtue d'un tablier était en train d'astiquer.
Une femme plus âgée derrière le comptoir se retourna tandis qu'il se dirigeait vers elle, qui semblait être la patronne; elle essuyait un verre près des tireuses à bières en cuivre lustré.
- Que puis-je pour vous ?, demanda la femme avec un accent guttural assez léger mais discernable.
Jayce eut un frisson involontaire : cela lui fit immédiatement penser à Viktor. Il décida tout de suite que la patronne lui était sympathique et il esquissa un sourire timide.
- Mon ami et moi avons fait une longue rouge et nous cherchons un endroit où fait étape, peut-être pour quelques jours. Auriez-vous encore de la place pour deux ?
- Hmmm, attendez voir. Ori !
La jeune fille au nettoyage trottina vers eux.
- Quoi ?
- Ramène-moi le registre des entrées.
L'adolescente souffla, puis s'éloigna non sans avoir jeté un regard appréciateur à Jayce.
- Pour combien de jours comptez-vous rester ?, interrogea la patronne.
- Je...nous ne savons pas encore, déclara Jayce en se grattant la nuque. Pour tout dire, nous pensions prendre un bateau pour continuer notre voyage, mais il faut d'abord que nous prenions des renseignements quant aux départs prévus au port. Mon ami a besoin de repos, il a des difficultés à marcher...
Il en avait aussi, mais bizarrement les seules qui le préoccupaient étaient celles de Viktor.
L'aubergiste reposa son verre sec pour en prendre un autre dans l'évier qu'elle frotta avec son chiffon.
- Vous allez où ? Je peux peut-être vous renseigner.
Jayce se mordit l'intérieur de la joue. Il n'avait pas réfléchi jusque-là, mais il ne voulait pas éveiller les soupçons.
- Quelque part dans l'archipel de la flamme bleue, répondit-il en tentant de garder un air confiant alors qu'il répondait parfaitement au pif grâce à ses maigres connaissances en géographie de la région.
- Bilgewater ?, demanda la propriétaire en haussant un sourcil, sa main se figeant dans son essuyage de verre.
Jayce déglutit, conscient d'avoir dit une bêtise mais sans savoir laquelle.
Heureusement, la fille de la patronne revînt à ce moment-là.
- Voilà le registre, fit-elle en déposant sur le comptoir un imposant carnet de la taille d'un dictionnaire.
La patronne tourna rapidement les pages avec le geste de l'habitude, se léchant le doigt occasionnellement. Jayce observa avec intérêt l'écriture serrée répertoriant les clients et clientes de l'auberge, espérant avoir fait suffisamment bonne impression pour obtenir une petite place pour Viktor et lui.
- Il nous reste des chambres, le problèmes c'est que plusieurs sont réservées, déclara l'aubergiste d'un ton ferme.
Jayce sentit une boule de plomb plonger dans son estomac. Il tenta de faire bonne figure, mais le désespoir donna un note aigüe à sa voix lorsqu'il insista :
- Il ne vous reste vraiment rien ? Même pour une seule personne ? Je peux dormir ailleurs si nécessaire. Nous ne...
- Il me reste une chambre, le coupa doucement la patronne. Simplement, elle est pourvu d'un lit double.
- C'est parfait !, s'exclama aussitôt Jayce. Il n'y a pas de problème, ça nous convient tout à fait ! C'est même mieux, on pourra y dormir à deux !
- Vous êtes sûrs ?, demanda la propriétaire de l'auberge en le dévisageant ostensiblement.
Jayce hocha la tête avec un sourire large, sans capter le sous-entendu.
- Je vais en parler à mon ami. On doit se rejoindre en ville...
- Je réserve à quel nom ?, lança la patronne en sortant de quoi écrire de la couverture du carnet.
Jayce se tourna, déjà sur le seuil de la porte. Il réfléchit à toute vitesse : il ne pouvait pas donner son véritable nom.
- Giopara !, s'exclama-t-il en quittant les lieux.
Le nom de jeune fille de sa mère.
***
La jeune fille soupira avant de récupérer son éponge pour laver les tables.
Elara, l'aubergiste, sourit en lui lançant :
- Il était bien trop vieux pour toi de toute façon !
Ori lui tira la langue et se remit au travail.
Notes:
Utilisation de Elara, l'OC de Ash__00, avec son aimable autorisation
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Il y avait quelque chose de familier à longer les quais de ce village inconnu. Ici, l'air était clair, contrairement à Zaun, et l'eau était fluide et transparente, reflétant le bleu du ciel. Lorsqu'on se penchait, on pouvait même voir de petits poissons multicolores danser autour des coques des bateaux. Viktor ne se lassait pas de ce spectacle : c'était si paisible, si différent de tout ce qu'il avait toujours connu.
Il réalisait à quel point il s'était fourvoyé en imaginant à quoi devait ressembler un monde idéal.
C'était ça, le monde idéal. La pureté qu'il recherchait, elle était dans la douceur d'un environnement dépourvu des séquelles de la guerre.
Dire qu'il avait failli détruire tout cela par étroitesse d'esprit...
- Hey ! Attention mon gars, ou le Tahm Kench risque de t'attraper !, dit quelqu'un en lui attrapant l'épaule.
Viktor se raidit immédiatement et repoussa la main. Il fit immédiatement face à l'intrus.
Ce dernier recula d'un pas en levant les mains. C'était un grand homme musclé, roux et barbu, la cinquantaine. Pas l'air menaçant au premier abord, toutefois Viktor avait appris à se méfier des apparences.
Il analysa rapidement la posture de l'autre homme et jeta des coups d'œil rapides à leur environnement pour évaluer ses possibilités de fuite si affrontement.
- Tout doux, je ne voulais pas t'effrayer, fit le nouveau venu. Seulement, je te vois traîner par-là depuis une demi heure...t'es pas d'ici, pas vrai ?
- Brillante déduction, rétorqua Viktor sur un ton légèrement sarcastique. Je cherche quelque chose. Peut-être pourrez-vous m'indiquer le chemin. Mais tout d'abord...qu'est-ce que le Tahm...Kench ?
L'autre esquissa un sourire sans réserve :
- C'est une légende locale. Une sorte de démon, mi-homme mi-poisson chat, qui utiliserait sa langue extensible pour attraper ses proies et les manger.
