Chapter Text
— Kyaaaaaaaaaaaah !
Le radar à demoiselle en détresse de Sanji se déclencha immédiatement : c’était la voix de Nami.
Il fut le premier sur le pont, si bien que personne ne se précipita à sa suite : les utilisateurs de haki savaient tous qu’aucun réel danger ne se profilait, les autres leur faisaient aveuglément confiance. Sanji disparut derrière les mandariniers, d’où provenait le cri, et chacun reprit ses activités comme si de rien n’était.
— Gyaaaaaaaaaaaah !
Le radar à nakama en détresse de Zoro se déclencha immédiatement : c’était la voix de Sanji.
*
Lorsque Sanji et Zoro étaient tous les deux disponibles et en pleine possession de leurs moyens, Zoro laissait Sanji se débrouiller avec la gent féminine – à quelques exceptions près : Hiyori s’étant explicitement placée sous sa protection à Wano, il était responsable d’elle. Sanji était plus sociable et savait apaiser les femmes de ses paroles douces et attentionnées. Il était tout à fait capable de les aider sans que l’épéiste ait à s’en mêler, et Zoro lui-même avait assez à faire avec le reste de l’équipage.
Depuis l’arrivée de Jinbe, cependant, Zoro respirait un peu. Il n’était plus le plongeur attitré lorsqu’il s’agissait de sauver de la noyade un utilisateur de fruit du démon imprudent – c’est-à-dire n’importe quel utilisateur de l’équipage, même si Luffy détenait le record de passages involontaires par-dessus bord.
Parfois, Zoro devait aussi récupérer Usopp. Usopp était capable de chahuter avec une bande d’idiots surpuissants sans subir les conséquences de ses nombreuses commotions cérébrales – Usopp était peut-être le plus inhumain d’entre eux, en réalité –, mais les lois de la gravité ne l’épargnaient pas pour autant.
Avantagé par son affinité avec la mer, Jinbe avait désormais pris le relais, et Zoro pouvait baisser sa garde. Sauf quand c’était le coq qui criait.
Sanji était le pendant de Zoro. Ils en avaient toujours eu conscience et ils savaient que, par conséquent, la détresse de l’un était la détresse de l’autre, le bien-être de l’un celui de l’autre, la sécurité de l’un celle de l’autre. Zoro se serait précipité vers n’importe quel hurlement appartenant à son équipage, mais il avait une telle confiance en Sanji que le savoir en mauvaise posture lui était insupportable. Sanji ne pouvait pas être en mauvaise posture parce que Sanji était son support, l’homme qui resterait debout s’il ne l’était plus, celui qui prendrait la suite s’il n’en était pas capable, celui qui pouvait porter sur ses épaules le poids des vies de tout l’équipage lorsque Zoro ne pouvait pas le soulever à lui seul. Sanji était le seul homme capable de porter Zoro à bout de bras, et en plus de lui en être reconnaissant, Zoro voulait lui rendre la pareille. Parce que Sanji portait toujours tout, toujours trop, ne s’inquiétait jamais pour lui-même, ne permettait pas qu’on s’inquiète pour lui… et qu’il était difficile pour les autres de s’inquiéter pour un homme aussi puissant et résilient. Ne restait que Zoro, qui vivait pour protéger ses pairs.
Depuis quelque temps, Sanji s’était ouvert aux autres. À Robin en lui demandant de le sauver, à lui en lui demandant de le tuer – et Zoro n’était pas stupide, il avait compris que cette supplique était également un appel à l’aide.
Cependant, Sanji ne s’était pas laissé aller au point de hurler pour un rien, d’un ton si dramatique qu’on aurait dit que quelqu’un avait mis le feu à sa cuisine.
Zoro fut donc le premier debout, si bien que personne ne se précipita à sa suite non plus : tout le monde savait que si Zoro courait à l’aide de Sanji, l’agresseur n’en ressortirait pas vivant. Zoro disparut derrière les mandariniers, et chacun reprit ses activités comme si de rien n’était.
Lorsque Sanji était arrivé en trombe au niveau des mandariniers, prêt à en découdre et déclarant sûrement « Nami-swaaan, ton chevalier servant est arrivé, que puis-je faire pour thmphgn ! », Nami, pour son plus grand plaisir, s’était jetée sur lui. Le plaisir s’était transformé en incompréhension quand elle avait commencé à lui grimper dessus, hurlant toujours comme si elle venait de retomber dans la fosse au Cerbère. Encombré par le corps de la navigatrice, qui ne s’inquiétait pas de savoir où elle plantait ses talons en l’escaladant, il ne remarqua pas immédiatement la raison de sa frayeur.
Il consacra un instant béni à réaliser que la poitrine rebondie s’était égarée contre sa joue, et un autre à sentir les fesses fermes sur sa clavicule. Nami termina perchée sur ses épaules, frissonnante, les bras accrochés à son visage. Sanji consacra un troisième instant à la sensation des deux seins qui encadraient le haut de son crâne. C’était peut-être le plus beau jour de sa vie. Son œil montrait déjà son cœur battant, et un saignement de nez se manifesta. Entre deux tentatives de Nami de l’éborgner dans sa terreur, Sanji fit son possible pour en comprendre la raison. Nami n’était pas du genre à se laisser impressionner, pourtant…
C’est là qu’il les vit.
De petites choses semi-transparentes, dotées de huit longues pattes mouvantes, s’éparpillant dans toutes les directions depuis l’un des bacs de leur jardin. Sanji ne retint pas son hurlement.
Lorsque Zoro arriva en trombe au niveau des mandariniers, prêt à en découdre et déclarant sûrement « Hé, coq de merde ! Qu’est-ce que tu fais encore comme connhmphgn ! », Sanji, à son grand étonnement, se jeta sur lui. L’étonnement atteignit de nouveaux sommets quand il commença à lui grimper dessus, hurlant toujours comme s’il venait d’apprendre à nouveau que Zoro avait passé une nuit complète avec Hiyori dans les bras – Brook l’avait balancé, évidemment, car Zoro ne se vantait pas de ce genre de chose, mais il avait adoré voir le visage de Sanji se décomposer devant lui, c’était hilarant. Encombré par le corps du coq, qui ne s’inquiétait pas de savoir où il plantait ses talons en l’escaladant, il ne remarqua pas immédiatement la raison de sa frayeur.
Il s’énerva contre le torse sec qui heurta sa tempe, puis voulut pincer les fesses qu’il sentit sur sa clavicule afin de les faire dégager de là. Sanji termina perché sur ses épaules, frissonnant, un bras accroché à son visage. Zoro eut une sensation de déjà-vu – Chopper, glué à son faciès au point de l’étouffer, évanoui de terreur –, mais les puissantes cuisses qui serraient sa nuque le replacèrent dans l’instant présent. Entre deux tentatives du coq de planter ses doigts dans son seul œil valide, Zoro fit son possible pour comprendre la situation. Sanji n’était vraiment pas du genre à se laisser impressionner, pourtant…
Le temps qu’il termine de l’escalader, Zoro avait pris en compte la présence de Nami, cramponnée aux épaules et à la tête du chef obsédé, et qui criait toujours comme si sa vie en dépendait. Sanji, en bon gentleman et malgré sa frayeur, l’avait maintenue en place. Elle était saine et sauve.
C’est là qu’il les vit.
Des centaines de minuscules araignées rampaient en tout sens sur le sol, probablement à la recherche d’un abri. Les instincts protecteurs de Zoro prirent le relais.
Il songea dans un premier temps à les trancher en morceaux une par une. Mais elles étaient trop petites, même pour son adresse au sabre ; il ne voulait pas risquer d’abîmer le navire.
— Marimo, saute ! Elles vont te grimper dessus ! lança Sanji, la voix tremblante.
Zoro baissa les yeux sur ses bottes, indifférent.
— Sanji-kun, fais quelque chose ! hurla Nami, au bord de l’hystérie.
Rester calme ne suffirait pas à apaiser ses pairs. Plus tard, il se moquerait de Sanji, mais l’heure n’était pas encore à la plaisanterie : ses nakama avaient besoin d’aide, et Zoro était toujours là pour eux. Il prit les commandes immédiatement.
— Coq ! Garde Nami avec toi et sky walk à l’autre bout du bateau ! ordonna-t-il en reculant lentement, s’assurant que l’équilibre incertain dans lequel ils se trouvaient ne les ferait pas tomber.
La main qui lui tordait le visage se stabilisa soudain. Le petit doigt vicieux à moitié fourré dans sa bouche et qui tirait au coin de sa commissure s’écarta, puis la paume glissa sur son crâne pour y prendre appui. La voix de Sanji, encore rauque de peur, lui adressa un compliment soulagé.
— Oh. Bien pensé, pour un crétin. Je suis agréablement surpris !
Enfin, dans un exercice d’équilibriste, Sanji releva une de ses jambes, posa sa semelle sur son épaule, et poussa. L’épéiste dut contracter tous ses muscles pour amortir l’impulsion, puis le coq s’éloigna dans les airs, Nami toujours perchée sur lui.
Les potentielles victimes hors de danger, Zoro avait un rôle à remplir.
— Usopp ! Viens ici tout de suite ! Et peut-être Robin… Et Chopper ! … Brook ! appela-t-il encore. Où est Luffy ?
Brook se manifesta sous sa forme spectrale, peu enclin à se mettre en danger, et s’écria immédiatement :
— Yaaaaah ! Oh mon dieu ! Brûlez-les toutes !
Zoro ne pensait pas que brûler une horde d’araignées sur un navire en bois soit une bonne idée.
— Brook, informe Jinbe et assurez-vous que Luffy ne vienne pas sur ce pont avant qu’on ait trouvé une solution !
Zoro ignorait s’il y avait une solution à une invasion d’araignées et, dans d’autres circonstances, il les aurait laissées faire leur vie. Mais Nami et Sanji étaient terrifiés par les insectes rampants, il était donc hors de question que l’épéiste permette à un seul d’entre eux de faire la loi à bord.
— Oh, c’est particulièrement répugnant… reconnut Robin d’un ton où transparaissait sa fascination morbide.
Elle termina de monter les escaliers. Usopp, caché derrière elle, se détendit en découvrant la raison du drame. Ses pommettes se teintèrent même de rose à la vue des arachnides.
— Oh non ! Mais elles sont trop mignonnes !
À présent, le sniper avait ses mains plaquées sur ses joues.
— C’est des bébéééés !
Zoro se moquait complètement de savoir si ces araignées étaient des bambins à la crèche ou des mamies retraitées, il voulait leur faire la peau.
Chopper, perché sur la tête d’Usopp, n’en menait pas large. Malgré ses pupilles dilatées, il garda son calme et interrogea :
— Zoro, pourquoi tu as demandé à Brook de retenir Luffy ? Il a pas peur des insectes…
— Parce que la première chose que Luffy va faire est de se rouler dedans.
Les cellules grises d’Usopp et Chopper étaient du genre nomade, mais elles se sédentarisaient en situation de crise. Ils comprirent immédiatement les inquiétudes de leur pair : si Luffy se roulait dans ces petites choses, il allait en mettre partout, et aucun endroit du bateau ne serait sûr pour les pauvres phobiques.
— Je ne veux pas vous alarmer, remarqua Robin, mais c’est trop tard pour faire de la prévention. Elles commencent déjà à s’éparpiller. J’en vois plusieurs dans le conduit de la cheminée.
Zoro retint un frisson. Elles allaient envahir la cuisine. L’espace du love-coq. Le premier lieu dans lequel Sanji était censé se sentir en contrôle, en sécurité. Zoro eut l’impression d’avoir trahi son équipage.
Il secoua la tête pour se reprendre. D’abord, évaluer la menace.
— Chopper, est-ce qu’elles sont dangereuses ?
Chopper déglutit. Il n’avait pas peur des insectes, mais le spectacle de toutes ces petites choses rampantes devait rester intimidant.
— Je ne suis pas sûr, mais je ne pense pas. Je ne connais pas cette espèce.
— Ça a l’air d’être des araignées domestiques, tout ce qu’il y a de plus inoffensif, compléta Usopp en se déplaçant adroitement parmi les « bébés », sans en écraser un seul. Certaines font leur nid dans les branches des arbres fruitiers. L’éclosion a lieu dans les semaines qui suivent. Les petits s’éparpillent ensuite dans l’environnement et occupent chacun leur espace… pour ceux qui atteignent l’âge adulte, bien sûr. Le taux de survie est bas, d’où la quantité pondue par la mère.
— Usopp, prends-moi un échantillon, je vais faire des tests par précaution ! réclama Chopper, toujours cramponné à son ami.
— Je veux pas un cours d’entomologie ! s’énerva Zoro.
Dans sa tête, il entendit la voix de Sanji s’étonner qu’il connaisse un mot aussi compliqué.
— Et j’ai pas besoin de les examiner si je peux toutes les exterminer !
— Quoi ?! Mais pourquoi ?! Elles sont trop choues !
Usopp et Chopper avaient déjà ouvert leurs sacs pour en tirer de quoi attraper quelques spécimens. Le sniper poursuivit en même temps :
— Et c’est utile, les araignées. Ce serait parfait d’en avoir quelques-unes pour réguler la population d’insectes dans notre jardin !
— Je m’en fous. On a fait sans jusqu’à présent, je ne laisserai pas une seule de ces merdes sur ce bateau.
Usopp releva le front à son ton glacial. Zoro avait conscience de faire sa tête des mauvais jours, celle qu’il présentait aux petites frappes et qui suffisait d’ordinaire à leur couper les jambes.
— Je savais pas que t’avais peur des araignées, Zoro…
— C’est pas moi qui ai peur et c’est ça le problème, crétin !
Le menteur professionnel fit un o avec sa bouche, puis se détourna. Zoro réalisa qu’il paniquait pour peu de chose. Il se força à respirer.
— Je reconnais que c’est un peu trop pour moi, constata Robin en jetant un regard mi-fasciné, mi-révulsé au sol. Ici, elles n’ont pas de prédateur naturel. Elles trouveront forcément de quoi manger dans les plantes, l’herbe du pont principal, la cuisine…
Zoro dut retenir un gémissement défait. Pourquoi tout en revenait toujours à la cuisine ? À cet imbécile de coq ? Parce que la survie de l’équipage dépend entièrement de lui.
— Elles risquent de tout envahir, de décimer les rares insectes qui subsistent dans notre jardin malgré les intempéries, et de détruire son fragile équilibre biologique. Ce sera une tragédie.
Robin ne fit pourtant pas mine de bouger. Zoro fut certain de ne pas avoir halluciné la bulle imaginative de l’archéologue, qui dépeignait l’assaut organisé d’une armée d’adorables araignées démoniaques contre les occupants du Sunny – il entendit même les minuscules « À l’attaaaaque, yaaaa ! » et le bruit des lances sur les boucliers.
Usopp et Chopper s’étaient mis à fouiller dans les buissons. Ils en extrayèrent un gros cocon blanc, qu’ils placèrent dans un énième bocal en verre.
— Est-ce qu’on peut au moins les écraser sans risque ? tenta Zoro, à bout de nerfs.
Robin avait raison – comme toujours –, et il préférait limiter les dégâts. S’il devait passer les prochains jours à scanner chaque recoin du Sunny pour éliminer la menace rampante, il en serait ainsi, mais s’il pouvait dès à présent faire le ménage, il gagnerait du temps. Il remarqua avec horreur que le mouvement se déplaçait vers la bibliothèque – cette fois, c’était le territoire de Nami qui était envahi, et il ne le supporterait pas davantage.
— Pas la peine de répondre, je vais essayer.
Avant qu’ils aient pu l’en empêcher, Zoro piétina de ses bottes tout ce qui se trouvait à sa portée. Les chuintements étaient si faibles, au regard de la taille des araignées, qu’ils étaient à peine audibles. Chopper, seul, grimaça. Usopp lui jeta un autre coup d’œil suspicieux, semblant juger qu’il était possédé.
Zoro alla vérifier l’entrée de la bibliothèque, s’assura qu’elle était parfaitement hermétique, puis reprit son entreprise d’extermination, rasant le bastingage du côté de la cheminée pour acculer les plus téméraires des bêtes. Bientôt, le pont fut transformé en cimetière. Il rengaina ses katanas.
— Euh… Tu sais qu’on a de l’insecticide ? tenta Usopp, toujours aussi déstabilisé.
Zoro se sentit idiot. Robin pouffa avant de préciser :
— Mais Sanji n’acceptera jamais qu’on mette de l’insecticide dans sa cuisine, n’est-ce pas ?
Cette fois, Zoro dut se retenir de rougir. Il était souvent un peu gêné qu’on devine qu’il s’inquiétait pour le coq obsédé. C’était sans doute parce que Sanji le lui faisait remarquer et se moquait gentiment de cet affect. De plus, Zoro était certes un homme rationnel : il lui était aisé d’enterrer ses hantises à propos de son équipage sous des couches de logique et de réflexion pertinente. Cela ne l’empêchait pas d’avoir un cœur, qui refusait de coopérer quand bien même son cerveau savait qu’il n’avait aucune raison de s’emballer.
Robin fit apparaître un vieux torchon troué avec lequel il essuya ses bottes, tandis qu’Usopp s’armait d’un insecticide de sa confection. Zoro replia le tissu avec prudence, laissant les botanistes s’occuper du jardin et exterminer le reste de l’invasion. Il jeta des coups d’œil alarmés à la cheminée, puis conclut que même avec l’insecticide, les araignées rescapées allaient s’éparpiller sur le vaisseau. Usopp n’étant pas le plus méticuleux des nettoyeurs, d’autres envahisseuses allaient probablement échapper à son produit et se cacher dans les coins pour leur survie. Il allait passer les prochains jours à scanner le Sunny jusqu’à ce qu’il ne reste plus une seule de ces bestioles.
N’y pouvant plus rien pour le moment, Zoro décida d’aller rassurer – autant que la réalité le permettait –, l’équipe cantonnée à l’avant du navire.
*
Il retrouva Nami et Sanji assis sur le siège du gouvernail, cramponnés l’un à l’autre, toujours tremblants. Jinbe avait dû ligoter Luffy à la tête de lion avec ses propres bras en caoutchouc. La seule raison pour laquelle son capitaine restait immobile résidait dans la présence de Brook, qui jouait un air hypnotisant.
Dans d’autres circonstances, le coq obsédé aurait été aux anges tant Nami se collait à lui, mais aucun saignement de nez ne décorait sa moustache naissante. Cela généra en Zoro une impression de malaise encore pire que lorsqu’il l’avait entendu crier, comme si quelque chose n’était pas à sa place et que c’était de sa faute.
Il fit son rapport pendant que Luffy se démêlait. Brook eut un tremblement et prit du bout des doigts le torchon visqueux qu’il serrait toujours dans sa main.
— Je… Je vais aller faire brûler cette chose dans le fourneau de Franky-san et lui transmettre tout ça, je reviens.
Nami et Sanji posèrent leurs yeux sur le tissu et frissonnèrent de la tête aux pieds. Brook s’éloigna, tenant l’objet à bout de bras.
— Tu… T’es sûr que t’en as pas sur toi ? demanda timidement Nami en relâchant sa prise sur Sanji.
— Certain, statua-t-il, se voulant rassurant. Mais…
Luffy termina de se dénouer et se précipita sur le pont supérieur pour voir ce qu’il se passait. Il n’avait sans doute pas retenu la moitié des explications.
— Mais… ? interrogea le coq.
Zoro avait envie de disparaître sous terre. Il détourna la tête.
— Mais on risque d’en trouver quelques-unes sur le Sunny dans les jours qui viennent.
Nami ouvrit des yeux ronds et se releva pour le fixer.
— Tu as fait ce que tu pouvais. Merci.
Elle le prit dans ses bras quelques secondes, le temps de lui transmettre sa reconnaissance. Faire ce qu’il pouvait n’était pas assez, mais au moins, la navigatrice était rassérénée.
Il lista rapidement les endroits qu’il jugeait sûrs, à commencer par la bibliothèque et la salle de bain, le nid-de-pie, les sous-sols, et les chambres, qui étaient côté proue. Franky savait isoler les pièces des débordements maritimes, il y avait peu de chances que des araignées puissent passer sous les portes.
Sanji en profita pour s’allumer une cigarette, le mécanisme compensatoire apaisant le tremblement de ses mains. Au-dessus d’eux, Luffy éclatait de rire, puis toussait dans le nuage d’insecticide. Chopper s’enfuit dans la bibliothèque pour étudier les bêtes, crachant ses poumons.
— Et la cuisine ?
Zoro déglutit. Il avait croisé le regard de Nami, mais il refusait de tourner la tête vers Sanji. C’était à lui de pallier ce que Sanji ne pouvait pas faire, et il n’avait pas été à la hauteur.
— Et la cuisine, Zoro ? insista son pair d’un ton trop calme.
— Certaines se sont cachées dans la cheminée, expira douloureusement l’épéiste.
— Ah.
Un silence pesant s’installa. Zoro se demanda si Sanji allait lui crier dessus – et il aurait raison –, mais celui-ci resta mutique, inspirant son tabac comme si en cracher la fumée sur les envahisseuses allait suffire à les faire disparaître. Zoro se sentit obligé d’élaborer :
— Coq. Je laisserai pas une seule de ces saloperies t’empêcher de faire ton travail.
Sanji le fixa si brusquement que Zoro dut le regarder dans les yeux. Il n’y perçut aucune animosité, aucune déception, même. Juste l’air rassuré de quelqu’un qui envisageait de se battre seul contre une armée et à qui on annonçait des renforts imprévus.
Jinbe se manifesta, posant sa large main sur l’épaule de l’épéiste.
— Tout ira bien : on est assez nombreux pour organiser des tours de garde dans la cambuse.
Zoro jeta à l’homme-poisson le même genre de regard que Sanji venait de lui adresser. Il n’était plus seul pour protéger ses pairs. Il pouvait se reposer sur eux.
— Je peux gérer la cambuse, annonça-t-il. Jinbe, et tous les autres, vous restez en alerte. Au moindre cri qui ne provient pas de la cuisine, vous intervenez.
— Hé !
Il se tourna vers Sanji. Celui-ci se leva lentement, alla jusqu’au bastingage pour jeter sa cigarette terminée, et se retourna vers eux. Une de ses mains atterrit sur l’omoplate de Jinbe, l’autre sur celle de Zoro.
— C’est gentil de vous inquiéter pour moi, mais pas besoin de faire salon, non plus. Je vous appellerai si j’ai un souci, OK ?
Un rictus crispé cachait son malaise. Personne n’y crut un seul instant.
— Je fais salon où je veux, quand je veux, love-coq ! s’énerva Zoro.
— Pourquoi tu veux faire salon dans ma cuisine ?! Je te supporte assez comme ça !
Sanji était rouge, désormais, et il fallut quelques secondes à Zoro pour réaliser que c’était d’embarras. Malgré la situation, il ne résista pas à l’appel de la provocation.
— Quoi ? T’es en train d’essayer de la jouer cool ? Tu m’as littéralement grimpé dessus pour fuir des bébés araignées, et tu veux nous faire croire que tu vas être à l’aise pour cuisiner dans une pièce où elles vous pouvoir se nourrir ?!
Brook et Franky venaient de revenir sur le pont. Ils entendirent sa pique et ricanèrent, lui tirant un petit sourire mesquin qui mourut au premier frisson dans le corps de Sanji.
À présent qu’il voyait son bon profil, Zoro se rendit compte qu’ils avaient d’autres problèmes plus pressants que la difficulté de son ami à accepter qu’on puisse vouloir le protéger – même s’il était mal placé pour lui faire des reproches.
Sanji semblait s’être battu avec un chat enragé. Ses cheveux étaient ébouriffés, sa cravate détendue, son col de chemise redressé d’un côté, et les ongles de la navigatrice n’avaient épargné ni son visage ni son cou – même si cet obsédé avait probablement apprécié l’expérience, songea-t-il. En attendant, il allait falloir désinfecter ça. Le stupide coq avait l’avantage d’avoir des ongles courts parfaitement limés – pour des questions pratiques et hygiéniques en cuisine, mais aussi esthétiques. Zoro, qui ne comprenait pas bien ces enjeux, lui en fut toutefois reconnaissant : son faciès à lui était sain et sauf.
Remis de son angoisse passagère, Sanji s’apprêtait à lui servir une nouvelle réplique, mais Zoro ne lui en donna pas le temps.
— Viens par-là, au lieu de t’énerver. Nami, Jinbe, organisez la chasse avec les autres.
Il lui saisit le poignet et le traîna derrière lui jusqu’à la cuisine.
Sanji s’était laissé faire, perturbé par le contexte, mais il se figea quand Zoro ouvrit la porte.
— Mince, t’es si phobique que ça ? s’étonna-t-il en se retournant.
Le coq était encore plus pâle que d’habitude, ce qui faisait ressortir les vilaines griffures. Il sembla examiner un conflit interne durant plusieurs secondes, puis il articula avec effort :
— Très.
Zoro n’avait jamais su réagir à l’agressivité de Sanji quand elle cachait sa vulnérabilité. Il était là pour protéger l’équipage, et la tendance de son meilleur rival à refuser son soutien l’agaçait prodigieusement, lui donnant l’impression qu’il n’était pas à la hauteur de son rôle.
En même temps, il adorait savoir que Sanji était à ses côtés, que ses faiblesses étaient les forces de Zoro, et inversement, que Sanji n’était pas fragile et qu’il pouvait se débrouiller tout seul. Ils se faisaient une confiance aveugle qui portait Zoro aux nues dès qu’ils étaient ensemble, si bien que l’épéiste ne se sentait jamais aussi puissant que lorsque Sanji se battait auprès de lui, en tandem avec lui, en parallèle de lui.
À présent que Sanji apprenait à se laisser aller, à accepter de dévoiler ses imperfections, voire ses blessures, Zoro devait se montrer digne de cette nouvelle forme de confiance et cesser de faire le gamin.
— Il va bien falloir que tu entres dans cette pièce, coq. Qu’est-ce que je peux faire ?
— Mais rien ! J’ai pas besoin de t… partit Sanji au quart de tour avant de s’interrompre.
Zoro leva un sourcil, mais attendit qu’il se reprenne.
— Ah. Euh… Allumer la lumière, pour commencer.
Il s’exécuta sans dire un mot.
— Tu peux avancer, mais regarde bien partout. Le premier truc qui bouge, tu le plantes. Je t’autorise même à faire des trous dans mes plans de travail s’il le faut.
Zoro fit un pas, examinant les environs de son œil valide.
Il sentit Sanji se rapprocher dans son dos, et même oser poser une main fébrile sur son épaule. Il se retint de lui jeter un regard surpris. Sanji s’efforçait d’accepter ses propres limites et ses besoins. S’il avait besoin de se cramponner à lui pour affronter quelques arachnides inoffensifs, Zoro avait le devoir d’accepter, lui aussi, cette nouveauté. Il perçut le souffle du stupide coq sur sa nuque et secoua la tête.
— Tss… j’arrive pas à croire que t’aies peur des insectes rampants, mais pas des rats. C’est pas encore pire, pour un soi-disant pro comme toi ?
— Non. Les rats, c’est mignon.
— Question de point de vue. Usopp voulait adopter toute la couvée.
Les doigts sur son trapèze se contractèrent.
— Quelle horreur.
— Je l’aurais jamais laissé faire, va, assura-t-il en tapotant la main tétanisée.
Il avança dans la cambuse d’un pas conquérant. Il se sentait presque comme le proverbial chevalier servant dont Sanji revendiquait les traits avec plus ou moins de succès. Tout à coup, Zoro comprit pourquoi le coq cherchait tant à se conformer à cet idéal : c’était absolument grisant.
Dans les faits, Zoro était le chevalier servant de tout le monde, certes, mais Sanji n’avait jamais eu vraiment besoin de lui, et cela le faisait se sentir important. Sanji était sans doute la seule personne au monde qui pouvait lui donner cette impression de valorisation outrancière et la lui faire aimer. Tout à coup, il ne le protégeait pas seulement par devoir et par amour, à l’image du reste de l’équipage, il le protégeait comme par un désir égoïste de compter pour lui.
À quel point le coq était-il certain de ne pas compter, d’ordinaire, pour consacrer autant de temps et d’énergie à chercher la validation de son entourage ?
— Je l’aurais pas laissé faire non plus, murmura Sanji dans son cou, lui arrachant un frisson de satisfaction incongru.
Comment pouvait-on être aussi fort et aussi vulnérable à la fois ? Sanji avait toujours réussi cet exploit aux yeux de Zoro, à travers la puissance de ses coups et la gentillesse dont il gratifiait la terre entière, même aussi subtilement qu’il le faisait s’agissant de l’épéiste. Sa grande sensibilité ne l’empêchait pas d’être rationnel lorsqu’il le fallait, encore moins de piétiner littéralement ses ennemis quand il en avait décidé ainsi. Zoro ne lui enviait pas cette liberté d’émotion, mais il l’admirait.
Avec Sanji derrière lui, prêt à en découdre malgré sa terreur et terrifié malgré sa volonté d’en découdre, Zoro se sentait capable de conquérir le monde.
Il examina les murs avec minutie, mais ne remarqua absolument rien. Sanji ne fut pas de cet avis. À peine Zoro avait-il fait un geste vers l’infirmerie qu’il lui hurla dans l’oreille :
— Là !
Un doigt pâle désignait quelque chose sur le mât, juste à côté des bouches de ventilation.
À la seconde où Zoro vit la tache bouger, il s’arracha à la prise du coq pour se jeter en avant, dégaina, et embrocha la petite chose sur la pointe de Wado. Il aurait pu se contenter de l’écraser à la main. Avec une botte. Un torchon. N’importe quoi plutôt que cette exagération qui aurait pu faire des dégâts. Heureusement, il avait eu la présence d’esprit d’utiliser son épée la moins offensive.
— Merde, tu l’as eue.
Zoro se retourna, surpris.
— Ben oui, je l’ai eue. Tu me sous-estimes ? ricana-t-il, fier de lui.
— T’as même pas abîmé le mât. Incroyable. Ça m’étonne de la part d’un bourrin comme toi.
— Je vais éviter les katanas à l’avenir, ouais.
Ils se regardèrent d’un air entendu, puis Sanji fit un mouvement hésitant vers le comptoir.
— Va falloir que je commence à préparer le dîner. Tu vas vraiment rester avec moi ?
Zoro fronça les sourcils et hocha la tête.
— Alors, viens de ce côté.
Ils reproduisirent la scène de l’entrée dans la partie cuisine, sans trouver trace de petites bêtes à huit pattes. Sanji poussa un soupir de soulagement. Pourtant, Zoro voyait bien qu’il était nerveux.
— Je me mets où tu me dis de me mettre.
Il n’aimait pas donner au coq tout ce contrôle sur lui, mais Sanji lui en avait concédé tout autant en acceptant sa protection. Dans des circonstances différentes, il aurait laissé ses pairs prendre la situation en main. Usopp, par exemple, aurait snipé les minuscules arachnides en un tournemain, ou aurait eu la décence de les attraper. Luffy les aurait mangées pour s’en débarrasser – la pensée lui arracha une grimace de dégoût. Mais c’était lui qui avait échoué à garantir à Sanji sa paix habituelle, et il ne souhaitait confier cette mission de sauvetage à personne d’autre.
Une part de Zoro avait aussi envie de créer cette occasion, pour le coq, de se laisser materner un peu plutôt que d’avoir à materner ses pairs. Il voulait que Sanji s’autorise davantage de choses, de petits plaisirs bien à lui, de caprices. Sanji se le permettait de plus en plus avec les autres membres de l’équipage, mais pas encore suffisamment avec lui. Il était temps que ça change.