- Bien je ferais attention à ne pas croiser ce terrible personnage, répliqua Viktor avec un soupçon d'amusement. Je viens d'arriver avec mon ami, et nous avons épuisé nos ressources financières sur le chemin. Aussi nous recherchons un prêteur sur gages, un antiquaire ou tout autre personne qui pourrait nous aider à faire commerce des maigres biens dont nous disposons pour la poursuite de notre voyage.
L'homme fit un geste du bras.
- Je connais en effet quelqu'un qui...
- Je tiens à vous prévenir tout de suite, coupa sèchement Viktor. Je n'ai pas ses biens sur moi, évidemment. Ce serait idiot de ma part de me promener avec et de demander ce genre de chose au premier venu.
Le marin - car c'en était un, Viktor pouvait le deviner à sa musculature et à l'odeur de tabac aux algues qu'il dégageait - rit gentiment.
- Méfiant, à ce que je vois. Mais vous n'êtes pas à la ville ici. Il n'y a pas à s'inquiéter. Je vais vous mener à lui. C'est tout près d'ici de toute façon, vous auriez fini par tomber dessus tôt ou tard.
La main dissimulée dans son manteau, Viktor desserra lentement sa poigne du manche du couteau qu'il gardait accroché à sa ceinture.
- Très bien. Je vous suis, Monsieur ?
- Je m'appelle Friedrich...
Il lui tandis la main et Viktor la regarda en fronçant les sourcils, avant de comprendre ce qu'il voulait; il la prit et la serra.
- Friedrich Fortune.
- Un nom des plus plaisants, répondit Viktor avec un mince sourire en rétractant sa main quand la poigne de Friedrich se desserra.
- Vous ne m'avez pas donné le vôtre, fit remarquer le marin.
- Toujours très observateur, déclara Viktor en rabattant la capuche de son manteau sur sa tête. Vous pouvez m'appeler Viktor, si cela apaise votre curiosité.
- Très méfiant hein, nota Friedrich. Enfin bon, ça vous regarde après tout. Suivez-moi.
Il s'éloigna et Viktor lui emboîta le pas en s'assurant qu'on ne les suivait pas.
Il avait menti bien sûr. Le bracelet en or massif de Jayce reposait passé à son bras, sous sa chemise.
Du côté où Friedrich lui avait saisi l'épaule, ce qui l'avait fait réagir vivement.
Il n'était pas méfiant sans raison. Ni naïf.
Enfant de Zaun, il savait ce qui se trafiquait sur les quais et les ports.
Pour l'heure, il suivit docilement son guide.
Peut-être qu'il n'aurait pas dû embrasser Jayce, la nuit dernière.
C'était égoïste de sa part : il savait que Jayce l'aimait, il savait que Jayce accepterait tout de lui.
Tout en lui refusant l'accès, il lui donnait de l'espoir. Tout en restant dans le flou concernant ses propres sentiments, il alimentait ceux de Jayce.
S'il avait été une bonne personne, il aurait dit à Jayce de l'abandonner. Il l'aurait *forcé* à l'abandonner. Il aurait fuit seul, permettant à Jayce de se racheter de son côté, avec ses amis, ses proches.
Au lieu de cela, il l'entraînait vers un avenir incertain et dangereux. Un avenir dans lequel il n'était même pas certain de pouvoir lui offrir la réciproque à son amour.
Viktor n'était pas certain de savoir ce qu'il ressentait. Déjà parce qu'il n'avait jamais aimé personne, contrairement à Jayce - Viktor avait vu sa tendresse pour Mel dans son esprit. Il y avait aussi une autre raison : il dissociait.
Il savait cela depuis longtemps, et c'était sans doute la raison pour laquelle l'arcane avait trouvé un terreau si fertile pour sa corruption.
Il avait décidé depuis très longtemps qu'il ne voulait plus ressentir la moindre émotion. Cela ne voulait pas dire qu'il avait réussi - on ne contrôle pas ses émotions, jamais parfaitement, elles étaient ce qui nous rendait humain, Viktor l'avait appris à ses dépends - mais il avait acquis la capacité, face à l'angoisse que lui provoquait ses propres émotions, de se dissocier d'elles, pour pouvoir les regarder de haut, d'un œil critique et jugeant.
C'était ainsi plus facile de se distancier de lui-même, de sa souffrance, de son corps malade et défectueux, de la pitié et du mépris des autres.
Il pouvait regarder ça de loin, comme si ça arrivait à quelqu'un d'autre. Comme un scientifique examine un insecte sous microscope.
Il était l'insecte. Et maintenant qu'il était à nouveau piégé en lui-même, il tentait d'analyser ce qu'il ressentait, il essayait d'apprivoiser cette anxiété qui l'avait amené à perdre confiance en lui-même, en l'humanité, et à fabriquer ses propres solutions aux problèmes, sans les fuir.
Une tâche très rude.
Il avait de l'affection pour Jayce, énormément. Il avait aussi besoin de lui, indubitablement.
Mais qu'est-ce que cela signifiait ? Était-ce que c'était similaire à la dévotion de Jayce, à sa confiance aveugle et son désir ?
Viktor ne le pensait pas, et la seule pensée le remplissait d'un effroi si palpable qu'il n'arrivait plus à ressentir quoique ce soit de net.
Il dissociait encore...
Soudain, il revînt en lui-même lorsqu'une porte s'ouvrit devant lui.
- Je vous laisse, déclara Friedrich en s'écartant pour le laisser entrer à l'intérieur.
Viktor passa le seuil et regarda autour de lui. Il y avait beaucoup d'objets de toutes sortes, accrochés aux murs ou dans des vitrines - des œuvres d'art, de la poterie ancienne, des armes, des vêtements.
- Tu n'es pas d'ici mon garçon.
Viktor dirigea son regard vers un vieil homme rabougri qui fermait la porte d'une remise où il était allé cherché une caisse remplie de bric à brac. Avec ses fières moustaches et ses yeux d'un bleu scintillant, il lui fit immédiatement penser à HeImerdinger.
- Bonjour, salua poliment Viktor en retirant sa capuche. On m'a conduit ici parce que...
- Tu as quelque chose à vendre. Oui oui, c'est souvent pour cela que l'on vient me voir, l'interrompit le vieil homme en chassant la poussière de sa caisse enregistreuse antique.
Il porta son regard azur sur Viktor et le détailla de la tête aux pieds.
- Tu es un voyageur, mais tu viens des terres, pas de la mer.
Ses épaules se détendirent.
- Montre-moi ce que tu as apporté...
Viktor soupira. Il se sentait bien ici. C'était petit, il y avait beaucoup de choses, sans que ce soit pour autant encombré. La vitrine donnait sur une rue passante éclairée, bordée de jardinières en fleurs.
Un endroit apaisant.
Il retira le bracelet et le montra à l'antiquaire;
Ce dernier prit l'objet et sortit du matériel pour l'examiner. Pendant ce temps, Viktor laissa son regard vagabonder.
Il s'arrêta sur quelque chose dans une vitrine. Il s'en approcha pour voir ça de plus près.
- C'est un bel objet que tu m'apportes là. Tu pourras en tirer un bon prix, dit le marchand.
- A combien se vend ceci ?, interrogea Viktor.
L'antiquaire haussa un sourcil surpris.
- Ça ? Oh eh bien...
Viktor sut alors que quelque soit le prix, il allait l'acheter.
Notes:
quelqu'un a parlé de self insert ? Je ne vois pas de quoi vous parlez !
Chapter 5: Jayce
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Lorsque Jayce rejoignit le temple, il trouva Viktor assit sur les marches, en train de manger un sandwich.
- Je t'en ais pris un, lança-t-il en guise de salut en lui tendant un emballage.
Jayce s'en saisit et s'assit à son tour pour manger.
- J'en déduis que tu as trouvé l'argent...
- J'en déduis que tu nous as trouvé un endroit où dormir, répliqua Viktor en s'essuyant un peu de sauce au coin de la bouche.
Jayce lui sourit.
- L'auberge est très accueillante. Elle est tenue par une mère et sa fille. Par contre, il n'y avait plus beaucoup de places...
- J'imagine que c'est à cause du festival qui va bientôt avoir lieu, fit remarquer Viktor.
- Un festival ?
- Oui. J'ai parlé avec quelques personnes, et elles m'ont dit qu'il y avait un festival ce weekend. Ils appellent ça les filets bleus.
- Je ne te savais pas si sociable.
- Je suis sociable quand c'est nécessaire. J'ai pris des renseignements sur les environs et il semblerait qu'il y ait peu de pacifieurs par ici. Enfin ils n'appellent pas ça comme ça ici, mais c'est la même chose. Leur caserne est à plusieurs kilomètres de là. Du coup, il y a pas mal de contrebande, mais rien de très important qui forcerait la police à y mettre son grain de sel.
Jayce continua de le regarder avec un sourire, que Viktor ignora, préférant terminer son repas.
- On m'a aussi parlé des bateaux en partance, continua-t-il en s'essuyant les doigts sur son pantalon déjà bien sale.
La gorge de Jayce se noua. Il se leva soudain.
- J'ai oublié de te dire une chose.
Viktor se leva à son tour en époussetant les miettes de ses vêtements. Jayce poursuivit :
- Il n'y avait plus qu'une seule chambre. Mais l'aubergiste a dit que c'était un lit double.
Viktor haussa les épaules.
- Je vois. Ce n'est pas un problème. Je t'ai déjà entendu ronfler, c'est tolérable.
- Je ne ronfle pas !, protesta vigoureusement Jayce.
Il ne manqua pas le sourire de biais de Viktor.
- Tu en es sûr ? Moi je te dis que tu ronfles.
L'ex-conseiller de Piltover rougit, le regard orageux.
- Et toi tu grinces des dents !, s'exclama Jayce.
Viktor écarquilla les yeux, puis les plissa farouchement :
- Bien sûr que non !
- Bien sûr que si !
- Je ne ronfle pas !
- Si tu ronfles !
- Regarde maman, lança une petite fille dans la rue qui les pointait du doigt. Ya des monsieurs, ils se chamaillent comme nous à l'école...
Viktor rabattit prestement sa capuche sur son visage et Jayce lui tourna le dos, encore plus rouge. Malgré son embarras, il sourit un peu, le coeur battant d'espoir.
C'était bon de retrouver son Viktor, têtu et mesquin.
Le soir venu, après avoir flânés dans le village, ils se rendirent à l'auberge. Viktor jetait des regards bizarres à l'aubergiste depuis qu'elle les avait appelé "le couple Giopara", alors Jayce s'empressa de le faire monter dans leur chambre. Il aurait peut-être dû le prévenir qu'il avait utilisé un nom d'emprunt, mais ça ne lui semblait pas important sur le moment.
Une fois dans la chambre, en fait, Viktor s'était éclipsé pour demander un bain à la fille de la propriétaire. Celle-ci vînt remplir la grande bassine au fond de la chambre, derrière un paravent, et après plusieurs allées et retours, les laissa enfin seuls.
Viktor se déshabilla sans se soucier de la présence de Jayce et ce dernier fit semblant de s'intéresser à la tapisserie avec une attention soutenue pour ne pas observer le corps nu de son partenaire dépourvu de la pudeur la plus élémentaire.
Ce dernier se glissa enfin derrière le paravent, et Jayce vit son ombre, silhouette aux formes anguleuses, se glisser dans la bassine d'eau brûlante.
Viktor lâcha un soupir de satisfaction.
- Cela fait tellement longtemps que je n'avais pas savouré un bon bain chaud, déclara Viktor.
Jayce ramassa ses vêtements éparpillés sur le sol. Des habits neufs trônaient sur le lit, ils les avaient acheté dans l'après-midi pendant leur exploration du village.
- Comment va ta jambe ?, osa demander Jayce.
Il y eut un silence, puis Viktor répondit :
- Pas trop mal. Et la tienne ?
- Pas trop mal, répondit Jayce en retirant son pantalon tout en desserrant sa prothèse.
Son genou était enflé et il appliqua dessus la pommade qu'il utilisait à Piltover. Il ne lui en restait plus beaucoup, il faudrait qu'il trouve un apothicaire dans le coin ou bien ça risquait de devenir un problème.
Les veines bleues de sa jambe étaient presque noires. Il massa longuement sa jambe pour rétablir la circulation. Parfois, il lâchait de petits grognements qu'il étouffait de son mieux, mais Viktor ne faisait pas de commentaire. Peut-être s'était-il endormi.