Une autre part de Zoro admit timidement que les légères euphories déclenchées par le comportement de Sanji n’étaient pas étrangères à cette décision. Il refusa d’y faire attention : lui avait toujours su qu’il avait le droit de faire des caprices, il n’allait pas se retenir maintenant.
Sanji le regardait curieusement, cherchant l’arnaque, mais il lui était déjà passé devant et commençait à sortir des ustensiles de cuisine.
— Hé, love-coq.
Le concerné se stoppa pour l’observer d’un air agacé, comme s’il avait prédit un commentaire de sa part.
— Passe à l’infirmerie avant. Nami t’a pratiquement défiguré – ce qui est une bonne chose, soit dit en passant.
Il mentait éhontément, mais Sanji attendait la pique, et Zoro était toujours prêt pour la lui servir, même entre deux phrases attentionnées.
Sanji plaça ses mains sur son visage et siffla en sentant les griffures. Avoir un exosquelette ne protégeait pas des chats enragés – description exacte de Nami, réalisa-t-il en pouffant.
— Oups. J’ai cru que c’était parce que je rougissais…
Sanji se mordit les lèvres immédiatement. Zoro leva un sourcil sceptique et décida d’être franc :
— Y a pas de quoi. On a tous du mal avec certains trucs.
— Mais pas toi, bien sûr, grogna Sanji en se dirigeant vers le cabinet de Chopper.
— Même moi, assuma Zoro en s’étranglant sur les mots.
Il ne s’attendait pas à être aussi franc face à l’assertion flatteuse de son meilleur rival. Le coq lui jeta un coup d’œil sceptique, le sourcil levé. Il espérait une précision. L’épéiste soupira, croisa les bras sur sa poitrine et grinça :
— Tashigi.
— Pffft !
Zoro regretta sa sincérité. Sanji avait ouvert la porte et gloussait dans sa barbe.
— Mais pourquoi ?! Elle est géniale, Tashigi-chan !
Les gloussements s’étaient transformés en rire.
— Oui, elle l’est, admit Zoro, laissant un sourire affectueux orner ses lèvres.
— Comment tu l’as connue, d’ailleurs ? Ça avait déjà l’air personnel quand on t’a ramassé après votre duel à Loguetown. Qu’est-ce que t’as bien pu lui faire ?
— Mais rien ! C’est elle qu’a commencé ! s’énerva-t-il.
Il s’attendait à ce que Sanji lui demande des précisions, mais celui-ci s’était stoppé au milieu de l’infirmerie, des cotons et de l’alcool dans les mains, et regardait autour de lui d’un air ennuyé.
— Euh, Zoro… ?
Son instinct protecteur aux aguets le fit bondir vers le coq.
— Hein, quoi ? Y en a une qu’est déjà arrivée jusque-là ?!
Sanji se tourna vers lui, parfaitement calme. Il sursauta cependant en entendant l’hypothèse de l’épéiste, frissonna légèrement, mais se redressa pour déclarer :
— Y a pas de miroir, dans l’infirmerie.
Oh. Ce n’était que ça.
— Ah, ben donne.
Zoro franchit le pas de la petite pièce et lui prit la gaze et l’alcool des mains. Voyant que Sanji ne bougeait pas, il désigna le lit d’un coup de tête et tira le fauteuil favori de Chopper pour s’y asseoir. Son vis-à-vis l’imita et lui jeta un autre regard sceptique.
— Quoi ? demanda Zoro en versant l’alcool sur les cotons.
— T’es étonnement attentionné, aujourd’hui. Enfin… Non. T’es toujours attentionné, corrigea Sanji. Aujourd’hui, t’es… carrément aux petits soins. C’est perturbant. De quoi tu cherches à te faire pardonner ?
Putain, il a compris.
Zoro savait être particulièrement transparent vis-à-vis de deux personnes sur le bateau : Luffy, et Sanji. Il était prêt à nier, mais le coq était déjà arrivé à l’évidente conclusion.
— Attends… Tu te sens coupable d’avoir laissé des araignées envahir ma cuisine… ?!
Zoro lui mit le coton dans la figure pour l’empêcher d’éclater de rire. Cela n’empêcha rien du tout : Sanji siffla à peine de douleur entre deux quintes de toux. L’épéiste dut immobiliser sa mâchoire avec ses doigts pour viser les vilaines griffures.
Lorsqu’il s’attaqua au long cou puissant, il fut toutefois soulagé que son compagnon soit distrait par son hilarité. Sanji était un très bel homme, et si Zoro n’avait jamais ressenti autre chose que de l’attirance esthétique pour lui, leur connexion nouvelle le rendait tout chose.
Zoro était capable d’apprécier les corps et les formes sans avoir envie ou besoin d’y toucher. Il était pourvu d’une libido inexistante, ce qui lui évitait les désagréments dont son pire ami semblait faire les frais. Il n’éprouvait d’intérêt, d’attraction réelle, qu’envers les gens avec qui il partageait un lien spécial, un instant de connivence précieux et exceptionnel.
Perona, qui pour une raison inexplicable maîtrisait le vocabulaire queer mieux qu’un résident de Newkama, avait utilisé le mot « demi ». Romantique ou sexuel, il n’avait pas très bien compris, mais il avait apprécié qu’elle pose un terme sur une tendance autrement difficile à résumer.
Ils avaient découvert ensemble cette facette de lui, un soir qu’elle pleurait parce que son ancien monde lui manquait, et que celui de Zoro aussi. La relation conflictuelle qu’il entretenait avec elle lui rappelait d’autant plus la dynamique de son équipage. Elle n’avait fait qu’accentuer l’impression de complicité.
Ils étaient tous les deux assis par terre, adossés au lit qui ne lui servait qu’en cas de convalescence. Ses bandages traînaient au sol, défaits après une période de soins intenses. Il se souvenait avoir passé son bras autour de ses épaules, puis il avait parlé des pairs qu’il allait retrouver, comme pour la distraire de ceux qu’elle avait perdus. Elle avait posé sa tête contre lui, ri aux frasques de Luffy, puis elle avait planté un baiser sur sa joue. Il était sûr d’avoir initié celui qui avait suivi sur ses lèvres, contre toute attente.
Depuis Perona, Zoro guettait les moments intimes susceptibles de lui faire revivre ces sensations. Il ne les cherchait pas, au contraire : il s’en méfiait. Elles ne faisaient pas partie de ses plans, il s’en serait bien passé entièrement. Il s’en méfiait d’autant plus qu’il savait pertinemment avec qui elles risquaient le plus d’advenir : les membres de son équipage. En particulier des gens comme Luffy ou Nami, avec qui il adorait se disputer pour de faux. Et Sanji, bien sûr.
Toutefois, il n’aurait jamais imaginé que cette attirance puisse se déclencher parce que Sanji avait ri. Encore moins parce qu’ils s’étaient autorisés un peu de vulnérabilité et que celle-ci venait, il en était sûr, de les renforcer au-delà de toute logique.
Sanji le coupa dans ses réflexions tandis qu’il tamponnait les griffures du cou.
— J’y crois pas… T’es trop exigeant avec toi-même, franchement !
Il en profita pour replacer le col déformé, mais se garda bien de resserrer la cravate. Pour éviter que la chemise frotte sur les blessures, bien sûr. Pas du tout parce que Sanji était encore plus beau avec des vêtements froissés et un décolleté plus ou moins volontaire, et que Zoro aimait les jolies choses un peu magnétisantes comme l’était ce coq infernal en cet instant. Non mais je déraille complètement, se morigéna-t-il en passant une crème cicatrisante qui garantirait que Sanji, grâce à ses capacités de régénération, retrouve sa peau parfaitement lisse d’ici quelques heures.
— Tiens, je serais même pas étonné que ce soit à cause de ça, ton problème avec la charmante Tashigi-chan.
De petits cœurs roses s’échappaient de l’œil visible de son meilleur rival. Il imagina Tashigi reprocher à Sanij de ne pas la prendre au sérieux et pouffa. Rien n’aurait été plus faux, bien sûr : Sanji prenait toutes les femmes au sérieux ; il ne les aidait pas parce qu’elles étaient faibles à ses yeux, il les aidait parce que c’était sa façon d’aimer, tout comme il le faisait avec les hommes en omettant de le formuler à voix haute.
Mais Tashigi méritait que Sanji comprenne à quels complexes elle faisait face. Peut-être cela permettrait-il au coq, une prochaine fois, de la rassurer sur sa valeur comme il savait si bien le faire ? Peut-être cela compenserait-il pour toutes ces fois où Zoro lui avait involontairement donné l’impression qu’elle était inférieure, alors qu’elle était juste moins forte ? Zoro avait la puissance de deux ambitions accumulées. Il lui semblait naturel que Tashigi ne lui arrive pas à la cheville, d’autant plus qu’elle ne partageait pas ses aspirations grandiloquentes. Elle ne l’entendait pas de cette oreille, bien sûr.
— T’aimerais savoir, hein ? taquina-t-il en terminant d’étaler des couches trop importantes de crème sur les blessures.
Sanji était penché en avant, ses mains le retenant au bord du lit, ses jambes se balançant comme celles d’un gamin agité. Parfois, Sanji se laissait aller à ces comportements, comme si on ne lui avait pas permis d’être un enfant quand il en avait l’âge, et qu’il avait besoin de rattraper le temps perdu. Un petit sourire mutin ornait son visage.
— Bien sûr. Et si tu lui as fait quelque chose, je te tape.
Il plaisantait : il savait très bien que Zoro ne ferait jamais quoi que ce soit de répréhensible à une femme – en dehors de la découper en morceaux si nécessaire, mais uniquement lors d’un duel impliquant le consentement éclairé des deux parties. Ça ne l’empêchait pas de le menacer, ce qui énervait prodigieusement l’épéiste et déclenchait toujours une rixe tout aussi consentie et éclairée. Zoro ricana.
— Justement, je l’ai pas touchée d’un cheveu. C’est ça qu’elle me reproche.
L’expression scandalisée de Sanji informa Zoro qu’il n’avait pas donné la bonne réponse.
— Quoi ?! Encore une femme insatisfaite à cause de toi ?! rugit-il. Comment tu fais pour en attirer autant alors que t’en veux même pas ?!
L’épéiste eut un moment d’incompréhension, puis il fit une grimace dégoûtée.
— Beurk ! Non mais non ! Je l’ai pas touchée dans le sens… blessée. Je l’ai pas blessée ! Arrête de croire que tout est une métaphore sexuelle, espèce d’obsédé !
— Ouais ben si tu t’exprimais plus clairement, ça arriverait pas ! Arrête de jouer les types mystérieux en omettant la moitié des infos, plancton non nutritif !
Sanji avait commencé à lui filer des coups de pied dans les genoux, mais dans l’étroitesse de l’infirmerie, il était impossible de se battre pour de vrai.
— Ferme-la et va faire ta bouffe ! Si tu me hurlais pas dessus à chaque fois que je dis un truc, je pourrais peut-être donner des détails !
— J’ai pas d’ordre à recevoir de toi !
— Si tu te grouilles pas, je te laisse avec tes araignées !
— T’oserais pas, marimo complexé !
— Petite nature !
— Ça suffit, à la fin !
La porte arrière de l’infirmerie s’était ouverte puis refermée, juste le temps que quelqu’un leur jette un encrier à la figure. L’objet avait rebondi sur le front de Zoro avant de heurter Sanji au menton.
Ils se regardèrent, interdits, puis éclatèrent de rire.
— Nami-san trouve des projectiles de plus en plus créatifs… constata Sanji, quelques cœurs s’échappant de son œil.
— Elle va finir par en acheter rien que pour nous.
— Honnêtement, je suis surpris qu’elle l’ait pas encore fait, après la cage de Luffy…
Zoro pouffa. Ils étaient de retour dans la cambuse, et Sanji lui indiqua l’extrémité de la rampe qui constituait le siège au bar. Depuis cet endroit, Zoro pouvait accéder rapidement à n’importe quel coin de la pièce sans empiéter sur l’espace de travail du coq.
— Je te sers quelque chose ?
Il hocha la tête, surpris. Sanji précisa :
— Quoi ? Je t’embête avec mes phobies, ça vaut bien un verre.
Zoro étudia le faciès de son meilleur rival, cherchant le piège. La moitié visible de son visage luisait de crème, sa peau irritée était écarlate, et il avait du mal à le regarder en face. C’était sa façon d’accepter son aide, l’air de rien.
— Tu m’embêtes pas, grogna-t-il dans sa barbe, rougissant légèrement.
Sanji sélectionna une bouteille de saké dans un placard, l’ouvrit d’un geste expert et la plaça sur le comptoir, accompagnée d’une coupe. Cinq minutes plus tard, il y avait ajouté un petit bol d’edamame et commencé la préparation du repas. Si ce n’était la tension dans sa nuque et la façon dont il examinait régulièrement les plans de travail qu’il connaissait par cœur, Zoro aurait pu croire qu’il avait oublié l’invasion d’arachnides.
— Alors, qu’est-ce que tu n’as pas fait à Tashigi-chan, exactement ?
Le love-coq avait toujours été multitâche, à un point déroutant même aux yeux de Zoro, pourtant capable de manipuler trois épées à la fois, dont une avec sa bouche. Il sortait des placards des dizaines de contenants, des marinades préparées et étiquetées avec soin, des pièces de viande et de poisson de la taille de leur capitaine, tout en réclamant une conversation.
Zoro lui résuma sa rencontre avec la jeune femme à Loguetown, sa naïveté agaçante, sa maladresse naturelle, et sa dextérité au sabre. Sanji ricana à plusieurs reprises, émit des cœurs enamourés en songeant à la belle épéiste, et lui lança des piques quand il tenta d’éluder ses propres déconvenues. Lorsqu’il arriva à la fin de leur duel, les araignées semblaient avoir quitté l’esprit du coq, mais Zoro restait aux aguets.
— Et donc, si elle t’en veut… C’est parce que tu ne prends pas plaisir à couper en deux tous les gens qui se mettent en travers de ta route ?
Zoro le fixa d’un air atterré. Il a remarqué ? Il n’aurait pas dû être surpris. Sanji et lui se connaissaient trop bien, au-delà des mots et des provocations. Malgré leurs caractères opposés, ils se comprenaient. Ils savaient quelle compassion habitait leur égal, gentillesse pour Sanji, douceur de cœur pour Zoro. Leur violence n’était jamais qu’une façon d’aimer, après tout.
Le compliment masqué força Zoro à être sincère.
— Elle, c’est pas pareil.
Sanji leva un sourcil en faisant flamber quelque chose à la poêle, lui intimant de poursuivre.
— Elle est convaincue que si je l’ai pas tuée à Loguetown, c’est parce qu’elle est une femme. Et va savoir pourquoi, Punk Hazard l’a confortée dans son impression…
Le coq stoppa tous ses mouvements et le fixa plusieurs secondes. Puis il éclata de rire.
— Attends… Ta phobie, c’est qu’une jolie fille trop cool soit persuadée que t’es un gros macho ?!
Une autre casserole requit son attention, mais il riait toujours.
— J’aime pas qu’on me prenne pour un gros macho, bouda Zoro. Ça m’énerve.
— T’as l’air d’un gros macho, en même temps, railla Sanji. Je pensais pas que l’avis des gens t’importait.
Zoro se moquait complètement de ce que les gens pensaient de lui. Ce que les gens pensaient de ce qu’il incarnait, épéiste ayant fait une promesse à une petite fille victime du sexisme le plus basique, était un peu différent. Surtout quand la personne en question ressemblait autant à son amie d’enfance et avait le même complexe d’infériorité, inculqué par il ne savait quelle culture d’un autre temps.
Pourtant, ce que Kuina avait intériorisé avait laissé des traces en lui. Plutôt dans sa conscience que les femmes n’étaient pas traitées également par les hommes de leur monde. Et peut-être était-ce pour cela qu’il n’aimait pas voir un homme en pleine possession de ses moyens s’acharner sur une femme incapable de se défendre. C’était comme appuyer sur cette discrimination, comme en profiter. C’était une cruauté qu’il ne serait jamais permis, et il aurait apprécié que tous les autres hommes en fassent autant.
Sanji, avec ses principes et son idéal chevaleresque – si ridicule soit-il –, avait son estime pour cette raison également.
La conversation se poursuivant, Zoro prit bien garde à ne pas le lui faire remarquer, mais le lien était trop évident pour qu’ils n’en aient pas conscience.
— Bref, je sais très bien que je serais pas ici sans l’influence qu’une femme a eue sur moi, conclut-il sans donner de détails.
Le nom de Kuina n’avait pas à être prononcé. Il était tout au fond du cœur de Zoro, et il pouvait y rester. Personne n’avait besoin de connaître le pourquoi du comment. Son ambition était suffisante : au milieu de ses pairs, il savait qu’elle était respectée.
— Moi non plus, expira Sanji.
L’épéiste jeta un regard étonné sur son meilleur rival. Sanji ne donna pas davantage d’explication non plus. Cependant, il lui adressa un sourire sincère, un de ceux qui transpirait le bonheur d’aimer. Zoro l’aurait cru sur parole de toute façon, mais ce signe évident d’affection lui transmit tout ce qu’il avait besoin de savoir sur cette femme que, comme lui, le love-coq n’avait pas nommée.
Il sentit soudain ses intestins faire d’étranges petits sauts, comme quand il avait eu envie d’embrasser Perona : la connexion s’était manifestée, cohérente avec le moment qu’ils venaient de partager. Ça y est, se dit-il, c’est en train d’arriver. Et il a fallu que ce soit lui.
Zoro, toujours rationnel, avait calculé les conséquences qu’un tel affect pourrait avoir sur ses rapports avec ses pairs.
Luffy ? Aucune. Luffy était libre, et il voulait que les autres le soient. Il se serait probablement retrouvé dans une relation queerplatonique avec son capitaine avant même de s’en rendre compte, et il en aurait été heureux. Parfois, il se demandait si Luffy n’était pas si inconsciemment aroace que cette relation existait déjà au sein de l’équipage, au moins avec leurs premiers membres.
Nami ? Nami était sans doute lesbienne – éclaircissement gracieux de Perona, là aussi –, et cette connexion les aurait frustrés. Ils se seraient peut-être même brouillés. Il voyait bien ce que Nami faisait de l’amour de Sanji, et il aurait détesté ressentir de l’attirance pour elle en sachant quel pouvoir cela lui donnait sur lui. Pas que l’autre idiot ne soit pas entièrement satisfait de ce fonctionnement, mais Zoro n’était pas Sanji. Contrairement à ce dernier, qui tirait son énergie d’une telle exploitation, Zoro la trouvait épuisante. Il aurait fallu que la navigatrice ait des sentiments pour lui, et cette pensée elle-même lui était absurde, à l’heure actuelle. Nami aurait sans doute été le pire, tout bien considéré.
Sanji ? Quelques mois plus tôt, ç’aurait été la fin du monde – raison pour laquelle la connexion n’avait jamais eu lieu auparavant, à son avis. S’il avait manifesté quelque attirance que ce soit envers lui, le coq aurait pété un câble. Zoro aurait peut-être brisé quelque chose entre eux, et il aurait fallu un peu trop de discussions à son goût pour réparer leur lien.
Mais depuis Wano, Sanji était… plus accessible. Il disait davantage ce qu’il pensait, exprimait son attachement aux membres masculins de l’équipage, et il avait suffi de cette petite crise d’arachnophobie pour qu’il accepte l’aide de son éternel rival de façon bien plus directe qu’il ne l’avait réclamée à Onigashima.
Face à ce nouveau lien, les tendances demi de Zoro revenaient à la charge. D’autant plus qu’à présent, elles ne risquaient pas, à son avis, de changer grand-chose : la connexion que Zoro ressentait, il la voulait telle quelle, peu importait le positionnement de Sanji. C’était ce qui l’avait maintenue existante entre lui et Perona : un équilibre entre agacement affectueux et sympathie agressive.
En somme, Sanji était à la fois le candidat le plus évident et le plus compliqué… jusqu’à maintenant.
Zoro intériorisait tout, mais tant qu’il n’était pas désarmé par une situation, il savait être honnête. Il ne se voyait pas cacher ce qu’il éprouvait pour ses nakama, et il ne pensait pas leur avoir menti consciemment une seule fois dans sa vie. À cet instant, il voulait profiter de ce que la connexion avait créé. Alors, il ne retint pas sa question :
— Au fait… t’es toujours aussi désespérément hétéro ?
Notes:
Sanji débraillé est une menace pour ma santé mentale, donc j’en ai fait le problème de Zoro, parce que bien sûr Zoro le préférerait comme ça.
J'espère que vous vous amusez autant que je me suis amusé en écrivant !
Chapter 2: Yôjinbô
Notes:
Je n’avais aucune idée d’où j’allais avec cette histoire, donc je me suis retrouvé à parodier des tropes de romance et à troller. Je ne regrette rien.
Chapter content warnings
Araignées (beaucoup, et des grosses), insectes écrasés ou découpés en morceaux, arachnophobie, alcool, légère invisibilisation des spectres bi/pan/aroace – Dites-moi s’il en manque, je peux les ajouter :)
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
— Pardonquoi ?!
Sanji s’était retourné vers Zoro, une spatule à la main. Il écarquilla les yeux et reprit ses activités, qu’il ne pouvait mettre sur pause plus de quelques secondes.
Sanji savait combien Zoro était obsédé par le bien-être de son équipage, à tel point qu’il était surpris de ne pas l’avoir vu débarquer à Whole Cake Island pour lui botter les fesses. En vérité, il savait pourquoi l’épéiste n’était pas venu : Zoro avait une confiance aveugle en Luffy, et Zoro avait aussi une confiance aveugle en lui. Si Luffy décidait quelque chose, Zoro était certain qu’il allait s’y tenir. Si Sanji disait quelque chose, Zoro décidait qu’il allait s’y tenir. Ça ne l’empêchait pas de s’inquiéter, de vouloir limiter les dégâts et d’intervenir, mais Sanji étant le seul pair que Zoro n’avait pas besoin de protéger d’ordinaire ; il était logique qu’il n’ait pas jugé nécessaire de s’impliquer. Il était plus pertinent pour lui d’être autre part, là où il pourrait au mieux servir les intérêts de leur capitaine.
Et puis, Zoro était un gros boudeur. Durant leur trajet vers Wano, Luffy avait expliqué à Sanji que tout le monde se rongeait les sangs pour lui, qu’ils allaient être ravis de le revoir, et ça avait clairement inclus le marimo. Sanji était certain que son rival avait râlé contre lui pendant des heures, l’accusant de tous les maux, tentant de rationaliser son départ malgré ses instincts protecteurs. Parce que même si Zoro n’avait pas besoin de le protéger, il en avait envie, mais le respect qu’il éprouvait pour lui l’empêchait de souscrire à ce désir-là. Sanji savait que c’était de sa propre faute : il ne laissait personne l’approcher, le seconder, l’aider. Zoro encore moins que les autres, justement à cause de ses tendances protectrices.
Il avait appris à se débrouiller seul parce qu’il était persuadé de ne pas mériter le soutien et l’amour de qui que ce soit, et même s’il avait toujours tiré une grande fierté de cette autonomie, il avait conscience, désormais, qu’elle provenait de blessures à peine refermées. Accepter la protection de ses pairs, la réclamer, l’assumer, représentait un énorme pas en avant. Accepter celle de Zoro, à présent, était une nouvelle étape dans le chemin vers la guérison.
Étrangement, c’était l’arrivée de Jinbe qui avait débloqué cette possibilité : Zoro et Sanji avaient cette relation d’interdépendance complexe et grisante qui les mettait sur un pied d’égalité. Mais Zoro n’avait que Sanji comme béquille lorsqu’il avait trop à gérer. Sanji s’était toujours chargé de ce que les autres ne pouvaient pas faire, et auparavant, personne n’avait été là pour le soulager dans cette tâche à plein temps dont il cachait adroitement la lourdeur.
Maintenant, tout avait changé : Sanji s’était reposé sur Zoro à Onigashima, et Jinbe pouvait porter sur ses épaules ce que les ailes du roi des pirates ne pouvaient pas soulever à elles seules. Tous deux étaient délestés d’un tel poids que voler était devenu possible. Voler ensemble.
Sanji devait fournir tous les efforts du monde pour se rappeler qu’il avait le droit d’être aimé. Il apprenait encore à dire « Oui, merci. » au lieu de « Non, ne t’embête pas pour moi. » Il apprenait à ne pas rejeter cet amour inconditionnel auquel on lui donnait accès, et cela devait inclure Roronoa Zoro et ses tendances protectrices.
À présent que Sanji pouvait lui-même se reposer sur le caractère bonhomme de Jinbe, il savait qu’il ne faisait rien retomber sur Zoro – qui avait été le seul à pouvoir le porter, tout ce temps, bien qu’il ne lui en ait jamais laissé l’opportunité avant Onigashima.
Lorsque les araignées s’étaient manifestées, il n’avait pas pu se contrôler. Il avait mis plusieurs secondes à réaliser sur qui il grimpait comme si le sol s’était transformé en lave, mais, étrangement, il n’avait rien regretté. Il s’était rendu compte que, s’il avait besoin d’une paire d’épaules solides pour le soulever et l’éloigner des abominations, celle-ci pouvait bien être celle de son meilleur rival. Si Sanji était là pour lui remettre les idées en place, il n’y avait pas de raison que Zoro ne puisse pas être là quand son ami perdait ses moyens.
C’était la raison pour laquelle il avait essayé de s’en remettre à lui, par les gestes autant que par les paroles. Ils avaient toujours été très complices, mais c’était la première fois qu’il acceptait la protection de Zoro. Et ses soins. Il ne parvenait pas encore à rejeter l’impression qu’il ne méritait pas autant d’attention, que le service que lui rendait l’épéiste en restant avec lui nécessitait une compensation de sa part, mais il était fier d’être arrivé à tolérer que le marimo soit là pour lui.
Dans d’autres circonstances, il aurait préféré que son rival suive Nami, afin qu’elle n’ait pas à rencontrer la moindre horreur à huit pattes. Il aurait cuisiné tout seul dans son coin, pétri d’angoisse. Mais Nami n’était pas la plus menacée, et Zoro pouvait déléguer à d’autres la fonction de garde du corps. Il songea avec affection à la jolie navigatrice, qui avait probablement recruté Usopp. Entre son haki de l’observation supérieur et son affinité avec les insectes, Usopp était même plus indiqué que l’épéiste pour faire face aux arachnides. Mais Zoro était responsable de la sécurité du bateau, et Zoro avait laissé les sales bestioles envahir sa cuisine. Sa réaction était presque mignonne.
Non, en fait, c’est adorable. Cette tête d’algue est absolument adorable. J’ai envie de lui frotter le crâne et de le féliciter, ça le fera bouder, ce serait trop drôle, se disait-il tout en maintenant la conversation. Et ensuite, on pourra se taper dessus comme deux gamins, ce sera parfait.
La tentation avait disparu lorsqu’il avait subtilement évoqué sa mère et que Zoro lui avait rendu son sourire. Un silence confortable s’était installé, entrecoupé par le bruit des dizaines de plats en préparation. Puis Zoro avait posé cette question absurde : « Au fait… t’es toujours aussi désespérément hétéro ? »
Sanji s’était retourné sous la surprise, avait crié, puis s’était rappelé qu’il devait remuer son mélange sans discontinuer. À son balbutiement agressif, Zoro avait ricané.
— T’as très bien compris la question.
— Si t’es si certain de la réponse, pourquoi tu demandes ? s’énerva Sanji, embarrassé par sa réaction – et par le sous-entendu auquel l’épéiste n’avait peut-être pas songé.
Celui-ci prit le temps de boire une coupe de saké avant de répliquer. Sanji, qui venait d’envisager de le provoquer, sut tout de suite qu’il le faisait exprès.
— Au cas où.
Quoi ?! Au cas où quoi ?!
Il éteignit le feu, se déplaça jusqu’au four pour vérifier la cuisson des viandes, retourna à une autre casserole et y versa une marinade. Il n’avait pas l’occasion de voir l’expression de Zoro, mais le connaissant, il devait avoir l’air parfaitement calme et composé. C’était à lui de lire entre les lignes. Heureusement, il excellait à ce petit jeu.
— Si t’essaies de me déconcentrer, ça arrivera pas, marimo. Pas dans ma cuisine.
— Je suis très sérieux.
Un autre bruit de déglutition agaça immédiatement Sanji.
— Tu recommences à pas être clair, marimo.
— Et toi, t’as éludé la question.
Si Sanji avait eu les mains libres, il aurait essayé d’étrangler Zoro. Ses préparatifs arrivaient à leur fin. Il pourrait se venger de la tête d’algue dès qu’il aurait fini de ranger son espace.
— Tu te rends compte de la façon dont tu l’as posée, au moins ? Tu sais ce que ça implique ?
Il sentait Zoro le fixer intensément, comme si celui-ci tentait de trouver une faille dans le peu de barrières qu’il n’avait pas encore abaissées.
— Obsédé.
Il entendit le sourire dans la pique et, cette fois, ne résista pas à ses pulsions. Il arrêta son choix sur la bouteille de tabasco vide qu’Usopp avait laissée traîner à côté du mat, la saisit d’un geste vif et la lança à la tête de Zoro. Celui-ci l’attrapa adroitement, sans même regarder, ce qui énerva davantage Sanji.
C’est là qu’il la vit. Derrière l’emplacement de la bouteille, une forme poilue, mélange de noir et de semi-transparence, avait été dérangée par le mouvement. Elle commença à courir sur le comptoir.
— Gyaaaaaaah !
Il fallut moins d’une seconde à Zoro pour pénétrer sa bulle intime, glisser un bras autour de ses hanches, l’écarter du plan de travail et abattre sa large main sur l’abomination rampante. S’il n’avait pas été si terrifié, Sanji aurait presque eu pitié de la victime.
Zoro tourna la tête vers lui. Il ne bougeait plus d’un pouce, la paume à plat sur le comptoir, et il semblait retenir sa respiration.
— Ça va ? expira-t-il.
Sanji, déséquilibré, avait dû passer un bras autour de ses épaules. Derrière ses cuisses, il sentait celle de Zoro, contractée par la fente qu’il avait dû faire pour atteindre le fond de la cuisine. Son meilleur rival le tenait toujours par les hanches, cramponné à sa ceinture comme si Sanji s’était trouvé au bord d’un précipice.
Un sentiment intime et bouillant monta dans la poitrine de Sanji, qu’il n’avait jamais connu de toute son existence : celui d’être en sécurité.
Il était sincère lorsqu’il répondit :
— Oui. Maintenant, oui.
Alors, quelque chose d’incroyable se produisit sur le visage de Zoro. C’était une expression inédite, mélange de joie, de soulagement et de fierté si intense que ses pommettes mates se parèrent d’une sous-teinte rouge.
Si Sanji s’était trouvé à la place de Zoro et avait eu une jolie fille dans les bras, il aurait espéré qu’elle l’embrasse sur-le-champ. Mais il n’était pas Zoro et, malgré leur conversation, il y avait peu de chances que celui-ci apprécie un geste de sa part.
Sauf que Zoro l’avait cherché. Il l’avait fait tourner en bourrique à un moment où il ne pouvait pas se défendre, trop occupé par son rôle, et dans un cadre où il savait que le coq était déstabilisé.
Zoro à son tour avait l’air vulnérable, et Sanji n’aurait pas d’autre occasion de lui rendre la monnaie de sa pièce. Alors, il fit exactement ce qui, d’après lui et d’après ce qu’il avait vu des réactions de l’épéiste, risquait le plus de l’énerver.
Il garda son bras autour de son cou, caressa sa joue de sa main et déposa un minuscule bisou sur sa mâchoire, du côté de son angle mort. Enfin, il siffla de son meilleur ton de sale gamin suffisant :
— Merci, marimo-kun.