La douleur refluait, alors Jayce en profita pour retirer sa chemise sale et en passer une propre.
Alors qu'il s'apprêtait à la boutonner, il entendit Viktor sortir de son bain.
- Ah, attend attend !, s'exclama-t-il aussitôt en se relevant vite pour ramasser son pantalon.
Une crampe soudaine le ramena assis sur le lit; il s'était levé trop brusquement après s'être occupé de sa jambe.
Viktor apparut, une serviette autour de la taille - "merci dieux et déesses !", remercia mentalement Jayce.
Ce n'était pas la première fois qu'il voyait Viktor nu : il l'avait ramassé dans cet état, après l'anéantissement de l'hexcore. Et il l'avait porté, enveloppé dans une couverture trouvée au sol près d'eux - une vieille chose qui avait due être bleue dans une autre vie.
L'avait ramené chez lui, puis avait préparé son plan d'évasion. Quand Viktor s'était réveillé, tout était déjà clair dans l'esprit de Jayce - et pourtant, tout était si embrouillé. Mais la peur de se voir enlevé Viktor submergeait tout.
Viktor avait protesté au début, mais s'était vite laissé convaincre. Est-ce que la peur de Jayce l'avait contaminé, ou bien était-il trop fatigué pour argumenter après cette expérience incroyable qu'ils avaient vécu ? Jayce n'en savait rien et s'en fichait.
Il allait protéger ce qui comptait le plus désormais.
Pourtant, même s'il l'avait déjà vu, ses yeux ne pouvaient se déloger de son corps pâle aux cicatrices multicolores. C'était encore plus présent sur son torse. Sur son visage, ça pouvait presque paraître normal s'il ne s'exposait pas trop au soleil, mais sur son torse, ça irradiait. Ça courrait le long de ses muscles comme des rivières, scintillant comme de micro-diamants.
Ses cheveux bruns gouttaient, collés par l'eau à son visage taillé à la serpe, visage que Jayce aimait autant que respirer, tout naturellement, comme s'il était né pour ça.
Et les gouttelettes coulaient sur sa peau d'albâtre, suivant le contour de ses cicatrices qui se concentraient toutes en un seul point au niveau de sa poitrine.
Là où jadis, Jayce s'en souvenait, il avait fait naître un énorme trou.
- Oh....OH !
Les larmes jaillirent en torrent tumultueux, emportant tout derrière elles : un tsunami horrifié au souvenir qu'au lieu de protéger, il avait...
- Pardon ! Pardon !!
- Jayce...
Jayce se recroquevilla sur lui-même, la tête dans les bras. Les sanglots le secouaient si fort que c'était pour lui comme un tremblement de terre et il n'arrivait plus à respirer, paniqué.
Les mains de Viktor le touchèrent, écartant de force ses bras.
- Jayce. Jayce ! Regarde-moi !
- Je te demande pardon, hoqueta Jayce dans un souffle à demi étranglé.
Viktor se pressa contre lui et embrassa sa joue.
- Calme-toi. Calme-toi, je t'en prie. Essaye de respirer.
- J'peux pas...je...
Les doigt de Viktor lui caressa les cheveux, ses bras l'enlacèrent doucement, sans serrer.
- Prends ton inspiration par le ventre.
Sa main se posa sur ses abdominaux.
- Fais comme moi Jayce...
Il prit une profonde inspiration par le nez, et Jayce, maladroitement, entre deux hoquet, l'imita.
Viktor bloqua sa respiration pendant quelques secondes, puis expira longuement par la bouche.
- Avec moi...allez...
Ils continuèrent ainsi durant plusieurs minutes. Des minutes interminables pendant lesquels Jayce avait sous les yeux le résultat de sa violence : le torse torturé de Viktor.
Il savait, rationnellement, qu'il avait toutes les raisons d'agir comme il l'avait fait. Qu'il avait agit pour le mieux. Que même Viktor ne lui en voulait pas pour ça.
Mais le voir ainsi...
Inconsciemment, sa respiration et ses pleurs s'étaient calmés. Pourtant l'étreinte de Viktor ne le relâcha pas.
- J'aurais dû réfléchir, souffla Viktor. C'est moi qui suis désolé de t'infliger cette vue.
Il l'embrassa sur le front, coupant tout net les protestations qui s'amoncelaient au bord des lèvres de Jayce.
Cette tendresse, cette affection...pouvait-il imaginer qu'elles signifiaient ce qu'il pensait qu'elle voulait dire ?
- Viktor, souffla Jayce d'une voix rauque.
Il renifla, s'essuyant rageusement les yeux du poignet.
- Je...je t'aime Viktor. Je suis désolé.
Les bras minces de Viktor se resserrèrent sur lui, tremblants. Contre sa joue, Jayce perçut les battements du coeur de Viktor, sous les cicatrices.
Il tambourinait à tout rompre.
- Je ne t'en veux pas, murmura Viktor, hésitant. Alors arrête de t'en vouloir.
Jayce ferma les yeux. Il ferma les yeux et se laissa guider vers le sommeil par les caresses délicates dans ses cheveux et le coeur aimant sous son oreille.
Notes:
Bevet ar rouedoù glas !
Chapter 6: Viktor
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Lorsqu'il se réveilla, il était nu.
Les draps étaient mouillés parce qu'il n'avait pas osé quitter le lit une fois Jayce endormi dans ses bras. Il avait mal au dos et à différents endroits de son corps, à cause de la position dans laquelle il s'était endormi, les jambes à moitié dans le vide, le bras sous la tête de Jayce, le corps à l'extrême bord du matelas.
Il était nu, il était endolori, et surtout, il était seul.
L'angoisse, à nouveau, revînt lui serrer la gorge. Puis il oublia son corps et son esprit prit le dessus : Jayce ne pouvait pas l'avoir abandonné, il devait être dans les parages, peut-être mal à l'aise pour ce qui s'était passé hier soir, peut-être dégoûté par son nouveau corps, mais certainement pas parti définitivement.
Il reviendrait.
En attendant, Viktor s'habilla et tenta de mater les épis rebelles sur sa tête. Il se rasa, puis descendit pour savoir s'il pouvait prendre le petit déjeuner.