Dans n’importe quelle autre circonstance, Zoro l’aurait lâché immédiatement pour le laisser s’écraser à terre – c’était tout ce qu’il méritait, il le savait. Mais l’épéiste eut une deuxième réaction inédite. Il resta figé sur place, continua de le regarder et répliqua :
— J’ai ma réponse concernant ton hétérosexualité.
Une seconde après, un sourire gouailleur ornait ses traits, et Sanji en oublia presque le sérieux avec lequel il avait prononcé la phrase, comme s’il y croyait.
Est-ce que je viens de me outer sans m’en rendre compte ? s’interrogea-t-il, pris au dépourvu.
— Je peux aussi être un homme hétéro très à l’aise avec les démonstrations d’affection.
Zoro haussa un sourcil sceptique.
— À l’aise à quel point ? questionna-t-il sans se départir de son rictus carnassier.
Sanji faisait partie des rares personnes à ne pas trouver ce sourire absolument terrifiant. Au contraire, il présageait, à ses yeux, d’une bataille gagnée contre un ennemi puissant, ou bien d’un duel cathartique avec son meilleur rival. Il pouffa. Zoro voulait jouer à ça ? Très bien, ils allaient jouer à ça.
— Surprends-moi.
Le marimo n’avait aucune expérience, il en était persuadé. Que croyait-il accomplir face au séducteur professionnel de l’équipage du Chapeau de Paille ? Lui faire un petit bisou sur la bouche, comme entre deux enfants de cinq ans ? Le renverser en arrière alors que Sanji avait assez de mollets pour tenir tout seul, et assez de souplesse pour s’extirper de son étreinte ?
Il ne le reconnaîtrait jamais, mais Zoro parvint encore à le surprendre : sa main libre glissa sous son tablier et se posa sur ses côtes, les caressant lentement, presque langoureusement. Au lieu de le pencher, il le redressa, juste assez pour caler son dos contre son biceps. La paume puissante commença à remonter vers son torse. Elle était brûlante, douce, scandaleusement agréable. Sanji s’apprêtait à déglutir et regretter tous ses choix de vie lorsqu’il sentit quelque chose d’humide traverser sa chemise.
Le déclic se fit soudain : c’est la main avec laquelle il a écrasé l’araignée.
— Aaaah, mais c’est dégueulasse !
Aussi vite que Sanji s’était laissé aller dans cette étreinte étonnamment confortable, il se dégagea, repoussant l’algue sur pattes de toutes ses forces.
— Quoi ?! Tu vas pas me faire une panique gay alors que tu viens de prétendre que ça te dérangeait p… !
Le pied de Sanji atterrit en plein sur le visage de Zoro, tandis qu’il arrachait le tablier rose de son cou.
— Si je fais une panique, ce sera une panique bi, marimo ! déclara-t-il pour faire cesser l’interrogatoire et reprendre le contrôle de la conversation. Je veux juste pas que tu étales les viscères de cette horreur sur moi !
— Elle est trop petite pour avoir des viscères.
La sensation gluante persistait, si bien que Sanji dut baisser les yeux. Il le regretta immédiatement : une large tache maculait sa chemise, ponctuée de bouts de pattes et de quelques morceaux plus sombres qu’il ne souhaitait pas identifier.
— Mais elle était énorme !
Il eut envie de vomir lorsqu’il sentit le tissu lui coller à la peau.
— Je peux pas garder ça !
Il commença à défaire les boutons de sa chemise, les mains tremblantes. Zoro avait repris son sérieux.
— Je peux t’aider ?
Sanji n’était pas en état de trouver son comportement étrange. Il répondit par l’affirmative. Il avait besoin d’aide. Il avait besoin d’enlever les traces de cette chose qui l’avait touché post-mortem et d’effacer la sensation gluante sur ses côtes.
Zoro retira la chemise de son pantalon, détacha la pince à cravate et commença à défaire les boutons du bas, avec à peu près autant de dextérité que Sanji et ses doigts frémissants. Leurs peaux se frôlèrent lorsqu’ils arrivèrent au milieu, et Sanji sentit dans celle de son rival la même fébrilité que dans la sienne. Il enleva le vêtement aussi vite qu’il le put, laissant sa cravate pendre autour de son cou. Puis il se précipita à l’évier pour effacer, à grands coups de savon, la sensation visqueuse sur sa personne.
Il se tint appuyé contre le rebord plusieurs secondes, le temps de reprendre son souffle et de faire passer sa nausée, la tête basse.
— Désolé.
La voix de Zoro était hésitante. Il doit croire qu’il a merdé et il se sent encore responsable.
— T’inquiète. T’as pas fait exprès. Même mortes, elles me fichent les jetons.
Sanji jeta un coup d’œil au saké de Zoro. Un peu d’alcool le remettrait d’aplomb. Ensuite, il terminerait le service et pourrait respirer. Lorsqu’il s’éloigna, l’épéiste prit sa place à l’évier et se lava longuement la main. Plus longuement qu’il ne l’avait jamais fait sous les yeux de Sanji en des mois de cohabitation.
Sanji apprécia le geste, saisit la bouteille de saké et vida le peu qu’il en restait. Le liquide fort effaça les dernières traces de terreur. Il allait pouvoir finir son travail.
Lorsque Zoro leva la tête de l’évier, il avait un visage fermé. Sanji lui trouva un air presque misérable. En passant près de lui, il ne résista pas, cette fois, à ébouriffer ses cheveux de sa paume.
— Je compte sur toi pour la suite, yôjinbô.
Il aurait pu se contenter de parler de « garde du corps », mais Zoro avait grandi dans une culture exportée de Wano, et son attachement aux préceptes des samouraïs rendait l’appellation particulièrement flatteuse.
Le surnom sembla rasséréner l’homme, qui lui adressa un regard proche de la reconnaissance. Puis, plus fidèle à lui-même, il grogna, lui tira la langue, et retourna s’asseoir d’un pas égal. Sanji remarqua les petits sursauts joyeux dans la façon dont ses talons rebondissaient subrepticement, que seul son haki de l’observation lui permettait de repérer.
Il est trop mignon, c’est pas croyable, songea-t-il en terminant d’aligner les plats sur le comptoir – il avait nettoyé la surface avec férocité au préalable. La pensée ne le choqua même pas. Zoro avait toujours eu ce comportement de gros nounours qui le rendait appréciable, malgré ses dehors de cactus. Les épines étaient réservées à Sanji, mais il avait vite découvert qu’elles ne piquaient pas. En fait d’épines, c’étaient plutôt de larges touffes de poils qu’il se faisait lancer à la figure dans l’espoir qu’elles l’asphyxient temporairement. Sanji les brûlait avant qu’elles puissent l’atteindre, et Zoro comme lui affectionnaient les feux d’artifice qui en résultaient.
En vrai, on se tape dessus, mais on s’est jamais blessés. Zoro était incapable de blesser un membre de son équipage, ç’aurait été à l’encontre de tous ses principes. Pas une coupure, pas un brin de douleur, pas un bleu ne subsistait, même à la suite des gnons gigantesques que recevaient parfois Usopp ou Luffy, et qui disparaissaient en quelques minutes… Sanji n’avait pas souvenir que Zoro ait déjà réussi à lui faire des gnons. Au final, il s’en sortait drôlement bien : l’un comme l’autre savaient exactement quelle puissance employer dans leurs coups parce qu’ils savaient toujours avec quoi leur vis-à-vis allait répondre.
Zoro secoua sa bouteille vide d’un air déçu. Sanji le devança et en déposa une seconde sous ses yeux avant de saisir sa chemise sale – il hésitait à la faire rejoindre le vieux torchon dans le fourneau de Franky.
— Je te l’ouvre si tu mets les plats sur la table pendant que je vais me changer.
Zoro n’aimait pas qu’on lui donne des ordres et qu’on conditionne sa réserve d’alcool aux services qu’il rendait. Il croisa les bras, leva le menton et coula sur lui un regard équivoque.
— Non mais reste comme ça, c’est très bien.
Quoi ?! Non mais il me cherche ! Tu vas voir, espèce de…
— J’ai dit que j’étais bi, pas exhibitionniste, contrairement à toi ! dit-il en se plantant devant Zoro pour insister.
— Si tu penses qu’un torse nu c’est de l’exhibitionnisme, t’es encore plus obsédé que je le croyais !
Zoro saisit sa cravate pendante pour rapprocher son visage et lui gronder dans la figure.
— C’est toi qui viens de faire des sous-entendus ! rétorqua Sanji en empoignant le col du manteau vert.
— J’ai dit que c’était bien, pas que je voulais te sauter dessus !
— Pourquoi t’aurais dit ça si t’avais pas d’arrière-pensée ?!
La porte de la cambuse s’ouvrit soudain sur Luffy, qui esquiva une truelle volante au passage. Celle-ci heurta le front de Zoro, rebondit sur le nez de Sanji et s’échoua à terre, ayant atteint son objectif.
— Sanji ! Manger !
Usopp apparut sur les talons de leur capitaine, tout sourire.
— On vous a entendus crier, on s’est dit que c’était l’heure.
Nami arriva ensuite, une veine palpitant à sa tempe.
— Si vous n’êtes pas capables de vous tenir tranquilles, arrangez-vous autrement pour gérer ces foutues araign…
Elle se figea devant le tableau qu’ils présentaient. Zoro avait les cheveux ébouriffés, et son manteau pendait sur une de ses épaules. Sanji était encore plus décoiffé, sans doute à cause de ses frayeurs successives. Sa cravate était toujours dans la main de Zoro, son tablier tombant sur ses genoux. Son visage et son cou étaient couverts de traces rouges, et il tenait sa chemise du bout des doigts. Sanji espéra qu’on ne voyait pas la grosse tache grasse dessus, qui aurait pu faire penser à tout autre chose.
— Je ne veux pas savoir.
Et voilà.
— Oh, mais moi si ! susurra Robin en entrant à son tour, accompagnée du reste de l’équipage.
— De quel genre de rixe s’agit-il ? gloussa Brook.
— Toujours là pour les potins ! lança Franky en s’asseyant.
Sanji décida de fuir la scène et de laisser Zoro de débrouiller avec ce qu’il avait déclenché. Il ignorait si l’épéiste était ne serait-ce qu’un peu sérieux ou s’il avait découvert un nouveau moyen de lui casser les pieds, mais il savait que tout le monde allait en rire.
Si c’était vrai, Zoro serait aussi direct et impénitent que d’ordinaire, et l’équipage trouverait ça mignon et amusant. Peut-être même recevrait-il des félicitations. Et si c’était vrai, Zoro allait devoir faire face à des tonnes de questions indiscrètes sur le pourquoi du comment, questions auxquelles il n’aimait pas répondre. Bien fait.
Si c’était faux, les questions envahissantes seraient pires encore, parce que les Chapeau de Paille se partageaient tous la même cellule grise quand il s’agissait de faire les imbéciles. Lorsqu’il reviendrait, Zoro serait forcément aussi embarrassé qu’il l’était lui-même.
Zoro raconta la vérité : qu’il chassait les araignées et que Sanji avait sali sa chemise ce faisant.
— Quelle déception… s’attrista Robin.
— Moi qui croyais que ça y était enfin… marmonna Brook avant de recommencer à s’empiffrer.
— Dire que Sanji-kun baisse enfin sa garde…
— Vous exagérez, il se passe peut-être vraiment rien…
— Hé ! J’ai parié qu’on allait les retrouver dans le cellier et ça y était presque, me porte pas la poisse, Franky ! râla Usopp, occupé à planter sa fourchette dans les mains de Luffy pour l’empêcher d’atteindre son assiette.
— De quoi vous parlez ? lança innocemment Jinbe.
Zoro lui adressa un regard de connivence. Il n’en avait pas la moindre idée non plus.
— Du fait qu’un jour ou l’autre, on va bien finir par surprendre la liaison torride entre Sanji et Zoro. Ça, ou ils vont nous annoncer qu’ils sont mariés depuis des mois ! explicita Chopper innocemment, mais avec beaucoup trop d’enthousiasme.
— Pffffttt ! fit Zoro en recrachant sa goulée de bière.
— Hais hou wiwi chèanho un aché ! postillonna Luffy, la bouche pleine d’un mélange de viande, de riz sauté et de fourchettes tordues.
— Tu nous dis qu’il ne s’est encore rien passé, Luffy-san ? traduisit Brook – son décodeur à capitaine était toujours aussi impressionnant. Tu as de bons instincts, je te crois sur parole. Même si je trouve ça bien dommage… Qu’attendent-ils… Mais qu’attendent-ils… ?
Zoro s’attendait à beaucoup de choses. À ce qu’on se moque de lui car la situation prêtait à confusion, absolument. L’équipage n’était pas aveugle, et tout le monde savait que si le coq et lui se disputaient autant, c’était parce qu’ils adoraient ça. Certains avaient surnommé leurs rixes des « querelles d’amoureux », d’autres avaient même parlé de « kenkappulu » – une expression pour définir les couples qui aiment se chicaner, avait expliqué Perona, bénie soit-elle. À chaque occurrence, Sanji comme Zoro tournaient leur ire contre celui qui les avait insultés, déclenchant de nouveaux éclats de rire.
Cependant, si Zoro avait remarqué les regards équivoques de Robin et Brook, il ne se serait jamais attendu à ce qu’ils soient sérieux, et qu’ils le mentionnent en sa présence. Et que son capitaine – c’était Luffy, bon sang ! – parle d’eux au futur, comme s’il s’agissait d’une évidence.
— Ah bon, commenta Jinbe en se grattant le menton. Ma foi, ça fait beaucoup de sens. Je comprends mieux.
Mieux quoi ?!
Zoro était trop occupé à s’étouffer pour pouvoir répondre à voix haute. Franky, à côté de lui, lui tapa violemment dans le dos.
— Pardon, Zoro. J’aurais pas dû dire ça alors que t’avais la bouche pleine, s’excusa Chopper.
Les larmes aux yeux, l’épéiste reprit une grande gorgée de bière, qu’il parvint à faire passer sans peine, cette fois.
— Vous avez fait des paris ?! fut tout ce qu’il trouva à demander en réponse.
Ses amis s’entreregardèrent, arborant des expressions allant de la honte à la fierté. Usopp sifflotait en détournant la tête, Robin souriait d’un air doux, Brook avait posé son menton dans sa main, le petit doigt relevé, prêt à recevoir toute information croustillante qu’on voudrait bien lui fournir. Nami affichait cet air supérieur qui lui disait qu’elle avait misé gros – Zoro se jura de ne jamais, jamais se retrouver seul avec Sanji dans le cellier, quelle que soit la raison et le nombre de vêtements qu’ils porteraient. Franky leva son pouce avec un rictus encourageant.
— Franchement, on n’a jamais été sûrs pour Sanji, reconnut-il. Mais de ton côté, c’est assez évident.
Zoro parvint à reprendre son calme et les scruta les uns après les autres.
— Vous vous rendez compte d’à quel point c’est intrusif ? Qu’est-ce que vous avez cru, exactement ?
Ils eurent la décence de paraître gênés. Ce fut Usopp qui trouva le courage de le regarder en face.
— En fait… c’est justement parce qu’on voulait pas être intrusifs qu’on a commencé à en parler…
C’est encore pire que ce que je pensais…
— Si ça peut te rassurer, ça n’avait rien à voir avec toi, à la base, fit remarquer Nami, qui le connaissait mieux que les membres masculins de l’équipage – à l’exception de Luffy et Sanji, comme toujours.
Zoro fronça davantage les sourcils, mais il fut soulagé par la précision. Usopp poursuivit :
— Par contre, on sait tous que la libido de Sanji est au niveau de l’appétit de notre capitaine… Il a beau essayer d’être discret, il se douche pas une fois par jour seulement pour des questions d’hygiène. Et il fallait pas regarder de trop près quand il nous a fait sa crise de saignements de nez à l’île des Hommes-poissons.
— L’hypothèse de Brook quant à ce qu’il lui est arrivé reste la plus probable, précisa Robin. Il n’a pas dû avoir un seul moment à lui pendant deux ans…
Zoro ne voyait pas le problème, mais il se rappela que Sanji et lui avaient de nombreuses caractéristiques opposées, et qu’il avait plus d’une fois entendu des bruits équivoques en provenance de la salle de bain.
Il ricana : Sanji n’avait pas pu ne serait-ce que se branler pendant deux ans ? Alors qu’il en avait besoin ? Et lui, qui s’en passait totalement, s’était carrément trouvé une copine… À bien y réfléchir, quand le coq obsédé prétendait avoir traversé l’enfer, ce n’était peut-être pas une exagération.
— Toujours est-il qu’on s’est dit que c’était important de respecter son intimité, et on s’est mis d’accord pour éviter la salle de bain à ses heures de douche. T’étais là, tu sais.
Zoro n’avait aucun souvenir de cette conversation.
— Non mais tu t’es endormi, précisa Usopp en remarquant son expression. Te sens pas mal, Luffy n’écoutait pas non plus. Luffy, tu soules, va voler quelqu’un d’autre !
— En tout cas… reprit Nami pour aider le sniper, qui continuait de se battre avec son capitaine. Sanji-kun est le seul activement intéressé par des relations intimes, alors on s’est organisés pour lui laisser son espace s’il devait ramener quelqu’un – il n’aurait jamais osé demander, tu le connais, il fait tout pour éviter de déranger.
— Hm, grogna Zoro, qui commençait à comprendre le cheminement de pensée de son équipage, même s’il ne voyait toujours pas le rapport avec lui.
— Puis on s’est rendu compte que si c’était le cas, gentleman comme il est, il n’amènerait pas ses conquêtes sur le bateau à moins que ce soit l’un d’entre nous.
— Et c’est là que c’est parti en couille, indiqua crûment Franky.
Zoro devina que la question ne s’était pas posée avec le Merry, petit navire opiniâtre mais dépourvu du moindre espace privé.
— On a bien rigolé, honnêtement, compléta Usopp, qui avait réussi à avaler son assiette pendant que Nami parlait.
— C’était immature de notre part, je dois dire, pouffa Robin sans une once de remords dans la voix.
Zoro considéra que le love-coq l’avait bien cherché : c’était lui qui flirtait sans vergogne avec la moitié des filles qu’il croisait, lui qui s’endormait avec trois ou quatre conquêtes cramponnées à son bras à la fin de chaque banquet, lui qui insistait de façon exagérée sur son rapport aux femmes, à la romance et à la sexualité.
— On a fait des estimations, tu vois. Au début, c’était pour plaisanter. Puis on s’est rendu compte que s’il se passait quelque chose au sein de l’équipage, ça avait 95 % de chances d’être avec toi.
Quoi ?!
— Vous étiez ivres morts, c’est pas possible.
Chopper hocha la tête de son petit air de monsieur je-sais-tout. Mais pas lui, lui était sobre. Génial.
— Pis t’es très gay, Zoro, c’était un peu évident, ajouta Usopp comme pour s’excuser.
Quoi ?!
— Je suis pas gay, ne put-il s’empêcher de corriger.
Tout le monde lui jeta un coup d’œil sceptique.
Zoro n’avait jamais caché son manque d’affinité avec la romance ou le sexe. Il ne voyait pas pourquoi il aurait dû nier ses véritables orientations devant ses pairs. Il n’avait jamais éprouvé la nécessité d’en parler, mais puisque le sujet était sur la table…
— Je suis demi. Je m’intéresse pas aux gens sans ressentir une connexion particulière. Ça va au-delà de la confiance, c’est une forme de… connivence presque magnétique.
Le souvenir de Perona envahit son esprit. C’était une jolie fille, sûre d’elle et de ses aspirations. Ils avaient construit une amitié solide, aussi conflictuelle que celle qu’il entretenait avec le coq. Perona était une véritable tsundere, et son agressivité attentionnée lui avait fait le plus grand bien. Grâce à elle, il avait retrouvé un peu de la folie de son équipage, et évité tout sentiment de solitude, même si le manque s’était fait cuisant.
Ce soir de deuil, après s’être embrassés, ils s’étaient jeté des insultes à la figure entre deux demandes de consentement et avaient terminé dans son lit de convalescence, nus et satisfaits. Perona s’était plainte tout du long, mais il était difficile de la prendre au sérieux alors qu’elle le chevauchait sans merci. Elle s’était plainte même pendant son orgasme. Cela n’avait pas manqué d’amuser Zoro, qui lui avait rendu la pareille avec enthousiasme.
À son grand étonnement, le coup d’œil sceptique général se fit encore plus prononcé.
— Quoi ? grogna-t-il.
— Et tu vas nous dire que ça, c’est jamais arrivé avec Sanji ?
— Non.
Il hésita, mais il n’avait toujours rien à cacher à son équipage.
— En fait, ça vient d’arriver.
La salle éclata en applaudissements.
— Mais je sais pas où ça va, alors calmez votre joie.
Quelqu’un émit un « Bouuuh » déçu, d’autres soupirèrent ou pouffèrent.
Zoro se demanda pourquoi personne ne s’inquiétait de l’orientation très hétérosexuelle de Sanji, puis il réalisa que la plupart de ses pairs ne connaissaient pas bien les étiquettes dont Perona lui avait parlé. Ils pensaient sans doute comme Luffy : tout le monde était libre d’aimer qui il voulait comme il voulait, et les attirances officielles de Sanji n’empêchaient pas que la sexualité soit fluide et qu’il puisse se questionner un jour. Zoro se garda bien de outer son meilleur rival, même si celui-ci avait hurlé sa bisexualité dans la cambuse comme s’il se fichait qu’on l’entende. Cette information ne lui appartenait pas.
— Je reste étonné que la « connivence magnétique » soit si proche d’un kink d’insultes, chez toi… statua Franky. Comme quoi, il en faut pour tous les goûts…
Autant pour moi et les questions de vocabulaire, songea Zoro, rassuré par les explications somme toute logiques de ses pairs. D’autres souvenirs de Perona en train de le poursuivre dans les couloirs en hurlant, armée de bandages et d’une paire de ciseaux, remontèrent à la surface de son esprit. Il répondit sur le ton de la conversation, la bouche pleine, tendrement amusé :
— Je peux même pas nier. Avec Perona, on se disputait tout le temps, c’était génial.
Ils se figèrent dans un ensemble parfaitement synchrone – sauf Luffy, évidemment. Zoro n’avait parlé à personne de sa liaison avec Perona. Il n’en avait pas éprouvé le besoin, et le sujet n’avait jamais été abordé. Mis à part Sanji, ils s’intéressaient beaucoup plus à leurs évolutions qu’à leurs relations extra-équipage, et Sanji traitant toujours leur période d’entraînement comme un tabou insurmontable, il n’avait posé de questions à personne. Il aurait trouvé ça intrusif, lui aussi, réalisa Zoro.
— Quoiiiiiii ?!
Il grimaça au son suraigu. Ce fut le moment que Sanji choisit pour réapparaître.
— Ah, ben t’as mis le temps, dis donc, grogna-t-il en l’observant d’un œil critique.
Sanji s’était changé et portait des vêtements plus décontractés que d’ordinaire : un jean et son vieux T-shirt Gentlecook, dans lequel il rentrait de justesse. Il avait une cigarette presque entièrement consumée aux lèvres et semblait épuisé.
— Euh, ça va ?
— C’est une autre araignée, Sanji-kun ? demanda Nami en frissonnant.
Sa question fit comprendre à Zoro la raison de cette longue absence : trop dégoûté par le cadavre visqueux, Sanji avait probablement mis tous ses habits au sale, lutté contre sa peur paranoïaque de tomber sur un arachnide en fouillant dans son casier – même si Zoro avait garanti qu’il s’agissait d’une zone sûre –, puis il était parti fumer pour calmer ses nerfs.
— Oh, désolé. J’aurais dû t’accompagner pour te protéger des petites monstres sous le lit, lança Zoro d’un ton sarcastique.
Il espérait détourner l’attention de son rival sur quelque chose de plus habituel. Sanji réagit au quart de tour :
— J’ai pas besoin de ta protection, espèce de marimo incompétent !
« Ça m’est pas venu à l’esprit que j’aurais besoin d’aide pour une foutue chemise, mais je me mordrais la langue plutôt que de le reconnaître. J’ai déjà assez abusé comme ça cet après-midi, et si t’étais à la hauteur, t’aurais pensé à m’accompagner par toi-même, crétin », traduisit Zoro.
Il allait poursuivre sur le même ton lorsqu’Usopp coupa court à leur échange de civilités.
— Attends, attends. J’aimerais qu’on revienne sur un truc.
Sanji haussa un sourcil et commença à récupérer les plats vides sur la table. Zoro se demanda s’il avait mangé, puis il se rappela l’avoir vu goûter à ses recettes pendant leur préparation. Sanji mangeait rarement en même temps qu’eux parce qu’il prenait la moitié de ses repas en les cuisinant.
— T’es sorti avec la princesse fantôme ?!
Le love-coq eut l’air encore plus choqué que lorsque Luffy avait expliqué son lien avec Boa Hancock – spécifiant innocemment qu’elle voulait l’épouser, ce qui avait poussé Sanji à le secouer comme un prunier tandis que son capitaine le trouvait trop drôle.
En s’éclipsant un peu plus tôt, Sanji espérait sans doute laisser Zoro se débrouiller avec leurs pairs fouineurs et le retrouver gêné et agacé. Cela aurait fonctionné dans beaucoup d’autres circonstances, et Zoro était effectivement embarrassé par leurs hypothèses décalées, mais la mention de Perona avait changé la donne.
Zoro s’excusa mentalement auprès de la jeune femme, qu’il s’apprêtait à brandir tel un trophée pour énerver le coq obsédé. Il l’entendit éclater de son petit rire cruel et décida qu’elle-même aurait trouvé hilarant de faire tourner Sanji en bourrique. Elle était comme ça, elle aimait voir les gens souffrir à cause de leur propre bêtise et les enfoncer elle-même s’il le fallait.
— Techniquement, je sors toujours avec elle.
Le mélange de murmures et de cris choqués résonna comme une symphonie à ses oreilles. Il sentit le coin de sa lèvre se redresser diaboliquement.
— Mais comme c’était impossible de rester en contact, on s’est mis d’accord pour être… hum. Je crois qu’elle a dit « en polycule ouvert ».
Perona utilisait un peu trop de mots compliqués pour Zoro. Tout n’avait pas besoin d’être défini et démarqué, à ses yeux : ils étaient des pirates. Leur norme était forcément différente, et tout individu qui s’engageait avec l’un d’entre eux était censé savoir que leurs pratiques n’impliquaient ni exclusivité ni stabilité. Ils pouvaient être en couple avec plusieurs personnes en même temps, à long ou court terme, coucher avec qui ils voulaient quand ils voulaient, draguer dans tous les coins, ou pas du tout, si le cœur leur en disait. Sanji, ses dizaines de conquêtes et les sentiments amoureux pluriels qu’il éprouvait pour les femmes de l’équipage en étaient l’exemple le plus prégnant.
— Tu… Tu veux dire que si vous vous retrouvez… commença Usopp avant de s’interrompre, son cerveau en surchauffe.
— Elle aura peut-être deux ou trois autres partenaires en plus de moi, et on pourra continuer là où on s’est arrêtés. Si on en a envie.
Perona était bien plus active que lui, surtout sexuellement, et avait besoin de mignons à ses pieds – ou de têtes de mule avec qui se disputer quotidiennement. Zoro savait que s’il la recroisait un jour, ils commenceraient par se donner des nouvelles en se chamaillant, et que si la connexion revenait, ils finiraient dans un lit, avec un peu de sexe et beaucoup de câlins.
Zoro avait adoré avoir Perona dans ses bras. À Kuraigana, il n’avait personne à protéger, et leurs moments d’intimité compensaient ce manque poignant qui le prenait aux tripes quand il pensait à son équipage. Zoro aimait protéger les gens. Serrer sa partenaire contre lui après un coït dont il aurait pu se passer était la plus belle sensation du monde, proche de celle qu’il avait ressentie lorsque Sanji, un peu plus tôt, l’avait laissé jouer les chevaliers servants. Je donnerais ma vie pour eux parce que je compte pour eux, murmurait une petite part d’ego, cachée derrière la certitude que les autres comptaient pour lui et que sa loyauté était à la bonne place.
— Oh non mais on avait tellement tout faux ! s’écria Franky en faisant claquer sa main sur son front.
— Fufu, je reconnais être un peu surprise.
— Tu me dois de l’argent, Usopp.
— Je te hais.
— Sanji ! Ça sent le chocolat, t’as fait quoi comme dessert ?!
— Chanji ! Heeu wawa uuco ouet ?
— Luffy-san demande s’il peut ravoir du « truc au poulet ».
Sanji, toujours aussi efficace malgré l’aberration qui se déroulait sous ses yeux, était parvenu à débarrasser la table. Il s’était figé devant son four, une manique tenant fermement un moule à gâteaux. Cependant, avec une rapidité frôlant le surnaturel, il sortit des fondants de leurs emplacements, les plaça dans un grand plateau, puis saisit les restes de poulet qu’il avait prévus pour l’abîme qu’était son capitaine.
Le visage contracté dans une expression contemplative, il tournoya comme par automatisme jusqu’à Luffy, qui présidait tout au fond de la salle. Il planta devant lui la montagne de « truc au poulet » que Zoro n’aurait pas davantage su identifier. Puis il posa délicatement les fondants au milieu de la table, accompagnés de bols de glace à la vanille qu’il avait fait apparaître par magie.
Enfin, l’information sembla faire sens dans son cerveau, et il plaqua sa main sur le support, sidéré.
— Tu te fous de ma gueule, marimo ?! Comment t’as réussi à séduire une aussi jolie fille ?!
Zoro ne résista pas à la pique. Elle était trop facile.
— En la prenant dans mes bras dans un moment de vulnérabilité, indiqua-t-il avec un petit sourire mesquin.
C’était vrai, même s’il éludait le fait d’être concerné lui-même. Personne ne releva l’aspect problématique de sa phrase : elle avait été formulée dans la seule intention de provoquer Sanji, et tous ceux qui se souvenaient de Perona savaient qu’elle était pratiquement intouchable. Franky jetait à l’épéiste des regards admiratifs qu’il ne lui dispensait pas d’ordinaire. Zoro reconnaissait qu’il fallait un certain courage pour sortir avec une femme qui pouvait vous dépouiller de toute estime de soi et vous faire ramper à terre en moins d’une seconde. Sanji aurait adoré.
Zoro évoquait également leur dernière confrontation avec une araignée, et cette mention allait atteindre l’ego de Sanji bien plus directement que si Zoro avait accepté les avances de Hiyori. Quelque part au fond de lui, il savait qu’il était injuste : Sanji l’avait laissé approcher, l’aider, le soutenir alors qu’il était encore si persuadé de ne pas mériter qu’on s’occupe de lui, et Zoro avait jeté cette belle ouverture aux orties dans l’unique but de retrouver leurs rixes habituelles.
Contre toute attente, Sanji fit preuve de la maturité dont il venait de manquer :
— Ça arrive, les moments de vulnérabilité, marimo. Y a pas de quoi se moquer.
Il donnait l’impression d’essayer de se convaincre lui-même ; Zoro remarqua le mouvement de sa main à la recherche d’une cigarette. Des approbations fusèrent de la part de l’équipage, et la main cessa de gigoter.
Mais le love-coq n’avait pas terminé sa tirade. Zoro aurait dû se douter qu’il préparait sa vengeance.
— Je suis bien placé pour savoir à quel point on se sent en sécurité, étouffé entre tes gros biceps d’algue surdéveloppée.
Tous les regards se tournèrent de nouveau vers lui, prêts à le juger. Il venait de leur avouer avoir ressenti une attirance exceptionnelle pour Sanji, et tous s’étaient imaginé qu’il éprouvait des sentiments à son égard depuis longtemps. Leur conclusion devait être beaucoup moins innocente que celle à laquelle Sanji s’attendait, ce qui n’améliorait pas son cas. Même Nami le fixait d’un air sombre, comme s’il avait commis une énorme bêtise. Le genre de bêtise que Luffy n’aurait jamais faite.