En croisant la patronne, il se souvînt de comment elle les avait appelé hier, et le rouge lui monta aux joues. Il décida de manger dehors et sortit.
Un couple. Ils avaient l'air d'un couple.
Auparavant, ça ne lui aurait fait ni chaud ni froid. D'ailleurs, il y avait eu quelques rumeurs sur Jayce et lui à l'époque des débuts de l'hextech. Il était bien trop absorbé par ses recherches pour y prêter attention, naguère.
Qu'est-ce qui avait changé ?
- Son corps. C'était évident, mais il ne pensait pas que ça soit le facteur impactant.
- Jayce. Évidemment que Jayce avait changé. Il avait traversé tant d'épreuves. Son comportement d'hier...Viktor ne l'avait jamais vu comme ça avant. Sauf dans ses souvenirs. Il l'avait vu lorsqu'il était dans cet autre réalité. Lorsqu'il avait sombré...pour ressortir, peut-être pas tout à fait normal, mais entier.
Jayce était ainsi. Une force de la nature indomptée. Admirable.
Le voir se mettre dans cet état à cause de lui lui brisait le coeur.
- Les sentiments de Viktor pour Jayce. Là étaient la véritable question, le nœud du problème. Viktor ne savait pas comment les définir. Il y avait tellement d'intensité dans cette relation, à un degré inhumain, littéralement, que cela brouillait tous les contours qui auraient pu permettre de la faire rentrer dans une case.
Il y avait des choses dont Viktor était certain à 100% : il avait besoin d'être avec Jayce pour se sentir...complet. Bien. Il n'aimait pas le voir mal comme hier. Il aimait être en sa compagnie, discuter, rire, se souvenir de leurs années passées ensemble, échanger et travailler avec lui.
Il n'était pas dégoûté par sa nudité - comme il avait pu le constater hier, puisqu'après que Jayce se soit endormi, il avait eu du mal à contenir l'envie incongrue de caresser les muscles massifs de son dos, de son torse, de ses bras. Non clairement il n'était pas dégoûté par son physique. Sa barbe lui donnait un charme moins lisse, plus mature. Les cheveux plus longs, aussi, appelaient à passer les doigts dedans, ce que Viktor avait justement fait jusqu'à ce que Jayce s'endorme contre lui.
Et donc, dernière chose mais non des moindres : Jayce était l'une des seules personnes qui pouvait le toucher sans que Viktor soit mal l'aise.
Si seulement il avait pu être ordinaire et ressentir de l'attirance sentimentale et sexuelle comme n'importe quel être humain normalement constitué, il n'en serait pas là !
La pensée le démoralisa encore plus, mais son estomac protesta, lui rappelant que, même de mauvaise humeur, son corps, qu'il soit humain ou pas tout à fait, avait besoin de nourriture. Après tout, ils avaient manqué le dîner de la veille.
Il avait repéré une boulangerie non loin de là et orienta ses pas vers celle-ci lorsqu'il reconnut la silhouette de Jayce qui conversait avec une inconnue.
Quelque chose de chaud et de désagréable lui brûla la poitrine sans qu'il sache pourquoi. Son sang se mit à battre à ses tempes et il se mit à courir.
- Jayce !
Ce dernier se retourna et Viktor sourit. Il lui prit le bras.
- Quand je me suis réveillé tu n'étais plus dans le lit, je me suis inquiété, mentit à demi Viktor en guettant la réaction de l'intruse du coin de l'œil.
Elle fut comme attendue : désarçonnée, gênée.
- Je suis désolé, j'aurais dû te laisser un mot, répondit Jayce. Mais regarde, pour me faire pardonner, j'ai trouvé des viennoiseries ! Je comptais te les apporter.
Viktor piocha dans le sachet et enfourna son butin dans sa bouche.
Jayce rit et lui caressa la joue. Viktor le laissa faire sans se poser de question.
- C'est bon, commenta-t-il, la bouche pleine.
Leurs regards se croisèrent et Viktor vit dans les yeux de Jayce une adoration qui lui fit mal au coeur - agréablement.
Il se souvînt soudain de sa déclaration au milieu de ses pleurs.
- Merci...pour hier soir, murmura Jayce comme s'il lisait dans ses pensées. Je ne sais pas ce qui m'a pris...
- Je ferais plus attention désormais, répondit Viktor avec une pointe de culpabilité.
Son corps n'était pas beau à voir, et il ramenait à Jayce de mauvais souvenirs. Mieux valait qu'il lui en épargne la vision.
- Le plus important, c'est que tu sois là à présent, ajouta Jayce.
Cette fois, Viktor rougit sous la paume de sa main et Jayce se pencha lentement vers lui.
Viktor paniqua soudain. Est-ce qu'il allait l'embrasser ? Mais il n'était même pas sûr de ses sentiments ! Il n'était pas prêt ! Ce serait une trahison envers Jayce de le laisser l'embrasser après sa déclaration d'hier !
Alors Viktor se jeta contre lui et le serra dans ses bras à la place, la tête sur son épaule, contre sa gorge.
Jayce lui rendit aussitôt son étreinte.
- Oh, Viktor....
Il souffla très bas.
- Je t'aime.
Viktor se mordit la lèvre, incapable de répondre. Il resserra ses bras autour de son torse large, agrippant le dos de sa chemise à pleines mains.
C'était injuste. Il aurait aimé lui rendre la pareille !
Il ouvrit la bouche mais Jayce le prit de court en prenant la parole avant lui.
- Que dirais-tu d'aller jeter un oeil au festival sur le port ?
Les mains fermes de Jayce retombèrent doucement, ce qui laissait entendre que le câlin était fini.
Viktor soupira en fronçant les sourcils.
- D'accord.
Chapter 7: Jayce
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Le village était plus vivant que jamais. Il y avait des fanions accrochés entre des poteaux, secoués par les embruns marins, une foule de touristes et des stands tout le long du port, accompagnés de musique et du cri des mouettes attirées par les odeurs de nourritures.
Il y avait de nombreuses curiosités : des créations d'artistes locaux, des vêtements, des accessoires, des bijoux, mais aussi des démonstrations sportives, des spectacles, des concerts.
Au côté de Viktor, Jayce ne se sentait pas submergé par toute cette agitation. Il se sentait bien, parce qu'il lui suffisait de tendre la main pour prendre celle de son partenaire et oublier ce qui l'entourait.