— Zoro… menaça-t-elle.
— Zoro, qu’est-ce que tu as fait à Sanji ? demanda Robin d’un ton si glacial qu’il sentit un frisson le parcourir.
— C’est vraiment pas cool d’utiliser ses faiblesses, tu sais ?
— Sanji a besoin de validation. Pas qu’on profite de lui.
— Je veux bien que vous passiez votre temps à vous chamailler, mais il y a des limites, surtout dans ces circonstances.
Sanji s’était redressé, toujours campé entre son capitaine et Usopp. Une belle rougeur ornait ses joues, parce qu’il était gêné de ce qu’il venait d’avouer – et de ce que ses pairs disaient de lui –, mais il était parvenu à rééquilibrer la balance entre eux. Il avait reconnu avoir nécessité sa protection, avait revendiqué son droit à se sentir en sécurité, et avait semé le doute concernant l’honorabilité des actions de Zoro. Un point pour le love-coq : Zoro n’avait jamais été aussi vexé de toute sa vie.
Est-ce qu’il vient de jouer les victimes ?!
Le fin sourire qui décorait les lèvres de l’homme s’étira en un rictus vainqueur. Sanji n’avait jamais eu recours à ce genre de technique vis-à-vis de lui. Cela avait-il quelque chose à voir avec sa nouvelle certitude que son équipage s’inquiétait pour lui et le défendrait bec et ongles contre n’importe quelle menace, fût-elle un épéiste énervé ?
— Zoro ferait jamais ça, ou alors c’est qu’il est bête ! scanda tout à coup la voix de son capitaine, qui avait terminé de se goinfrer, avant d’éclater de rire.
L’atmosphère se détendit immédiatement.
— Bah… tu sais bien qu’il est bête, capitaine, commenta Sanji en tapotant affectueusement l’épaule de Luffy.
Luffy lui rendit son sourire, le fixant comme s’il était ce qu’il avait de plus précieux au monde. Zoro ne pouvait pas l’en blâmer : c’était une réalité, sur le plan mental comme physique. Si Luffy avait pu ressentir de l’attirance pour autre chose que la viande et l’aventure, il aurait sûrement jeté son dévolu sur Sanji.
Et Sanji aurait adoré ça, en fait. Sanji avait toujours aimé les femmes, et cette histoire de bisexualité semblait un peu étrange à Zoro, mais il fut tout à coup persuadé que si leur capitaine avait manifesté pareils affects, il y avait une chance que le coq lui soit tout bonnement tombé dans les bras. Parce que si Sanji aimait, il avait besoin de recevoir de l’amour, comme s’il en avait manqué toute sa vie – ce qui était probablement le cas. Être aimé par Luffy était une bénédiction, mais être spécial pour Luffy aurait sans doute touché à l’ascension divine. Vu comme Sanji fondait déjà devant le sourire de leur pair, un tel amour l’aurait rendu extatique. Il l’aurait accepté.
Zoro leur jeta un regard paisible, rasséréné par la confiance que son capitaine avait en lui, et que personne ne contestait.
Puis, soudain, Nami cria.
Un cri aigu et rauque à la fois, perçant mais aspiré à l’intérieur de son pauvre corps tétanisé. Sa main tremblante saisit le poignet de Luffy, à côté de qui elle se trouvait. Elle garda la bouche ouverte, incapable de parler, les yeux écarquillés et au bord des larmes.
La salle tout entière se figea.
Brook laissa échapper un grincement étouffé et commença à suer à grosses gouttes.
— Sa… Sanji-kun… parvint à balbutier la navigatrice.
Une fois de plus, les instincts de Zoro prirent le relais. En une seconde, il eut le regard fixé sur ce qui avait terrorisé Nami : une énorme araignée trônait au plafond de la cambuse, juste au-dessus du mat. Son corps faisait la taille d’une grande assiette, en plus mince, et ses longues pattes s’agitaient nonchalamment, comme prêtes à saisir une proie. Elle était presque jolie, avec des rayures noires et blanc semi-transparent.
Sanji ne l’avait pas encore vue, mais il commençait déjà à se retourner.
Le corps de Zoro bougea automatiquement.
D’un mouvement fluide et puissant, il fut au niveau du coq avant que celui-ci n’aperçoive la menace. Il le poussa contre le mur sans ménagement, arrachant Luffy à sa prise. La seconde d’après, il avait dégainé, tranché en deux l’agresseuse et rengainé sans que personne perçoive son geste. Une troisième et dernière seconde plus tard, il étalait sa paume contre le bois à quelques centimètres de la tête de Sanji, se servant de son bras comme rempart contre la vue répugnante qu’il laissait dans son sillage. L’insecte mit un moment avant de tomber de son perchoir, figé par la technique de Zoro.
— Ne regarde pas.
« Même mortes, elles me fichent les jetons. »
La voix du coq résonnait dans sa tête, associée à la pâleur verdâtre de son visage lorsqu’il avait regardé la tache sur sa chemise. Il s’apprêtait à dire à Nami qu’elle pouvait sortir de la pièce quand celle-ci commenta l’impossible :
— Sexy.
Zoro ne comprit pas de quoi elle parlait, mais conclut que la navigatrice n’avait aucun problème avec les arachnides décédés prématurément. Il pressa :
— Récupérez les restes et jetez-les par-dessus bord.
Il se rendit compte du ton qu’il employait et s’adoucit légèrement.
— Merci. Et si quelqu’un veut bien nettoyer les traces au sol…
Attends, quoi ?!
Il sentit Robin se lever pour ramasser le cadavre de l’araignée.
— Jolis réflexes, commenta-t-elle à son adresse.
— Serait-ce ce qu’on appelle un kabedon ? demanda Brook.
— J’avoue, c’est sexy, confirma Usopp en quittant son siège pour attraper une serpillière. Tu pourras m’en faire un, Zoro ?
Zoro savait très bien ce qu’était un kabedon. Sanji aussi, visiblement, puisqu’au lieu d’être pâle comme la mort, il s’était mis à rougir furieusement. Il avait sursauté en entendant le bruit lourd et mou que les deux bouts de l’araignée avaient fait en tombant, et était resté pétrifié depuis. Malgré sa terreur et son embarras, il parvint tout de même à balbutier :
— J… Je suis à ta disposition, si tu veux essayer… Nami-s… swan…
De petits cœurs malades jaillirent de son œil, s’écrasant au sol au lieu de s’élever dans les airs. Dans d’autres circonstances, Zoro aurait éclaté de rire.
— Alors… J’ai dit que c’était sexy, mais pas dans ce sens-là. Le premier qui me kabedon, je lui coupe les couilles.
Zoro sentit Sanji se tendre subrepticement. Cette fois, il laissa un gloussement lui échapper.
— T’inquiète pas, jeune fille, ricana Franky. Tout le monde sait très bien que si kabedon il y a, c’est toi qui t’en chargeras.
— Voilà. Mais je me passerai de l’araignée. Yerk. Comment elle peut faire cette taille ?!
— Sanji, ça se mange ? Tu pourras la cuisiner ?
— Non, fut la réponse tremblante mais catégorique de Sanji.
— Luffy, Sanji ne supporte même pas de la regarder. Même si c’était le cas, tu vas pas lui imposer ça… lâcha Chopper en se massant la tempe d’un sabot.
— Zoro, on a fini, précisa Usopp en tapotant son dos.
Il poussa un soupir de soulagement et retira sa paume. Le coq l’observa un instant, déglutit, puis se concentra sur son visage et planta son œil dans le sien. Il décolla l’une de ses mains du mur, la leva lentement et la posa sur l’épaule de Zoro.
Un rictus moqueur fleurit sur sa figure crispée, remplaçant la tension par une gouaille bien plus familière.
— Tu viens de décrocher un contrat à vie, yôjinbô.
Zoro sentit la connivence revenir de plein fouet, lui coupant le souffle et arrêtant son cœur. Le sentiment d’importance, la fierté d’être nécessaire, l’affection qui perçait à travers le surnom que le coq avait réitéré, lui firent l’effet d’une claque. Quelque chose le tira vers l’avant, vers Sanji, comme un aimant polarisé aurait invité le fer de ses katanas à le rencontrer.
Il se sentit rougir et s’écarta.
— Tu me dois une bouteille, bouda-t-il en retrouvant sa place au comptoir, là où le saké d’apéritif avait été oublié.
Tandis que Zoro sirotait un digestif corsé à la hauteur de ses exploits, Sanji laissa les autres débarrasser la table et faire la vaisselle. Il s’assit à côté de lui au comptoir, un petit verre à la main.
Zoro n’attendit pas sa demande pour le servir. Il servait toujours les gens autour de lui, lors des festins, appréciant de partager avec eux son goût pour l’alcool. À chaque fois, Sanji acceptait le geste, surtout quand la liqueur se mariait avec ce qu’il mangeait. Ce soir-là, le love-coq avait besoin d’un remontant.
— Merci.
Cette fois, Zoro ne résista pas au magnétisme opérant. Il tendit le bras, cala la nuque de Sanji dans le creux de son coude et tira vers lui pour les rapprocher. Puis il leva sa bouteille pour l’inviter à trinquer.
Sanji s’affaissa sous sa poigne, grommelant à propos de délicatesse, mais il lui adressa un sourire vainqueur et fit tinter son shot contre le verre poli dans la main de l’épéiste.
Zoro est un putain de héros.
C’était ce que Sanji avait retenu du repas du soir.
Il ne s’étonnait plus que les filles se jettent dans ses bras sans qu’il fasse le moindre effort, si le marimo se comportait de cette façon avec chaque demoiselle en détresse qui croisait son chemin.
Lui-même utilisait cette technique. Elle marchait plus ou moins bien selon ses interlocutrices – parce qu’il n’était pas un bel épéiste musculeux dont les dehors brutaux cachaient la douceur et la droiture –, mais merde, il découvrait avec un mélange d’horreur et d’excitation qu’elle fonctionnait sur lui.
Ça ne l’empêchait pas d’être envieux de la situation dans laquelle Zoro s’était trouvé pendant leur séparation. Le marimo, qui ne s’était jamais intéressé à une femme, avait passé deux ans avec une jolie fille et réussi à devenir son partenaire… Ah, ils avaient dû bien s’amuser, tous les deux, pendant que lui… lui… Il ne voulait plus y penser.
Et ils étaient toujours ensemble, par-dessus le marché !
Pas que Sanji puisse se plaindre, en dehors de sa période aux enfers : pour un homme qui avait si peu de disponibilités, il avait eu de nombreuses aventures, des romances d’un soir aux minutes de sexe impromptu en plein banquet. Il avait bien eu quelques petites amies, lorsqu’il était au Baratie, mais elles n’étaient pas versées dans les relations ouvertes qu’un pirate né comme lui briguait naturellement. Rien n’avait jamais duré longtemps, et il était jeune, maladroit, différent. Par la suite, il avait découvert que le monde était vaste, et que les femmes intéressées par les pirates avaient souvent le même cœur frondeur, pirates elles-mêmes ou civiles avides de sensations.
Il n’avait juste aucune relation stable : d’un côté, les avances qu’ils faisait à Nami et Robin se cantonnaient aux pratiques à sens unique de l’amour courtois, et de l’autre, il n’avait jamais songé mériter l’affection de quelqu’un au point d’envisager que celui-ci l’aime à distance. Là encore, avec sa relation si ouverte, Zoro l’avait doublé sur tous les tableaux. Il en était particulièrement frustré.
Il n’était pourtant pas surpris. Zoro avait toujours une longueur d’avance sur lui. Cela l’agaçait davantage encore, mais le poussait à admirer l’épéiste un peu plus à chaque instant. L’admettre à voix haute aurait détruit son ego compensatoire, mais Zoro en avait probablement conscience : il le connaissait trop bien, et c’était pour cette raison qu’il savait appuyer exactement là où ça faisait mal.
Zoro s’était montré particulièrement magnanime ce soir-là, allant chercher de nouveaux terrains de jeu qui le mettraient moins mal à l’aise. Jusqu’au moment où il avait mentionné sa vulnérabilité, mais Sanji reconnaissait s’être comporté comme un gamin dans les trois secondes précédentes, avec sa jalousie déplacée.
Sanji avait fourni beaucoup d’efforts, ces derniers temps, pour être plus ouvert, plus direct, et s’autoriser cette vulnérabilité qu’on lui avait tant reprochée. Il avait le droit d’être aimé pour ce qu’il était, et non pour ce qu’il croyait qu’on attendait de lui – Luffy n’avait pas d’attentes, il aimait sans condition.
Alors Sanji s’était mis à reconnaître son affection, et même son admiration, pour ses pairs masculins. Il avait tenté l’expérience avec Usopp, à Wano. Quand le sniper avait prévenu qu’il ne résisterait pas à la torture, Sanji lui avait garanti qu’il le protégerait de sa vie. Il n’était pas encore capable de s’exprimer sans s’énerver, mais il y voyait du progrès : deux ans plus tôt, il aurait ravalé son inquiétude, évoqué Nami et fait semblant de rien. Mais qui essayait-il de tromper ? Il avait littéralement suivi ce scénario à Skypiea. Usopp savait très bien ce que Sanji signifiait derrière son agressivité misandre, mais manifester ces affects plutôt que de les cacher pour avoir l’air moins sensible était libérateur.
Il avait réitéré l’expérience, l’air de rien. Même avec Zoro, à qui il parvenait désormais à faire des compliments directs, bien que toujours teintés d’un fiel qui n’appartenait qu’à eux. C’était de cette nouvelle inspiration qu’il tirait son insinuation, mélange d’insulte, de louange et de vérité qui n’avait pas manqué de générer confusion et embarras chez l’épéiste.
Signaler à tout l’équipage que Zoro l’avait pris dans ses bras, même pour plaisanter, même pour l’écarter d’une menace à huit pattes, lui avait paru le meilleur moyen de mettre son rival mal à l’aise. Zoro n’était pas connu pour sa délicatesse, encore moins vis-à-vis de lui, et dénoncer son hypocrisie à cet égard lui avait semblé un juste retour de flamme.
Sanji savait ce qu’il allait déclencher, car il était pareil et essayait de se soigner – même si le côté tsundere de Zoro n’avait rien à voir avec des problèmes de confiance en soi. Il s’était exposé lui-même en mentionnant la scène, mais il n’avait plus peur du regard de ses pairs, ni qu’on le juge lamentable parce qu’il avait une phobie, ni qu’on rie de lui parce qu’il avait parfois besoin d’être protégé. Tout ça était derrière lui depuis Onigashima. Il eut une pensée pour Black Maria, un autre genre d’arachnide face à qui il avait perdu ses moyens, et gagné en laissant une île entière le trouver pathétique à souhait.
Sanji se moquait d’être pathétique, surtout si cela pouvait troubler le marimo.
Ce qu’il n’avait pas prévu, en revanche, c’était la réaction presque venimeuse de son équipage. Il ignorait pourquoi Zoro avait été mis au pilori de la sorte, mais cela l’avait profondément touché. Ils étaient tous adorables avec lui, à tel point qu’il aurait voulu se cacher dans le cellier tant il ne savait pas quoi faire de tout cet amour – auquel il avait droit, il fallait qu’il se le répète à chaque instant pour ne pas l’oublier.
Puis Zoro, qui l’avait laissé lui grimper dessus, qui s’était improvisé garde du corps pour lui, qui avait été à deux doigts de le renverser en arrière façon baiser romantique, lui avait fait un kabedon pour le sauver d’un énième danger. Non. Il avait coupé le danger en morceaux, et s’était ensuite assuré qu’il n’en voie pas une miette. Tout ça parce que, dix minutes plus tôt, Sanji lui avait dit que sa phobie ne s’arrêtait ni au manque de vitalité de l’insecte, ni à sa réduction en pièces.
Les kabedon étaient sexy, Nami avait raison. Sanji ne les pratiquait pas lui-même parce qu’il les trouvait invasifs et menaçants, indignes d’un gentleman. Il était hors de question qu’une femme se sente en danger en sa présence, surtout s’il avait pour but de la séduire. Il faisait des exceptions quand cela lui était explicitement demandé. C’était arrivé avec une de ces conquêtes qui voulaient quelque chose d’un peu plus musclé, et qui s’était dit qu’un pirate pouvait le lui offrir – s’il avait su, il l’aurait dirigée vers Zoro.
En tout cas, les kabedon étaient sexy surtout quand ils étaient accompagnés d’une telle marque d’attention, et effectués par un homme comme Zoro, auréolé de toutes les nuances qui le caractérisaient : sa force, sa prévenance, sa dextérité et son affection protectrice pour ses pairs.
Le sentiment d’être en sécurité avait de nouveau envahi Sanji. Presque traîtreusement, il avait contribué à la rougeur que l’impression d’être chéri et soutenu par son équipage avait déclenchée. Puis il s’était logé dans sa poitrine, toujours intime et bouillant. Enfin, Zoro s’était éloigné de lui comme à regret, si bien que Sanji s’était surpris à regretter lui-même que l’instant n’ait pas duré.
L’héroïsme, c’était ce que cet homme venait de faire pour lui. Et tant pis si Sanji s’était senti comme une de ces princesses fantasmées prêtes à lui tomber dans les bras. Son ego s’en remettrait : à présent qu’il était à la bonne place, il ne parvenait plus à voir en quoi c’était un problème. Sanji se trouvait soudain très à l’aise avec le fait d’être un damoiseau en détresse – mais juste quand il en avait vraiment besoin : pour le reste, il apprécierait qu’on lui laisse son pouvoir d’action, merci –, même vis-à-vis de Zoro. Peut-être précisément parce que c’était Zoro, et que quitte à accepter l’amour de ses pairs, il prendrait bien sa part de l’amour presque sacré que l’épéiste portait à son équipage.
Il se rappela la façon dont Hiyori était cramponnée au cou de son meilleur rival après l’exécution du noble Yasuie, et eut une image très claire de lui-même dans une posture identique alors qu’ils étaient traqués par une horde d’araignées géantes. Dans toute autre circonstance, il se serait débattu comme un beau diable – il savait se battre, bon sang, et le sens de l’orientation contre nature du marimo nécessitait qu’il fasse boussole. Il aurait voulu participer, jouter avec Zoro et, tous deux les pieds sur terre et en pleine possession de leurs moyens, dos contre dos, avec leur complicité et leur compatibilité habituelle, ils n’auraient fait qu’une bouchée de leurs poursuivants.
C’est avec cette dernière image en tête qu’il s’était assis au bar à côté de Zoro. La journée l’avait épuisé, il avait besoin de se détendre un peu, et son yôjinbô était le plus à même de l’ancrer dans un tel moment.
Ce fut chose faite lorsque Zoro coinça sa nuque contre son coude et l’attira maladroitement à lui. Il râla pour le principe, mais cinq minutes plus tard, il s’était autorisé à poser sa main sur l’épaule gauche de l’épéiste, et ils buvaient désormais ensemble, bras dessus bras dessous, comme les meilleurs amis qu’ils étaient.
Je fais de sacrés progrès, se félicita Sanji.
Il en avait oublié la question déroutante de Zoro concernant sa sexualité, et s’il remarqua une rougeur inhabituelle sur le faciès de son partenaire, il l’attribua à l’alcool.
Notes:
Ils n’en sont tellement pas au même point mentalement, ça me fait rire, pardon xD
Sanji : Je laisse les gens prendre soin de moi. Je fais des progrès. Zoromonsauveur-attendsquoi
Zoro : De l’attirance ? Ça se boit pas ! Mais-le-coq-est-sexy-attendsquoi
Chapter 3: Dompter la bête
Notes:
Usopp a absolument pris en otage ce chapitre et il ne regrette rien.
Contenus sensibles
Araignées (grosses), insectes coupés en morceaux, arachnophobie – Dites-moi s’il en manque, je peux les ajouter :)
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
Les arachnides n’étaient pas venimeux. C’étaient toutefois des insectes dignes du Nouveau Monde, si bien que leurs capacités de camouflage surpassaient même le haki de Sanji et Usopp. Les petites saloperies n’avaient tout simplement pas d’âme, ce qui était d’autant plus terrifiant aux yeux des trois phobiques de l’équipage. Considérant la dangerosité de ces mers, Zoro était surpris qu’elles ne lui aient pas explosé à la figure quand il les avait écrasées. Mais… pire encore : elles grandissaient. Beaucoup. Trop.
Jinbe, Franky, Usopp et Robin avaient pris les tours de garde nocturnes tandis que les autres allaient se reposer – surtout Sanji, Nami et Brook, qui auraient réveillé tout le bateau avec leurs hurlements s’ils avaient vu une araignée durant la nuit, et Zoro, qui n’avait pas pu faire de sieste.
Ça n’avait pas empêché Zoro de très mal dormir : si les quartiers étaient censés être sûrs, la conscience qu’un danger rôdait sur le navire, quelque part, et menaçait ses pairs, lui était insupportable. Le moindre frôlement lui faisait ouvrir un œil aux aguets. La moindre parole marmonnée en rêve lui donnait l’impression d’entendre des plaintes angoissées – plaintes en question se composaient d’une conversation lancée par Luffy à propos d’oursins qu’il voulait avaler tout crus, Usopp le traitant d’imbécile et Sanji récitant une recette qui arracha un gargouillement affamé à tous les locataires, dont ceux qui ne parlaient pas dans leur sommeil. Au moins, malgré l’anxiété de la journée, le coq dormait bien, et ce fut cette certitude qui permit à Zoro de se reposer un peu.
Ça ne l’empêcha pas de se réveiller à l’aube, au même moment où Sanji se glissait hors des couvertures pour entamer sa routine matinale. Zoro réalisa que ce n’était pas la peine d’insister : il ne retrouverait pas le sommeil en sachant que Sanji était en danger, seul, dans sa cuisine. Lorsqu’il se leva à son tour en grommelant, le coq haussa son sourcil visible.
— Ça va ? demanda-t-il sincèrement.
Il répondit par l’affirmative après avoir bâillé, la larme à l’œil.
— T’as l’air explosé, recouche-toi. Franky vient de commencer son tour de garde, je pourrai aller le chercher si j’ai besoin.
Quelque chose en Zoro se tordit dans le mauvais sens.
— Non.
Il enfila ses vêtements, ceignit ses katanas et se posta en face de Sanji, lui adressant un sourire narquois.
— Je suis ton yôjinbô, il paraît.
Le sourcil de Sanji se haussa encore plus avant de se froncer. Puis, comme s’il avait arrêté son choix sur l’une des dizaines de répliques qu’il envisageait de servir à Zoro, il lui rendit un étrange rictus doux et amusé à la fois, lui frappa un pectoral du dos de la main et lança :
— OK, yôjinbô. Tant que tu restes pas dans mes pattes.
Zoro décida donc, à la place, de le suivre comme son ombre.
Il le suivit dans la salle de bain, profitant de l’occasion pour prendre une douche rapide. Ils se disputèrent à propos de la température de l’eau et s’envoyèrent des éponges et des pains de savon à la figure. Puis Zoro bouda lorsque Sanji lui ordonna de l’aider à tout ranger, sous prétexte que Nami et Robin allaient vouloir retrouver leurs affaires. Les garçons aussi préféraient retrouver leurs affaires – la plupart, en tout cas. Le coq le savait parfaitement, mais Zoro l’autorisa à se cacher derrière ses vieux réflexes.
Il le suivit jusqu’à la porte des toilettes et campa derrière celle-ci, puis il l’imita et fut surpris de le revoir à la sortie, tapant impatiemment du pied : il l’avait attendu.
Il le suivit, enfin, dans les escaliers menant à la cambuse et le laissa passer en premier – pour le principe de ne pas « rester dans ses pattes ».
Sanji ouvrit la porte, franchit le chambranle… et se figea. Il était gelé sur place, si immobile qu’il avait probablement cessé de respirer. Avant que Zoro puisse lui demander ce qu’il lui arrivait, le love-coq recommença ses actions dans l’ordre inverse : il reprit sa respiration, retrouva sa mobilité, fit un pas en arrière, et referma la porte. Puis il se retourna, pâle comme la mort. Un tic nerveux le saisit, ses mains hésitant entre son crâne et ses poches, où se trouvaient ses cigarettes.
Il choisit le tabac, prit son temps pour allumer la cigarette d’un geste rendu nonchalant par l’habitude, la tête un peu basse, et en tira une longue bouffée qu’il recracha sur le côté. On aurait dit qu’il se remettait d’un de ces duels qui l’avaient poussé à se dépasser. Zoro aimait voir Sanji digne et débraillé, avec ce petit air indolent qui lui annonçait qu’il allait bien, et qu’il avait prévalu. Il trouvait son endurance fascinante, son flegme inspirant. Quel ennemi le coq venait-il de vaincre pour être dans cet état ?
Sanji saisit le col de Zoro de sa main libre, et murmura d’un ton presque désespéré :
— Yôjinbô. J’ai besoin de crier.
Zoro ignorait ce qui avait déclenché une telle réaction, mais il devina pourquoi Sanji n’avait pas souscrit à cette envie empirique : s’il parvenait à énoncer ses besoins, il ne s’était pas encore totalement départi de la peur d’être un poids pour ses pairs. Ces choses-là prenaient du temps ; les réflexes compensatoires de Sanji n’allaient pas disparaître du jour au lendemain, et il lutterait peut-être même toute sa vie contre ceux-ci.
Sanji ne pouvait pas crier parce qu’il ne voulait déranger personne. Mais Zoro était là, lui, bien éveillé, prêt à accueillir ces appels que son meilleur rival étouffait d’ordinaire dans sa résilience et son abnégation. Une sensation de privilège envahit ses entrailles.
Les rouages dans son esprit tournaient déjà à plein régime. Il dénoua le bandana de son bras, le fourra dans la bouche de Sanji aussi vite qu’il le put, puis plaqua sa main sur celle-ci. Il contracta ses doigts autour de la mâchoire pâle, le creux de son pouce sous le nez de Sanji et sa large paume atteignant son menton, et grinça entre ses dents :
— C’est le mieux que je puisse faire. Vas-y.
Sanji ne se fit pas prier. Il prit une grande inspiration, laissa tomber la main qui tenait sa cigarette et ferma les yeux. Alors, un hurlement d’animal blessé jaillit de sa gorge, mélange de râle frustré et de peur panique. Le « Gyaaah » aigu s’était transformé en orage vocal.
Le son rauque fit vibrer le bras de Zoro et se réverbéra dans sa poitrine, mais il ne relâcha pas sa prise avant que Sanji ait terminé d’exprimer les émotions brutales qu’il ressentait. Lorsque le cri cessa, il retira lentement sa main. Sanji arracha le bandana couvert de salive de sa bouche, crachota et fourra le tissu dans sa poche. Puis il donna un coup de tête vers la cambuse.
— Je te laisse gérer la merde qu’il y a là-dedans. Je vais chercher Franky.
Lorsque Zoro ouvrit la porte, il comprit immédiatement la réaction du coq : l’araignée faisait la taille de la pièce. Ses pattes étaient calées contre les comptoirs immaculés et sur les coussins du divan, son duvet noir et blanc hérissé de toutes parts, ses crochets prêts à saisir la première proie qui entrerait sur son territoire.
Zoro n’était pas une proie, et il était très en colère. Il lui fallut toute sa retenue pour ne pas dégainer Enma et trancher le Sunny en deux.
Un instant après, la bête s’effondrait, découpée en larges cubes soignés qui passeraient la porte et éviteraient de trop salir la cambuse. Franky arriva sur ces entrefaites et se chargea des morceaux, tandis que Zoro décollait les pattes des plans de travail. Sanji terminait sa cigarette à l’avant du navire, refusant de regarder par-dessus son épaule, mais Zoro le vit frissonner en entendant les bouts de cadavre heurter la surface de la mer. Lorsqu’ils eurent tout jeté par-dessus bord, il demanda à Franky s’il pouvait commencer à nettoyer la cuisine et alla rejoindre Sanji.
Celui-ci abandonna sa cigarette aux vagues et lui adressa un hochement du menton en guise de remerciement. Zoro le lui rendit en guise de pas de quoi, et ils se dirigèrent tous deux vers le territoire de Sanji, dans un silence paisible.
Zoro était furieux.
Personne ne l’avait jamais vu dans cet état, même Sanji, qui se targuait pourtant d’être l’entité la plus énervante de son existence. Il émanait de lui une aura sombre, vindicative, comme s’il était prêt à mordre tout ce qui s’approchait de lui.
Sanji passait toute sa matinée aux fourneaux à préparer le menu de la journée, si bien que Zoro avait déplacé son matériel dans la cambuse et avait continué à dégager son essence malsaine pendant tout son entraînement. Seuls Luffy et Robin avaient eu le courage de pénétrer dans son nouvel antre – Luffy parce qu’il était inconscient, Robin parce qu’elle n’avait peur de rien, à raison. Il avait tué un autre arachnide, de plus petite taille, celui-ci, dont les pattes dépassaient de la ventilation. Franky, une fois de plus, avait délogé le cadavre.
Ils découvrirent bien vite que Zoro était prêt à mordre tout ce qui s’approchait de Sanji. Même son capitaine, qui pressait un peu trop le coq pour le second service du déjeuner.
— Non mais fous-lui la paix deux secondes, Luffy ! Tu vois bien qu’il est déjà en train de s’en charger !
Ils lui jetèrent tous un regard surpris. Si Zoro avait déjà manifesté des envies de meurtre sur son capitaine, il ne le disputait jamais sérieusement, et le suivait même régulièrement dans ses entreprises les plus chaotiques. Mais en ce moment, le membre de l’équipage à protéger était Sanji, et Zoro montrait sa loyauté à son capitaine en exigeant de lui un peu de retenue.
Sanji termina de remplir ses plats dans un silence gênant. Il déposa cinq ou six assiettes sur la table, puis prit le contrôle de l’échange : il lui fallait apaiser son nouveau chien de garde.
Il passa derrière Zoro, lui frotta la tête affectueusement, et déclara d’un ton narquois :
— Détends-toi, marimo. On les aura.
Le surnom habituel, par opposition au yôjinbô qui avait surgi récemment, sembla rasséréner l’épéiste, qui chassa la paume amicale de ses cheveux comme s’il s’agissait d’une mouche agaçante. Ensuite, il croisa les bras sur sa poitrine, carra sa mâchoire et se mit à bouder. Luffy eut l’outrecuidance d’allonger sa main pour lui frotter la tête à son tour, et tout le monde éclata de rire.
— Un jour, je vais te buter, Luffy !
Personne ne le prit au sérieux. Ils commencèrent à se disputer, et le repas se termina sans autre incident.
*
— Bon, pour résumer ! lança Usopp.
Il avait pris les commandes et tracé sur un tableau noir le récapitulatif de leurs découvertes à propos des araignées. Le groupe sirotait café et thé dans une atmosphère paisible.
— L’« engeance du démon » – remerciements spéciaux au Dr Chopper, ici présent, pour sa dénomination appropriée – est une espèce rare du Nouveau Monde.
Chopper gigota sur sa chaise, bafouillant quelque chose à propos du fait que ça ne lui faisait pas du tout plaisir, crétin, va.
— Dépourvue d’aura, elle est indétectable par les utilisateurs de haki, ce qui explique son apparence chamarrée – un camouflage supplémentaire n’aurait aucun intérêt. Autre caractéristique étonnante : l’engeance du démon est spatioproportionnelle. Ses petits naissent compactés dans un cocon, mais, selon l’endroit où elles décident de s’installer, elles peuvent devenir gigantesques, comme nous avons pu le voir – ou ne pas le voir, ouf – ce matin dans la cambuse. C’est un mécanisme de survie approprié au Nouveau Monde : pouvoir réduire sa taille ou bien grandir de manière exponentielle en fonction des besoins.
Quelques hochements de tête appréciateurs ponctuaient la prestation. Luffy se curait le nez d’un air particulièrement concentré – la crotte devait être difficile à décoller –, Zoro commençait à somnoler, et Sanji fumait derrière son comptoir, écoutant affectueusement le sniper.
— Cependant, les engeances du démon ont trouvé leur prédateur naturel : Roronoa Zoro le chasseur de pirates.
Plusieurs gloussements accueillirent cette annonce. Zoro leva son unique paupière d’un air intrigué et fit : « Hein ? »
— Le Roronoa Zoro – qu’on ne présente plus –, est une espèce remarquable originaire d’East Blue.
Sanji laissa échapper un pouffement et manqua cracher sa cigarette.
— Bien qu’il soit en voie de disparition, c’est un prédateur sans commune mesure qui, telle une mante religieuse forcenée, découpe en morceaux tout ce qui se trouve sur son passage.
Une veine se contracta au front de l’épéiste pris à partie. Luffy, ayant compris qu’on s’amusait plutôt que d’établir un plan, avait rattrapé la conversation et éclata de rire.
— Sa faiblesse : un sens de l’orientation affligeant qui, seul, a probablement sauvé la planète de l’extinction de masse. Aucune explication scientifique n’a encore été apportée à ce phénomène…
— L’étude est toujours en cours, patron ! précisa Chopper en levant la main.
— … mais nous sommes reconnaissants envers dame nature de nous avoir laissé une chance contre la bête !
— Usopp… menaça Zoro, la veine palpitant de façon inquiétante.
Usopp l’ignora superbement, à fond dans son interprétation, et poursuivit :
— Mais le Roronoa Zoro n’est pas seulement dangereux à cause de sa soif de sang, de ses lames létales et de son hostilité permanente, même à l’égard de ses propres alliés !
Il leva un doigt autoritaire, faisant jouer son charisme devant l’auditoire hilare.
— Non ! Il est dangereux parce qu’il protège, il attaque, mais surtout… il ne supporte pas qu’on persécute sa victime favorite !
Le doigt autoritaire se pointa directement sur Sanji, déclenchant un nouvel éclat de rire général – à l’exception de Zoro, dont le visage était contracté de gêne. Sanji mit quelques secondes avant de comprendre l’insinuation, puis il s’énerva à son tour :
— Pourquoi tu me mêles à ça ?! Je suis pas une victime !
— Mais non, enfin ! lança Luffy en tapant des mains.
Luffy validait toujours les émotions de ses pairs avec la subtilité d’un kraken.
— Je préfère le terme « survivant », commenta Robin avec douceur, lui adressant un clin d’œil.
Sanji sentit sa colère fondre comme neige au soleil et ses pupilles battre au rythme de son cœur.
— Mais en ce moment, c’est toi son favori ! s’exclama Chopper de son timbre innocent.
Cette fois, Zoro comme Sanji frappèrent du poing – Nami aussi, mais parce qu’elle riait trop fort.
— Ça n’a rien à voir ! s’écrièrent-ils dans une parfaite synchronisation.
Sanji était rouge comme une tomate, tandis que les joues de Zoro se teintaient de rose.
— Usopp ! lança l’épéiste. Abrège, on a du travail.
— Ah, oui, tu as raison, Zoro-kun, reprit Usopp – mine de rien, il aimait se concentrer sur ses plans, quand il en avait. Bien… Où en étais-je… Ah. Oui. À présent, penchons-nous un instant sur la biologie fascinante du coqus obsedus (nom vernaculaire : Kuroashi no Sanji), autre espèce originaire d’East Blue, tout aussi léthale bien que plus discrète, et dotée, la science se doit de le reconnaître, d’une intelligence supérieure à celle du Roronoa.
— Hé ! grinça Zoro, qui semblait sur le point de lancer quelque chose à la tête d’Usopp.
— Intelligence qui disparaît mystérieusement lorsque le Kuroashi est en présence d’une femelle humaine, compléta Chopper en hochant la tête, on ne peut plus sérieux.
— Comportement à haut risque qui va à l’encontre des instincts de conservation les plus primaires, constata Brook entre deux gorgées de thé.
— Tu peux parler, toi ! ragea Sanji depuis derrière son comptoir.
Zoro éclata de rire avec les autres. Quand ce n’était pas lui qui se faisait chambrer, bizarrement, il n’était plus aussi pressé. Sanji devina que leur rassemblement le mettait à l’aise : il n’était pas seul pour garantir un espace sécuritaire dans lequel ses pairs pouvaient évoluer.
— Le Kuroashi, donc, est fort, indépendant, fiable, et, contrairement au danger que pose le Roronoa, il faut reconnaître que le monde ne tournerait pas rond sans la faculté du Kuroashi à prendre soin de son entourage. Ses tendances de mère poule – terme genré discutable passé dans le langage courant, que la communauté scientifique se permet d’utiliser pour rester succincte – le prédisposent aux extrêmes les plus étonnants, et il ne doit sa survie qu’à sa gentillesse, capable de pousser quiconque le laisserait approcher à l’adopter comme un petit agneau en mal d’affection.
Sanji lança une éponge à la figure d’Usopp, mais celui-ci l’esquiva adroitement. Il était très fier d’Usopp pour avoir débloqué cet excellent haki de l’observation, mais il regrettait de ne plus pouvoir toucher le sniper à distance lorsque celui-ci le provoquait.
L’éponge s’écrasa sur le tableau et en glissa lentement dans un chuintement misérable, effaçant une partie des diagrammes. L’équipage au complet était en train de se tordre de rire sur la table.
— Mes amis… l’heure est grave ! Depuis que les engeances du démon nous ont envahis, la balance de l’univers est menacée… Car le Roronoa a trouvé son égal dans cette entité contradictoire qu’est le coqus obsedus, et il est prêt à tout, je dis bien, à tout, pour que personne, à part lui-même, ne s’attaque à son précieux Kuroashi !
Comme Usopp semblait avoir terminé, Sanji se demanda où était le fameux plan. Il conclut que l’éponge volante l’avait effacé de l’esprit du sniper en même temps que du tableau.
Luffy se mit à applaudir, suivi de toute la bande – même si Nami arborait une expression sceptique, et Jinbe un air un peu perdu, malgré son sourire bon public. Le pauvre homme-poisson n’avait vraiment aucune idée de ce dans quoi il s’était engagé. L’adaptation au chaos ambiant, pour lui, était un enjeu de tous les instants.
— Avez-vous des questions ? demanda Usopp après avoir largement salué son auditoire.
— Moi ! J’ai une question, lança Franky, affalé sur le divan dans une posture bien trop décontractée pour ce qu’il s’apprêtait à dire.
— Allez-y, mon cher.
— Est-ce qu’on peut estimer, scientifiquement parlant, que le Kuroashi a dompté le Roronoa ?
Sanji ne retint son éclat de rire que quelques secondes avant qu’il passe sa gorge, le forçant à postillonner et à plaquer sa main sur sa bouche. Nami, Luffy et Brook s’étaient remis à frapper la table en pleurant, Robin gloussait de façon incontrôlable, et même Jinbe, qui commençait à comprendre que les réunions stratégiques étaient une notion inexistante dans l’univers des Chapeaux de paille, s’était laissé aller à un ricanement rauque et détendu.
Zoro, seul, resta rouge et embarrassé.
— Usopp, bon sang ! On est censés voir quoi faire avec ces foutus enfants du démon ou je ne sais quoi ! Si t’es pas capable d’être sérieux, je me casse !
Malgré la situation, Sanji était dans un bon jour. Il eut pitié de son ami et lui servit un petit shot de rhum, juste pour le rasséréner et le remercier de sa patience.
— C’est une excellente question, cher monsieur ! réagit Usopp, qui n’avait toujours rien reçu dans la figure de la part de Zoro et prenait des risques inconsidérés. La réponse est…
— Tiens, yôjinbô, glissa Sanji en posant le shot épicé sous les yeux de son meilleur rival. Pour ta peine.
Il en profita pour resservir du thé et déposer une assiette de cookies au milieu de la table.
— Ab-so-lu-ment !
L’épéiste jeta à Sanji un coup d’œil suspicieux, puis adopta une expression agréablement surprise lorsqu’il reconnut l’alcool dans son verre.
— Oh, merci.
— Et la preuve est là, sous nos yeux !
Zoro, ayant manqué un bout de l’échange, leva la tête du shot qu’il venait de boire cul sec.
— Hein ?
La question était dépourvue de la moindre animosité, comme si Sanji, grâce à sa petite attention et à ses connaissances inégalées concernant le régime alimentaire du Roronoa, avait effectivement dompté la bête. Sanji se retourna pour cacher son amusement, tandis que les autres repartaient dans leur hystérie collective.
— Usopp… Plan ou pas, si tu ne te tais pas immédiatement, je te découpe en morceaux et je les éparpille aux quatre coins du monde. Kaya mettra des années à reconstituer ton squelette.
— Hé ! Laisse Kaya en dehors de ça ! s’énerva Usopp. Et fais pas des menaces que tu peux pas mettre à exécution ! Même si t’essayais, avec ton sens de l’orientation pourri, tu te retrouverais à m’enterrer aux quatre coins de Syrup sans même t’en rendre compte !
— Répète un peu ?!
Sanji décida qu’il était temps de stopper la mascarade, pour la santé mentale de Zoro. Le pauvre homme était perturbé, sur les nerfs, et Sanji suspectait, à ses cernes et son lever matinal, qu’il n’avait pas dormi de la nuit.
Il prit une longue bouffée de tabac tandis que Zoro se jetait sur Usopp pour l’étrangler. Chopper tenta de les arrêter parce qu’il ne voulait pas perdre son laborantin. Luffy riait à gorge déployée, mais il sauta dans la bagarre quand l’éponge égarée lui atterrit dans la bouche, qu’il l’avala et ne la trouva pas à son goût.
Autant laisser les idiots faire les idiots, les adultes pouvaient parler entre eux.
— Bon… On n’est pas beaucoup plus avancés, mais je pense que le plan est simple : Usopp déploie son insecticide partout – sauf la cuisine, ça va de soi. Puis on se répartit chaque pièce du Sunny à la recherche des… cadavres, ou des engeances du démon en fuite. Même si elles sont trop grosses pour que ça les tue, ça devrait suffisamment les déranger pour qu’elles sortent de leur cachette. Robin-chan peut utiliser ses pouvoirs afin d’examiner les zones inaccessibles, Franky peut continuer à démonter et remonter les structures bloquantes. Nami-san sera avec moi dans la cambuse pour ne pas être exposée à ces horreurs. Je garde aussi le marimo, on va fouiller tous les placards, le cellier, et déplacer quelques meubles au cas où. Les autres, vous vous répartissez le reste des espaces et vous les passez au scanner.
— Sanji ! Ton plan est nul ! Usopp proposait de se déguiser en chasseurs de fantômes et de faire une chorégraphie ! s’écria Luffy, en train de se faire tirer le visage par le sniper.
— On avait tout un scénario pour vous enfermer Zoro et toi dans le cellier et que vous arrêtiez de menacer l’intégrité du Sunny ! Juste pour l’après-midi ! plaida celui-ci, en train de taper sur le bras de Zoro pour qu’il relâche sa prise d’étranglement.
— Il est hors de question que je me retrouve dans le cellier avec cet obsédé ! Y a pas d’araignées dans la mer : on n’a qu’à le balancer par-dessus bord en attendant, ça le refroidira !
Sanji avait aussi été très patient pendant toute la prestation, encaissant quelques piques et moqueries, mais il ne laissait jamais passer une occasion de se battre contre son meilleur rival.
— Qu’est-ce que t’as dit, marimo de merde ?!
— J’ai dit ce que je pensais !
Sanji sauta dans le tas, tandis que Chopper, occupé à mordre un mollet botté de noir, renchérissait :
— Les personnes en détresse psychologique n’ont pas besoin qu’on les isole encore plus ! Sois un bon Roronoa et fais ce qu’on te demande, pour une fois !
Le talon de Sanji heurta la mâchoire de Zoro, faisant claquer ses dents.
— Je t’en foutrais, de la détresse psychologique ! lança celui-ci.
Quelques secondes plus tard, Usopp et Chopper étaient étalés au sol, assommés et la larme à l’œil. Luffy avait oublié de se battre pour écouter Brook interpréter un Can-Can au violon, et Sanji et Zoro avaient roulé sur le pont pour bloquer les coups sans tout casser.
*
Le reste de la journée fut consacré à passer le navire au peigne fin, à la recherche de la moindre trace d’engeance du démon.
Brook, qui était moins phobique que simplement horrifié, décida de ne pas trop s’impliquer et préféra s’installer à la proue pour leur jouer de la musique, tout en surveillant le cap. Chopper s’enferma dans l’infirmerie jusqu’au ce qu’Usopp l’en déloge à coups d’insecticide amélioré, accompagné de son odeur nauséabonde. Il rejoignit les résidents de la cambuse en toussant, les larmes aux yeux, et Sanji lui offrit des cupcakes cerise-chocolat décorés de pétales en sucre.
Luffy se révéla plus efficace qu’ils ne l’auraient cru, uniquement parce qu’Usopp avait fabriqué des uniformes de chasseurs de fantômes et qu’il prenait le jeu de rôle très au sérieux. Il utilisa ses capacités élastiques pour atteindre des endroits que même Franky ne pouvait démanteler, guidé par les iris florissants de Robin. Puis il retira la combinaison oppressante et oublia les enjeux au premier effluve de nourriture parvenant de la cuisine. Sanji fournit d’autres cupcakes à Robin, qui se chargea d’en apporter à Usopp, puis en livra une fournée géante à son capitaine.
Franky explora les sous-sols du Sunny par précaution tandis que Jinbe faisait pleuvoir des trombes d’eau sur le pont. Il manqua, à cette occasion, de noyer Brook, et s’en excusa platement après l’avoir repêché. Sanji leur proposa du thé vert revigorant et du tiramisu au matcha. Il en glissa un plat complet à Luffy, qui avala jusqu’à la pelle à tarte.
Nami, Zoro et lui vidèrent un à un les placards de la cambuse, discutant paisiblement. Sanji en profita pour tout nettoyer et constata avec fierté que sa cuisine était immaculée. Zoro servit surtout de porteur, Nami n’intervenant que quand il n’avait plus assez de mains ou quand il ignorait le nom de l’objet qu’il tenait. Elle sortait régulièrement vérifier la météo.
Sanji dut leur faire deviner quelles herbes et épices il réclamait pour les ranger dans le bon ordre. Comme il comparait la moitié d’entre elles à la tignasse de Zoro, celui-ci s’énerva et commença à lui lancer les pots à la figure, comptant les points selon l’endroit où ils touchaient le coq et avec quel membre Sanji les rattrapait.
Nami se laissa aller à un fou rire qui fit sourire les deux hommes d’un air complice. Lorsqu’ils eurent refermé le placard, Zoro faucha les jambes de Sanji afin de le faire tomber de son tabouret, mais le coq fit un léger salto arrière pour s’appuyer sur le comptoir d’une main. Une seconde après, le dos de Zoro heurtait durement le frigidaire. Sanji fit apparaître un cake au matcha, que Zoro testa avec méfiance, mais le mélange des saveurs effaçait tout goût trop sucré. Ils le mangèrent accompagné de mojitos rafraîchissants. Nami eut droit au dernier cupcake cerise-chocolat, que Sanji avait sauvé pour elle.
Lorsque Zoro et lui fouillèrent le cellier, elle devint étrangement nerveuse et demanda à plusieurs reprises s’ils avaient bien formellement interdit à Usopp de pénétrer dans la cambuse avec son équipement. Encore plus étrangement, Zoro se tendit à cette mention et grogna :
— Si t’arrêtais de faire des paris stupides, t’aurais moins de problèmes.
— Et moins d’argent, rétorqua Nami, sirotant la glace fondue de son mojito pendant qu’ils travaillaient.
Sanji avait refusé qu’elle s’abaisse à ramper dans le cellier, et, au regard des circonstances, elle n’avait pas insisté.
Elle poussa un cri lorsqu’une grosse chose à huit pattes leur passa entre les jambes. Sanji n’eut pas l’occasion de la trouver adorable : il avait sauté aussitôt la silhouette maudite apparue.
Il fut surpris lorsque, au lieu de retomber à terre pour commencer une danse du dégoût qui le ridiculiserait à vie, il atterrit sur une surface molle mais solide. Pas assez large, en revanche, pour que ses deux semelles puissent s’y poser. Sa jambe libre se balança dans le vide, et il ne dut sa stabilité qu’à son équilibre infaillible. Il s’accroupit sur le support inconnu pour ne pas vaciller.
— Bouge pas, coq.
Zoro avait présenté sa paume à plat devant lui : Sanji trônait à présent un pied dessus. L’œil valide de l’épéiste scrutait le sol à la recherche de l’insecte. D’un mouvement fluide, il changea Sanji de main et se retourna en dégainant un katana. La seconde d’après, l’araignée incriminée était morte, embrochée par la pointe du sabre – pas que Sanji ait regardé, mais Zoro était notoirement léthal.
Les petits cris aigus de Nami, paniquée, se calmèrent presque immédiatement.
— Nami. Tu peux les toucher ? demanda Zoro.
— Quoi ?
— Tu peux les toucher avec un mouchoir ?
— Erk, non. C’est dégoûtant, ça me fiche la chair de poule rien que d’y penser !
— D’accord.
Sanji était toujours confortablement perché et ne comptait pas redescendre de là avant qu’on ait débarrassé le parquet de l’engeance démoniaque. Malheureusement, le marimo ne l’entendait pas de cette oreille : il se baissa pour lui intimer de se poser au sol, et il dut s’exécuter. Puis Zoro ferma la porte du cellier sur lui.
Sanji aurait pu trouver l’atmosphère oppressante au regard de ses expériences personnelles, mais les lieux sentaient la nourriture sèche et le bois traité, la lumière au mur les éclairaient doucement, et l’araignée était dans la pièce d’à côté. C’était le dernier caisson qu’ils déplaçaient, il était sûr et certain que plus une seule bête ne rôdait dans son précieux espace de stockage.
Lorsqu’ils rouvrirent la porte, Sanji boudait.
— Non mais t’exagères, là. J’avais juste à me retourner.
Zoro lui jeta un regard un peu moqueur, haussant un sourcil.
— Ça fait deux jours qu’on est vissés l’un à l’autre, petit ange en détresse. Tu crois que j’allais perdre une occasion d’enfin me débarrasser de toi ?
— Qui est-ce que tu traites de petit ange en détresse ?!
Zoro était plus créatif que lui avec ses insultes, les adaptant souvent au contexte tandis que Sanji préférait tout faire tourner autour du mot « merde », vulgarité qui frisait le tic de langage. La pique constituait une directe opposition aux engeances du démon, et Sanji l’aurait trouvée hilarante si Zoro ne l’avait pas utilisée d’un ton si dérogatoire.
Au bout de cinq minutes de chahut, Nami leur donna chacun un coup de poing sur la tête. Puis, considérant qu’elle avait fait sa part, elle s’éclipsa pour vaquer à ses occupations. Ils rangèrent les caisses et les sacs dans le cellier. Le temps qu’ils aient fini, c’était déjà l’heure de préparer le repas du soir.
Malgré sa déclaration précédente, Zoro décida de rester et s’installa au bout du comptoir. Sanji était de trop bonne humeur pour se questionner : il avait passé une journée incroyable, profitant de l’appui de ses pairs. Il avait ri comme un idiot aux blagues d’Usopp, s’était chicané avec son meilleur rival, et avait été béni par la présence de la magnifique navigatrice toute l’après-midi.
— Je te sers quelque chose ? chantonna-t-il à l’adresse de Zoro.
Celui-ci hocha la tête avec un petit sourire satisfait. Sanji savait déjà quoi lui proposer : un lambrusco mis au frais depuis le matin, accompagné d’un plateau de mini sandwiches à la rosette et au fromage – quelque chose de simple à préparer pour ne pas retarder son planning chargé.
Zoro jeta un œil curieux au vin rouge pétillant. Puis il haussa les épaules et en but une grande gorgée dans le verre à pied que Sanji lui avait servi par principe, même s’il allait continuer à la bouteille.
— Oh, c’est pas mal. On dirait du cola, mais en bon ! s’étonna-t-il avant de manger un pain.
Sanji le toisa, scandalisé, puis décida d’ignorer le commentaire tout en marmonnant dans sa barbe :
— Mon rarissime lambrusco de Pô… comparé à du cola… franchement… manque de finesse… gâchis…
Toutefois, il était heureux que le vin plaise à son rival. Il commença à valser dans la cuisine sans plus faire attention au marimo, focalisé sur les dizaines de plats qu’il avait prévus pour le soir même. Au bout de quelques minutes, la voix de Zoro se fit entendre.
— On peut reprendre notre conversation d’hier, ou tu vas me refaire une panique… Hm… C’était quoi ? Une panique bi ?
Sanji se sentait toujours étonnement à l’aise avec les derniers évènements. Il avait aimé être protégé, couvé, chéri. Il avait profité de cette sensation en ayant l’impression qu’il n’y aurait plus accès avant longtemps, parce qu’il ne savait pas baisser sa garde et que s’autoriser à être vulnérable était épuisant, quand on n’y était pas habitué. Mille questions assaillaient son esprit à chaque geste défensif, chaque aveu honteux. Est-ce que j’abuse ? Est-ce qu’ils vont me mépriser si je ne prends pas assez sur moi ? Est-ce qu’ils vont me rejeter si j’en fais trop ? Est-ce que j’ai le droit d’être aussi émotif ? Est-ce qu’ils vont l’accepter même si mes sentiments débordent encore et qu’ils deviennent un poids pour eux ?
Est-ce que Jinbe va en avoir marre de jouer les baby-sitters quand Zoro et moi ne sommes pas là ?
Est-ce que ça gênerait Brook que je chante avec lui quand j’en ai envie, quitte à perturber sa prestation ?
Est-ce que ce dur à cuire de Franky arrêtera de prétendre ne pas pleurer alors qu’il est en larmes, pour que j’arrête de retenir les miennes ? Ou est-ce qu’il faudrait que j’arrête de les retenir, parce qu’il y a pas de raison, j’ai le droit de pleurer, merde ?
Est-ce que Robin-chan va me laisser me cacher dans ses jupes si j’ai encore un problème avec une femme ?
Est-ce que Chopper va se sentir trahi quand je lui avouerai que je sais pourquoi je ne tombe jamais malade ?
Est-ce qu’Usopp va continuer à m’admirer même si je suis terrifié en permanence ?
Est-ce que Nami-san risque d’arrêter de me frapper si j’ai l’air trop faible pour encaisser ses coups de poings à la forme impeccable ?
Est-ce que Zoro va être déçu de moi si je refuse un de ses challenges ?
Est-ce que Luffy… Non. Pas Luffy. Jamais Luffy.
Il avait déjà réponse à toutes ces interrogations. Des réponses positives, preuve à l’appui, mais il y avait une différence entre les avoir trouvées et agir en conséquence.
N’importe quel autre soir, Sanji se serait retourné vers Zoro pour lui cracher dessus comme un chat à qui on aurait marché sur la queue. « Pourquoi on en reparlerait ?! » s’entendait-il déjà répliquer avec fiel. Mais ce soir-là, Sanji se sentait validé.
D’habitude, quand cet homme qui incarnait tout ce qu’il n’était pas s’adressait à lui sur ce ton, Sanji avait l’impression paranoïaque que c’était forcément pour le provoquer. La moitié du temps, c’était vrai. L’autre moitié, c’était Sanji lui-même qui cherchait la petite bête, afin d’être à sa hauteur, alors qu’il n’y avait pas besoin de tels artifices pour qu’ils soient égaux.
Sanji décida de garder son calme. Zoro lui posait une simple question. Il essayait d’être délicat, même, en lui demandant d’abord à sa façon s’il était à l’aise avec le sujet, plutôt que de mettre les pieds dans le plat comme la veille.
À quelle conversation Zoro faisait-il référence, d’ailleurs ? Celle où il voulait vérifier s’il était hétéro « au cas où », ou celle où il avait sous-entendu qu’il aurait apprécié le voir se promener torse nu dans sa cuisine ? Sanji fut frappé par sa propre conclusion. C’est la même. C’est la même conversation, avec deux façons différentes d’essayer de me dire la même chose. D’où ça sort ?! Depuis quand ?!
Sanji soupira et garda le silence le temps d’avancer ses cuissons et ses assaisonnements. Enfin, il se retourna vers Zoro, un couteau à la main, et répondit :
— Je plaisantais. Une panique bi, c’est quand tu es confronté à plusieurs genres qui te plaisent en même temps et que ça te rend confus et excité. Ça n’a rien à voir avec le fait de se découvrir gay ou je ne sais quoi d’autre.
Zoro le regarda, surpris. Sanji ne put s’empêcher de le trouver mignon, dans cette expression intriguée qui jurait avec ses éternels sourcils froncés.
— Et ça t’arrive ?
— Non, répondit-il. Ça m’est jamais arrivé et ça m’arrivera sans doute jamais.
— Alors, t’es bi, mais… tu paniques pas ?
Zoro le fixait toujours, l’air sceptique de celui qui sait qu’on lui fait une blague. Sanji retourna à ses fourneaux, mais ne résista pas à lui tenir tête bêtement.
— Et toi ? T’as jamais voulu toucher une femme de ta vie, tu cries « gay » par tous les pores de ta peau, et tu nous sors que t’as une copine en relation polyamoureuse ?
— Je suis pas gay, putain ! s’énerva Zoro, qui semblait en avoir assez de ce préjugé. Perona, c’est pas juste la seule femme que j’aie jamais eu envie de toucher de toute ma vie. C’est la seule personne. Enfin, jusqu’à hier, en tout cas…
Sanji tourbillonnait devant les plans de travail, silencieux. Il avait l’impression que Zoro n’avait pas fini de s’exprimer, et il recevait déjà trop d’informations pour pouvoir y réagir.
— J’aime pas les gens pour leur genre, et ils m’intéressent seulement quand je ressens une sorte de connivence presque… presque magnétique.
Sanji se figea.
— Alors… on est pareils… !?
— Quoi ?
Il souleva le couvercle d’un ragoût pour en vérifier l’odeur, goûta une sauce avant d’y ajouter quelques épices, puis prit une décision.
— Non, on n’est pas tout à fait pareils. Mais… Je suis d’accord avec toi : c’est pas une conversation qu’on peut avoir alors que je fais cinquante choses en même temps. Après le dîner ? Je mets une autre bouteille de « cola mais en bon » au frais, si ça te va ?
Zoro, qui avait fini de boire et de manger, posa ses coudes sur le comptoir, croisa ses doigts devant son menton et lui adressa un sourire carnassier.
— Mets tout le stock, coq.
*
« Jusqu’à hier. » C’était ce que Zoro avait dit. Il avait déjà terminé son vin et s’était déplacé sur le sofa pour somnoler, comme si de rien n’était. Sanji, dont les mains valsaient au-dessus des plans de travail et des fourneaux, fut rassuré un instant : il se serait senti extrêmement mal si son ami avait éprouvé une quelconque attirance pour lui et n’avait pas osé lui en parler. Mais si Zoro était du genre à intérioriser ses émotions, fonctionnement qui semblait lui convenir en général, il n’était pas du genre à les cacher. Ou bien, Luffy et Sanji étaient si connectés à l’épéiste qu’il était transparent à leurs yeux, malgré les quelques couches d’indifférence que Zoro appliquait sur ses traits.
Sanji lui jetait à présent des coups d’œil à la dérobée, comme si cette attirance pouvait se lire sur le visage sévère, dans la pupille éternellement close ou le pli de la bouche semi-ouverte. Un léger ronflement s’échappait des lèvres grimaçantes. Sanji eut envie de lui boucher le nez pour le réveiller et ricana à l’idée, mais il ne sortit pas de sa cuisine pour autant.
Zoro était adorable à sa manière, bourru mais bon, chaotique mais stable, effrayant mais rassurant. Il lui faisait penser à ce conte qui mettait en scène l’intelligence d’une jeune femme face à une bête qu’elle était forcée d’épouser. Le soir de sa nuit de noces, elle avait enlevé une de ses nombreuses robes à la condition que son mari enlève une de ses peaux. L’un après l’autre, ils s’étaient déshabillés, elle dévoilant lentement ses atours – du moins c’était ce que Sanji avait aimé imaginer –, lui découvrant tout à tour fourrure, écailles ou plumes. Lorsqu’il n’était resté qu’une seule couche, elle s’était dénudée. Le monstre avait arraché sa dernière peau, révélant un prince de conte de fées, beau et doux comme on en rêvait.
S’il avait toujours fait le parallèle avec Zoro, Sanji ne s’était jamais comparé à cette jeune femme. À présent que ce « Jusqu’à hier » résonnait dans son esprit, les choses avaient changé : il avait conscience d’avoir enlevé quelques épaisseurs de vêtements – aussi métaphoriquement que littéralement –, et d’avoir révélé des… il n’aurait pas appelé ça des atours, plutôt des fractures, des cicatrices et des faiblesses. « Tu es comme ça », affirma la voix de Luffy. Sanji secoua la tête. Non. Ce que j’ai dévoilé, ce sont des parts de moi. Qui suis-je pour décider comment les gens qui m’aiment les percevront ?
Ce dévoilement avait visiblement déclenché quelque chose en Zoro. Quelque chose d’inattendu sans pour autant être étonnant. Sanji n’y avait jamais songé – il ne pensait pas aux hommes comme ça –, mais il devait reconnaître que cela faisait sens. Désormais, il fallait qu’il en parle avec l’épéiste pour plusieurs raisons, et il était prêt à effeuiller un peu plus de sa personne si Zoro en faisait autant avec sa peau de bête. Le prince serait toujours vert, exaspérant et trop sûr de lui, mais Zoro était déjà beau et doux en monstre, et Sanji préférait cet antihéros à la version lissée qu’il lui reprochait faussement de ne pas être.
Il sentit son estomac se tordre en se repassant leurs interactions. Si elles avaient été innocentes, elles frisaient le flirt, voire la provocation sexuelle, réalisa-t-il en pâlissant. Zoro avait été limpide : il était attiré par lui, à cause de cette mystérieuse « connivence… magnétique » dont il avait parlé, et Sanji ne pouvait pas lui en vouloir. Il y avait toujours eu une connivence entre eux, qui les liait plus qu’ils n’étaient prêts à le reconnaître, et qui faisait d’eux le reflet l’un de l’autre. Zoro semblait y percevoir autre chose, désormais, une aimantation qui lui donnait clairement envie de se rapprocher du coq comme jamais il ne l’avait fait auparavant. Ou tout du moins, de se rapprocher de lui en tant qu’homme qui espère que son vis-à-vis n’est pas hétérosexuel, et en tant que personne qui aime voir des peaux nues quand elles sont arborées par des gens magnétisés.
Et lui ? Sanji baissa le nez sur son tronc couvert de tissu, haussa les épaules, puis jeta à Zoro un autre regard à la dérobée. Ses yeux atterrirent sur le torse exposé de son rival. Il se soulevait régulièrement, gonflant ses impressionnants pectoraux et sa large cage thoracique. Ces caractéristiques qu’il enviait lui firent envie. Ce corps puissant, rude et chaud l’attira comme si la fée qui avait transformé le prince l’avait choisi pour briser le sort et l’avait envoûté lui-même. Sanji désira briser l’enchantement, et décida que si rompre le charme impliquait pour lui de se dénuder entièrement, il le ferait avec plaisir.