Cela faisait deux fois qu'il avouait ses sentiments à Viktor - en plus de la fois, qui ne comptait pas comme un aveu, où ils avaient été connectés par l'arcane. Et Viktor ne l'avait pas repoussé, au contraire. Il semblait se rapprocher de plus en plus.
Jayce était un optimiste forcené. Il décida de prendre ça comme le signe que Viktor partageait ses sentiments, du moins en partie. Ce n'était pas simple de comprendre Viktor, mais Jayce avait déjà réussi par le passé. Sa complexité et ses méandres faisaient aussi partie de son charme. Viktor ne laissait rien paraître en surface, pour le connaître vraiment, il fallait creuser, et Jayce aimait cette profondeur chez lui, cette difficulté d'approche qui le rendait mystérieux mais aussi vulnérable, parce qu'une fois passé la barrière des à-priori, il y avait tant de richesses à découvrir...
Ils entrelaçaient leurs doigts dans la foule, et pour la première fois depuis assez longtemps...Jayce se sentait léger.
Les cauchemars et les remords étaient loin derrière. Seul restait...
Cette douce lumière à ses côtés. Son unique partenaire.
Les doigts de Viktor se crispèrent sur les siens et son ami lui adressa un sourire nerveux.
- Ça te gêne ?, demanda doucement Jayce, l'œil attendri.
-...pas vraiment, répondit Viktor avec embarras. C'est la première fois, c'est tout.
Le coeur de Jayce bondit dans sa poitrine. Il lui sourit, empli d'une tendresse débordante.
- C'est pour ne pas se perdre dans la foule.
Viktor se figea et le fixa avec intensité.
- Ne pas se perdre...
- Oui...
Viktor se rapprocha lentement, ses yeux ambrés reflétant mille questions auxquelles Jayce ne savait pas quoi répondre.
Il regarda ses lèvres et Jayce déglutit.
Tout à l'heure, il avait essayé et ça n'avait pas marché. Il ne voulait pas pousser Viktor, mais peut-être que cette fois...
Le tumulte de la foule et des animations n'arrivaient pas à percer leur petite bulle. L'attention de Jayce était focalisée sur Viktor et sur rien d'autre.
Viktor porta la main de Jayce contre sa poitrine.
- Quand je suis avec toi..., commença Viktor.
Il fronça les sourcils.
- Ce n'était pas comme ça avant. Mais maintenant...je ne sais pas ce que ça veut dire. Si c'est moi ou...autre chose ? Je n'arrive pas à faire la différence.
Son coeur battait si fort sous sa paume.
Jayce lui toucha le visage, effleurant les cicatrices chatoyantes sur le bas de sa joue.
- Vik...ce n'est pas grave. Peu importe. Je suis avec toi.
- Tu n'es pas obligé, fit Viktor en détournant la tête.
- Mais c'est ce que je veux, souffla Jayce. Seulement, je ne veux te forcer à rien.
- Je sais, répondit Viktor sur le même ton. Je sais...
Il releva les yeux et se tendit vers lui. Jayce en fit de même, fermant lentement les paupières.
Comme toujours entre eux, ce fut simple, naturel.
Leurs souffles se rencontrèrent, puis leurs lèvres, sans choc. Cette fois-ci, Jayce répondit au baiser, le visage brûlant du désir de tout déverser aux pieds de Viktor, son âme, son coeur, tout.
C'était la pensée de lui qui l'avait soutenu lorsqu'il perdait pied, lorsqu'il sombrait, l'esprit à la dérive, écrasé par le deuil, par l'horreur, la solitude, le vide.
Il était en vie. Ils étaient ensemble.
Jayce s'écarta, soudain effrayé.
- Ce...ce n'est pas une hallucination ?
- Tais-toi et embrasse-moi, idiot, rétorqua sèchement Viktor en lui prenant le visage pour le faire revenir à lui.
Jayce gémit et se laissa couler contre le corps de Viktor, l'enlaçant entre ses bras.
La bouche de Viktor sur la sienne était chaude comme un soleil.
- Au fait, chuchota Viktor en s'écartant doucement. C'est qui Giopara ?
Jayce rit, puis une voix portée par un mégaphone proclama l'ouverture du bal.
- Tu veux aller danser ?, interrogea Jayce avec bonne humeur.
- On est tous les deux boiteux, grogna Viktor.
- Ça veut dire que tu abandonnes déjà ?, le tança Jayce.
Son compagnon grimaça.
- Bien sûr que non !
- Je te porterais sur la pointe de mes chaussures si tu n'y arrives pas, moqua Jayce en le tirant vers l'endroit où les gens commençaient à s'attrouper.
- Pff, est-ce que j'ai l'air d'un gamin à qui tu apprends des pas de danse ?
- Hey, n'insulte pas mes compétences de danseur ! Ma mère a payé une fortune pour que j'apprenne tous les pas possibles et imaginables. Je suis sûr de pouvoir t'apprendre !
Viktor leva les yeux au ciel mais se laissa tout de même entraîner.
Le gramophone entama sa musique espiègle, et plusieurs personnes se lancèrent sur la piste. Ce n'était pas des danses de couple, à la grande déception de Jayce qui faillit revenir sur ses pas. Toutefois, Viktor lui adressa un regard goguenard qui l'empêcha de rebrousser chemin. Il se joignit au groupe et Viktor en fit de même.
- Hey, Viktor !, salua un grand roux baraqué.
- Qui c'est ?, marmonna Jayce à l'oreille de Viktor.
- Tu as pu vendre ce que tu voulais à l'antiquaire ?, demanda le rouquin.
- Friedrich, répondit sobrement Viktor. Je ne pensais pas vous croiser ici.
- Je profite un peu avant de reprendre la mer. Mon bateau repart à Bilgewater dès demain.
- Bilgewater hein ?
Friedrich sourit :
- Allons, ne fais pas cette tête. On n'est pas tous des voleurs et des voyous.
Jayce enregistra rapidement cette information : c'était pour cette raison que la tenancière de l'auberge avait fait une drôle de tête lorsqu'il avait parlé des îles de la flamme bleue...
La danse commença et leur discussion fut forcée de s'interrompre.