Il fut heureux pour Zoro de ne pas être aussi « désespérément hétérosexuel » qu’il le laissait paraître. Il fixa de nouveau son propre torse. Dans un geste fébrile, il détendit sa cravate et défit les premiers boutons de sa chemise. Il était hors de question de se promener torse nu dans la cambuse, mais il pouvait bien offrir ce petit bout de lui à l’œil de son héros impromptu, son yôjinbô, si c’était ce que celui-ci voulait. Une pointe d’excitation remonta le long de son ventre. L’attrait d’être désiré réchauffa ses joues. Il se surprit à sourire de satisfaction, heureux de plaire.
Lorsqu’il regarda encore dans la direction de Zoro, entre deux jongleries de cuisine improbables, l’envoûtement manqua de lui faire tourner la tête. L’épéiste avait ouvert un œil paresseux et l’observait ostensiblement.
Jolie vue, y lut Sanji aussi clairement que si Zoro le lui avait murmuré au creux de l’oreille. Le charme se renforça au même instant, et l’excitation le rendit fébrile.
S’il continue comme ça, je vais lui tomber dans les bras.
Un reste de fierté mal placée le sauva d’un saignement de nez intempestif, et il termina ses préparatifs en tentant d’oublier ce fil enchanteur qui le reliait désormais au prédateur naturel des engeances du démon.
Par précaution, en plus des cinq bouteilles de lambrusco dans le frigo, il congela de la vodka à l’herbe de bison.
— À la victoire de Cap’taiiiin Usopp contre les engeances du démon ! hurla Usopp en tendant son verre, un pied perché sur la table.
— Wouuuh ! Merci, Cap’tain Usopp ! se laissa emporter Nami, le poing en l’air.
— Merci, Usopp, articula Sanji avec un de ces larges sourires tendres qui faisaient de lui la personne la plus solaire de l’équipage après Luffy.
Usopp souriait davantage, mais tout le monde s’accordait à dire que les sourires du coq étaient plus précieux : ils avaient tous un sens profond, une intention bienveillante ; ils transpiraient l’affection et le besoin d’aimer, comme si, un jour dans sa vie, quelqu’un était parvenu à lui retirer la possibilité de les manifester.
Zoro n’avait pas tout compris de ce qu’il s’était passé à Whole Cake Island, et il s’en fichait : Sanji était revenu, égal à lui-même, égal à lui. Cependant, il avait fait le lien entre le caractère anxieux de son meilleur rival, les raisons de son départ et le nom de Vinsmoke, que le coq traitait comme une malédiction.
Zoro lui adressa un de ses propres rictus protecteurs, et fut surpris de voir Sanji se tourner vers lui avec une expression identique.
— Merci, Zoro.
La phrase n’était pas rare, mais accompagnée de ce sourire magnétique, elle le toucha en plein cœur. Sanji venait-il de s’autoriser à lui montrer son amour ? À lui ? Zoro se sentit de nouveau privilégié, alors même que Sanji dispensait ses sourires à la pelle.
S’il continue comme ça, je vais lui tomber dans les bras.
Zoro n’avait jamais su faire la différence entre attirance sexuelle et romantique. Il n’avait ressenti cela qu’avec une personne dans sa vie, et il était certain que cet affect aurait été impossible s’il n’avait pas séjourné avec Perona pendant plusieurs mois. Ils avaient eu l’occasion de se découvrir, s’apprendre et devenir amis – frenemies, avait-elle dit. Alors, seulement, l’aimantation avait été accessible. Ce premier soir ensemble, si la jeune femme avait voulu en rester à de simples câlins, Zoro aurait été tout aussi comblé. Il avait aimé l’avoir dans ses bras, et il l’aurait aimée tout autant si elle n’avait pas été nue. Il la désirait, mais ce désir n’était qu’un corollaire à son affection. Il s’en passait, il le contrôlait, il n’en avait pas besoin. Il n’avait jamais eu besoin de sexe, ce n’était pas parce qu’il était amoureux que cela allait changer. Perona aurait pu continuer à se masturber dans son coin pendant la suite de leur séjour que leurs sentiments n’auraient pas été impactés. Elle l’avait sans doute fait, lorsque Zoro était trop épuisé par son entraînement ou qu’il n’avait juste pas envie. De toute façon, Zoro n’était pas là pour ça, et Perona en avait tout à fait conscience.
Le coq était un peu différent : Zoro l’avait considéré esthétique bien avant de le trouver attirant, il l’avait trouvé parfait pour lui avant de se rendre compte qu’ils étaient meilleurs amis, il avait tenu à lui comme à la prunelle de ses yeux avant que le magnétisme ne le fasse tomber sous son charme. Il aurait pu dire la même chose de Luffy, qui était esthétique, parfait pour lui et à qui il tenait plus qu’à la prunelle de ses yeux – il y avait une raison pour laquelle il n’en avait plus qu’un. Mais sa connivence avec son capitaine n’était pas de cette nature magnétique que Sanji avait déclenchée involontairement.
Depuis la veille, de nombreux gestes de Sanij à l’égard de Zoro avaient généré une attraction inédite.
Les gestes intentionnels, séducteurs voire sexy, depuis ce « Surprends-moi » jusqu’à la cravate qu’il venait de relâcher, avaient eu l’effet escompté. D’autant plus que Zoro les avait cherchés pour le plaisir de le narguer, et que Sanji parvenait à être pratiquement libidineux sans faire le moindre effort – d’habitude, Zoro le constatait sans en subir les conséquences –, ni même s’en rendre compte.
Les gestes inconscients, charmeurs, voire romantiques, eux, depuis ce surnom de yôjinbô jusqu’aux regards complices, entre deux piques, avaient été carrément électriques. L’affection s’était renforcée, devenue évidence, à chaque nouvelle interaction. Il y avait eu ce kabedon, pas parce que Zoro l’avait fait, mais parce que Sanji y avait répondu. Il y avait eu leur soirée à boire, la veille, la chaleur du bras de Sanji sur ses épaules, lui qui hésitait encore à le toucher. Puis le coup d’œil tendre quand Zoro s’était réveillé en même temps que lui. Le cri que Sanji avait demandé à étouffer. « J’ai besoin », avait-il dit, et Zoro était prêt à lui donner tout ce qu’il pourrait désirer s’il lui reparlait sur ce ton, comme s’il admettait que l’épéiste lui était nécessaire. Leur moment silencieux à la proue, quelques minutes plus tard, avait cimenté cette impression, tout en rappelant à Zoro que Sanji était fort, résilient, et qu’il savait désormais prendre soin de lui-même.
Puis ils avaient ri au cours de biologie d’Usopp, mais cette dynamique avait été habituelle et rassurante : rien n’avait fondamentalement changé entre eux. Jusqu’à ce que Franky demande si le Kuroashi avait dompté le Roronoa, et que Zoro, sa fierté mise à mal, réalise que le cyborg avait raison. Il aurait fait n’importe quoi pour Sanji. Pas plus qu’il ne l’aurait fait pour le reste de son équipage, certes, mais il avait l’impression d’une nuance unique, quelque part, comme si les efforts de Sanji le poussaient à en faire lui-même afin de rester à sa hauteur, de le rencontrer à ce point d’équilibre qui ne devait jamais vaciller entre eux.
Lorsque Sanji avait bondi, dans le cellier, Zoro avait trouvé naturel de le soutenir. Il avait confiance en lui : il savait qu’il allait se rattraper. Il n’avait fait qu’avancer ce petit piédestal sur lequel il avait toujours, sans jamais le reconnaître, placé son rival. Sanji volait, et lui avait les pieds sur terre. Il n’en avait jamais été autrement. L’aimantation, à cet instant, était si forte qu’il avait dû s’en éloigner. Il avait laissé le coq descendre de sa main au lieu de le prendre dans ses bras, l’avait poussé dans l’espace de stockage au lieu de le garder contre lui comme un enfant apeuré, l’avait titillé pour ne pas lui dire qu’il voulait rester vissé à lui jusqu’à ce que Sanji se sente de nouveau en sécurité sur son territoire.
Sanji était peut-être un damoiseau en détresse, mais Zoro ne souhaitait pas que cette attirance nouvelle lui donne l’impression d’être faible. Ça n’avait jamais été le cas, et ce ne le serait jamais. On pouvait être invincible même en détresse, et Sanji avait toujours réussi cette pirouette improbable. Si, aujourd’hui, il montrait sa vulnérabilité, Zoro voulait l’accepter en tant que protecteur, que yôjinbô, tout en lui faisant comprendre qu’il conservait l’agentivité la plus complète. Zoro avait tendance à exagérer s’agissant de la sécurité de ses pairs, et Sanji devait savoir qu’il lui faisait confiance pour se débrouiller tout seul, même quand il demandait de l’aide.
Lorsque Sanji s’était scandalisé à propos de son vin, Zoro avait ri. C’était ce qu’il souhaitait de cette relation : cet équilibre ridicule dans lequel ils s’aimaient en se provoquant et se provoquaient en s’aimant. Peu importait si la nature de cet amour déviait légèrement de leur ordinaire, elle ne changerait pas leur lien, et c’était cette certitude qui maintenait le magnétisme actif : la garantie d’une connivence toujours existante, d’émotions communes et opposées qui l’avait poussé contre Perona, ce soir de deuil, et qui le poussait maintenant vers Sanji.
Tout ce que Sanji faisait à son égard était une forme de provocation, et lorsque l’aimantation était là, Zoro ressentait cette affection pour lui de plein fouet. Parce que Sanji réagissait à lui, et que Zoro aimait le voir se dévoiler dans toutes ses nuances jusque-là réprimées, et recevoir la beauté de cet amour presque maladif que Sanji ne pouvait s’empêcher de dispenser. À présent qu’il lui était accessible à la source, Zoro était au bord de s’y noyer.
Notes:
Zoro : Tend sa paume pour faire support
Sanji : Je vais m’installer ici définitivement
Chapter 4: Magnétisme et Enchantement
Notes:
J’espère que ce chapitre rétablit l’équilibre entre eux (tout est arrivé plus vite que je ne le pensais !)
J’ai vraiment aimé prolonger la métaphore de la bête de conte de fée pour Zoro, dans l’esprit de Sanji, et l’opposer aux références et à la vision que Zoro a de Sanji.Chansons principales du chapitre
Ben E. King - Stand by me
Ellie Goulding - Love me like you do
Muse - Undisclosed Desires (je ne peux pas ne pas écouter cette chanson pendant que j'écris du smut)Contenus sensibles du chapitre
Alcool, sexe explicite (oral), mention de problèmes d'estime de soi, légère aroacephobie intériorisée due aux problèmes d'estime de soi en question
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
Le dîner se déroula de façon aussi chaotique que d’ordinaire. Sanji était d’une excellente humeur, à tel point qu’il se contenta de donner des coups de louche à Luffy, Chopper et Usopp quand ceux-ci commencèrent à jouer avec la nourriture. Il fut si charmant avec les femmes de l’équipage que Nami renonça à le frapper et même à l’exploiter – où allait le monde ? –, et que Robin l’embrassa sur la joue. Le coq se transforma en pierre quelques secondes, puis partit donner un coup de louche à Brook qui réclamait sa part d’affection sous la forme d’une petite culotte.
Ensuite, il s’accouda au comptoir à côté de Franky et prit le temps de finir son propre repas assis, tout en questionnant Jinbe sur le rapport des hommes-poissons aux insectes rampants. Ils découvrirent que, mis à part une espèce de halobate dite « des profondeurs », l’île des hommes-poisson était épargnée par de tels profils : tout ce qui s’y apparentait à un insecte appartenait au règne des crustacés. Sanji réitéra sa volonté de s’installer définitivement sur cette île sensationnelle, l’absence d’araignées s’ajoutant à la présence des sirènes. Zoro le traita d’ero-kappa, Sanji de brocoli à pattes.
Enfin, le chaos se déplaça hors de la cambuse tandis que Brook et Sanji se chargeaient de la vaisselle. Zoro les entendit parler de dentelle et de couleurs avant de suivre ses pairs sur le pont.
Il revint comme un voleur, une minute après avoir perçu le musicien souhaiter bonne nuit au coq. Il avait l’impression d’être un adolescent qui passait par la fenêtre de chez sa petite amie pour éviter d’avoir à rencontrer ses parents.
Lorsqu’il entra, Sanji fit glisser le four massif d’un adroit coup de pied pour qu’il bloque la porte. Il avait tiré les rideaux du bureau de Chopper, verrouillé celui-ci de l’extérieur et posé un lourd chandelier sur la table pour remplacer l’éclairage habituel.
Le coq avait aussi converti la commode du denden mushi en console et l’avait placée devant le sofa. Deux bouteilles fraîches de ce vin rouge que Zoro avait apprécié la jouxtaient au sol. Sur le petit meuble trônait un unique verre, flanqué de deux coupelles contenant un dessert blanc et écarlate que Zoro ne reconnut pas.
Remarquant son air sceptique, Sanji, déjà assis, lui fit un signe de la main, lui adressa un rictus nerveux et expliqua :
— Ça s’appelle des panna cottas, c’est pour aller avec le vin.
Zoro examina la texture crémeuse, le coulis, puis identifia les fruits rouges les plus acides qu’on pouvait trouver sur Grand Line. Il eut un sourire bête, ravi des attentions que Sanji lui prodiguait. Il savait que le coq en aurait fait de même pour n’importe qui, mais cette marque d’intérêt était toujours bienvenue, quel que soit le contexte. Sanji prétendait qu’il leur « refilait les trucs moisis », mais il ne laissait jamais rien moisir – et même si ça avait été le cas, son génie aurait trouvé moyen d’en faire quelque chose de bon.
— Waouh. Depuis quand tu sais être si attentionné avec moi, love-coq ?
Sanji s’alluma une cigarette, souffla la fumée, puis haussa un sourcil innocent que Zoro trouva scandaleusement suggestif.
— C’est toi qui viens de me traiter de love-coq. À quoi tu t’attendais ?
La cigarette était là pour calmer les angoisses de Sanji, le reste pour établir une atmosphère dans laquelle ils seraient tous les deux plus à l’aise. L’alcool pour l’épéiste, l’ambiance romantique pour le coq.
Zoro enleva ses épées, puis ramassa l’une des deux bouteilles, en arracha le bouchon avec les dents et le recracha en soufflant, juste assez fort pour que l’objet atterrisse par ricochet dans le lavabo de la cuisine.
Sanji le fixa une seconde avant de passer sa main sur son front d’un air désespéré.
— J’apprécie que tu sois assez respectueux pour viser l’évier plutôt que de tout jeter par terre, mais… t’as conscience que le muselet était encore dessus ?
— Le quoi ?
— Les éléments métalliques qui servent à retenir le bouchon en liège sur les mousseux.
— Euh… Et ?
— Tu l’as déchiré avec tes dents. C’est de l’acier.
Zoro ne comprenait pas le problème. Sanji soupira.
— Je sais que Luffy peut briser des couteaux avec ses dents, et je suis sûr que ta mâchoire est plus puissante que celle d’un homme-requin. Mais ça reste impressionnant quand vous faites ça de façon aussi casuelle.
— Tu veux qu’on parle de ta capacité à cuisiner de la bouffe délicieuse avec les merdes qu’on ramasse en forêt ? Ou du fait que tu prépares un dîner pour cent personnes en même pas trente minutes ? On te surprend régulièrement en pleine combustion spontanée, aussi. Et ça, c’est quand t’es pas littéralement en train d’exploser.
Sanji haussa ses sourcils enroulés et éclata de rire.
— On est des monstres, c’est n’importe quoi !
Zoro hocha la tête franchement. Le terme monstre, sur ce navire, n’avait jamais eu de connotation négative, peu importait comment le reste de l’univers les percevait.
Sanji lui présenta son verre, dans lequel il versa le vin pétillant. Zoro garda la bouteille. Ils trinquèrent en se regardant dans les yeux, comme ils le faisaient durant des festins sur le pont, sourire complice aux lèvres. Le magnétisme revint de toute sa force dans les entrailles de Zoro. Il reconnut cette envie empirique qu’il avait ressentie avec Perona, d’embrasser comme si c’était la chose à faire en cet instant. Comme si c’était naturel alors que ça ne l’avait jamais été pour lui.
Les lèvres de Sanji embrassèrent le rebord du verre, et Zoro dut secouer la tête et embrasser sa bouteille à la place.
— Ça va ?
Le coq n’était pas aveugle, il avait dû remarquer sa gêne, sa rougeur, ou son regard sur lui. Zoro décida d’être aussi direct que d’ordinaire.
— J’ai très très envie de t’embrasser, et tu t’es pas embêté à mettre en place cette atmosphère romantique si c’est pour me jeter. Alors si tu veux dire quelque chose, fais-le vite.
Si Zoro pensait avoir rougi, Sanji le battit à plate couture. Il plaça ses mains devant son visage pour s’y cacher et se massa les tempes.
— Marimo, dis pas des trucs comme ça alors qu’on doit parler d’abord.
Est-ce que je viens de voir un cœur dans sa pupille ?
— Alors dépêche. Je comprends même pas de quoi on devrait parler ! s’énerva Zoro. Je veux de toi, tu veux de moi, qu’est-ce qu’on attend ?
— On attend que tu répondes aux questions que je vais te poser.
Zoro comprenait de moins en moins. Sanji entama son dessert, lui faisant signe de l’imiter, puis but deux autres gorgées de vin.
— J’ai deux questions, en fait. La première est plus complexe, la deuxième plus importante.
Zoro hocha la tête et occupa ses mains avec la « pannakotta » et le « lambulusuko » – pourquoi certains plats et alcools avaient-ils des noms aussi compliqués ? Pourquoi Sanji était-il aussi compliqué que son vocabulaire et pourquoi Zoro trouvait-il ça si fascinant, si intelligent et si valorisant pour le coq ?
— La première question nécessite une introduction.
Allons bon.
Sanji fumait en même temps, ses doigts nerveux hésitant entre les objets devant lui.
— Je préfère les femmes.
— Ouais, alors, j’avais remarqué, grogna Zoro.
— Quand je dis que je préfère les femmes, c’est à 99 %. Je suis attiré par les femmes. Toutes les femmes sont belles, je les aime et j’ai envie d’elles. C’est facile.
Zoro laissa sa pannakotta fondre dans sa bouche, essayant de comprendre où le coq voulait en venir. Celui-ci poursuivit :
— Mais… si un homme m’aime, je peux l’aimer. S’il a envie de moi, je peux le désirer. J’ai juste besoin de reconnaître les signes. Parfois je me trompe, et c’est perturbant, mais dans ce cas, l’attirance disparaît toute de suite. En gros, je suis incapable d’être attiré par un homme qui n’est pas attiré par moi, ou qui n’a pas l’air attiré par moi. Je peux seulement… rendre la pareille.
— OK.
Zoro trouvait la chose d’une praticité à toute épreuve, mais Sanji eut un soupir agacé.
— Pourquoi tout paraît toujours aussi simple, avec toi ? C’est frustrant !
— Je vois pas ce qu’il y a de compliqué ! C’est toi qu’es compliqué !
La rixe tourna court lorsque Sanji décida de boire et de manger plutôt que de répliquer.
— Encore un truc qui nous oppose totalement, hein ? lança-t-il d’un ton espiègle.
— Bof. T’as besoin de réciprocité, et moi j’ai besoin de connexion. C’est pas si opposé, non ?
Zoro avait vidé la première bouteille. Il ouvrit la seconde avec le même procédé, s’assurant, cette fois-ci, de provoquer Sanji en le regardant droit dans les yeux. Le coq lui donna une claque sur la tête. Il lui tira la langue.
— Je veux juste que ce soit clair, parce que j’ai jamais eu l’occasion de savoir si je « rends le charme » tout le temps, ou seulement à des moments spécifiques. C’est quoi, pour toi ?
Zoro dut se poser la question. Il n’avait pas réfléchi jusque-là.
— C’est seulement à des moments spécifiques. Mais ça m’empêche pas d’être en relation avec Perona et de considérer que je l’aime, car je sais que le magnétisme est une possibilité.
— Et elle est à l’aise avec ça ?
— Coq… Si elle était là, elle serait capable de mettre un mot exact sur ce que t’es. Ensuite, elle passerait quinze minutes à te bassiner avec plein d’autres mots compliqués, tout ça pour te faire comprendre qu’en gros, elle s’en fiche complètement, chacun fait ce qu’il veut, et si sur le moment t’es pas intéressé par elle, elle est libre de se satisfaire autrement.
— Je serais toujours intéressé par cette jolie fille ! s’exclama Sanji, et Zoro vit la série de cœurs s’échapper de son œil.
Puis, quelque chose le frappa.
— Attends, t’as peur de pas être assez ?! C’est pour ça que tu fais tout ce foin ?
Zoro se plaqua une main sur la bouche.
— Pardon, je voulais pas dire ça comme ça.
Sanji passait sa vie à avoir peur de ne pas être assez, et à compenser pour ce dont il croyait manquer. Zoro était un imbécile d’avoir pris ses inquiétudes à la légère. Son impression fut confirmée par le regard fuyant du coq, qui se cacha dans le fond de son verre de vin.
— Coq, bordel, je suis aroace et toi aussi ! Je peux pas trouver que t’es pas assez !
Sanji ne s’était-il pas rendu compte de la compatibilité extraordinaire que ce cas de figure générait ? Ils étaient différents, oui, mais une fois de plus, leur différence était complémentaire.
Une relation entre eux, c’était un risque zéro. Aucun déséquilibre, aucun manque, aucune possessivité. Une liberté absolue. Le lourd aimant pouvait tomber sur Zoro sans prévenir, Sanji serait là pour y répondre. Et si le champ disparaissait, le charme sur Sanji disparaîtrait avec lui. C’était parfait. Mais Zoro n’avait jamais douté qu’une relation entre eux puisse être autre chose que parfaite, et cela aurait été le cas quelles que soient les attirances de Sanji.
— Aroquoi ? demanda celui-ci, interdit.
Zoro lui adressa un sourire hautain. Enfin un mot que je connais et pas lui. Merci Perona. Il ne le lui dirait jamais en face, mais il espérait qu’elle éternue et devine qu’il pensait à elle.
— C’est pour parler de gens comme nous qui ressentent… peu ou pas d’attirance, ou seulement dans des circonstances particulières. Perona fait une différence entre attirance sexuelle et romantique, je crois.
— Moi aussi.
Sanji semblait rasséréné. Il tendit son verre et lécha sa cuillère. Zoro loucha sur le mouvement. Une goutte de sang coula du nez du coq. Zoro ricana.
— C’est pas croyable ! s’exclama-t-il. Tu m’as vu regarder ta langue, t’as compris que c’était pas innocent, alors ça t’a excité ?
— Hé ! On se calme. Je suis pas un sujet d’expérimentation !
Le reproche tomba à plat, car Zoro était en train de verser le fond de la deuxième bouteille dans le verre à pied.
— En parlant d’expérimentation… commença Zoro, tout à coup intrigué. Ça fait sens que t’aies un comportement hétéro. Alors comment t’as fait pour ne serait-ce que découvrir ce genre d’exception ?
Sans Perona, Zoro ne se serait rendu compte de rien, et c’était lui qui aurait eu la panique gay du siècle en se sentant si soudainement attiré par le coq. Merci Perona. Peut-être lui dirait-il, en fin de compte, s’il la revoyait un jour.
Sanji détourna encore le regard. Le rougissement qui teintait ses joues était dû à l’alcool, et il lui fit une grimace puérile.
— Tu vas te foutre de ma gueule.
Zoro ne se priva pas de sourire diaboliquement.
— Oh, c’est du lourd. Balance. Je te promets de remettre le sujet sur la table à la moindre occasion.
— Je te déteste.
— Ça dépend des moments.
— En ce moment, je te déteste vraiment.
Pour se donner contenance, Sanji se leva et marcha jusqu’au frigo. Il revint avec une autre bouteille de vin rouge, et une d’un liquide transparent dont Zoro devina immédiatement qu’il s’agissait d’un alcool fort. Deux bouchons en métal roulaient sous les doigts du coq : il comptait les sceller avant qu’ils en aient atteint le fond.
— Ceci est une tentative grossière de te faire boire et oublier tout ce que tu as entendu ce soir.
Zoro éclata de rire, récupéra la bouteille et recommença son petit manège avec ses dents. Il prit bien garde de montrer à Sanji ce qu’il faisait du bouchon avant de l’envoyer rejoindre ses camarades. Sanji déboucha adroitement son lambrusco, se versa un troisième verre et décida de lécher la goutte qui coulait du goulot.
Le magnétisme et le charme rôdaient entre eux, les poussant au vice et à la provocation. Zoro s’étouffa dans sa première goulée de vodka. Sanji lui fit sa meilleure mimique arrogante, puis lâcha :
— Luffy.
Zoro dut boire une deuxième gorgée pour cesser de cracher partout. Sanji gloussait, fier de lui.
— Quoi Luffy ?
Il remonta le fil de la conversation, avant la langue de Sanji sur le verre sombre, et manqua s’étouffer à nouveau.
— La première fois que c’est arrivé, c’était avec Luffy.
Zoro savait que ses yeux ne pouvaient physiquement pas s’ouvrir grand comme des soucoupes, mais il était aussi à peu près sûr que c’était le cas.
— Quoi ?!
— Mets-toi à ma place. Qu’est-ce que t’aurais cru ?
— Qu’il est complètement dingue.
— Aussi. Moi, j’ai cru qu’il me draguait. Lourdement. Comme un ado drague une fille plus âgée qui lui a tapé dans l’œil. Je le sais, je suis passé par là.
Zoro émit un « Oooooh » de compréhension. Il ne pouvait pas blâmer Sanji. S’il n’avait pas été attaché à un poteau et complètement à côté de la plaque concernant tout ce qui était romance, il aurait peut-être cru la même chose.
— Honnêtement, j’étais super flatté. J’avais envie de répondre au charme. C’était rafraîchissant. J’avais rien fait pour mériter son intérêt, et il était là, à me trouver cool et gentil… Il voulait de moi. Et puis, c’était Luffy, alors y avait aucune question à se poser, tu vois ?
Zoro hocha la tête fermement.
— J’ai rapidement compris que j’avais tout faux, et le charme est parti.
— Ouais, évidemment. Et c’est tout ? Rien qu’avec ça, t’as…
— Non, coupa Sanji. Après, y a eu plusieurs autres hommes, et ça n’a été clairement que… sexuel. C’est comme ça que j’ai fait la différence avec Luffy.
— Et t’as essayé avec eux, alors ?
— Pas beaucoup. Avec les femmes, j’ai jamais besoin d’aller chercher les conditions pour que le charme apparaisse. C’est tellement plus simple… Les hommes, ou autres genres… Y a eu du flirt, des mains sous les vêtements… Et j’ai reçu une fellation, une fois. J’aurais préféré la donner.
Sanji préférait toujours donner, Zoro le savait. Il se demanda si c’était pour les bonnes raisons, ou si c’était parce que le coq avait besoin de se sentir utile afin de se convaincre qu’il méritait d’être aimé.
Il but une autre rasade de cette merveilleuse vodka au goût herbeux que Sanji lui avait dégotée.
— Et donc… Quelle question tu voulais me poser, maintenant qu’on a fini avec cette interminable introduction ?
Sanji le traita d’impatient, mais il répondit immédiatement :
— Quel genre de relation tu veux avec moi ?
Zoro n’y avait pas songé, et Sanji était sage d’avoir pris le relais. Ils étaient nakama, ils avaient besoin de définir leurs limites et leur fonctionnement. Il n’eut pourtant pas à réfléchir longtemps.
— La même chose qu’avec Perona.
— D’accord.
Zoro, qui s’apprêtait à boire, leva le nez en entendant cette réponse immédiate.
— Vu ton comportement depuis deux jours, j’avais peur que tu sois du genre possessif, que tu veuilles une forme d’exclusivité. Et… disons qu’il y a une raison pour laquelle je suis célibataire.
— Ben… Tu l’es plus. Bienvenue dans mon polycule.
Sanji haussa son sourcil, la partie enroulée remontant haut sur son front. Il ne posa pas de question, cependant, Zoro poursuivit par précaution :
— Et pitié, gère bien tes amours et ta libido comme t’en as envie. Surtout ta libido. Pourquoi je collectionne les hypersexuels ?
Sanji éclata de rire.
— Perona-chan aussi ?
— Tu veux pas savoir…
— Non. Je tiens à respecter l’intimité d’une femme.
— Je tiens à t’informer que la tienne est compromise, rétorqua Zoro en levant les yeux au ciel.
— Pardon ?
— Tu savais que tout l’équipage s’est organisé pour éviter la douche entre sept et huit ?
Sanji pâlit.
— Merde.
Zoro gloussa.
— Alors c’est vrai ? Je peux m’organiser pour moins l’éviter à cette heure-là, si tu veux.
Il lui adressa son petit sourire en coin dentu, celui qui disait à ses adversaires qu’il était trop tard pour fuir.
— Merde. T’es sérieux.
Sanji l’observait comme s’il lui était poussé une deuxième tête.
— Coq. J’ai la libido d’une espèce en voie de disparition…
Ils ricanèrent bêtement en se remémorant le cours de biologique donné par Usopp le jour même.
— … mais quand je suis attiré par quelqu’un, c’est pas à moitié, et t’as léché le goulot d’une bouteille en me regardant droit dans les yeux.
— OK, OK. Attends. J’étais pas prêt.
— Comment ça, pas prêt ?
— Il manque ma deuxième question.
Zoro se demanda de quoi il s’agissait cette fois. Sanji eut l’air gêné, fier, puis furieux.
— Vas-y, l’exhorta-t-il.
Le coq but une autre gorgée de vin, comme pour se donner du courage. Il ajusta son langage corporel, se redressant sur la banquette. Ses coudes se calèrent sur le dossier, son dos s’enfonça dans la mousse, ses jambes se croisèrent dans sa posture nonchalante préférée.
— Est-ce que t’es attiré par moi parce que je suis vulnérable ?
Quoi ?
Sanji fixa sa pupille visible sur lui. Sa couleur était devenue ferreuse, et Zoro y lut toutes ces autres choses qui faisaient leur relation complémentaire, conflictuelle et incomparable.
— Et dans ce cas, désolé de te décevoir, mais ça va pas durer. Si tu veux de moi parce que je suis plus à la hauteur, c’est pas la peine.
Sanji était beau en colère, avec sa paupière tombante, les braises qui couvaient dans sa prunelle, sa lèvre basse et plissée. La mèche qui couvrait son visage lui donnait l’air mystérieux qu’il espérait dégager d’ordinaire. Avec sa cravate dénouée, sa chemise ouvrant sur ses clavicules et une nouvelle cigarette à la main, il ressemblait à un chef mafieux sur le point de signer un contrat d’assassinat particulièrement sensible. Ou de s’apprêter à le remplir lui-même. Zoro sentit l’aimant tirer sur son plexus. C’était pour cet homme-là, cet homme si gentil et si dangereux, qu’il éprouvait cette attirance magnétique.
Puis Zoro fit le lien entre l’air vexé du coq, le recul qu’il venait de prendre, et ces dernières quarante-huit heures qui avaient été, pour son partenaire, spécifiquement rudes. Zoro lui-même était épuisé, mais heureux. Il avait tenu son rôle. Il avait protégé. Et il l’avait pu parce que Sanji avait accepté de le laisser faire. Il ne doutait pas qu’un jour prochain, le coq lui rendrait la pareille.
— T’as toujours été à la hauteur. C’est pour ça que t’es là, constata-t-il sans ambages. C’est pas ta faute si je suis meilleur.
Il sourit à la pique, mais malgré son intention, elle avait un goût plus doux que d’ordinaire.
La grimace concentrée du tueur à gages, face à lui, vacilla. Sanji porta sa main libre sur son visage, la calant au-dessus de ses sourcils pour que Zoro ne puisse plus voir ses yeux. Il entendit un reniflement peu gracieux, remarqua la main qui tremblait. Les doigts tenant la cigarette trouvèrent les lèvres, que des dents mordaient fermement.