Chapter 8: Viktor
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La musique faisait vibrer ses pensées, les rendait floues. Il ne se souvenait pas de la raison pour laquelle il avait embrassé Jayce, si ce n'était parce qu'il en avait envie à cet instant précis.
Il glissa la main dans sa poche et l'objet qu'il avait acheté à l'antiquaire sembla lui brûler la main. Il agissait de plus en plus spontanément, impulsivement, et il n'était pas certain que ce soit une bonne chose.
Toutefois, agir l'empêchait de se plonger trop vers l'arrière, vers les méfaits qu'il avait commis et ne pourrait jamais réparer.
...l'ombre d'un souvenir, une personne chère à son cœur, toqua doucement à la lisière de sa conscience tandis qu'il contemplait le ciel si bleu; il préféra l'écarter pour profiter du présent.
C'était si égoïste, mais toujours, toujours plus réconfortant de faire appel aux vieilles habitudes. Se reposer sur ce quoi on a confiance.
Jayce
- C'est qui ce Friedrich ?, questionna Jayce à son oreille tandis qu'ils formaient une ligne, bras en arc de cercle.
- Je l'ai rencontré hier.
- Et...vous êtes amis maintenant ?
Viktor leva les yeux au ciel. Des danseurs et danseuses se glissèrent sous les bras tendus et la ligne formées s'enroula pour former une ronde. Puis tout le monde se retourna, rejoignant les danseurs et danseuses qui formaient une autre ronde autour d'eux.
Viktor reconnut la silhouette du grand rouquin, qui lui prit la main.
- Tu as l'air un peu paumé. Tu ne connais pas la glariquette ?
- Je danse très peu, répliqua Viktor en tentant d'imiter les autres, qui tournaient autour de leur partenaire.
Friedrich le regarda tourner.
- J'imagine qu'en ville, on ne fait pas ce genre de chose...
- Tu serais étonné, répondit Viktor.
Il pensa à la fête du Progrès. Aux galas donnés en l'honneur de la compétition des innovateurs. Aux fêtes privées auxquelles Jayce l'avait parfois traîné.
-...ou peut-être pas, corrigea-t-il après réflexion.
Il n'était pas le seul à être un peu perdu, ni le seul à boiter, en vérité. Plusieurs personnes âgées participaient à la danse, aidées par les plus jeunes. L'ambiance était chaleureuse et accueillante, les touristes se mêlant à la population locale sans la moindre défiance, formant une troupe variée d'âges, de genres et d'espèces.
La main calleuse de Jayce s'empara de la sienne, le ramenant vers le centre du cercle des danseurs et danseuses.
- Vous discutez de quoi ?
- Il me parle, c'est tout, déclara Viktor avec flegme.
Jayce fronça les sourcils. Ils s'écartèrent l'un de l'autre, bras levés pour laisser passer deux petites filles qui riaient.
- Et tu lui réponds, nota son partenaire d'un air sombre.
Viktor grinça des dents, agacé.
- Oui Jayce, contrairement à ce que tu as l'air de croire, ce n'est pas parce que je viens de Zaun que je manque totalement de savoir-vivre.
Il lâcha la main de Jayce et ce dernier l'appela aussitôt, mais Viktor quitta la ronde des fêtards et fêtardes sans le regarder.
Il alla s'asseoir sur un vieux banc vermoulu pour reprendre son souffle. Sa jambe émettait des spasmes électriques douloureux et il massa son genou à travers son pantalon.
Quelques minutes plus tard, Jayce le rejoignit.
- Je suis désolé, déclara-t-il abruptement après s'être assis.
Viktor fit la moue, mais en voyant son air penaud, il soupira et se détendit.
- Je pensais tout connaître de toi, admit Jayce. Je pensais que tu étais réservé. Acerbe. Difficile d'accès. Ça m'a surpris que tu puisses te faire des contacts aussi aisément. Ça m'a...déplû. Pardon.
- On ne connaît jamais entièrement une personne, objecta Viktor.
Jayce acquiesça. Ils restèrent ainsi pendant un moment, puis Viktor glissa timidement sa main sur celle de Jayce.
- Je ne suis même pas sûr de me connaître moi-même..., avoua-t-il.
Jayce le dévisagea avec une expression à la fois tendre et douloureuse. La gorge de Viktor se noua davantage mais il se força à continuer :
- Je ne sais pas...si je suis toujours la personne que tu attends.
Il n'osa prononcer "celle que tu aimes". Ça semblait trop indécent si c'était lui qui le disait.
Le pouce rugueux de Jayce lui caressa doucement la main et il se pencha vers Viktor :
- Est-ce que...là, maintenant...le Viktor qui est avec moi en ce moment...est-ce qu'il veut rentrer à l'auberge avec moi ?
Viktor hocha la tête en observant avec attention leurs doigts s'entremêler.
Quelque chose de doux et chaud était en train de grandir au creux de son ventre. Et il pensait connaître cette sensation.
Du désir.
Jayce l'aida à se lever.
- Il faut que je passe chez l'apothicaire avant, je te rejoins sur le chemin, d'accord ?
Viktor haussa une épaule en signe d'assentiment et remis sa capuche en place.
Il regarda Jayce disparaître dans la foule et se mit en route.
Délicatement, il porta la main à son visage en prenant conscience de l'audace dont il avait fait preuve et de ce que cela pouvait signifier. Les lèvres pincées, il tenta d'analyser ce qu'il ressentait vraiment et pourquoi rougir après coup, pourquoi sur le moment s'était-il montré aussi sûr de lui pour être intimidé une fois Jayce au loin.
Ce soir, ils allaient à nouveau dormir à l'auberge. L'un contre l'autre.
Un frisson le parcourut de la tête aux pieds et il tourna les talons.
Jayce et lui. Allongés côte à côte.
Platoniquement, évidemment. Pourtant Viktor ne pouvait s'empêcher de penser à l'éventualité d'un rapprochement physique. Il n'en avait jamais fait l'expérience lui-même, mais il avait entendu dire que lorsque deux personnes ressentent des sentiments l'une pour l'autre, elles finissent inévitablement par en arriver là.
Il pesa l'hypothèse : il n'était pas complètement contre, en vérité. Son désir, tel qu'il l'envisageait, était une envie d'intimité, de proximité, et l'idée que Jayce le touche lui plaisait. Jusqu'à présent, il avait toujours été celui qui faisait le premier pas - romantiquement parlant.
Enfin bien sûr, Jayce lui avait dit qu'il l'aimait en premier, la réflexion était quelque peu biaisée, mais en tout cas c'était Viktor qui l'avait embrassé à chaque fois.
Ce qui, rétrospectivement parlant, aurait dû l'informer sur la tournure que prenait son affection. Cependant, quand il s'agissait de sentiments, bizarrement, Viktor était moins enclin à prendre des risques que lorsqu'il menait ses expériences.
Donc, concrètement...s'ils en arrivaient à cette étape, il semblait qu'il apprécierait que Jayce fasse preuve d'initiative. Mais...comment le lui faire comprendre ?
Tandis qu'il prenait ses distances avec la foule, il remarqua, et ce en dépit de son esprit déjà bien occupé, que des pas le suivaient. Plusieurs personnes.
Cela aurait pu être des fêtards quittant le festival, sauf qu'ils ne parlaient pas.
Viktor chassa Jayce de ses pensées.
Il avait besoin de deux choses :
- Connaître les intentions de ses poursuivants : est-ce qu'ils le ciblaient Jayce et lui en particulier, et si oui, pour quelle raison ? Piltover ? Autre chose ?
- Leur échapper : savaient-ils où Jayce et lui logeaient ? Forcément, vu qu'il n'y avait qu'une auberge dans le village. Alors comment rejoindre Jayce ? Comment les semer ?
Jayce. Et si un autre groupe s'en prenait à lui ? (n'avait-il pas dis qu'il devait chasser Jayce de ses pensées pour réfléchir posément ?)
Il prit une profonde inspiration pour se calmer et tenta de compter les pas qui le suivaient pour deviner combien ils étaient. Il craignait que se retourner les fasse se rendre compte qu'il les avait repéré.
Mais se faisant, il ralentit le pas, ce qui était contreproductif. Il arrivait bientôt au bout de la rue et il devait prendre une décision : plus il s'éloignait de la foule, plus il prenait de risque.
Il jeta nerveusement des coups d'œil dans les vitres environnantes, espérant capter le groupe qui le suivait. Il avait l'impression qu'il s'agissait de trois ou quatre personnes. Mais il pouvait se tromper.
Cela voulait dire, soit qu'ils faisaient partie d'une grosse organisation (police, pègre...) - ce qui était très inquiétant - soit qu'au contraire, ils n'étaient que la meute au complet, ce qui voulait dire que Jayce était en sécurité pour l'instant.
Ça lui bouffait le cerveau. Il ne pensait même plus à ce qui pouvait lui arriver, mais uniquement à Jayce. Comme s'il ne lui avait pas causé suffisamment de tracas comme ça...
Soudain, un bras jaillit d'une ruelle et le tira vers lui. Viktor voulut se défendre mais il reconnu bien vite la barbe rousse du géant qui venait de l'agripper. Il ne laissa sa surprise l'arrêter qu'une seconde, après quoi il décocha un violent coup de pied dans le tibia de Friedrich.
- Aïe ! Bon sang...!
- Lâche-moi, gronda Viktor d'une voix rauque en se débattant.
- Je suis venu t'aider !
- Et pourquoi devrais-je y croire ?
- Tu as le choix ?
En entendant les bruits de cavalcade dans la rue principale, Viktor s'assombrit sans répondre. Friedrich le prit par le bras pour le traîner dans un labyrinthe de petites ruelles, et tira vivement à lui une échelle de secours.
- Allez grimpe !
Avant que Viktor ait eu le temps de dire quoique ce soit, le grand roux le souleva comme s'il ne pesait rien et le porta jusqu'à l'échelle pour qu'il y grimpe.
La douleur recommença à pulser, mais Viktor l'ignora, serrant les dents. Il monta et s'engouffra par une fenêtre ouverte. Comme il entendit des cris dans la ruelle, il passa la tête pour regarder en contrebas et un coup de feu retentit, le faisant sursauter et rentrer la tête dans les épaules.
Friedrich était aux prises avec trois personnes aux allures patibulaires. L'un d'eux pointait une arme vers le rouquin, qui lui envoya d'une bourrade l'un de ses camarades pour le faire valser. Mais la troisième se jeta sur lui, ayant visiblement envie d'en découdre.
Viktor se détourna pour regarder autour de lui, à la recherche d'une arme quelconque, mais une main ridée de lui saisit le poignet.
- Il faut partir maintenant !, s'exclama l'antiquaire, dont les yeux brillaient derrière le verre de ses lunettes.
C'est alors que Viktor se rendit compte qu'ils étaient probablement au-dessus de sa boutique. Ou plutôt de l'arrière-boutique, ce qui laissait penser que le bâtiment était plus grand qu'il ne l'avait pensé de prime abord.
Les questions se bousculaient dans la tête de Viktor mais il n'avait pas le temps de les poser. Il suivit le vieil homme qui le fit descendre quatre à quatre les escaliers.
Il eut un bref aperçu de la boutique par une porte entrouverte : elle avait été dévastée.
Les hommes qui le poursuivaient cherchaient quelque chose. La chose qu'il avait acheté dans la boutique.
L'antiquaire écarta un tapis au sol qui révéla une trappe. Il la déverrouilla avec une vieille clef rouillée et s'empressa de donner une lanterne à Viktor. Une odeur nauséabonde s'échappait de l'accès.
- Ce sont les anciens égouts, expliqua le vieil homme. Si vous continuez en ligne droite, vous atteindrez rapidement le temple. Il y a une crypte par laquelle vous pourrez sortir...
- Pourquoi faites-vous cela ?, interrogea Viktor.
- Vous êtes loin de Piltover, c'est vrai, mais la foi, elle, ne vous a pas attendu pour s'étendre et croître, souffla l'antiquaire. Partez maintenant !
A la fois perplexe et nerveux, Viktor s'engouffra dans l'ouverture, et ses bottes plongèrent bientôt dans une bouillasse odorante qui lui souleva le coeur.
Au-dessus de lui, la trappe se referma dans une claquement sec.
Il releva sa lanterne, éclairant le vieux tunnel en pierre aux parois rongés de moisissures.
- Ce n'est vraiment pas comme ça que je comptais terminer ma journée, soupira-t-il avant de plonger dans l'obscurité méphitique.
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