Zoro songea tout à coup à Luffy et aux choses magnifiques qu’il était capable de dire à ses pairs pour les aimer. Luffy pouvait démanteler ces âmes égarées pour les reconstruire dans le bon sens, le bon ordre, afin que les morceaux d’elles qu’on avait arrachés repoussent, ou que ceux qu’on avait intentionnellement greffés au mauvais endroit retrouvent leur emplacement d’origine. Il venait de toucher un de ces organes mal en point que Luffy avait commencé à soigner, il en était sûr.
Il ne tenait pas à faire pleurer Sanji, mais il décida que si celui-ci était à ce point désorienté, il devait se mettre à nu, lui aussi. Zoro ne voulait pas que Sanji tombe de son piédestal. Il voulait cette égalité, cette connivence, cette capacité d’élever le soleil aux cieux, et que l’un ne pouvait posséder sans l’autre. Leur existence était conditionnée à celle de leur pair, il fallait qu’elle soit stable, complète et équivalente pour que leur équilibre ne se brise jamais.
— Je suis attiré par toi parce que tu te laisses aimer. Que tu t’autorises à nous… à me laisser prendre soin de toi.
Il avait conscience que sa déclaration risquait d’envenimer les choses, mais Sanji avait posé la question et attendait une réponse sincère. Il préférait lui dire la vérité plutôt que de le laisser croire que l’aimant était apparu parce qu’il percevait en lui une sorte de princesse enfermée dans sa tour, agitant son mouchoir au vent pour qu’on vienne la délivrer. À présent qu’il connaissait son ascendance, Zoro détestait associer Sanji à une quelconque royauté. Il s’était mis à haïr ce surnom de Mister Prince que le coq avait choisi pour couverture. Il faisait sens, à présent, pour le pire : incognito, Sanji était allé chercher l’autre pan de lui dont personne ne soupçonnait l’existence.
Non, Zoro n’imaginait pas Sanji en personnage de conte de fées, dont il était peu friand. Sanji était un mafieux, un vampire, un homme fatal. Et comme tous les gens de pouvoir, il y avait à ses côtés, prêt à tout pour lui, une sorte de démon ombrageux, un être à la force réputée égale et à la sauvagerie supérieure. Zoro était le yôjinbô du yakuza, le loup-garou du suceur de sang, le thanatos de l’éros.
En face de lui, les mains avaient cessé de trembler. La lèvre s’était décontractée, le corps détendu. Lorsque Sanji abaissa son bras, Zoro crut que le mafieux allait lui tirer dessus, ou que le vampire allait lui sauter à la gorge.
Mais Sanji semblait avoir compris ce qu’il avait maladroitement tenté de transmettre. Il le fixait placidement, comme s’il réfléchissait encore à sa réaction.
Tu as fait tellement d’efforts, ces derniers temps… Tu mérites de savoir que si je suis en train de tomber amoureux de toi, c’est pour qui tu es vraiment.
Zoro chargea son regard de cette pensée, puis ajouta pour lui-même :
Je crois que je sais pourquoi c’est jamais arrivé avant : il était pas prêt pour ce genre d’amour, ça lui aurait fait trop de mal, il était trop vulnérable pour que ça le blesse pas. C’est plus le cas.
Sanji lut en lui comme dans un livre ouvert ; Zoro n’en attendait pas moins de lui – et il fut persuadé que le coq avait aussi déchiffré ce qu’il avait voulu garder pour lui, ou du moins qu’il en avait pris conscience au même moment.
L’aimantation le saisit aux tripes. La posture du coq lui sembla soudain étrangement lascive, l’homme fatal usant de son charme pour se défaire des chaînes qui l’entravaient. Sanji prit une dernière bouffée de tabac et écrasa sa cigarette dans un cendrier, qu’il avait ramené du comptoir sans que Zoro le remarque. Il était un peu rouge, comme s’il avait senti la vague magnétique dévaler sur son corps. Zoro se demanda quelle expression il pouvait bien avoir pour que Sanji ne l’ait pas encore encastré dans le mur. Il tira sur ses traits et les trouva identiques à d’habitude. Sanji le connaissait simplement trop bien.
Alors, Sanji se pencha vers lui avec ce petit air suggestif qu’il prenait quand il murmurait des douceurs aux jeunes filles des banquets. Puis il tendit la main et saisit le menton de l’épéiste entre ses doigts. Cette fois, Zoro vit clairement le cœur palpiter dans son œil, braqué sur sa pupille valide.
— Vraiment… ? Et comment tu prendrais soin de moi, marimo ?
Zoro déglutit difficilement, commença à suer un peu, et fut si déstabilisé qu’il recula jusqu’au bout du canapé en battant des mains devant lui.
— Je… J’en sais rien, j’ai pas réfléchi jusque-là ! se défendit-il.
Le champ magnétique avait tout absorbé : la pièce, le vin, jusqu’aux cuillères de leurs panna cottas. Il n’avait qu’une envie, se rapprocher du coq, le laisser répandre son charme dans l’espace tendu d’attraction, mais Sanji était plus entreprenant – il savait ce qu’il faisait –, et Zoro n’avait jamais été de ce côté d’une interaction charnelle.
— Oh, pardon, j’en fais trop ?
La question était hésitante, comme si Sanji avait pris le risque d’être blessé en utilisant ce profil excentrique qu’il réservait d’ordinaire aux jolies femmes.
— Non, ça m’a juste surpris. J’ai pas l’habitude que tu fasses ça avec moi.
— Tu veux que je calme le jeu ?
Zoro ne voulait pas que Sanji soit autre chose que lui-même, avec ses tendances au flirt, ses fantasmes dégoulinants et ses obsessions légendaires. Et Zoro n’appréciait certainement pas que Sanji veuille le traiter différemment de ce dont il avait envie. Il voulait Sanji pour Sanji, parce que Sanji était cette boule de contradictions absurdes, idiotes et fascinantes qui se démêlait sous ses yeux avec hésitation.
Il prit sa meilleure expression provocatrice, sourit de toutes ses dents, et grinça :
— Sûrement pas. Je peux encaisser tout ce que tu m’enverras. Amène-toi, coq de merde.
Sanji pinça les lèvres. Une veine se contracta à son front, mais un énorme cœur palpita dans son œil.
— T’es irrécupérable.
Le coq boucha les bouteilles et les déplaça sur la table avec la vaisselle. Il repoussa la console improvisée, puis glissa jusqu’à l’endroit où Zoro s’était réfugié.
— T’as un safeword ?
Zoro haussa les sourcils. Il n’imaginait pas que le coq serait si direct au sujet de ses pratiques sexuelles. Sanji devina sa pensée et clarifia :
— Tu viens de me dire que t’avais pas de limites, et on se connaît très bien. Mais on est un… « partenariat »… du genre conflictuel. On va continuer à se taper dessus, à s’envoyer des vannes, et on va pas vouloir céder la victoire à l’autre dans les compétitions les plus stupides. Je sais qu’on va se retrouver sur un pied d’égalité, mais pour le principe, ce serait important qu’on ait un outil pour que cet équilibre se brise pas. Et vu le fonctionnement de notre attirance, même si j’ai bien capté que ce serait pas un problème, il vaut mieux aussi se prémunir de situations désagréables où on serait pas sur la même longueur d’onde.
On est toujours sur la même longueur d’ondes, songea Zoro immédiatement, et le coq hocha la tête, mais il comprenait ses réserves.
— Moi, c’est konjac, précisa Sanji.
Zoro éclata de rire.
— Évidemment que ça allait être de la bouffe qui nourrit pas !
— Si tu me dis que le tien n’a rien à voir avec les épées, je te croirai pas.
— C’est Yubashiri.
Celui de Perona était Sogeking – image très efficace pour le faire débander instantanément –, mais il était hors de question qu’il le révèle à qui que ce soit.
— Ha ! Je le savais ! s’esclaffa Sanji. Chacun ses obsessions.
— C’est toi l’obsédé. Alors fais l’obsédé, je j’attends ! s’énerva Zoro, qui commençait à avoir l’impression que le coq tentait de gagner du temps.
Sanji l’examina quelques secondes, sans doute sur le point de lui demander pourquoi il ne prenait pas l’initiative, dans ce cas. Puis il sembla faire une petite gymnastique mentale. Zoro l’imagina saisir ses questions et ses inquiétudes à deux mains et les poser sur la table, qui s’écroula sous leur poids. Il ricana.
— Si tu me traites d’obsédé parce que je pense qu’à ça depuis que tu m’as dit que tu voulais m’embrasser, je t’assomme avec la vodka, commenta Sanji en se penchant vers lui une deuxième fois.
Le tueur à gages était revenu dans toute sa splendeur. Sanji dénoua sa cravate et la fit glisser le long de son col. Zoro suivit le mouvement avec une fascination visible. Le magnétisme lui assécha la bouche, et il se lécha les lèvres. En face de lui, l’homme fatal avait remplacé la violence par la luxure. Sanji se rendit compte de son intérêt et commença à défaire les boutons de sa chemise en le toisant d’un air supérieur.
Merde, il reflète mes désirs. C’est ce que je ressens qui lui fait ressentir les mêmes choses, et c’est ce dont j’ai envie dont il a envie. C’est fabuleux…
Zoro fixa ses yeux sur les lèvres de Sanji et y resta accroché. Il voulait l’homme fatal, mais il voulait aussi le love-coq et la flopée de petits cœurs ridicules qui s’échappait de ses pupilles ou de la fumée de sa cigarette.
Sanji lui jeta un regard fiévreux et approcha son visage du sien. Zoro sentit son souffle sur son menton. Il y eut une seconde d’hésitation, juste le temps de le laisser décider s’il en avait toujours envie, et l’homme fatal amoureux susurra contre ses lèvres :
— Sachant ce que cette bouche est capable de faire, ça va être un privilège d’y goûter.
Zoro pouffa, considérant le commentaire grotesque, mais il s’abstint de le dire à Sanji : le coq était en train de lui donner ce qu’il voulait, et il avait le droit de se transformer en ver de terre noir et tourbillonnant pour ce faire. C’était ce qu’il était.
Au premier plan, dans un flou hystérique, un cœur bondissait à la place de l’iris changeant. La main adroite de Sanji glissa contre sa mâchoire, réagissant à la puissance qui s’y trouvait en la maintenant en place. Puis, enfin, la longue lèvre basse toucha la sienne, la mince lèvre du haut se tendit pour reposer contre sa commissure, et le bouc gratta son menton.
Zoro répondit au baiser avec plus de délicatesse qu’il ne s’en serait cru capable. Ce fut un vrai baiser romantique, doux, au goût d’alcool et de fruits rouges. Il s’avança vers Sanji pour conserver le contact, s’appuyant sur sa cuisse. Sanji frémit au toucher et copia le mouvement de sa main libre. Ils étaient un peu tordus, mal à l’aise, aussi Sanji changea-t-il sa jambe gauche de position, la calant au creux du sofa. Zoro tourna ses hanches vers lui, releva un genou et le bloqua contre le dossier. Le baiser se poursuivit paisiblement.
Zoro ouvrit la bouche en premier. Sanji imita son geste comme s’il n’y avait pas songé auparavant et glissa sa langue entre ses lèvres. Zoro plaça ses mains sur ses flancs pour le rapprocher de lui. Ses paumes atterrirent sur des fesses minces et musclées dans le mouvement. Le coq réagit en se soulevant pour s’asseoir au creux de ses cuisses.
Zoro enroula ses bras autour de ses côtes et serra. Sanji inspira profondément, faisant sentir à l’épéiste la puissance de sa cage thoracique et sa capacité à résister à son étreinte, puis il saisit sa tête et sa nuque entre ses bras.
Zoro dut s’écarter de ses lèvres à cause de la torsion, mais le cou pâle et la clavicule tentante étaient désormais juste sous ses yeux. Il y lova son visage, serrant davantage le corps si sec et si coriace qui lui permettait de l’approcher.
Le privilège était là, songea Zoro : cet homme s’autorisait à aimer parce qu’on l’aimait, et non plus parce qu’il aimait et n’aurait jamais cru qu’on puisse l’aimer.
Zoro ne pensait pas qu’on pouvait tomber amoureux en deux jours, même après des années de complicité, de querelles de vieux couple et de confiance aveugle, mais il savait que ce qui passait à travers ses gestes était une déclaration.
Il sentit Sanji embrasser son crâne, ces cheveux verts qui lui valaient tant de surnoms mesquins, et pouffa contre la gorge offerte. Il perçut le gloussement clair du coq en réponse.
Il baisa les clavicules, suça la peau, glissa lentement le long de la carotide, y traînant les dents. Il lécha légèrement le dessous du menton et frotta le bouc, forçant Sanji à s’écarter pour atteindre ses lèvres. Il s’y arrêta quelques secondes, puis attaqua nez, joue, paupière en forme de cœur… Il dut se redresser et remonter ses bras aux épaules de Sanji pour le pousser à arrondir le dos. Enfin, il atterrit devant sa cible : le sourcil enroulé du coq. Il l’embrassa en ricanant, se demandant encore comment la génétique avait pu produire une caractéristique aussi stupide. Sanji partit à rire et lui donna un coup de talon dans la jambe.
— Arrête de te foutre de moi, marimo.
— Jamais.
Sanji lui frotta la tête avec trop d’énergie pour que ce soit innocent. Zoro s’écarta pour le regarder. Le cœur battant dans son œil s’était rétracté à la pique, et il voyait les reflets changeants de ses prunelles, tantôt noirs, tantôt bleu ciel – une autre énigme, jusqu’à ce qu’ils lui fassent penser à toutes les nuances de l’océan. Sanji avait le All Blue dans ses yeux.
Si Zoro avait des références poétiques liées à la culture de Shimotsuki, il n’était pas prêt à réciter à son compagnon des choses aussi mièvres. Il garda le constat pour lui, mais se promit que si Sanji perdait jamais espoir, il mettrait sa fierté de côté et le lui avouerait.
Pour se détourner de l’image, il baissa les yeux sur la chemise déboutonnée – pas assez à son goût, réalisa-t-il. Comme l’avant-veille, il la retira du pantalon et commença à défaire les boutons du bas. Sanji l’arrêta au troisième. Dans un geste fluide, il se tendit, empoigna le col, et tira vers le haut. Le tissu dévoila son abdomen, son plexus, ses tétons et ébouriffa ses cheveux au passage. Les manches restèrent coincées à ses poignets quelques secondes, le temps que ses mains agiles s’en dénouent. Il jeta la chemise au sol.
Zoro s’entendit déglutir, le magnétisme au bord de l’étouffer tandis que l’excitation saisissait son bas ventre. Sanji poussa un soupir indécent, ayant perçu ses réactions et y répondant par ce réflexe rare réservé… exclusivement aux hommes qui voulaient de lui. Le soupir gonfla ce torse que Zoro avait admiré et souhaité observer ostensiblement. Sanji le regardait de haut, à présent, sa mèche couvrant toujours la moitié de son visage, sa paupière basse, ses lèvres entrouvertes, ses pectoraux enflant à chaque respiration.
— Comment tu peux être aussi beau ? Ça m’énerve, lâcha Zoro sans se rendre compte qu’il boudait, croisant les bras sur son thorax.
Sanji rougit. Puis il fronça les sourcils, grinça des dents et repoussa Zoro en arrière, le forçant à placer ses mains derrière lui pour ne pas tomber du sofa.
— Non mais tu t’es vu ?! Avec ton front haut, ta mâchoire carrée, ton regard intense, ton foutu petit sourire sexy et ton corps parfait ! J’ai déjà vu des filles serrer les cuisses rien qu’en te regardant ! À chaque fois que j’y pense, j’essaie de te trouver un défaut, et tout ce que j’ai à critiquer, c’est le gazon que t’as sur la tête !
Sanji s’était armé de son index et le plantait entre les abdominaux de Zoro, qui recula sous la pression intentionnelle. Le coq se pencha à sa suite, jusqu’à l’allonger sur les rembourrages verts, et ils se rajustèrent maladroitement pour que le crâne de Zoro ne tombe pas dans le vide. Celui-ci sourit de ce sourire carnassier que Sanji appelait « sexy » et siffla :
— T’es jaloux ?
— Ta gueule, s’agaça encore le coq, prêt à mordre. Et tu sais quoi ? Je suis sûr que ce truc que je sens sous mes fesses est aussi parfait que le reste et ça me donne envie de te frapper !
— Essaie seulement, le provoqua Zoro, qui avait pris ses aises sur le canapé et replacé ses mains sur les hanches étroites.
Sanji ne se fit pas prier. Il leva sa jambe gauche, qui était toujours calée au creux du dossier, et donna un coup de talon au visage de Zoro. L’épéiste émit un bruit étouffé, mélange entre les conséquences du coup et le mouvement qu’il avait généré contre son bas-ventre. Il bougea le bassin, cherchant la friction. Sanji lâcha un petit gémissement, et Zoro se redressa juste assez pour pouvoir toucher le sexe tendu de son vis-à-vis à travers le tissu du pantalon. Le soupir nasal revint, plus clair et plus long, accompagné d’une goutte de sang. Sanji en profita pour faire glisser le manteau vert des épaules de l’épéiste. Zoro termina de le retirer, dénouant la ceinture et les soulevant tous deux d’un coup de reins pour l’extraire de sous lui.
Sanji tira impatiemment sur le haramaki, que l’épéiste enleva par le haut avec tous les efforts du monde – il fut certain d’entendre un bruit de déchirure lorsqu’il passa ses épaules, mais il n’en avait rien à faire.
Vingt doigts s’attelèrent à leurs boutons et braguettes respectifs, dans un méli-mélo pressé qui généra un échange verbal essoufflé composé de « Laisse-moi faire », « Pousse tes mains », « Me pince pas, merde » et autres compliments.
Lorsque leurs deux érections furent dégagées, Zoro put jeter un nouveau coup d’œil à Sanji, qui le dominait de tout son corps longiligne. Le pénis sous ses yeux était aussi beau et proportionnel que le reste. Zoro vit rose. Avec Perona, il avait cru que c’étaient ses cheveux, ou simplement la couleur de son aura. À présent, il comprenait que c’était le voile de l’attirance posé sur sa pupille, tel un filtre activé par le magnétisme inhabituel. La teinte était si rare, chez lui, qu’il n’avait pas fait le lien entre cette impression décalée et ce que le coq voyait si souvent.
Le filtre rose constituait le précurseur du cœur qui trônait dans l’œil de Sanji en ce moment même. Zoro le surprit la bouche ouverte, la langue pleine de bave et les yeux rivés sur lui. Puis il se prit un autre coup de pied. Sanji grogna :
— Je le savais. Je te déteste.
— T’es pas si mal non plus, coq, ricana Zoro en comprenant pourquoi il s’était fait frapper.
Il ne s’était jamais posé la moindre question sur l’apparence de son sexe, mais il était capable de dire à Sanji ce qu’il pensait du sien.
Sanji préféra ignorer l’assertion, comme s’il était déjà en train de songer à autre chose. Il se pencha sur lui, comprimant leurs bassins, leurs hampes, leurs torses, puis leurs lèvres. Zoro accepta tout avec avidité : Sanji répondait au charme que son compliment avait généré. Il réalisa qu’il pouvait en jouer et que, s’il parvenait à contrôler ses envies de meurtre, Sanji lui tomberait dans les bras. Regarde-le, c’est déjà le cas. Il va carrément falloir que tu fasses attention à pas en profiter !
Puis il remarqua le talon noir ancré à droite de sa tête, et le genou tout aussi sombre qu’il tenait dans sa main, du côté du vide. Le nez de Sanji frôlait ses boucles d’oreilles. Le temps que sa posture devienne compréhensible, Sanji lui avait léché le cou et commençait à sucer un de ses tétons.
— Coq !
Celui-ci émit un grognement interrogatif.
— Tu… T’es sûr que t’es à l’aise, comme ça ?
Zoro connaissait bien la souplesse de Sanji, autant que son incroyable sens de l’équilibre. Toutefois, il ne cessait de s’en étonner, surtout quand l’homme s’en servait l’air de rien, parce que cette flexibilité était aussi naturelle pour lui que de marcher sur les mains.
La posture était spéciale et perturbante : Sanji était allongé sur lui, ses deux jambes encadrant le haut du corps de l’épéiste, de telle sorte qu’il était plié en deux, voire plus, selon de quel côté Zoro regardait.
Sanji émit un autre grognement, cette fois-ci positif, puis tenta de voir si le reste du torse de Zoro était aussi insensible que ses tétons. La réponse était oui – sans quoi il ne se serait pas promené partout à moitié nu –, mais il le laissa explorer la surface, apprécier les angles moelleux, supposant que si Sanji aimait les poitrines, peut-être aimait-il toutes les poitrines. Zoro préféra se concentrer sur son entrejambe stimulé par celui du coq, mais celui-ci se redressa après l’avoir embrassé.
— Qu’est-ce que je te sers ?
Zoro s’étrangla, gémit et éclata de rire à la fois. Sanji ricana, un peu gêné, mais il était clair qu’il avait rêvé de dire ça toute sa vie.
— Je sais pas, coq. De quoi t’as envie ? tenta Zoro entre deux quintes de toux.
— De ce dont t’as envie.
— À cause du charme réciproque ? interrogea Zoro, qui commençait à trouver qu’il y avait une différence entre ressentir de l’attirance pour une personne parce qu’elle vous désirait, et ne vouloir faire que ce à quoi son partenaire aspirait – comme si le coq comptait encore se sacrifier.
L’idée manqua de lui donner la nausée. Sanji avait trop tendance à servir les autres et à combler les envies de ses prochains. Ce n’était pas censé avoir un quelconque lien avec ses attirances sexuelles, et encore moins le pousser dans une mécanique à sens unique où il offrirait sans retour.
— Non. Parce que ce qui m’excite le plus, c’est d’être celui qui fournit du plaisir.
Zoro plaqua sa main sur son visage.
— Je le savais. Et tu reçois décemment, parfois, au moins ?
Sanji le fixa d’un air d’incompréhension.
— Je reçois les conséquences du plaisir de l’autre. La plupart du temps, je jouis par empathie.
À présent, Zoro le regardait comme s’il venait d’une autre planète. Ce fut à Sanji de plaquer une main sur son visage.
— Dis-moi que Perona-chan a eu des orgasmes, par pitié…
Zoro hocha la tête fermement, vexé.
— Évidemment. Mais elle, elle prend. Elle sait ce qu’elle veut. Elle me le fait comprendre en me gueulant dessus, bien sûr, mais au moins c’est clair. Tu veux pas me dire ce que tu veux en me gueulant dessus ? Ça fonctionne bien sur moi.
Perona le chevauchait, l’enfonçait en elle, puis se frottait sauvagement contre la peau de son pelvis en lui disant à quel point elle détestait ce genre d’activité avec lui, vraiment, c’était bien parce qu’elle n’avait pas le choix, oh, oui, comme ça, ne bouge plus ! Quand il n’était pas blessé, ils passaient en missionnaire, et elle le griffait jusqu’au sang tandis qu’il lui mordait les trapèzes en la traitant de psychopathe. C’était incroyable.
Sanji éclata de rire.
— C’est ça qui t’excite ? Le conflit ? Le angry sex ? Pourquoi ça m’étonne pas ?!
Zoro fit la moue, puis reconnut :
— Absolument. D’ailleurs, c’est une idée, tiens. C’est ça que tu peux me servir : des insultes, des provocations… Comme d’habitude, en fait. C’était très bien que tu me mettes ton pied dans la face, par exemple. Recommenhmphf… !
Sanji s’était exécuté avant qu’il termine sa phrase. Il saisit la cheville agressive et regarda son compagnon, qui le toisait toujours de toute sa magnifique hauteur. Enfin, il lui adressa son meilleur sourire carnassier et souffla :
— Si t’aimes donner, donne-moi ta colère aussi, coq. Je prends tout.
Sanji lui rendit son sourire féroce et le traita de masochiste pour commencer. Ensuite, il baissa les yeux sur leurs érections hésitantes, sembla réfléchir et lança :
— Tu sais quoi ? Cette fellation que j’ai pas pu donner, ça m’a bien frustré. J’ai envie d’essayer sur toi, mais ça veut dire que je pourrai pas te crier dessus en même temps…
Zoro se massa les tempes.
— T’es sûr que c’est pas à cause des deux derniers jours ? Ton foutu besoin de compenser pour ce qu’on te donne comme si tu le méritais pas ? Arrête de tout le temps t’inquiéter pour tout le monde.
— Et toi, arrête de faire semblant d’avoir besoin de personne. Tu serais pas là si t’avais pas envie d’un peu d’attention, épéiste hypocrite de merde !
Zoro vibra légèrement au ton agressif de Sanji, qui le regarda avec étonnement avant de sourire comme un idiot.
— Merde, ça marche vraiment !
Zoro hocha la tête. Le naturel avec lequel Sanji le traitait, oscillant entre discussions sérieuses, questions innocentes et commentaires acerbes, le comblait totalement. Sanji avait-il réalisé à quel point Zoro était flatté de compter pour lui ? À quel point il s’était senti à sa place, à protéger le coq des engeances du démon tout en lui laissant son agentivité, son identité, sa liberté ?
Zoro décida de mettre ses inquiétudes au placard : Sanji n’était peut-être pas le seul homme qui prenait son plaisir en donnant, il suffisait de trouver le bon équilibre, la bonne dose d’échanges capricieux et de douceur mordante pour que tout fonctionne.
— Alors, marimo… susurra Sanji en coulant le long de son corps comme un serpent libidineux. Ça fait deux jours que tu me vois dans tous mes états à cause des saloperies d’araignées. Je veux voir dans quel état tu vas être quand j’en aurai fini avec toi.
Sanji s’était reculé, désormais assis entre ses genoux pliés. Il avait toujours une jambe calée entre le dossier du sofa et la cuisse relevée de Zoro. L’autre s’était glissée sous son genou plié, et son pied touchait sans doute le sol pour s’y appuyer. Enfin, dans cette acrobatie surréaliste que Zoro n’aurait jamais réussie sans se déchirer la cuisse, il se pencha en avant, le torse à peine arqué, et plaça sa tête à la hauteur de son sexe. Zoro retrouva le tueur à gages et le vampire suceur de sang dans le langage corporel du coq.
Une dernière interrogation passa les lèvres de celui-ci :
— T’es clean, je suppose ? Pas besoin de préservatif ?
Chopper, qui refusait de rien laisser au hasard, les contrôlait régulièrement – Luffy inclus, qui avait même compris à quoi servaient les tests en question, mais n’en avait strictement rien à faire. Il leur faisait de mini cours d’éducation sexuelle à chaque examen, et Zoro suspecta que Sanji lui rendait visite bien plus souvent que la moyenne de l’équipage. Il se rappela une histoire de transmission par le sang, de coupures dans la bouche, et que le petit docteur avait recommandé du sexe oral protégé – surtout à lui, au vu de sa technique de combat.
Il hocha le menton, tentant de chasser l’image du jeune renne de son esprit. Lorsque Sanji donna un premier coup de langue sur son gland, le frisson qui le parcourut envoya valser Chopper dans la quatrième dimension.
— Bravo. J’en attendais pas tant d’une tête d’algue sentiente greffée sur le corps d’un gorille.
Zoro hésita entre bander plus fort, s’énerver et exploser de rire. Les trois n’étant pas incompatibles, ils advinrent tandis que Sanji pouffait.
— C’est la comparaison la plus créative que tu m’aies jamais sortie, coq lubrique.
— Attends de voir à quel point ma lubricité nourrit ma créativité.
Puis le coq le goûta une deuxième fois, et Zoro ne retint pas son gémissement. Sanji laissa sa langue errer sur son gland, écartant la fente tandis que sa salive commençait à couler le long de la hampe. Zoro dut se cramponner à quelque chose et tomba sur un mollet ferme contre le canapé. Sanji lui jeta un regard si impérieux qu’il se sentit durcir sous ses lèvres. Ensuite, les lèvres en question englobèrent le bout, entraînant lentement avec elles quelques plis de peau protectrice.
Il y eut le souffle du coq sur son épiderme, puis le frôlement dangereux de ses dents sur sa verge. Sanji contracta sa langue comme pour la faire gonfler. Zoro la perçut appuyer contre son frein à mesure que son compagnon ondulait la tête, sa fine lèvre du haut passant et repassant sur la bordure épaisse avec langueur. Un geignement proche du cri jaillit de ses lèvres sous la stimulation combinée. Il se sentit obligé de parler pour garder contenance.
— Comment… aaah !
Sanji avait aspiré pour le forcer à s’étrangler. Il ne s’arrêta pas pour répondre à sa question, mais Zoro surprit le petit sourire suffisant au coin de sa lèvre retroussée. Le coq eut l’audace de lui adresser un clin d’œil. Zoro entendit : « C’est toi qui me traites d’obsédé, assume, marimo », comme si cela pouvait tout expliquer. Mais après tout, il s’agissait de Sanji, avec son imagination débordante, ses fantasmes grotesques et sa collection de magazines pornos. Il était toujours plié en deux, et Zoro resta impressionné par cette souplesse inflexible qui s’ajoutait à la puissance de l’homme face à lui.
L’aimantation rôdait dans ses veines, concentrée sur son excitation et tous les réflexes carnaux qui le reliaient à Sanji. Il serra sa main droite autour du mollet ferme qui se contracta en réponse, comme pour dire « Tu ne m’écraseras jamais et tu le sais », et posa sa main gauche sur son front, espérant masquer son extase aux yeux prédateurs du tueur à gages entre ses jambes.
Il ne voyait plus Sanji sous cet angle, et il se rendit compte que c’était pire. La langue traîtresse choisit ce moment pour descendre le long de sa verge, l’humidifiant pour préparer la bouche à le recevoir plus profondément. « Tu peux pas te cacher », susurra la voix indolente de Sanji dans ces tons graves qu’il atteignait lorsqu’il entamait un duel. Zoro se débattit, espérant échapper à cet aimant qui lui tombait dans le cœur et lui donnait la chair de poule.
Sanji n’avait pas besoin de parler pour se faire entendre de lui. Ils se connaissaient tellement qu’un simple geste, un muscle tressautant, un bout de lèvre arqué suffisaient à transmettre tout ce qu’ils avaient du mal à mettre en paroles. Leurs actes parlaient pour eux. Cela avait toujours été le cas, même vis-à-vis du reste de l’équipage. Du reste du monde, en fait.
Le coq saisit ses hanches, grogna contre lui et le maintint en place de toute sa force. On aurait pu croire que son potentiel résidait dans ses jambes, mais Sanji portait des montagnes de marchandises sans sourciller. Zoro sentit la puissance tranquille des précieuses mains de son rival, puis Sanji s’enfonça autour de lui.
L’épéiste cessa de réfléchir, incapable de résister aux sensations qui l’assaillaient. Le coq agita sa tête d’avant en arrière, lentement, reprenant ses sévices sur son gland avant de replonger sa chair dans sa bouche. Zoro n’était pas très vocal, mais il savait que ses soupirs avaient envahi l’espace, et que Sanji pouvait se baser sur leur connivence, et la pression de ses doigts sur sa jambe, pour identifier son plaisir et en fournir davantage.
Bientôt, toutefois, le coq appliqua un rythme soutenu qui mit le feu à ses nerfs et le fit gémir régulièrement. Zoro releva la tête et retira sa main du mollet pour signaler qu’il n’était plus très loin de l’orgasme. Il était essoufflé, perdu dans une extase inédite, réduit à la seule existence de son sexe et de la jouissance que cette bouche infernale lui prodiguait.
Sanji ralentit doucement, le fixant de son œil visible, avant de sucer son gland une dernière fois, puis de s’écarter. Zoro serra les dents sous la pression, et put enfin respirer.
— Je vais me chercher une capote, je reviens, expliqua le coq devant le regard interrogateur et un peu frustré de Zoro.
— Hein ? P… Pour quoi faire ?
— Pour pas éjaculer sur le sofa.
— Oh.
Sanji se déplia, fixant sa veste pendue près de la porte. Il fallut plusieurs secondes à Zoro pour comprendre ses intentions.
— Attends, mais je t’ai même pas touché !
Le coq se mit debout, et Zoro put admirer son physique incroyable, svelte mais musclé, la façon dont il se tenait les hanches en avant, réflexe nonchalant qu’il n’avait jamais perdu, son profil inimitable, et son sexe humide et tendu qu’il avait à peine pu regarder.
— Si je te finis à la bouche, je pourrai me finir en même temps que toi en quelques mouvements de poignet.
— Déjà ? s’exclama Zoro, qui était habitué à l’intensité égoïste de Perona – pas que ça l’ait jamais dérangé.
— Je t’ai dit, je jouis par empathie. C’est génial de te voir dans cet état.
Sanji était rouge et clairement excité, le liquide séminal luisait sur sa verge. Il eut envie d’y goûter, lui aussi. L’inspiration lui vint au moment où le coq passait à côté de lui. Il l’arrêta d’une main sur son poignet.
— J’ai une meilleure idée.
Sanji haussa un sourcil.
— Comme si tu pouvais avoir de meilleures idées que moi.
Zoro frissonna au ton provocateur. Le vampire était beau, prêt à mordre, Zoro l’aurait laissé le vider de son sang immédiatement si ça avait pu le satisfaire.
Il se redressa, examina le canapé quelques secondes, puis décida qu’ils couraient à la catastrophe s’ils restaient dans son étroitesse. Il se leva, ramassa son manteau et l’étala par terre. Ensuite, il se rallongea dessus, dans la même position, et saisit les chevilles de Sanji. Il les guida de manière à ce que les pieds chaussés encadrent sa tête. Il prit plaisir à sentir le coq déglutir, comme lorsqu’il rencontrait une jolie fille et que ses yeux perdaient leur capacité à focaliser. Il surprit le cœur qui bondissait de son orbite, dans un battement de pouls plus fort que les autres.
— Ça t’excite de me voir à tes pieds, obsédé ?
Sanji ricana.
— Complètement. Et ton idée est pas mauvaise, allez.
« Merde, t’es un vrai génie, marimo », entendit-il à travers la concession.
Sanji s’agenouilla au-dessus de ses épaules, plaçant ses hanches à hauteur de sa bouche. Zoro n’hésita pas à lécher le membre qui se présentait à lui, et Sanji grogna en tombant sur ses coudes. Leur taille presque identique rendait la position parfaite. Il en avait toujours eu envie, mais Perona, son mètre soixante et le manque de souplesse de Zoro n’étaient pas compatibles avec une telle activité.
À peine installé, le coq reprit ses caresses buccales tandis que Zoro découvrait son goût sur sa langue. Il tenta de reproduire les soins que son partenaire avait appliqués sur lui, mais il était dans le mauvais sens. À la place, il tendit le cou sans effort et engloutit la verge pour y copier le rythme hypnotisant que Sanji avait recommencé sur lui. Le coq gémit, trembla, bougea ses hanches par réflexe. Zoro accueillit tout avec un plaisir non feint qui se répercuta jusque dans ses orteils.
Sanji décida de passer ses bras sous ses cuisses pour mieux contrôler ses mouvements, Zoro le laissa libre, se contentant de masser le fessier sec et étroit par-dessus le tissu du pantalon noir. Zoro voulait que Sanji soit libre. Dans le même temps, il était en train d’admettre que cette liberté impliquait autre chose : le coq était libre d’être là pour lui, de le soutenir s’il le souhaitait, de déverser en lui tout l’amour qu’il avait à lui donner, peu importait la méthode. Il pouvait prendre plaisir à donner sans se priver. Et Zoro pouvait protéger quand on avait besoin de lui, sans que la liberté de ses pairs l’écrase et l’emprisonne. Il pouvait protéger quand il en avait envie, dans ce langage de l’amour qui lui était propre, mais accepter qu’on ne le laisse pas assumer seul cette responsabilité qu’il avait prise, elle aussi par amour. L’amour n’était pas censé enfermer les gens, il le savait pourtant : si son ambition l’avait amené si loin, l’amour qu’il éprouvait pour cet équipage de fous furieux l’avait nourrie, la transformant en un objectif plus grand que lui, plus grand que Kuina même. Il devait permettre à cet amour de le libérer.
Zoro décida de commencer par Sanji.
Il le laissa garder le contrôle de l’échange, imitant ses mouvements, plus délicatement, comme pour fournir une sensation de fond au plaisir que Sanji prenait à travers lui. Au fond, il comprenait ce que pouvait vivre le coq : c’était ainsi que se déroulaient toutes leurs rixes, faites de la satisfaction que l’autre leur rende la pareille, des parades aussi puissantes que les coups, des insultes sans profondeur qui disaient davantage combien ils s’appréciaient malgré leurs différences.
Sanji accéléra la cadence, Zoro en fit autant. Il poussa un râle en percevant la première vague de jouissance, faisant vibrer sa gorge autour du pénis qui envahissait sa bouche. Il arrêta de sucer et se concentra sur ses propres sensations. Les reins se mirent à onduler lentement au-dessus de lui. Il les guida avec ses mains, juste assez pour garantir au coq qu’il ne pouvait pas lui faire mal.
Sanji comprit, gagna en assurance. Puis il y eut un frôlement sous ses bourses, et il écarquilla les yeux. La caresse persista, envoyant de petites décharges extatiques dans son système nerveux. Il contracta les doigts sur les fesses fermes, grogna la bouche pleine, encore et encore, en sentant son orgasme monter. Il entendit Sanji gémir indécemment. Il éjacula au même instant, tandis que les lèvres avides serraient son pénis et que le coq se répandait au creux de sa mâchoire dans un râle étouffé.
Ils ne se lâchèrent que lorsqu’ils furent sûrs d’avoir tout avalé, dans une synchronicité toujours aussi parfaite. Sanji renifla, puis se leva lentement. Zoro préféra rester à terre, abruti par la jouissance qui venait de traverser son corps. Le coq ne s’était redressé que pour remonter sa braguette et se retourner. Il le chevaucha, puis s’effondra sur son torse. Zoro accueillit le poids, expira un « oumph » indigne de sa musculature, et accepta le baiser fiévreux que lui offrit son partenaire.
Il le serra contre lui aussi fort qu’il était raisonnable de serrer un homme comme Sanji – au point qu’il aurait brisé les côtes d’une personne normale, mais pas assez pour faire craquer celles de son amant. Ils restèrent ainsi un moment, se passant de mots pour se transmettre à quel point ils avaient apprécié l’expérience. Puis Sanji préféra ajouter, au cas où :
— La prochaine fois que tu te fais aimanter, préviens-moi. Je me laisserai charmer.
— Je peux te traiter comme mon copain même sans le magnétisme ? hasarda Zoro, qui venait de réaliser que cette partie-là n’était peut-être pas claire pour le coq.
Sanji releva la tête, appuyant son menton sur sa main et son coude sur le torse de Zoro. Il lui adressa un de ces sourires doux et espiègles qui poussaient l’épéiste à le défier.
— Ça dépend. T’es toujours aussi collant ? J’ai pas besoin d’un marimo de compagnie.
Zoro lui donna une claque sur le dos, mais ne desserra pas sa prise.
— Seulement après le sexe. Enfin… En fait, j’en sais rien, j’étais trop occupé à m’entraîner. T’auras qu’à me taper si je t’emmerde.
— Si t’es OK pour te faire taper, écoute…
Le ton de Sanji était narquois, comme s’il était satisfait de la proposition.
— Tu me feras un commentaire désobligeant si t’en as marre que je flirte avec toi. Parce que vu qu’on est ensemble, c’est ce que je risque de faire. Même sans le charme.
— Ça me va.
Je vais le coller et il va détester ça.
Sanji allait adorer être l’objet de ce genre d’attention, et ils le savaient tous les deux.
Je vais flirter avec lui sans arrêt et il va détester ça.
Zoro allait adorer se moquer de ce côté amoureux transi, et ils le savaient tous les deux.
On va encore se battre pour tout et n’importe quoi, ça va être génial.
Zoro entendit Sanji pouffer et comprit qu’ils avaient eu la même pensée. Puis le coq baissa les yeux sur son torse, retira son coude et s’étala sur lui, sa tête contre le moelleux de ses pectoraux.
— T’es étonnamment confortable, j’aurais pas cru, soupira-t-il en fermant les paupières.
— Je sais.
Ils ricanèrent. Sanji eut la force de le pincer, mais pas de lui répondre. Dans les minutes qui suivirent, Zoro s’endormit les mains autour des épaules du coq, encore étourdi par le plaisir de l’avoir dans ses bras.
Notes:
Rappel amical que tous les polycules sont différents, avec des dynamiques différentes, et que tous les polycules ne sont donc pas aussi ouverts que celui-ci.
*
Aussi, je voulais utiliser les tendances de Sanji à prendre du plaisir en donnant, et à s’adapter aux atmosphères, mais ce n'est pas forcément lié à sa réciprosexualité. De même que sa récoprisexualité n'a pas à être liée à son passif difficile avec les hommes : certain·e·s d'entre nous sont aroaces par nature, d'autres le sont au moins en partie à cause de leurs expériences, et les deux situations sont valides.
Quelle que soit votre interprétation de Sanji, j'ai trouvé que ça lui allait très bien, et je pense que je vais m’en resservir !*
J'ai beaucoup à dire à ce sujet, donc si vous êtes intéressé·e·s, vous pouvez me trouver sur Tumblr :D
Chapter 5: Épilogue
Notes:
Je ne suis pas sûr que c'était nécessaire, mais le chaos de l'équipage m'a appelée.
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
— Chuuuut…
Sanji dormait rarement sur le ventre. La chose était impossible dans un bateau équipé de hamacs, et il n’avait pas changé de position lorsque le Sunny avait fourni des couchettes. Cependant, il ne pouvait pas nier qu’il se sentait particulièrement à l’aise, sur une sorte de matelas brûlant et solide, maintenu à la taille comme sous une couverture lestée.
— Non mais chut toi-même, c’est pour toi qu’on est là, hein, grommela quelqu’un dans le subconscient du coq.
Il n’était pas dans son lit, mais le confort local l’empêchait de sortir totalement du sommeil.
— Aïe ! Mais fais un peu attention, à la fin !
Il avait passé une soirée franchement agréable, bien que surprenante. Il savait que lui et Zoro avaient d’étranges points communs, sous les couches d’opposition, et que leurs valeurs étaient identiques. Il n’aurait jamais cru retrouver ces éléments dans une relation différente de leur amitié rivale, mais comme celle-ci, précieuse, n’avait pas été entamée par ce qu’ils s’étaient découvert, il en était heureux. Il était même satisfait.
— C’est pas ma faute si l’interrupteur est de l’autre côté. Pourquoi la porte était coincée ?
Zoro avait jugé ses gestes romantiques comme d’ordinaire, mais ne les avait pas refusés. Il avait écouté ses justifications à rallonge et, comme d’ordinaire, les avait comprises avant de balayer ses inquiétudes sous-jacentes de la main. Il voulait le même genre de relation que Sanji briguait : la possibilité de coucher dans tous les ports, le droit d’aimer autant de personnes qu’ils le pouvaient, le choix de chérir sans attaches. La liberté de souscrire à leur fonctionnement, leur identité ; la liberté d’être, telle que Luffy la définissait et l’incarnait.
— Sans doute parce que Sanji en a marre que tu déranges ses placards en cherchant de la bouffe imaginaire, murmura la voix d’Usopp dans son cerveau cotonneux.
Puis il y avait eu le regard de Zoro sur lui, comme celui d’un chevalier épris de son roi, ou d’un samouraï dévoué à son seigneur. Sanji savait désormais qu’il n’était pas désiré pour sa vulnérabilité, mais pour ce que celle-ci avait laissé transparaître : tout ce qui le faisait lui, et qui, dans les yeux de Zoro, lui donnait l’aura d’une force de la nature à sa hauteur, quelque chose d’insaisissable tels l’eau de la mer ou l’air des cieux, là où l’épéiste était racines sauvages ou roc millénaire.
— Mais Nami a dit que le cake au matcha était trop bon et j’en ai pas eu ! Et de toute façon, on peut passer par l’infirmerie !
Enfin, ils s’étaient effeuillés, et la bête était restée bête même après avoir enlevé toutes ses peaux. Mais Sanji n’était pas une princesse de conte de fées, après tout : c’était lui qui avait mordu en premier.
— C’est parce que j’ai soudoyé Chopper pour avoir sa clé, imbécile. Maintenant, grouille, tu m’as promis de m’en laisser un bout, et je sens une présence menaçante à proximité.
— C’est Zoro et Sanji qui se font un câlin, statua la voix de Luffy.
— Ouais, ça me rassure vachement, pile la personne qu’on veut évit… Attendsquoi ?!
Usopp avait crié trop fort pour que Sanji croie une minute de plus que les sons provenaient de son subconscient brumeux, habitué à participer à des conversations entières en plein sommeil. Il essaya de se lever, mais sa couverture lestée – Zoro, réalisa-t-il – refusait de le lâcher. Merde, il est déjà collant. C’est presque mignon.
— Zoro. Hé. Zoro, murmura-t-il en se redressant comme il pouvait, un coude sur son support improvisé.
Zoro ronflait allègrement. Seule une véritable menace l’aurait alerté. La menace était réelle pour Sanji, qui détestait qu’on touche à sa cuisine. Pourquoi personne ne s’était jamais dit qu’il suffisait de lui demander ? Il était incapable de refuser de nourrir qui que ce soit !
Il s’apprêtait à réveiller Zoro à coups de pied dans les tibias lorsqu’il perçut Usopp trébucher entre les chaises. Sanji décida d’attendre les hauts cris juste pour vérifier si la détresse psychologique et les bugs mentaux généraient les mêmes réactions protectrices chez son nouveau petit-ami. Il planta son menton dans sa paume levée et se mit à taper des doigts sur son partenaire. Puis il plissa les yeux, prêt à affronter les néons crus de la cambuse, fit la moue, et dégagea sa meilleure aura de chef furibond.
La lumière fusa. Sanji s’y adapta aussi vite qu’Usopp, si bien qu’il vit le sniper embrasser la scène avec un mélange de choc et d’horreur. Les restes du dessert romantique sur la table, les bougies consumées, les vêtements éparpillés sur le sofa, et lui, torse nu sur un gorille à poils verts, le fixant de manière si intense que Luffy cria :
— Sanji ! Depuis quand tu peux faire des lasers avec tes yeux ?! C’est trop cool !
Leur capitaine avait suivi son partenaire de crime et, à présent, considérait les ramequins de panna cotta vides comme s’ils avaient commis une mutinerie.
Usopp se figea, le petit doigt en l’air à hauteur de son visage. Ses globes oculaires sortirent de leurs orbites, de la morve coula de son nez et sa bouche s’ouvrit grand.
— Hyaaaaaah !
Si Sanji n’avait pas été si furieux, il aurait éclaté de rire.
Le glapissement ne réveilla pas Zoro, mais il allait rameuter tout le reste du bateau. Quelle heure était-il, bon sang ? Le temps qu’il consulte l’horloge – il n’était pas minuit –, Usopp avait disparu.
— Namiiiiiiiiii ! l’écouta-t-il hurler depuis l’infirmerie. Namiiiii ! Ça y est !
Une série de portes qui claquent, de cris et de pas précipités se fit entendre, puis la voix puissante de sa navigatrice préférée couvrit le tintamarre.
— Usopp, bordel ! On peut même pas prendre un bain tranquille ?! Dégage de là toute de suite !
Des mains fleurirent contre la porte principale, repoussant le four industriel pour laisser entrer Jinbe, inquiet, et Robin, souriante.
— Nami ! Pardon ! Arrête tout ! C’est en train d’arriver ! hurla Usopp en réponse, d’un ton un peu trop excité au goût de Sanji.
— Quoi ?! Maintenant ?!
Il y eut un bruit de cavalcade. Quelqu’un sauta du pont supérieur, puis, dans une glissade maîtrisée, la jolie rousse apparut à l’encadrement de la porte, jambes et bras écartés, dents en cisailles, entièrement nue.
— Je dois le voir pour le croire, Usopp ! Jamais tu gagnes contre moi !
Elle eut à peine le temps de voir quoi que ce soit. Sanji sentit son excitation sexuelle monter en flèche, son cœur battre la chamade, ses yeux jaillir de leurs orbites. Il y eut trop de salive dans sa bouche, trop de stimulation dans son bas-ventre, trop de pression dans ses artères.
Ce fut le moment que Zoro choisit pour ouvrir l’œil, remarquer son expression extatique et grincer :
— Oh merde.
Le sang érupta de ses narines au même moment. L’épéiste se mit à beugler, plaçant ses mains devant son visage :
— Ero-coq, putain ! Pas sur moi !
Libéré du marimo gluant, Sanji se sentit décoller. Il heurta le plafond dans un clang inquiétant, y lévita plusieurs secondes, puis s’écrasa sur le sol la tête la première, Zoro ayant pris soin de l’esquiver.
L’épéiste s’était assis par terre et avait commencé à vociférer contre Nami :
— Non mais ça va pas la tête ?! Je sais que t’as aucune gêne, mais fais ça quand je suis pas sur la trajectoire ! T’abuses !
Nami l’ignora et se mit à hurler sur Usopp.
— Usopp ! Pourquoi tu m’as fait paniquer comme ça ?! J’ai cru qu’ils étaient dans le cellier !
— Quoi ?! Tu voulais pas savoir où ils en étaient ?!
— Je m’en fous d’où ils en sont ! Je veux juste protéger mes investissements !
Sanji était trop aveuglé pour assister à la scène, mais les cris perçants parlaient d’eux-mêmes. Il comprit, vexé, un certain nombre de choses à propos de la vision que son équipage avait de sa relation à Zoro. Il les trouva un peu intrusifs, mais au regard de leur situation – surtout de celle de Zoro, en fait –, il ne s’étonna pas qu’ils aient sauté aux conclusions. Rien n’aurait davantage surpris ses pairs que la place de la jolie Perona dans la vie sentimentale de son compagnon. Sanji faisait pâle figure en comparaison : que Zoro et lui aient une aventure leur semblait une évidence. Ce n’était même plus drôle.
D’aucuns auraient cru qu’il aurait préféré garder cette histoire secrète, se préparer mentalement, annoncer officiellement leur statut, mais tout le monde savait toujours tout, sur ce bateau, sans avoir besoin de mots pour en parler. À la seconde où il avait verrouillé la porte de l’infirmerie, il s’était douté que la rumeur vaincrait toutes ses tentatives de discrétion. La seule chose qu’il redoutait était qu’une des deux femmes de l’équipage tombe sur une scène qui la mettrait mal à l’aise, mais Nami démontrait clairement qu’elle n’en avait rien à faire, et Robin semblait, au contraire, s’y intéresser. Il dut contrôler son imagination : il y avait une différence entre trouver amusant de surprendre ses pairs dans des postures gênantes et vouloir réaliser ses fantasmes voyeuristes – pas qu’il l’aurait blâmée, c’était peut-être même quelque chose qu’il partageait avec elle.
— T’as flippé à cause du pari ?! s’exclama Usopp, scandalisé. T’es trop vénale, je te renie comme partenaire de potins !
— Toujours là pour les potins, pour rappel ! lança la voix de Franky.
— J’en suis également, fit remarquer Robin en pouffant.
— Franky, Robin, je vous nomme co-partenaires de potins. Mon porte-monnaie souffrira moins. Nami est exclue jusqu’à nouvel ordre.
Brook passa la tête au chambranle et réclama sa carte d’adhérent. Usopp l’accepta avec enthousiasme.
Le groupe des potins était soudain dangereusement compétent, et Sanji décida qu’il n’essaierait pas de cacher la moindre activité privée à ses pairs à partir de cet instant. Son prochain rendez-vous galant avec Zoro – la formule absurde le fit ricaner – serait affiché sur le tableau des tâches quotidiennes, les portes à ne pas ouvrir seraient indiquées grâce à un mouchoir à leur poignée. Avec un peu de chance, ses amis pourraient même empêcher Luffy et son déficit d’attention de les déranger par inadvertance.
Nami ne réagit pas à son renvoi temporaire : elle était probablement partie s’habiller. Bon sang, qu’elle était belle. Sanji sentit une nouvelle vague d’excitation le submerger, mais elle lui donna l’énergie de se redresser pour s’adosser au canapé.
Il entendit des bruits de métal et supposa que le cyborg terminait de replacer le four.
— Aaah, monsieur l’épéiste, fais gaffe. T’as pas fini de rengainer, souffla celui-ci dans une tentative manquée d’être discret.
Évidemment, tout le monde eut le réflexe de fixer le fourreau défectueux – sauf Luffy, qui jeta un coup d’œil intrigué aux trois katanas appuyés contre le mur. Il se glissa dans la cuisine et se mit à ouvrir les placards frénétiquement.
Zoro, couvert de sang et abruti, cligna des yeux, parut à peine contrarié et remonta sa braguette en marmonnant :
— Oh, merci, Franky.
Il bâilla, se mit debout, puis observa Sanji. Celui-ci se relevait d’un même mouvement, dans le but de ranger les bouteilles et de céder à Luffy ce qu’il cherchait – non sans l’avoir encastré dans le plancher auparavant. Il ne résista pas à donner un coup de coude à l’épéiste et chuchoter :
— Ça t’apprendra à pas porter de sous-vêtements.
— Tu disais pas ça tout à l’heure, souffla Zoro en réponse, assez fort pour qu’on l’entende.
Quelqu’un gloussa, Luffy se plaignit de ne pas trouver le cake au matcha, Brook fit remarquer qu’il préférait ses femmes « plus habillées ».
Zoro fixa Sanji d’un air suffisant et saisit sa hanche pour le rapprocher de lui d’un geste suggestif. Il devait penser que le coq n’était pas à l’aise avec les démonstrations d’affection en public et voulait le mettre en rogne. Il avait oublié que Sanji pouvait flirter avec vingt filles en même temps, dont quatre pendues à ses bras, dont deux pratiquement sur ses genoux. Que croyait-il qu’il se passait ensuite ?
Sanji fut piqué au vif pour le principe de l’être, seulement parce qu’il savait que le marimo tentait de le provoquer. Il aurait voulu empoigner le col de Zoro pour lui crier dessus, mais il était toujours torse nu. Il choisit une autre tactique.
— Tu parles. J’ai pas encore eu l’occasion de toucher. Fais voir ?
Et il donna une gigantesque claque sur la fesse droite de l’épéiste. Un couinement rauque jaillit de la gorge du marimo, qui plaqua sa main sur sa bouche, l’air estomaqué. Sanji réalisa alors que, si Zoro l’avait saisi par la taille, c’était à cause du magnétisme, revenu en même temps que leur petite rixe verbale. Le regard de la bête sur lui aurait dû l’aiguiller, mais la présence de son équipage l’avait perturbé.
Une teinte rose décorait le nez de l’épéiste. Sanji fut gêné pour lui, charmé par l’attirance qu’il percevait à présent, fier de l’avoir déstabilisé.
— Oh, pardon, marimo-kun. Je voulais pas… commença-t-il sincèrement.
Zoro ne lui laissa pas le temps de finir sa phrase. Il fronça les sourcils, afficha son fameux sourire carnassier et se lécha les lèvres, goûtant au sang qui s’y était égaré. Puis il carra les épaules et prit son air le plus féroce.
— Ah tu veux jouer à ça ?
Sanji vit une lueur fauve dans sa pupille. L’enchantement s’était éveillé, le poussant vers son rival comme dans un brouillard d’évidence. Mais la bête exigeait son quart d’heure de folie, et Sanji était toujours prêt à le lui donner.
— Amène-toi, gronda-t-il en réponse, fourrant ses mains dans ses poches.
Zoro y jeta un œil… et lui rendit sa claque aux fesses. Sanji glapit. Il claqua une épaule et reçut une pichenette dans les reins. Il bloqua le prochain coup d’une jambe, grinçant :
— Non mais tu vas voir, espèce de bête sans rédemption !
Zoro se précipita sur ses sabres, les dents serrées.
— C’est toi qui vas voir, vampire hémophile !
— Animal !
— Tu sais ce qu’il te dit, l’animal ?!
La rixe se poursuivit à l’extérieur. Sanji entendit Franky mentionner l’ajout de serrures en wapometal. Robin tenta de l’en dissuader car c’était bien plus drôle ainsi. Usopp réfuta.
L’archéologue eut pitié de Luffy et lui offrit les restes de cake au matcha étiquetés à son nom. Brook chantonna un air tout en rangeant la vaisselle. Le charpentier mit la vodka de côté et lui demanda s’ils pouvaient finir le vin entamé. Entre deux râles de damoiseau tout sauf en détresse sous le charme d’une algue en forme de gorille, Sanji leur recommanda d’en profiter. Brook joua une conga endiablée avant de se prendre une savate dans la figure parce que Nami essayait de dormir.
La deuxième savate, en feu, heurta les duellistes de plein fouet. Sanji s’excusa et souhaita bonne nuit à la navigatrice. Elle leur jeta un coup d’œil fatigué et marmonna d’un ton sinistre :
— Vous faites ce que vous voulez, où vous voulez, quand vous voulez. Sauf dans le cellier. Si je vous trouve dans le cellier, vous êtes morts.
Elle passa son doigt sous sa gorge, puis termina de son petit air malicieux :
— Et ne dites rien à Usopp, évidemment !
Sanji retomba amoureux instantanément, Zoro lui feula dessus.
Chopper faillit faire une crise cardiaque en les voyant revenir couverts de sang, mais Zoro dénonça Sanji en se moquant de lui. Sanji lui donna une autre claque sur les fesses qui lui arracha un discret mais audible couinement de baryton. L’aimantation était plus forte que jamais. Ils ricanèrent bêtement et s’éclipsèrent à la douche. Pour une fois, Sanji n’aurait pas besoin d’y passer autant de temps le lendemain matin.
Il déposa le bandana qu’il avait gardé dans sa poche dans un panier à linge, et avant d’avoir pu prendre une décision éclairée, il se retrouva dans un bain, le magnifique dos lisse de Zoro contre son torse.
Il le massa un instant, l’embrassa, profita du charme qui répondait au magnétisme et serra les épaules de son compagnon entre ses bras, calant son menton dans son cou.
La crise passée, il avait du mal à croire que tout ça était advenu à cause d’une stupide invasion d’araignées. Il frissonna rien que d’y penser et, pour oublier l’image repoussante, il murmura à l’oreille de Zoro :
— La prochaine fois qu’on croise Tashigi-chan, je te laisserai te cacher derrière moi.
Zoro pencha la tête pour l’embrasser sur la tempe.
— Et qu’est-ce que tu peux faire contre Tashigi, toi ? Lui saigner à la figure ?
Sanji grogna et lui mordit le trapèze.
— Si tu tiens à me rendre la pareille, coq, dis-toi que c’est à mon tour de te grimper dessus.
Si Sanji n’avait pas été cramponné au marimo, il serait tombé hors de la baignoire. Zoro éclata de rire lorsqu’il remarqua les gouttes de sang qui teintaient le bain.
La discussion qui suivit porta sur toutes les façons possibles de se grimper dessus. Elle fut animée mais constructive, jusqu’à ce qu’ils s’endorment de nouveau dans cet endroit inapproprié et se fassent réveiller par l’eau trop froide. Éternuant, ils décidèrent sans un mot de partager la même couchette. Sanji s’assoupit sur son nouvel oreiller, coincé sous le lest des bras de Zoro, les ronflements de celui-ci agitant ses cheveux au rythme du roulis de la mer. Il n’aurait jamais cru que ce sentiment de sécurité puisse lui donner l’impression d’être aussi fort.
Quelque part sur Grand Line, la princesse fantôme se débattait avec un cafard de taille parfaitement normale, regrettant l’absence de son petit ami surprotecteur – bien qu’elle ne le lui avouerait jamais.
Notes:
Éléments coupés au montage :
- Zoro et Sanji qui se chamaillent parce qu'ils ont tous les deux eu un crush aroace sur Luffy
- Une scène de sexe explicite pur tsundere entre Zoro et Perona
- Une scène de angry sex entre Sanji et Zoro, mais Sanji étant dans sa phase douce, c'était infaisable avec le timing de cette fic
- Des scènes d'épilogue avec Sanji qui flirte ouvertement avec Zoro, lui offrant les mêmes services qu'aux filles, et Zoro qui se moque de lui mais pense secrètement que c'est adorable (et tout à coup ne comprend pas pourquoi Sanji était célibataire, parce que bon sang le flirt marche). Mais je préfère laisser ça à votre imagination pour cette fois. Je préfèrerais faire un fic à part, où Sanji tombe amoureux en premier et décide de séduire Zoro, avec tout le chaos qui s'ensuit comme d'habitude.
Toutes ces scènes auront lieu dans d'autres œuvres parce que je n'ai aucun contrôle sur moi-même.ET... Il se pourrait que j'aie beaucoup trop d'idées pour un PWP complètement absurde dans lequel ils revoient Perona et tentent un threesome extrêmement chaotique…
Ces idées étant (spoiler):
Perona veut que Sanji la vénère et il est très heureux de s'exécuter, mais elle est méchante avec lui, donc Zoro retrouve ses réflexes protecteurs et lui crie « Arrête de maltraiter mon petit ami! », alors même qu'il est en train de maltraiter Sanji lui-même, mais Sanji est ravi de se faire maltraiter par Perona, et pas du tout par Zoro, donc tout le monde se crie dessus tout du long, sauf Sanji-Perona qui arrivent à avoir quelques moments sub-dom légers pendant que Zoro les perturbe de façon bizarre, mais venant de lui, ça reste sexy. Ils finissent peut-être par s'entendre pour fesser Sanji, mais ils vont quand même se disputer au milieu et Sanji devient le dommage collatéral à mesure que les claques augmentent en puissance. Perona passe l'une des meilleures nuits de sa vie, mais Zoro est tellement fatigué qu'il ne veut plus jamais recommencer. Puis Perona rejette Sanji parce que les serviteurs ne sont pas des petits amis. Sanji est dévasté jusqu'à ce qu'elle lui dise que la prochaine foi qu'ils se voient, elle ramène une laisse – parce que le sexe avec les serviteurs, c'est tout à fait OK. Ceci pourrait aussi m'inspirer pour une préquelle ZoroPerona et une deuxième séquelle PeronaSanji, arrêtez-moi pitié.
Après, tout ça est très difficile à écrire, donc je ne suis pas sûre d'y arriver, mais c'est dans ma tête en tout cas. J'en ferais probablement une partie d'une série pour qu'elle puisse être lue indépendamment. Qu'en pensez-vous ?
Retrouvez-moi sur Tumblr pour parler de mon processus créatif (surtout sur les sujets queers). Et sur BlueSky pour des memes liés à la fanfiction et des idioties sur One Piece.
J'espère que vous avez apprécié la lecture, kudos et commentaires bienvenus!
Ailaa on Chapter 1 Tue 06 May 2025 03:32PM UTC
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Awakken on Chapter 1 Fri 29 Aug 2025 06:54PM UTC
Last Edited Fri 29 Aug 2025 06:55PM UTC
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Tookuni on Chapter 1 Fri 29 Aug 2025 07:41PM UTC
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Awakken on Chapter 3 Fri 29 Aug 2025 07:31PM UTC
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Tookuni on Chapter 3 Fri 29 Aug 2025 07:44PM UTC
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